Identifier des phonèmes/Présentation de la leçon


Qu’est-ce qu’un phonème, et comment savoir, dans une langue donnée, quels phones (sons) sont des phonèmes ? Ces questions relèvent de la phonologie, sous-discipline de la linguistique, qui a le phonème pour objet d’étude. La phonétique, bien que proche de la phonologie, ne doit pas être confondue avec cette dernière. En effet, la phonétique traite de la production et de la perception du son, dans ses aspects articulatoires (ainsi, déterminer quel son est produit à partir d’une coupe sagittale de l’appareil phonatoire est un exercice phonétique) et acoustiques (l’analyse de spectrogrammes, représentations tridimensionnelles du son, constitue aussi une activité phonétique). En revanche, la phonologie traite du phonème, c’est-à-dire de l’unité abstraite de son qui joue un rôle dans le système de la langue. La convention veut que l’on note l’API entre crochet en phonétique et entre slash en phonologie. La notion de phonème se fonde sur celle de paire minimale. Une paire minimale désigne deux mots de sens différent dont le contexte de production est le même, à l’exception d’un son qui varie. Dans la mesure où ce changement de son conduit à un changement de sens, on en déduit que les deux sons sont deux phonèmes différents. Prenons l’exemple, en français, des consonnes occlusives (ou plosives) bilabiales, l’une étant sourde (ou non-voisée), le [p], et l’autre étant sonore (ou voisée), le [b]. Dans [pa] (pas) et [ba] (bas), paire minimale, le sens varie selon le son, on en déduit que le phonème /p/ est distinct du phonème /b/. Le fait de remplacer un phonème ou un autre pour former une paire minimale se nomme commutation. Une paire minimale se note [pa]~[ba]. Pour établir que deux sons sont des phonèmes distincts dans une langue donnée, il suffit donc de trouver des paires minimales. A noter que les paires minimales se fondent sur la production orale et non sur la graphie : ainsi, chou et joue constitue une paire minimale, bien que composée de deux graphies différentes. Deux sons phonétiques peuvent aussi constituer un même phonème : on dit que ce sont des allophones d’un même phonème. En français, il en est ainsi du phonème /k/, qui peut être réalisé par le son [k] vélaire (dont le lieu de production est le voile du palais) ou le son [c] palatal (produit au niveau du palais). Faites l’expériences de dire « cookie » : les deux /k/ sont prononcés différemment, et vous sentirez votre langue avancer. On dit que [c] et [k] sont des allophones. Pour savoir si deux sons forment un même phonème, il convient de regarder, à partir d’échantillons d’une langue (liste de mots de cette langue en API accompagnés de traduction si l’on ne parle pas la langue), la distribution des sons. Ces deux sons existent-ils en position initiale d’un mot (qui sera notée #s, pour le son s) ? En position intermédiaire ? En position finale (notée s#) ? Ensuite, on regardera, pour chacun de ces cas, le contexte de production : avant et après quels sons se situent les sons étudiés. Prenons l’exemple des sons [ʃ] et [s] en japonais. On observe d’abord que ces deux sons peuvent se situer soit en position initiale, soit en position intermédiaire. En position finale, en revanche, le japonais n’admet qu’une voyelle ou un n (comme dans jomon, qui désigne le paléolithique japonais). On étudie ensuite la distribution de ces sons. On constate que le s précède toutes les voyelles sauf le i, et que le ʃ ne précède que le i. Les distributions du s et du ʃ sont alors dites complémentaires. Dans une telle situation, il est impossible de trouver des paires minimales. De plus, ces deux phonèmes sont phonétiquement proches (autre critère pour déterminer si deux sons sont des allophones). On en déduit que ces deux sons constituent des allophones d’un même phonème. Dans la mesure où l’emploi de ʃ sera plus restreint, le phonème sera noté /s/ (il n’est cependant pas toujours évident de savoir comment noter un phonème). Dans le cas d'allophones, il existe les variantes combinatoires d'un même phonème (en cas de distribution complémentaire, comme pour le /s/ japonais) ou des variantes libres d'un même phonème (quand la commutation ne provoque pas de changement de sens, comme le R roulé ou non en français, qui ne font pas varier le sens des mots).

En tswana, langue parlée notamment au Botswana, une étude équivalente conduit à établir que [l] et [d] constituent le même phonème. Si l’on regarde le tableau de l’API, on constate que sur les trois propriétés des consonnes (mode, lieu, voisement), deux sont communes à ces deux sons (mode occlusif pour d et approximant latéral pour l, lieu alvéolaire, consonnes sonores (ou voisées)). Ainsi, ces deux sons ont une ressemblance phonétique, qui peut être contre-intuitive pour des francophones. Ainsi, un phonème s’identifie à partir de critères distributionnels. On peut noter que la terminologie de la morphologie (autre branche de la linguistique) est assez similaire : on parle de morphème (et de phonème en phonologie), de morphe (et de phone en phonologie) et d’allomorphe (et d’allophone en phonologie). Ce vocabulaire peut faire réfléchir à la présence d’une équivalence entre les différents niveaux du langage. Cependant, cette correspondance n’est pas toujours évidente : peut-on dire, pour prendre un exemple sémantique, que « partir, c’est un peu mourir » et « je suis triste de partir » sont des variantes du même concept, au même titre que [c] et [k] sont des variantes du même phonème ? Plus le niveau est petit, et l’échelle grande (c’est le cas en phonologie), plus les variantes semblent faciles à mesurer, ce qui conduit à faire preuve de vigilance quant aux équivalences.