Enfance dans l'histoire et la méthodologie de la psychologie/La psychologie expérimentale
Introduction
modifierLa psychologie comme science humaine ne s'est détachée de la philosophie que progressivement, à partir de la fin du XVIlle siècle. Les véritables travaux psychologiques concernant la psychologie de l'enfant ne commencent qu'avec le début du XXe siècle. Néanmoins, le docteur Itard (1774 — 1838), médecin spécialiste en ORL, qui s'occupait entre autres d’une institution pour enfants sourds-muets, en a été le précurseur. Dans cette institution, le docteur Itard fut amené a s'occuper dés 1800 d’un jeune enfant dit sauvage trouvé dans les bois de l'Aveyron. Itard nomma Victor ce jeune enfant dépourru de langage et d'activité symbolique et chercha a l'éduquer par une pédagogie qu’il développa peu a peu. Ce cas suscita de nombreux commentaires et par la suite fut porté a l'écran par Francois Truffaut. Itard considérait que si l'enfant se trouvait être "sauvage et sans langage c’est qu’il n'avait pu bénéficier de la société des hommes. Il s'opposa fermement a un autre médecin, aliéniste de formation, Pinel, qui avait examiné l'enfant et conclu à un ..idiotisme de naissance impossible a soigner ».
Préfigurant les thèses de certains psychologues du XXe siècle, Itard soutient qu’il n'existe pas de véritable déficience intellectuelle congénitale; le déficit ne peut qu'être « acquis », faute de stimulation du milieu et de socialisation. Mais les travaux d'ltard restèrent sans suite et l'éducation de Victor fut un échec relatif. L'épisode est retracé dans le livre - paru en 1964 - de Lucien Malson, Les Enfants sauvages. Mythe et réalité.
Au niveau de la méthodologie (expérimentale ou clinique) et des contenus de recherche, la psychologie de l'enfant - plus encore que les autres domaines de la psychologie - a été massivement influencée par une vieille querelle philosophique datant du XVe siècle.
• Quelle est la querelle philosophique a massivement influencé toute l'histoire de la psychologie jusqu'à nos jours
Pour le rationalisme classique, le développement de l'enfant se ramenait à la manifestation inéluctable d'«idées innées» qui auraient été le propre de l'homme. Pour l'empirisme, au contraire, l'enfant constituait à la naissance une «table rase» et tout lui était apporté par son environnement. La psychologie de l'enfant ou génétique (voir le sens de génétique dans l'introduction) était la discipline de choix pour apporter des réponses à cette question fondamentale entre « l'inné » et « l'acquis » qui traverse toujours la psychologie, quoique de façon plus scientifique et moins passionnelle aujourd’hui (voir plus loin).
Avant d'avancer dans le domaine de la psychologie de l'enfant, il nous faut revenir sur l'histoire de la psychologie. Si cette dernière était restée cette branche de la philosophie consacrée à « l'âme », son histoire commencerait avec les premières traces de l'humanité. Après la scission progressive entre philosophie et psychologie au XVe siècle, il n'y a guère qu'une centaine d'années que l’on a entrevu la possibilité d’une psychologie scientifique, consistant à étudier par l'observation et par l'expérience les réactions d'organismes complets aux diverses conditions du milieu qui les entoure. Faire varier systématiquement ces conditions afin de mettre en lumière les « lois» qui régissent les réactions de ces organismes - homme ou animal--, telle a été dès lors la tâche du psychologue. Dans les cas où, surtout en psychologie humaine, ces variations expérimentales étaient irréalisables, il s'est efforcé d’utiliser aussi bien que possible les observations qu’il pouvait recueillir.
La psychologie expérimentale
modifierCette psychologie nouvelle apparaît vers la seconde moitié du XIXe siècle et cherche à se distinguer de la « psychologie philosophique ou spéculative » non seulement par son objet mais aussi par sa méthode (la méthode expérimentale) qui est essentiellement celle des autres sciences.
La méthode expérimentale
modifierQu'est-ce que le propre de la méthode expérimentale ? Elle consiste à mettre des hypothèses à l'épreuve de faits établis objectivement, c'est-à dire d’une manière telle qu’ils puissent être vérifiés par n’importe quel observateur connaissant le maniement des techniques.
