Cendrillon suivit du regard le carrosse jusqu'à ce qu'il eut disparu derrière les arbres de l'allée ; alors, elle descendit dans la cuisine et s'assit comme à l'ordinaire dans le foyer de la cheminée.
Elle se sentait bien triste dans ce coin misérable. Elle était courageuse et avait l'habitude de ne pas montrer ses sentiments lorsqu'elle était en présence de ses sœurs, mais, en comparant sa pénible existence avec celle de ses sœurs, elle ne put s'empêcher de pleurer.
À ce moment même, elles entraient dans le magnifique palais du roi, aux salons merveilleusement éclairés, remplis d'une foule brillante et heureuse, tandis qu'elle, Cendrillon, était seule dans cette vilaine cuisine, sans personne à qui confier sa peine, seule avec ses pensées douloureuses. Une larme tomba de ses yeux, puis une autre, puis une autre.
Tout à coup, Cendrillon entendit du bruit. Elle se dressa effrayée et vit, debout, de l'autre côté de l'âtre, une très vieille femme.
« Qui êtes-vous ? demanda Cendrillon d'une voix tremblante.
– N'aie pas peur, dit la vieille femme, je ne suis pas venue pour te faire du mal. Tu m'as vue déjà – une seule fois il est vrai – alors que tu étais plus malheureuse que ce soir. Regarde-moi bien et dis-moi si tu ne te souviens pas de moi. »
Alors, la vieille femme se leva et se mit en pleine lumière. Elle était vieille, très vieille, si vieille que sa figure était toute ridée, semblable à une pomme reinette. Elle était habillée d'une robe rouge avec un corsage de dentelle noire, elle portait un chapeau de forme bizarre, pointu et à larges bords. Elle se tenait fortement appuyée sur un gros bâton noueux que Cendrillon s'étonna de n'avoir pas remarqué tout d'abord.
La vieille femme sourit.
Avez-vous jamais vu un rayon de soleil illuminer tout à coup un sombre réduit ? Eh bien ! Semblable était le sourire de la vieille femme. Elle ne parut plus vieille, mais pareille à un brillant matin de printemps et ses yeux étaient profonds, remplis d'une radieuse lumière.
« Je vous reconnais, s'écria Cendrillon. Vous êtes celle qui était dans le jardin la nuit où ma mère est morte. La lune s'était voilée et vous avait cachée. Je voulais descendre vers vous, mais, quand je pus regarder de nouveau, vous aviez disparu.
– Parce que le temps n'était pas venu, dit la vieille femme. Tu m'as vue une seule fois, mais moi je t'ai vue souvent. J'ai veillé sur ton travail chaque jour et je connais tous les mauvais traitements que t'a fait endurer la méchanceté de ta belle-mère et de tes belles-sœurs. La nuit, lorsque tu es assise là, rêvant dans les cendres, et que tu crois être seule, je ne suis jamais loin de toi. Lorsque tu montes dans ta mansarde et que tu t'étends sur ta misérable paillasse, je veille sur ton sommeil.
– Qui êtes-vous donc alors ? demanda Cendrillon.
– Je suis ta marraine, répondit la vieille femme. Ta mère était mon amie lorsqu'elle était enfant et je lui ai promis, avant sa mort, que je prendrais soin de toi. Tu pleurais lorsque je suis venue. Qu'est-ce qui est arrivé ?
– Ce n'est rien, répondit Cendrillon honteuse d'avoir été surprise tandis qu'elle versait des larmes. Je... Je...
– Tu regrettais de ne pas aller au bal, n'est-ce pas ?
– Oui, dit Cendrillon en soupirant.
– Eh bien ! Si tu veux être une bonne petite fille obéissante et faire ce que je te dirai et ne me poser aucune question, tu iras au bal. Y a-t-il des citrouilles dans le jardin ?
– Pourquoi ?... Oui..., dit Cendrillon étonnée.
– Alors, va me chercher la plus grosse que tu trouveras ; mais ne m'interroge pas, comme je te l'ai recommandé. Tu sauras assez vite ce qui va se passer. »
Cendrillon courut dans le jardin ; elle revint bientôt avec une magnifique citrouille et la donna à sa marraine en se demandant comment, grâce à cette citrouille, elle pourrait aller au bal.
– « Donne-moi un couteau. »
Cendrillon apporta un couteau avec lequel sa marraine coupa le sommet de la citrouille dont elle enleva la chair jusqu'à ce qu'il ne restât plus que l'écorce.
Puis elle la porta dans la cour d'entrée et lui donna un coup de sa baguette. Aussitôt, la citrouille se changea en un beau carrosse tout doré !
Alors Cendrillon comprit que sa marraine était une fée. Et certes, dans tout le pays, à des dizaines de lieues à la ronde, on ne vit petite fille plus étonnée et plus ravie que ne le fut Cendrillon.
