Enfance, un concept au carrefour des sciences/l'enfance et le droit
Le droit ne s'est intéressé à l'enfance que tardivement dans l'histoire (voir chapitre 1, lère partie); les premières applications du droit à l'enfance ont vu le jour au XIXe siècle et concernaient le travail des enfants. La Convention internationale des droits de l'enfant adoptée par l'ONU en 1989 (symboliquement deux cents ans après la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen), a lancé un débat intéressant pour les juristes et autres spécialistes s'intéressant à l'enfance.
En fait, ce débat révèle deux conceptions antagonistes de l'enfance qu’il est important de connaître:
- La première conception est fondée sur l’idée de protection de l'enfance. L'enfant bénéficie d’une série de créances afin de devenir un adulte responsable: parmi ces créances, l'éducation et l'instruction figurent comme les principaux droits. Cet enfant est considéré non comme un adulte en miniature, mais comme une personne en devenir. Il bénéficie, dans l'exercice de ses droits, d’un statut protecteur fondé sur le principe d'irresponsabilité du mineur et réglé par le principe de la représentation (le ou les parents ou un tuteur désigné représentent l'enfant). Selon ce principe protecteur de l'enfance, le législateur est intervenu à de nombreuses reprises depuis le XIXe siècle, par exemple: 1841, interdiction du travail des enfants; 1874, interdiction de la mendicité enfantine; 1874, droit de regard sur les nourrices; 1889, déchéance du père indigne; 1898, déchéance en cas de mauvais traitements, etc. Cette conception humaniste du droit protégeant l'enfant mineur a été battue en brèche par un courant anglo-saxon qui a finalement réussi à faire adopter les droits de l'enfant.
- Ces juristes ont une autre vision de l'histoire de l'enfance ; ils appellent à « libérer les enfants », de la même façon que l’on a accordé les droits à d'autres minorités (par exemple: les Noirs, les homosexuels, etc.). En instituant ainsi l'enfant comme sujet de droit on nie son incapacité et il n'a plus besoin d’être représenté.
On en est arrivé alors à la notion d'enfant-citoyen ce qui crée des ambiguïtés importantes (voir l'exemple du Parlement des enfants qui fait jouer à ceux-ci une parodie du pouvoir amputé de la responsabilité propre au citoyen adulte).
Les juristes français se gardent de faire coller l'évolution du droit et celle des âges de la vie. Le droit n'a pas pour fonction de refléter la société ou la biologie (même s'il est très sollicité dans cet objectif; il est un artifice culturel qui institue des nommes, souvent même au mépris de la réalité prosaïque (par exemple, devenir le père d’un enfant que l’on n'a pas conçu ou, en droit arabe, la fiction de « l'enfant qui dort », qui consiste à attribuer la paternité de l'enfant d’une veuve au mari de celle-ci même si le défunt est mort depuis longtemps). Accorder des droits à l'enfant apparaît dangereux dans ce sens, que l'enfance était jusqu'à présent impensable sans sa famille, sans la société des hommes, sans l'État.
En postulant que l'enfant est une personnalité juridique, on crée des droits à exercice aléatoire, des droits virtuels, des droits sans aucune garantie. C’est aussi précisé dans la Convention des droits de l'enfant: ces droits ne sont pas universels, les États doivent simplement s'efforcer de les assurer « dans la mesure de leurs moyens ».
Ainsi, nous constatons à travers l'adoption de la Convention internationale des droits de l'enfant - issue d'intentions nobles - en matière d'enfance rien n'est simple et que suivant la lecture que l’on fait de l'histoire de l'enfance, on peut aboutir à des résultats diamétralement opposés.