La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale
- Auteur : Pierre Dardot, Christian Laval
- Année : 2009
- Titre : La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale
- Éditeur : La Découverte
- Collection : Cahiers libres (2009) - Poche / Sciences humaines et sociales (2010)
- Pages : 504
Résumé
modifierIntroduction P5 : « Le néolibéralisme n’est pas seulement une politique économique qui donne au commerce et à la finance une place prépondérante. Il s’agit de bien autre chose, il s’agit de bien plus : de la matière dont nous vivons, dont nous sentons, dont nous pensons. »
« Cette norme enjoint à chacun de vivre dans une univers de compétition généralisée, elle somme les populations d’entrer en lutte économique les unes contre les autres, elle ordonne les rapports sociaux au modèle du marché, elle transforme jusqu’à l’individu, appelé désormais à se concevoir comme une entreprise »
P6 : « Le néoliberalisme peut se définir comme l’ensemble des discours, des pratiques, des dispositifs qui déterminent un nouveau mode de gouvernement des hommes selon le principe universel de la concurrence ».
P8 : « Il est précisément apparu dans l’histoire comme une tentative de refonder le libéralisme contre l’idéologie naturaliste du laisser-faire ». P11 « L’une de ses grandes nouveautés ne tient pas à un illusoire retour à l’état naturel du marché, mais à la mise en place juridique et politique d’un ordre mondial de marché dont la logique implique non pas l’abolition, mais la transformation des modes d’action et des institutions publiques dans tous les pays. » p12 : « Non seulement l’État n’a pas disparu, non il s’est mis plus que jamais au service des entreprises, mais il s’est même mué en un gouvernement de type entrepreneurial »
P14 : « Il y a une « raison gouvernementale (Foucault), qui correspond aux types de rationalité qui sont mis en œuvre dans les procédés par lesquels on dirige, à travers une administration étatique, la conduite des homme. La rationalité néolibérale est une rationalité gouvernementale. P15 : « Gouverner, ce n’est pas gouverner contre la liberté ou malgré elle, c’est gouverner par la liberté , c’est à dire jouer activement sur l’espace de liberté laissé aux individus pour qu’ils en viennent à se conformer d’eux-même à certaines normes »
P16 : L’ouvrage à une démarché généalogique le but étant de souligner ce qui fait proprement la nouveauté du néo-libéralisme » P17 : « Le libertarianisme, quand il refuse toute forme de politique gouvernementale est le négatif de la rationalité néolibérale car il lui reproche sa gouvernementalité elle-même » P18 « L’essentiel est que la norme du marché s’impose au-delà du marché, et non que le marché dévore toute la réalité ».
P19 : Trois approches théorique insuffisante :
- Marxiste → idéologie du capitalisme libéré de toute entrave (minimise la transformation des rapports sociaux et politiques en cours)
- - Marcel Gauchet → prolongement et exacerbation de la révolution des droits individuels, démoralisation, crise politique, idéologie individualiste, capitalisme ne jouant aucun rôle (angoisse devant l’évidement des valeurs et dissolution des normes qui fait appel à la réinstauration de l’ordre)
- - Boltanski, Chiapello, → nouvelle idéologie du capitalisme serait la justification, issue de mai 68, comme le montre la littérature néomanagériale (perspective historique trop courte, contradiction avec Weber qui soulignait l’importance de la justification morale de recherche du profit.
