Que de changements dans une maison lorsque la mère n'est plus là pour tout maintenir en ordre !
Le père de Lise ne sortait presque plus de sa bibliothèque. Les servantes bavardaient dans l'escalier et négligeaient leur travail. Lise, tout à fait désœuvrée, parcourait la maison, ne trouvant à qui parler. Le jardin ne lui semblait plus si beau que naguère, et les fruits qui pendaient aux arbres paraissaient avoir perdu leur saveur. Adieu les joyeuses parties dans la tonnelle, car personne maintenant ne l'entretenait ; des araignées et des vers de terre, que Lise détestait particulièrement, y avaient fait leur demeure, et rien n'est plus désagréable, quand on joue, que de sentir tout à coup le contact d'une de ces vilaines bêtes. Et tout cela, était la faute du jardinier, devenu paresseux, qui passait tout son temps à fumer sa pipe sans rien faire.
Il arriva alors une chose terrible. Un jour, le père de Lise lui annonça qu'elle irait en pension.
« Il n'y a personne ici pour t'instruire, mon enfant, lui déclara son père ; il est préférable que tu te trouves avec d'autres petites filles de ton âge. »
Et quand les paquets de Lise furent faits, une voiture vint et l'emporta.
Elle resta deux ans à la pension sans jamais retourner à la maison paternelle. Au bout de ce temps, son père vint pour la ramener chez lui. Lorsqu'ils furent à quelque distance de la ville, il lui prit la main et prononça ces paroles.
« Tu te sentais bien seule à la maison, n'est-ce pas, mon enfant, depuis la mort de ta mère ? »
– Oh, oui, papa ! » répondit Lise, et des larmes se mirent à couler de ses joues à la pensée de cette mère qu'elle ne reverrait plus jamais ici-bas. « Oui, continua-t-elle ; mais j'ai réfléchi, pendant que j'étais à la pension, à ce que je pourrais faire pour ne pas me sentir si seule. Je pourrais remplacer ma mère et me charger de tous les soins dont elle s'acquittait si bien ? Un de ces jours, je prendrai sa place n'est-ce-pas ? Ne puis-je commencer dès maintenant ?
– Sans doute, mon enfant, répondit son père, tu es une brave petite fille ; mais il y a eu un changement à la maison pendant ton absence.
– Un changement, papa, lequel ? s'écria Lise en ouvrant tout grands ses yeux.
– Oui, reprit très vite le père, à qui ces explications étaient pénibles, et qui avait hâte de s'en débarrasser. Il y a une nouvelle venue dans la maison, qui, je l'espère, remplacera ta mère auprès de toi. Une dame m'a fait l'honneur d'accepter ma main. Bref, mon enfant, je me suis remarié ; ma femme a deux filles qui désormais vivront avec nous. J'espère que, toutes trois, vous vous entendrez bien. »
La nouvelle que le baron annonçait à Lise lui causa une telle surprise que, pendant quelques instants, elle ne put prononcer un seul mot. Une étrangère dans la maison de sa mère, une étrangère sur le fauteuil de sa mère, se servant de tous les objets de sa mère ! Sa gorge se serra.
« Comment s'appellent les deux petites filles ? demanda enfin Lise.
– L'une se nomme Charlotte, répondit le père, l'autre Euphrasie.
– J'aime le nom de Charlotte, dit Lise. Sont-elles grandes ou petites ?
– Tu verras, dit le baron. À la vérité, ce ne sont pas des petites filles ; c'est-à-dire qu'elles ont atteint l'âge de raison, hum ! Hum ! Il ne faut pas t'attendre à jouer au ballon ou à courir dans le jardin avec elles. Elles sont – comment dire – assez sérieuses, mais très bonnes, oui, très bonnes... Je suis sûr que vous vous entendrez très bien ensemble, si chacune de vous y met du sien.
– Encore un mot, papa, implora Lise. Je ne comprends pas très bien ce que tu veux dire. Quel âge ont mes nouvelles sœurs ? »
Le père hocha la tête.
« Elles sont grandes », dit-il. Son ton était si sombre que Lise ne put s'empêcher de sourire.
« Qu'importe, répondit-elle ; si elles sont gentilles et si elles savent de jolies histoires, et si elles jouent aux mêmes jeux que maman. Savez-vous si Charlotte et Euphrasie connaissent beaucoup de jeux ?
– Ma foi, je crois que Charlotte sait très bien jouer du clavecin, sa mère me l'a dit. Je ne l'ai pas entendue moi-même, parce que je n'aime pas beaucoup la musique et parce que je ferme toujours la porte de la bibliothèque lorsqu'elle commence à en faire. Quant à Euphrasie... Ah ! Oui, Euphrasie chante assez bien ; du moins sa mère l'affirme, car je ne suis pas juge en ces matières. Mais nous voici à la maison, mon enfant, assez de questions. Dans quelques instants, tu verras ta belle-mère et tes sœurs. »