Elle ne pouvait se lasser de regarder le carrosse qui était tendu d'une délicieuse soie rose, et elle était si absorbée par sa contemplation que sa marraine lui toucha le bras pour attirer son attention.
« Viens, dit la vieille femme, ou le bal sera fini avant que tu n'y arrives. J'ai besoin d'une souris ou deux. Va et regarde s'il n'y en a pas dans la souricière. »
Cendrillon retourna dans la cuisine et trouva dans la souricière, par le plus heureux des hasards, six petites souris. Elles couraient çà et là dans la cage, passant leur fin museau à travers le grillage.
« Ouvre la porte de la souricière, dit la marraine, et laisse-les sortir une à une. »
À chaque souris, elle donnait un coup de sa baguette, et la souris était aussitôt transformée en un beau cheval. Bientôt, il y eut un splendide attelage de six chevaux d'un beau gris pommelé et si bien dressés qu'ils se placèrent d'eux-mêmes dans les brancards du carrosse, prêts à être harnachés et attelés.
« Il nous faudrait maintenant un cocher, dit la fée, quand ce fut terminé.
– Oh ! Je sais ce qu'il faut faire, dit Cendrillon. Je vais voir s'il n'y pas quelque rat dans la ratière ; nous en ferons un cocher. »
Là encore la fortune la favorisa, car, dans la ratière, il y avait trois énormes rats, ce qui était rare.
« Nous allons pouvoir choisir, dit la marraine fée ; nous prendrons d'abord ce gros compère qui a de splendides favoris. Fais-le sortir avec précaution. »
Elle toucha le rat avec sa baguette, et Cendrillon vit l'animal grandir peu à peu et changer de forme. D'abord, ses jambes postérieures devinrent belles et fortes, revêtues de magnifiques bas gris, puis son corps s'allongea en une taille fine couverte d'une élégante livrée grise également.
La tête fut la dernière partie du corps qui se modifia, si bien que le rat put se rendre compte progressivement des transformations successives que subissaient les autres parties de son corps.
Aussi, vous n'avez jamais vu dans votre vie un rat plus stupéfait. Ce qui ne l'empêcha pas, une fois métamorphosé et assis sur son siège, de se composer l'attitude la plus solennelle et la plus digne d'un cocher de bonne maison.
« Avec un pareil carrosse et un tel attelage, tu dois avoir des valets de pied, dit la marraine – va encore dans le jardin et regarde derrière l'arrosoir, près de la fontaine. Tu y découvriras six beaux lézards. Attrape-les et apporte-les moi ; mais fais attention, ne les prends pas par la queue, parce que, si celle-ci te restait dans les mains, tes valets de pied n'auraient pas de basques à leurs habits.
Les lézards se trouvaient derrière l'arrosoir, exactement comme l'avait indiqué la vieille femme, et ils étaient dodus. Cendrillon ne les eut pas plus tôt apportés que la marraine les changea en six laquais vêtus d'une livrée grise et or, et aussi semblables entre eux que six petits pois dans une cosse. Ils montèrent aussitôt derrière le carrosse et s'y tinrent attachés comme s'ils n'eussent pas fait autre chose de toute leur vie.
« Voilà ! C'est terminé, dit en souriant la marraine fée. Y aura-t-il au bal de la cour une princesse pourvue d'un aussi bel équipage ? N'en es-tu pas bien aise ?
– Oui, mais est-ce que j'irai comme cela, avec mes vilains habits ? Tout le monde va se moquer de moi.
– Bonté de mon âme ! J'oubliais les habits ! s'écria la vieille femme, mais c'est réparable. »
Elle toucha légèrement l'épaule de Cendrillon. Immédiatement, ses haillons furent changés en une magnifique robe de soie blanche, garnie de papillons et de fleurs en soie bleu tendre, rehaussés de semis de perles fines.
Un beau collier de diamants et de perles s'enroula autour de son cou, et, le plus merveilleux de tout, ses tout petits pieds se trouvèrent chaussés de la plus ravissante paire de pantoufles de vair, que l'on ait jamais vue.
« Maintenant tu es prête, dit la bonne marraine, qui avait créé toutes ces merveilles avec sa baguette magique. Monte dans le carrosse, mais, avant de partir, retiens avec soin ce que je vais te dire : tu peux t'amuser et danser de tout ton cœur jusqu'à minuit, mais, au premier coup de minuit, tu devras quitter le bal et revenir à la maison. Si tu restes une minute de plus, ton carrosse redeviendra citrouille, tes chevaux des souris, tes laquais des lézards et ta jolie robe s'évanouira pour faire place à tes vieux habits. Songe combien une telle aventure serait désagréable pour toi. Rappelle-toi bien mes recommandations. »
Cendrillon promit à sa marraine de suivre fidèlement ses instructions, et, en montant dans le carrosse, elle ne se sentait pas de joie.