Chapitre 1 : Des limites du gouvernement
1-Mécanique sociale et rationalité des intérêts
Le libéralisme classique apporte limites à l’exercice de la puissance publique : - langue des droits de l’individu : fondement juridique, droit naturels de l’individu pose les limites de l’autorité souveraine -ses intérêts : fondement scientifique, existence d’une nature de l’homme, ordre propre de la société civile → actions de forces obéissant à des lois connaissables dresse limités intervention étatique
Deux grandes voies (Foucault): Connexion incessante entre ces deux systèmes
- juridico-déductive : p25 « Elle consiste à identifier tout d’abord les droits naturels qui appartiennent à tout individu puis à définir les conditions de la cession de certains de ces droits » p26 « Les droits qui ne relèvent pas de cette sphère (inaliénables) tracent une sorte de frontière que toute action gouvernementale doit s’interdire de franchir. Loi → volonté commune généralisée. Liberté → reconnaissance droits naturels inaliénable
- radicale utilitariste : On part de la pratique gouvernementale pour dégager des limites définies en termes d’utilité. Loi → effet d’une transaction (publique à indépendance des individus) Liberté → indépendance des gouvernés à l’égard des gouvernants
La science de l’économie politique P27 : « La politique s’ordonne aux lois naturelles […], elle sera en conséquence dite « naturelle », « économique », »scientifique ». Le gouvernement devra faire dépendre son action d’une triple considération : de la nature de l’individu, de l’ordre de la société, du progrès de l’histoire ». « Ces trois considérations, l’anthropologie de l’intérêt, le mécanisme social, et le progressisme historique, se nouent dans l’idée que l’histoire humaine n’accomplit pas un plan conçu par avance et échappe à la volonté des homme. »
P28 « l’art [de gouverner] ne saurait se réduire à la reconnaissance de lois naturelles, celle-ci est en effet impuissante par elle le-même à dicter ce qu’il y a à faire et comment il faut le faire, ce que l’art se propose justement de déterminer. »
Le sujet de l’intérêt P28 « [La politique libérale] prend pour donnée une nature de l’homme : un être de désir, enchaîné à ses passions, mû par la recherche du gain, ou les plaisirs de la vanité » « L’homme est aussi celui qui agit pour satisfaire son désir, qui travaille pour assouvir ses besoins, celui qui commerce pour obtenir ce qu’il n’a pas contre ce qu’il n’utilise pas » (Laval, « l’homme économique) → Représentation de l’homme et de ses rapports aux autres qui renvoie à des présupposés philosophiques dépassant l’économie fortement inspirée de John Locke : P29 « Il a mis en forme la figure de l’homme nouveau qui contient en lui-même les principes d’action qui le feront agir dans une société de « propriétaires d’eux-mêmes » »
Les tensions entre l’intérêt et la morale Premièrement dans les écrits d’Adam Ferguson Puis chez Adam Smith : P31 « tension entre le principe moral de la sympathie et le motif économique de l’intérêt » = « Das Adam Smith Problem » . Dans Traité des sentiments moraux la sympathie est le fondement du jugement moral porté sur la conduite des hommes. P31 : « Le désir inné d’améliorer sa condition, qui explique pour Smith l’effort industrieux, la frugalité, le calcul d’utilité, les progrès économiques issus de la division du travail, n’est pas entièrement isolable de cette recherche permanente de l’approbation d’autrui, de cette quête de reconnaissance et d’amour qui anime l’individu ».
P32 « Ces principes humains donnent naissance à un ordre moral d’un côté et à un ordre économique de l’autre, qui ont leur propre équilibre et leur loi de développement. Nul besoin d’une autorité politique extérieure pour assurer le lien social : ce dernier est inscrit au cœur même de la nature humaine ».
P33 »Dans la TSM l’amour de soi n’est jamais dissociable, non pas tant de l’amour que nous avons pour les autres, que du désir que nous avons de l’amour des autres ainsi que du désir que nous avons pour ce que les autres aiment ».
→ Cela est absent de la richesse des nations : pourtant « à ses yeux une société pleinement morale et heureuse ne pouvait se satisfaire de l’intérêt égoïste des marchands ».
P34 : « L’intérêt, l’autre nom du désir, est un principe d’action qui à sa propre régulation interne. Le gouvernement de soi libéral consiste à réduire la douleur et à accroître le plaisir selon un juste calcul des conséquences de l’action. C’est cette faculté de calcul qui sera le premier régulateur de notre conduite, au détriment des représentations religieuses, désormais regardées comme de moindre efficacité »
La pleaonexia (Aristote la définit comme une disposition à acquérir dans le seul but de posséder davantage, sans aucune espèce de limite), est à présent la force motrice du travail productif moderne »
P35 : « Il y a une affirmation de l’indépendance relative de l’individu dans ses échanges avec autrui, dans la conception de son intérêt, dans ses jugements moraux sur lui et sur les autres. La limite du pouvoir souverain réside dans la capacité de calcul par chacun de son propre intérêt, des moyens de le satisfaire, des conséquences à en attendre. » → Comment les plans d’action individuels se concilient ? Suffisent ils à constituer un ordre qui soi en lui-même une limite pour le pouvoir ?
