Cinétique chimique/Détermination expérimentale
Introduction : méthodes de mesure
modifierNous disposons maintenant d'un arsenal théorique suffisant pour s'attaquer à des expériences simples de cinétique. L'objectif est relativement modeste : deux réactifs étant donnés, déterminer la loi de vitesse qui explique le mieux les observations.
Pour mener à bien cette idée, nous avons besoin :
- de contrôler la concentration des réactifs ;
- de mesurer (par exemple par titrage, conductimétrie, spectrophotométrie…) la concentration d'au moins un réactif ou produit ;
- de mesurer le temps écoulé.
Le matériel adapté est relativement simple, si bien que de nombreuses expériences se prêtent à une étude cinétique. En outre, comme nous le verrons, peu de mesures (moins d'une dizaine) sont parfois suffisantes pour répondre — pourvu qu’elles soient bien faites et représentatives.
La mise en œuvre pratique d'une expérience de cinétique est cependant un peu acrobatique : quelle que soit la méthode permettant de doser le réactif intéressant, il faut l’utiliser très rapidement, car la réaction se poursuit… Il existe également des méthodes astucieuses, qui ne font pas intervenir l'expérimentateur.
D'une manière générale, il est ainsi possible d'obtenir, à différents instants la concentration [X]. C'est à partir de cette donnée que nous allons essayer de proposer une loi.
Régression linéaire
modifierPrésentation et intérêt
modifierLa loi de vitesse que nous recherchons est relativement simple : elle dépend des concentrations des réactifs, affectées d'un exposant — c’est lui qui nous intéresse. Cependant, l'allure des courbes de concentration varie beaucoup selon l’ordre de la réaction (puissances positives, négatives, inférieures à un, logarithme…) — nous devons donc opter pour une méthode un peu artisanale. Il n'y a en fait que trois cas véritablement différents à prendre en compte :
- réaction d'ordre zéro (évolution linéaire) ;
- réaction d'ordre un (logarithme) ;
- réaction d'ordre deux et plus (puissances).
La méthode consiste à faire une hypothèse (par exemple, que l’ordre est un), à tester la loi de vitesse par rapport à l'expérience et à recommencer avec une autre hypothèse. L'hypothèse qui se rapproche le plus de l'expérience est validée. En pratique, lorsque l’on n'a aucune idée de l’ordre et que celui-ci n’est pas évident, les ordres 0, 1, et 2 sont testés en priorité.
L'outil mathématique qui permet de comparer la loi de vitesse à l'expérience s’appelle une « régression linéaire » : il nous dira à quel point un ensemble de données sont alignées sur une droite (le coefficient de corrélation) et les paramètres de cette droite : pente, ordonnée à l'origine. Cet outil est aujourd’hui implémenté dans la quasi-totalité des calculatrices scientifiques, ainsi que sur de nombreux logiciels (voire applets) gratuits ou commerciaux.
Notre tache va alors consister à proposer des points qui, d’après l'hypothèse, devraient être exactement alignés. Puis, nous lançons une régression linéaire, qui nous indique à quel point cela est vrai.
Exemple
modifierSoit une réaction quelconque :
Voici les hypothèses que l’on peut faire (parmi d'autres) :
- La réaction est d'ordre zéro ;
- La réaction est d'ordre un (i.e. A → b.B + c.C)
- La réaction est d'ordre deux (i.e. 2A → b.B + c.C)
- D'après l'hypothèse 1, le tracé de [A] en fonction du temps est une droite, de pente -k et d'ordonnée à l'origine [A]₀.
- D'après l'hypothèse 2, le tracé de ln [A] en fonction du temps est une droite, de pente -k et d'ordonnée à l'origine ln [A]₀.
- D'après l'hypothèse 3, le tracé de 1/[A] en fonction du temps est une droite, de pente k et d'ordonnée à l'origine 1/[A]₀.
- De même on pourrait évaluer des hypothèses d'ordre trois.
- On peut se demander comment on peut avoir un ordre 0. En fait, les réactions d'ordre zéro sont souvent des réactions complexes où par exemple, la vitesse est déterminée par une étape limitante où la concentration de A n'intervient pas. On peut aussi trouver un ordre 0 quand un processus physique intervient.
Détermination de l’ordre global
modifierCas d'une réaction simple
modifierIntéressons-nous à une réaction du type suivant :
Il y a plusieurs réactifs, la loi de vitesse la plus simple que l’on peut proposer est a priori de la forme :
L'ordre global vaut . Pour le déterminer, dans ce cas précis, il suffit de mettre les réactifs à concentration égale au départ.
Attention ! cela dépend des coefficients stœchiométriques devant A, B et C ! En effet, leur proportion relative est susceptible de varier s'ils diffèrent. |
On a alors, à tout instant, l'égalité suivante :
Si bien que la loi de vitesse s'écrit de manière plus simple :
Déterminer l’ordre global est alors tout à fait simple : une régression linéaire permet de le trouver, comme s'il n'y avait qu'un seul réactif.
Cas général
modifierDans la réalité, les réactions font intervenir des réactifs avec différents nombres stœchiométriques. Il s'agit de réactions du type suivant :
Il n’est pas possible, dans le cas général, de garantir que les concentrations des réactifs sont égales à tout instant : nous ne pouvons pas utiliser la méthode précédentes pour déterminer l’ordre global.
Toutefois, il est facile d'obtenir l’ordre global en sommant les ordres partiels.
Détermination des ordres partiels
modifierIl est possible de déterminer l’ordre partiel d'un réactif par deux manières :
- en réalisant une expérience, où les autres réactifs sont en excès ;
- en réalisant plusieurs expériences, où l’on ne fait varier que la concentration du réactif ciblé.
La première méthode est celle que l’on a décrite au chapitre précédent : il s'agit de provoquer une dégénérescence de l’ordre en plaçant les autres réactifs en excès, ce qui permet de déterminer l’ordre partiel en effectuant une régression linéaire sur la concentration du réactif visé en fonction du temps. Il s'agit d'une méthode efficace et rapide, surtout lorsqu'une acquisition informatique est directement possible.
La seconde méthode nécessite que l’on puisse mesurer la vitesse de réaction elle-même, en tout cas dans les premiers instants. Elle nous fournit un tracé de la vitesse en fonction de la concentration du réactif qui nous intéresse. Le principal intérêt de cette méthode est qu'elle ne nécessite pas de mener l'expérience jusqu'au bout : elle s'adapte mieux aux réactions très lentes que la méthode précédente. En revanche, elle implique des moyens techniques plus poussés.
À l'issue de chacune de ces méthodes, cependant, on n'accède pas à la « véritable » constante de vitesse : il faut connaître les ordres partiels associés aux autres réactifs pour cela.