Cette objectivité était alors recherchée à tout prix par les psychologues pour conférer un statut de science à la psychologie naissante et échapper à l'appellation utilisée avec un certain mépris de «psychologie spéculative». À cette époque (la deuxième moitié du XIXe siècle), des progrès notables furent obtenus au niveau de la physiologie de la perception par les biologistes. C’est la raison pour laquelle les psychologues s'intéressèrent de façon scientifique à la psychophysiologie, c'est-à-dire aux variations physiologiques de la perception en fonction de paramètres psychologiques: attention; motivation ; apprentissage ou fatigue par la répétition, etc.
Citons dans cette lignée de travaux le réflexe conditionné mis en évidence par Ivan Petrovitch Pavlov, un médecin et physiologiste russe: Pavlov associa le son d’une cloche et la présentation de nourriture à un chien, ce qui provoquait une salivation chez ce dernier. Après avoir répété l'expérience plusieurs fois, le chien se mettait à saliver simplement au son de la cloche. Par la suite, ses recherches sur la fonction cérébrale firent progresser considérablement la psychologie expérimentale.
Les méthodes statistiques
modifier(dont la courbe de Gauss) ~ Quel fut le rôle de la statistique pour la psychologie expérimentale ?
Une autre voie de la psychologie expérimentale fut ouverte par des travaux de statisticiens qui fournirent les outils pour situer un individu en fonction d’une certaine caractéristique par rapport à l’ensemble de la population. Cet outil statistique - toujours utilisé - est la fameuse courbe de Gauss ou « courbe de la distribution normale ».
Au centre se trouve la médiane, la moyenne de la variable observée qui peut être le poids, la taille des individus d’une population donnée ou encore son niveau d'intelligence. Si l’on délimite un champ défini par une distance donnée (appelée «écart type») inférieure à la médiane et supérieure à la médiane, ce champ contient toujours 50 % des individus de la population étudiée, quelle que soit la variable étudiée. Au dessous de l'écart type inférieur à la médiane on trouve 25 % de la population; au dessus de l'écart type supérieur à la médiane on trouve 25% de la population. La courbe de Gauss est symétrique à la médiane. Au niveau statistique on observe les mêmes phénomènes pour des valeurs très faibles comme pour des valeurs très importantes. Par rapport à l’axe horizontal la courbe est asymptotique des deux côtés, elle tend vers zéro sans jamais l'atteindre. Concrètement cela veut dire que plus on s'éloigne de la médiane moins l’on a de chances (ou moins il y a de probabilités) de rencontrer un individu correspondant au critère observé. Si l’on applique, par exemple, la courbe de Gauss à la taille des individus d’une population étudiée, on trouve 50% d'individus dont la taille varie peu autour de la médiane (ou moyenne). 25 % d'individus sont petits et 25 % d'individus sont grands. Plus on s'éloigne de la médiane (dans l'exemple présent cela veut dire soit un individu très grand, soit un individu très petit), moins il y a de probabilités de rencontrer un individu qui présente cette caractéristique « déviante » (au sens statistique du terme).
Les recherches sur l'intelligence
modifierCet instrument statistique permit, entre autres, l’utilisation cohérente des tests d'intelligence qui furent mis au point dès 1905. Disons quelques mots de l'intelligence et de l'apparition des premiers tests pour la mesurer bien que le débat sur sa définition, son évolution suivant l'âge, son caractère inné ou acquis ne soit pas clos. Mais les tests d'intelligence et leurs résultats furent utilisés dans ce débat - qui traverse la psychologie - entre l'inné et l'acquis.
Comment peut on définir l'intelligence ?
Le terme d'intelligence connaît trois acceptions:
- il sert à désigner une certaine catégorie d'actes distingués des activités automatiques ou instinctives;
- il est utilisé pour définir la faculté de connaître, de comprendre, de raisonner, d'inventer;
- il signifie le rendement général du mécanisme mental.
- Comment ont été créés les premiers tests d'intelligence ? (5)
Voici un bref résumé de l'histoire des tests d'intelligence: en 1904, le ministère de l'Éducation nationale chargea le psychologue français Binet de développer un «procédé de prédiction des résultats à l'école primaire» afin de pouvoir orienter les enfants les moins intelligents vers des classes spécialisées. Binet chercha des tâches faisant appel à des capacités diverses de l'enfant allant du plus simple au plus complexe. Ainsi, il inventa des tâches pour mesurer la compréhension (d’une consigne verbale), la mémoire, la réflexion sur une tâche à résoudre en plusieurs étapes, le repérage temporo spatial, l'adresse manuelle, etc. L'ensemble était censé représenter l'intelligence.