Le système des intérêts L’interdépendance des intérêts est un des points de départ. L’ordre économique, qui fonctionne sans intervention publique, questionne sa nécessité et fixe sa limite, est fondé sur l’utilité réciproque dans l’échange. P36 : « La division du travail apparaît dès la seconde moitié du XVIIe siècle comme le principe de l’organisation sociale et comme la cause des progrès matériels ». La loi supérieure est le mécanisme de la concurrence (Pas de monopôle, pas de montée des taux) qui assure la prospérité par l’émulation, chacun cherchant à maximiser son avantage dans le cadre des règles du jeu du marché. » → L’État a un rôle de ménagement des règles de la concurrence P38 « L’économie a son propre cours harmonieux si on laisse les individus suivre la perception immédiate qu’ils ont de leur intérêt propre » = LA MAIN INVISIBLE
Le gouvernement limité par la « force des choses » P39 : « L’État doit rester tranquille […] régler le mécanisme périodiquement, bien qu’avec une extrême précaution. » P41 : « Il y a un passage de la conception ontologique de la souveraineté à la conception fonctionnelle de la gouvernementalité » → Le prince devient une « fonction dans la machine de l’utilité réciproque des professions » « Les actions du gouvernement n’ont de sens que par rapport aux règles de l’échange social, et plus particulièrement, au fonctionnement du marché ». Smith donne trois devoirs : défense du pays, administration de la justice, travaux et institutions publics Dans Leçons sur la jurisprudence il donne deux tâches : Les lois de justice et les règlements de police.
Le gouvernement par la connaissance des lois de la nature P46 « Le gouvernement libéral ne fait pas de loi, il les reconnaît comme tant conformes à la raison de la nature » « La première et la plu fondamentale de institutions politiques et celle de l’instruction publique et privée des lois de l’ordre naturel » - « les loi sont déjà toutes faites par la main de celui qui créa les droits et les devoirs » → « Despotisme légal »
2- Progrès de l’histoire et uniformité de la nature humaine
P49 : « Attachement des penseurs libéraux au principe humien de l’uniformité de la nature humaine : certains penchants et sentiments sont tenus pour innés et universels, seules varient les circonstances de temps et de lieu » Meeks à reconstitué la « théorie des quatre stades » que la société traverse naturellement au cours du temps → Chasse-pastoralisme-agriculture-commerce (Smith, Turgot, Rousseau) - Chacun est identifié à un mode de subsistance - Progression « naturelle » d’un stade à l’autre - Peuples sont ordonnés selon leur position dans une temporalité idéale → Difficilement rattachable à l’uniformitarisme Adam Ferguson affronte cette question avec le concept de « société civile »
Ce que veut dire société civile Foucault identifie quatre traits : 1- Une constante historico-naturelle → rien ne précède la société civile, P51 « La société se révèle aussi ancienne que l’individu ». On est toujours dans la société et dans l’histoire. 2- Un principe de synthèse spontanée des individus → P51 « Le individus sont d’emblée associés par des liens qui opèrent en deçà de toute institution. » . Liens affectifs et passionnels qui forment le tissu des communautés. Au contraire l’échange marchand agit comme « principe dissociatif » 3- Matrice permanente de pouvoir politique → P52 « La formation spontanée de pouvoir rend totalement superflu le pacte de soumission » Formation spontanée de rapports de subordination. P53 : « Comment expliquer que l’humanité parvient à la civilisation et ne se satisfait pas de la simplicité des rudes nations » ? 4- Elle constitue le moteur de l’histoire
Société civile et histoire Ferguson distingue trois stades : - Sauvagerie : chasse pêche production naturelle du sol, pas de propriété, pas de gouvernementale - Barbarie : troupeaux et pâturages, rapport patrons/clients, maîtres/serviteurs, propriété est un objet de désir pas garantie par les lois. P55 : « Le passage de l’état sauvage à l’état barbare donne lieu à un relâchement du « lien de société » sous l’effet de la constitution chez l’individu d’un intérêt particulier Les passions intéressées portent à cultiver les art mécaniques et le commerce et poussent à transgresser les lois de l’équité. P57 Ferguson : « La subdivision continuée des arts mécaniques est bien le moyen le plus sur de l’accroissement général des richesses, en ce qu’elle obtient de l’individu voué à une occupation exclusive qu’il travaille, « sans songer aux intérêts de l’état, à la conservation et à l’agrandissement de ce dernier ».
La corruption du lien social Il y a dans la division du travail P58 : « Le principe d’une prééminence ruineuse de l’économie sur le politique ». → « L’amour du gain étouffe l’amour de la perfection, l’intérêt enflamme le cœur et glace l’imagination ». P59 : « Consacre la suprématie des fins économiques sur l’action publique, réalise une interdépendance généralisée des travaux privés, qui, loin de donner aux individus le sentiment de leur appartenance au tout d’une communauté, leur fait perdre le souci de la fin publique . » → « Décadence des nations modernes qui affecte la dimension morale et politique de l’action humaine » → P60 « Relâchement des liens de l’union politique, perte du sens de la communauté »
Les deux désirs chez Adam Smith Anthropologie smithienne ramène toutes les motivations humaine à deux désirs fondamentaux : - améliorer sa condition (amour de soi) - désir d’approbation d’autrui → Impossible de les distinguer P61 « Le désir qui anime l’humanité est commandé de bout en bout, tout au long de l’histoire par la recherche des meilleurs moyens de satisfaire ses besoins naturels. Accroissement de la population + insuffisance des ressources → « Le progrès des sociétés est un mode unilatéral de croissance ou augmentation. Smith : « Guère autre chose n’est requis de la barbarie à l’opulence que la paix, des taxes légères et une administration tolérable de la justice » Rationalité gouvernementale du libéralisme s’étaie sur le progrès de la société garanti par la mécanique des intérêts et procède donc d’un profond naturalisme : Foucault parle de « naturalisme gouvernemental ».
Les avatars ultérieurs du progressisme Spencer et l’égoïsme biologique fondement et fin de la vie morale P65 : « le laisser-faire reçoit ainsi la caution scientifique de l’évolutionnisme biologique : la justice exige que soit reconnu aux individus supérieurs le droit de tirer profit des avantages naturels qui font d’eux les plus méritants » Pour lui perfection de l’homme dans un avenir proche
3- Le gouvernement limité par les droits de l’individu
La voie « radicale-utilitariste » pose plus profondément la question des limites de l’exercice de la puissance publique → Cette voie s’impose historiquement face à « l’abus de souveraineté » naturaliste. Rousseau et Locke vont pousser vers la voie juridico-déductive Question double : Comment limiter l’action du gouvernement pour qu’elle n’entrave pas le cours spontané de la société civile ? Comment limiter cette action sans l’entraver complètement. Fondation des droits individuels de la théologie à la tautologie Comment justifier les droits naturels ? Locke fait référence Dieu → Lois de la nature implantées en nous par Dieu lui-même. P76 : Lockel l’appelle « loi commune de la raison » Devoirs de l’homme envers Dieu : - Se conserver soi-même – veiller à la conservation du reste de l’humanité. Droits naturels déduits des devoirs. P77 : « Chacun à le devoir de respecter le droit d’autrui de faire ce qu’il juge bon pour sa conservation pour autant qu’il a pour devoir de veiller à la conservation de l’humanité ». Des droits naturels coupés du créateur Libéralisme ultérieur se démarque de Locke = « décrochage de la loi naturelle » impulsé par Grotius et Hobbes : remplacement de l’obligation morale par le désir de l’individu Spencer : P79 : « Les hommes primitifs sont portés à vivre en groupe surtout par l’expérience des avantages possibles de la coopération. […] Plus la « coopération volontaire » supplante la « coopération forcée » plus la liberté des contrats et la garantie de leur exécution apparaissent comme les « conditions d’une existence sociale régulière ». → Tout découle de la « nécessité vitale ». → Passage d’une fondation théologique à une fondation biologique des droits. Nozik : P81 : « Notion fuyante et difficile du sens de la vie » : Individu possède la capacité de donner un sens à sa vie en agissant selon la conception d’ensemble de la vie qu’il désire mener , qui lui donne le droit d’agir conformément à l’idée qu’il se fait du sens de la vie. Consentement à l’action d’autrui équivaut à un droit accordé à autrui sur moi car correspond à ma conception d’ensemble. Sens de la vie est une caractéristique constitutive de l’individu donc cela revient à dire que l’individu à des droits parce qu’il est un individu. TAUTOLOGIE La propriété de soi comme fondement de droit de propriété Libéralisme ultérieur et néolibéralisme doit à Locke la justification philosophique