Interrogé sur une définition de l'intelligence Binet répondit: « L'intelligence c’est ce que mesurent mes tests.» L’idée de Binet fut de trouver des tâches s'adressant à des enfants d'âge différent: par exemple un enfant « moyen » de trois ans peut nommer et montrer le nez, les oreilles, les yeux et la bouche. Un enfant « moyen » de neuf ans peut citer de mémoire les mois de l'année et les situer les uns par rapport aux autres. Ainsi Binet mesurait les performances d’un enfant par rapport aux performances moyennes d’un groupe d'enfants du même âge. De cette façon, il pouvait mesurer un « âge d'intelligence » en indiquant que tel ou tel enfant avait réussi toutes les épreuves correspondant à la moyenne d’un groupe d'enfants par exemple de sept ans. Pour un enfant de cet âge, cela voulait dire qu’il avait une intelligence « normale », pour un enfant de neuf ans cela voulait dire qu’il était en retard.
Comment définit on le quotient intellectuel (QI) ?
Parallèlement, le psychologue américain Stern avait introduit la notion de « quotient intellectuel » en rapportant l'âge de réussite ou d'intelligence à l'âge chronologique.
Ainsi le QI était: (âge d'intelligence - âge chronologique) x 100.
Pour reprendre les deux exemples cités ci-dessus cela donnait les résultats suivants:
enfant de sept ans réussissant les tâches de sept ans:
QI=100 x 7/7=100 intelligence moyenne;
enfant de neuf ans réussissant les tâches de sept ans:
Ql=100 x 7/9=78 intelligence subnormale.
Binet proposa son test d'intelligence ainsi conçu dès 1905 et il eut un grand succès. Mais le calcul du QI posa un problème théorique car, mathématiquement, le rapport n'est plus le même lorsque l’on divise par l'âge chronologique d’un adolescent ou d’un adulte. C’est la raison pour laquelle le psychologue américain Wechsler proposa trois échelles d'intelligence s'adressant aux jeunes enfants (WPPSI), aux enfants d'âge de l'école primaire et secondaire (WISC) et aux adultes (WAIS):
WPPSI Wechsler prescolary and primary intelligence scale; WISC Wechsler intelligence scale for children;
WAIS Wechsler adult intelligence scale.
Pour contourner cette difficulté Wechsler se livra à un travail statistique énorme car il proposait une échelle de trois mois en trois mois pour les jeunes enfants; de six mois en six mois pour les grands enfants et d'année en année pour les adultes, ainsi qu'une courbe de Gauss ou de distribution normale afin de pouvoir situer les résultats de chaque individu sous test par sous test en variation (mesurée en écart type) par rapport à la médiane de la population de son âge (voir ci-dessus). Ces trois échelles de Wechsler sont aujourd’hui très connues et toujours utilisées (sous une forme actualisée et révisée). Chacune des échelles a une partie vertale et une partie non vertale, chaque partie comportant cinq sous tests.
Pour le très jeune enfant de 0 — 2 ans, I'échelle de développement de Brunet Lézine indique un QD (quotient de développement).
Mais des études longitudinales très suivies (sur 18 ans) ont montré qu’il n'y a quasiment pas de corrélation entre le QD et le Ql à la fin de l'adolescence d’un même individu. Le QD a une place en approche clinique du très jeune enfant (voir plus loin), mais il faut savoir que sa valeur prédictive est très faible.
Il faut être prudent avec les tests d'intelligence car nous verrons plus loin que les psychologues ayant travaillé de façon approfondie sur la construction de l'intelligence chez l'enfant sont loin d’être d'accord entre eux sur l'évolution continue ou discontinue de l'intelligence, sur les éventuels paliers et sur «le moteur» de cette évolution. Dans l'histoire de la psychologie, on a donc assisté à un mouvement paradoxal: des psychologues avaient construit d’un côté des épreuves d'intelligence, les avaient améliorées et validées par un traitement statistique important alors que de l'autre côté des chercheurs travaillaient sur l'évolution et la construction de l'intelligence et ce qui « alimente » cette construction.