du droit de propriété. P82 « Droit de propriété sur les biens matériels n’est pas ancré dans la nature. Locke parlait des communautés primitives comme communauté positive « un grand domaine commun » → Res communes plutôt que Res nullius (Grotius, Pufendorf) Locke déploie deux concepts de propriété : - Propriété commune (Possessio) des choses de la terre → droit inclusif d’usage sans droit d’abuser. P83 « Tous ont un même droit sur ce qui leur et nécessaire, tous n’ont pas un droit sur tout » contrairement à ce que dit Hobbes - Proprietas droit exclusif privé sur une chose, même de la détruire. → Distinction entre P83 « Le droit que l’homme possède à ce dont il a besoin et le droit qu’il possède sur ce qu’il a acquis » Origine de l’appropriation : le travail (justifie le mouvement des enclosures en Angleterre) P83 : « Le travail est l’opérateur de la transformation de la possession commune inclusive en appropriation privée exclusive, et ce indépendamment de tout consentement ou convention » Deux périodes de la propriété privée : - 1 – Commencement → Le travail, P87 : « Le biens communs constituaient la part la plus importante et l’appropriation privée se limitait aux choses dont chacun pouvait faire usage pour sa propre consommation »
: - 2 – Accroissement de la population et des ressources + usage de la monnaie : raréfaction et valorisation de la terre : P 87 : « Les différentes nations ont par le contrat et l’accord établi cette propriété dont le travail et l’industrie avaient été les premiers fondements »
La propriété après Locke Constant : la propriété est une convention sociale qui reste inviolable et sacrée P90 : « La justification du droit de propriété tentée par Nozick ne concède qu’une limite bien ténue, affaiblie de surcroît par la disparition de toute référence à l’obligation de ne pas priver les autres hommes des moyens de leur conservation. La nature du pouvoir suprême opposition entre sujet d’intérêt et sujet de droit qui sont hétérogènes et non superposables P94 « En réalité, le sujet qui contracte pour former une société politique est un sens toujours « intéressé » même si cet intérêt n’a pas l’immédiateté de celui qui guide les acteurs du marché. Outre que la renonciation à laquelle il consent n’est pas totale, ce sujet rationalise son intérêt bien loin de le sacrifier » → Différence entre l’intérêt immédiat et l’intérêt rationalisé Les limites du gouvernement Quatre limites du droit : - gouverner d’après des lois stables qui ne doivent pas varier au gré des cas particuliers → éliminer l’incertitude de l’état de nature - lois ne doivent avoir aucune autre fin que le bien public de la société - le pouvoir suprême ne peut enlever à aucun homme aucune partie de sa propriété sans son propre consentement - le législatif ne peut transférer à personne d’autre le pouvoir de faire des lois Le grand art du gouvernement P99 : « L’art de gouverner exige que l’on se soucie d’encourager l »honnête industrie » par laquelle seule la terre peut être mise en valeur » → Dogmatisation de la pensée lockéenne : réduire la politique à la seule promotion des droits individuels naturels. En découle deux conséquences : - P100 « La politique libérale s’enfermera de plus en plus dans des formules rigides et conservatrices de défense des droits de propriété » → entraîne le refus de porter toute intervention sociale susceptible de porter atteinte à ces droits. - « Laisse complètement démuni face aux nécessités pratiques de gestion des populations, organisation de la production et des échanges, du développement de certains biens et services qui ne peuvent être abandonnés à l’initiative des particuliers «
4- Le gouvernement sous le contrôle de l’utilité (Bentham P102 « Le principe d’utilité n’est ni strictement économique, ni strictement politique. Il permet justement de passer les frontières et d’appliquer à l’homme un unique mode d’explication et de jugement dans tous les champs de son activité. L’homme est un : il n’est pas ici marchand et là citoyen. Il est partout cet être sensible et parlant qui obéit à son intérêt tel qu’il le perçoit au travers des mots qu’il utilise pour l’exprimer. » « La seule limite concevable au gouvernement, tient à l’utilité elle-même, c’est à dire relève d’un calcul des coûts et des bénéfices de l’intervention. C’est le résultat du calcul qui permet de dire ce que le gouvernement doit ou ne doit pas faire. » → Opposition aux tenants du droit naturel qui veulent établir une ligne entre le juste et l’injuste Critique de Constant : « L’autorité sociale étant seule juge de toutes ces possibilités, il est cair que, dans ce système, elle n’a point et ne peut point avoir de limites » Bentham propose une science économique complètement indépendante de l’art politique
Critique du droit naturel comme principe de l’action publique
P106 : « Le principe d’utilité nous apprend que l’homme est gouverné par le plaisir et la douleur. Comment lui faire entendre que, pour son bonheur même, il doit abandonner certaines prétentions au plaisir ? Seul un gouvernement agissant pour l’utilité du plus grand nombre peut y parvenir » P108 « Affaiblir le gouvernement au nom des droits naturels c’est l’empêcher d’agir en faveur des libertés et de la sécurité. Considérer la propriété comme inviolable, c’est permettre que l’on conteste tout imôt comme une oppression intolérable » Bentham met en cause la justification des privilèges de l’aristocratie terrienne au nom du prétendu droit naturel de propriété. P109 « L’abandon de toute justification sacrée s’impose donc au profit de la seule considération d’utilité » Le principe d’utilité unique critère de l’action publique P110 : « Le gouvernement doit orienter sa conduite sur l’utile, seule manière de s’ajuster en permanence aux variations des intérêts, des jeux de l’échange, […] seule manière aussi de contribuer activement aux progrès du bonheur social général. » → La législation doit produire plus de bien que de mal, compte tenu du fait que tout contrainte politique est déjà un coût. P111 : « Le gouvernement utilitariste a pour matériau, pour cible et pour fin le champ entier des intérêts sous toutes leurs formes. C’est un gouvernement par, sûr et pour les intérêts » → Principe de jonction des intérêts (privés, généraux) → Création d’institutions pour apprendre à calculer (panoptiques scolaires, carcéraux, hospitaliers) Domaine économique : État a peu à faire : l’individu cherche par lui même à accroître son bonheur
Construire la spontanéité Bentham distingue ordre spontané (permis par le législateur, rendu possible par un système de droit et de sanctions qui interdisent qu’on l’entrave)/ordre naturel → Conduite des sujets politiques encadrée par un ensemble de contrainte légales qui trouvent leur raison d’être dans l’utilité
P117 « Le gouvernement libéral est celui qui, plutôt que chercher à renforcer sa propre maîtrise sur la conduite des individus, va chercher à renforcer la maîtrise que chacun d’eux peut exercer sur sa propre conduite, afin qu’il puisse atteindre le maximum de bonheur dont il est capable »
→ Il faut renforcer la maîtrise que chacun d’eux peut exercer sur sa propre conduite Voie ouverte au réformisme social Si les droits effectifs sont des fictions créées par l’autorité établie → Examiner toutes les lois, institutions, fonctions sous l’angle de l’utilité. P119 : « Bentham est loin de se réduire au geôlier d’une prison idéalement rationnelle ; il est le meilleur penseur d’une biopolitique veillant au soin exhaustif des populations » P120 : « Le panoptique n’est pas d’abord un lieu d’enfermement, c’est un lieu de rééducation où l’on apprend à travailler » 5- Crise du libéralisme et naissance du néo-libéralisme Tensions entre deux types de libéralisme : réformateurs sociaux défendant leur idéal de bien commun / partisans de la liberté individuelle comme fin absolue → CRISE du libéralisme (1880-1930) Foucault : « crise de la gouvernementalité libérale » : problème pratique de l’intervention politique en matière économique et sociale et sa justification doctrinale Une idéologie trop étroite Débâcle du libéralisme : capitalisme historique et industriel ne correspond pas aux schémas théoriques de l’école libérale P124 : « Le système industriel et financier est de plus en plus concentré dans des branches majeurs de l’économie, dominé par une oligarchie en imbrication avec les dirigeants politiques, était régi par des règles du jeu qui n’avaient rien à voir avec les conceptions rudimentaires de la loi de l’offre et de la demande. » « Barons voleurs » (oligopoles, monopoles) enlèvent tout crédit à l’idée d’une coordination harmonieuse d’intérêts particuliers → idéal du marché parfaitement concurrentiel bien loin. Management scientifique, entreprise moderne, spécialistes de l’organisation → Science économique dominante ne parvient pas à comprendre (au contraire des institutionnalistes moins proches des