Cette dichotomie entre la recherche fondamentale en Europe et les applications empiriques à grande échelle aux États-Unis n’est pas propre à la psychologie mais se retrouve dans bien d'autres sciences. La question de l'inné et de l'acquis fut relancée par l’utilisation des tests d'intelligence à grande échelle et l'exploitation statistique des résultats. À un moment donné de l'histoire de la psychologie on s'aperçut que les Ql des enfants de milieux favorisés étaient supérieurs (de façon significative au niveau statistique) aux Ql des enfants de milieux déLavorisés. Bien vite fut émise l'hypothèse que l'intelligence était héréditaire.
Mais cette hypothèse fut bientôt infirmée par deux faits.
• A une époque de nombreux psychologues travaillèrent sur des jumeaux monozygotes, qui ont exactement le même bagage génétique. Si le caractère, l'intelligence ou d'autres facteurs psychologiques supposés innés l'étaient vraiment on devait forcément les retrouver chez chacun des jumeaux; d'où l'engouement temporaire pour les recherches sur les jumeaux. Effectivement, on constatait que le Ql de jumeaux monozygotes
était identique dans 90 % des cas. Mais on constatait aussi que lorsque (éventualité forcément rare) les jumeaux monozygotes étaient élevés non seulement dans des milieux différents mais aussi dans des conditions sociales différentes le Ql observé n'était plus le même que dans 24 % des cas.
~ Une analyse qualitative des résultats obtenus aux tests d'intelligence par des enfants issus de milieux défavorisés montrait qu’ils étaient moins performants pour les sous tests qui incluaient un facteur verbal alors que les sous tests non verbaux (comme les formes géométriques par exemple) étaient réussis de la même façon.
Or, depuis les travaux du sociolinguiste Berastein, on a observé que les personnes issues de milieux défavorisés utilisent un langage appelé « code restreint» portant plus largement sur la vie concrète et moins apte à véhiculer des notions abstraites.
Au contraire, dans les milieux favorisés, on utilise un langage appelé «code élaboré» qui permet d'exprimer des concepts abstraits ou le raisonnement par hypothèses. Donc, l'influence du facteur verbal expliquait la différence des Ql observés (il existe aujourd’hui certains tests d'intelligence ayant évacué l'influence de ce facteur vertal handicapant pour certains enfants).
Actuellement cette querelle théorique entre l'inné et l'acquis s'est atténuée. Elle a perdu son caractère passionnel et est devenue plus scientifique.
Quel est l'état actuel de la querelle entre inné et acquis 7 (7)
Il est vrai que les questions soulevées par le développement psychique de l'enfant se sont considérablement renouvelées ces demi ères années. Il ne fait de doute pour personne que l'hérédité joue un rôle déterminant dans le développement. Il ne fait pas de doute non plus que l'environnement est tout aussi essentiel. C’est surtout la conception des rapports entre inné et acquis qui s'est modifiée et précisée.
Les progrès de certaines disciplines ont amené un retour de conceptions innéistes du développement. Ainsi, les progrès de la génétique et de la biologie moléculaire, la découverte de la nature du matériel chromosomique porteur de l'information héréditaire, de son étonnante stabilité, de sa quasi indépendance à l'égard du milieu environnant ont conduit des biologistes à reconsidérer l'importance de l'hérédité dans le développement.
La plupart des auteurs, cependant, refusent ce retour à l'innéisme, en se fondant sur des arguments aussi bien biologiques que psychologiques. Le biologiste R Jacob (1~ Log que lu v~vant) maintient l’idée d’un programme génétique précis et l'invariance du patrimoine héréditaire par rapport au milieu environnant, mais il admet qu'au fur et à mesure de l'évolution des espèces apparait une certaine souplesse dans la programmation génétique.
J. Piaget s'élève contre la notion de programme génétique en psychologie et considère que l'hérédité n'offre qu'un ensemble de possibilités d'action, qu’il reste à actualiser et qui, une fois actualisées, portent en elles-mêmes leur capacité d'autorégulation et d'autoconstruction.
J. P. Changeux a élaboré un modèle théorique pour rendre compte de l'interaction du patrimoine génétique et de l'environnement, modèle appelé «stabilisation fonctionnelle». Le programme génétique commande le développement de connexions entre neurones, mais l'exercice de la fonction correspondante est nécessaire pour fixer ces connexions, sinon elles dégénèrent.