dogmes). Depuis fin 1870 : lois sur les conditions des salariés (horaires, grèves, travail des enfants , associations, retraites) contre pauvreté entraînée par ce cycle des affaires P126 : « Le mouvement ouvrier en plein développement sur le plan syndical comme sur le plan politique constituait à cet égard un constant rappel à la dimension à la fois collective et conflictuelle de la relation salariale, défi à la conception strictement individuelle et « harmonique » du contrat de travail tel que le pensait la dogmatique libérale. » Libre-échange n’apparaît plus comme vecteur de prospérité universelle : protection douanière, nationalismes, crise du système monétaire. → P127 : « Les libéraux s’isolaient en apparaissant comme des conservateurs obtus et incapables de comprendre la société de leur temps alors qu’ils prétendaient incarner son mouvement même. L’inquiétude précoce de Toqueville et de Mill Les pouvoirs gouvernementaux augmentent avec la civilisation marchande ! Toq. : P128 : « L’égalité des conditions conduit les individus à vouloir un pouvoir central fort, issu de la puissance du peuple, qui les prenne par la main en toutes circonstances » « Cet instinct de la centralisation, cette poussée du domaine de l’administration aux dépens de la sphère de la liberté individuelle ne proviennent pas de quelque perversion idéologique mais relèvent d’une tendance inscrite dans le mouvement général des sociétés vers l’égalité » Mill dénonce lui P129 « L’écrasement de l’individu de haute valeur sous le poids de l’opinion ». Remédier à l’impuissance de l’individu par deux moyens : - combinaison des individus formant des associations pour acquérir la force qui manque à chaque atome - une éducation conçue pour revigorer le caractère personnel afin de résister à l’opinion de la masse
Mill très critique du socialisme, cependant P130 « La société est pleinement justifiée de modifier ou même d’abroger des droits de propriété qui, après dû examen, ne seraient pas favorables au bien public »
→ Réaction vive de Spencer contre l’interventionnisme économique et social et contre l’utilitarisme empirique qui est selon lui le symptôme majeur de la crise de la gouvernementalité L’évolutionnisme spencériste introduit alors quelques thèmes les plus importants ud néo-libéralisme, en particulier la primauté de concurrence dans les rapports sociaux. La défense du libre-marché Contre offensive des individualistes qui ont perdu de leur influence. Durkheim : « Spencer est le prototype de l’utilitariste ». → Utilitarisme évolutionniste et biologique Objectif : P131 : « transformer les bases théoriques de l’utilitarisme pour contrer la tendance réformatrice du benthamisme. » Protections de la loi aux plus faibles = ingérences et restrictions qui entravent la vie des citoyens = précipitation malheureuse à vouloir sauver les pauvres. Parle de l’esclavage futur du socialisme P133 : « L’utilité, non pas évaluée empiriquement, mais déterminée rationnellement, prescrit de maintenir les droits individuels, et, par implication, interdit tout ce qui peut leur être contraire » Contre la superstition étatique Source de la dérive socialiste → croyance métaphysique instance souveraine (grande superstition) Création ex nihilo de droit est absurde comme il y avait déjà des droits naturels P134 : « La fonction du libéralisme dans l’avenir sera de limiter le pouvoir de parlements soumis à la pression impatiente des masses incultes » Naissance du concurrentialisme fin-de-siècle Spencérisme représente un véritable tournant Il emprunte les thèses de Darwin sur l’évolution des espèces. P137 : « Une problématique de la compétition l’emportait alors sur celle de la reproduction », donnant naissance à ce que l’on a appelé de façon très impropre le « darwinisme social ». » → Déformation profonde de la théorie : héritage sélectif des caractères les plus adaptés à la survie VS lutte directe entre races et entre classes interprétée en terme biologique → Idée que la compétition entre individus constituait le principe même des progrès de l’humanité → Déplace le centre de gravité du libéralisme de la division du travail à la concurrence comme nécessité vitale → Glissement du modèle de l’échange à celui de la concurrence = concurrentialisme social Le nouveau libéralisme et le progrès social Question centrale du fin XIX → organisation du capitalisme et amélioration de la condition des pauvres. Laisser-faire juger comme dépassé même chez de nombreux libéraux. P142 « Selon K.Polanyi, la crise des années 1930 sonna l’heure d’un réencastrement du marché dans des disciplines réglementaires, des cadres législatifs et des principes moraux. » « Le nouveau libéralisme repose sur le constat de l’incapacité des dogmes libéraux de redéfinir de nouvelles limites à l’intervention gouvernementale. » Keynes accorde à l’État un rôle régulateur et redistributeur fondamental dans un « socialisme libéral » La liberté n’est pas le contraire de la contrainte, mais plutôt la combinaison des contraintes exercées sur ceux qui sont forts et des protections de ceux qui sont les plus faibles. Actions rééquilibrantes et protectrices pour assurer la liberté de tous. Hobhouse, Keynes, Dewey, incarnent un courant diffus entre radicalisme et socialisme qui entreprend de penser la réforme du capitalisme. Ici la politique est guidée par un bien commun et doit être soumise à des fins morales collectives. La double action de l’État selon K.Polanyi Double action de sens contraire de l’État au XIXe siècle : 1- création des mécanismes de marché + mécanismes les limitant 2- A appuyé le mouvement vers la société de marché + renforcé le contre -mouvement Avec le système industriel les hommes doivent se concevoir sous l’aiguillon de la faim (nature et travail deviennent des marchandises) Polanyi Grande T, p189 : « le laisser faire n’est pas une méthode permettant de réaliser quelque chose, c’est la chose à réaliser ». Pourtant après 1860 s’est généré un contre-mouvement à vocation de protéger la société = protectionnisme commercial national + protectionnisme social → Le fascisme a été le symptôme d’une « société de marché qui refusait de fonctionner » P201 de la GT : « Le tenant de l’économie libérale peut donc, sans aucune inconséquence, demander à l’État d’utiliser la force de la loi, il peut même faire appel à la force violente, à la guerre civile, pour instaurer les conditions préalables à un marché autorégulateur. » → Distinction entre différentes sortes d’intervention d’État P152 : « Le néolibéralisme se définit mieux comme un certain type d’interventionnisme destiné à façonner politiquement des économiques et sociaux régis par la concurrence » Le néolibéralisme et les discordances du libéralisme Crise du libéralisme : insuffisance du principe dogmatique du laisser-faire dans la conduite des affaires gouvernementales. Deux réponses : Nouveau libéralisme/Néolibéralisme → Faire face à ce qui a pu apparaître à un moment comme « la fin du capitalisme » incarnée par l’ascension des totalitarismes leur ennemi commun. P153 : « Les néolibéraux admettent la nécessité d’une intervention de l’État et rejettent la pure passivité gouvernementale mais s’opposent à toute action qui viendrait entraver le jeu de la concurrence entre intérêts privés. » = Réhabilitation de l’intervention publique + marché centré sur la concurrence. P154 : « Le néolibéralisme prolonge le tournant qui a déplacé l’axe du libéralisme en faisant de la concurrence le principe central de la vie sociale et individuelle, mais en opposition à la phobie spencerienne de l’État, il reconnaît que l’ordre du marché n’est pas une donnée de nature, mais le produit artificiel d’une histoire et d’une construction politique. »
Chapitre 2 : La refondation intellectuelle
6- Le colloque Lippman où la réinvention du libéralisme
août 1938 : colloque Lippman = acte de naissance du néo-libéralisme
Objectif : P159 « proposer un front uni à l’interventionnisme étatique et à la montée du collectivisme » → Théorisation d’un interventionnisme libéral
1947 : Société du Mont Pélerin
Contre le naturalisme libéral
Lippman : le libéralisme ne s’identifie pas au laisser-faire → Sinon on est bloqué entre socialisme/fascisme face aux maux du laisser-faire.
P162 : refus des réformes de gauche (redistribution des revenus, protection sociale)
Opposition : refonder le libéralisme sans ingérence étatique (Robbins, Rueff, Hayek, Von Mises) Foucault parle de « phobie de l’État » VS favoriser un interventionnisme libéral (Rougier, Lippman, von Rustow)
Originalité du néolibéralisme
Rougier prône : P166 « un ordre légal à l’intérieur duquel l’initiative privée soumise à la concurrence puisse se déployer en toute liberté. Cet interventionnisme juridique de l’État s’oppose à un interventionnisme administratif qui gêne ou empêche la liberté d’action des entreprises. » « Le consommateur doit arbitrer sur le marché entre les producteurs en concurrence. »
p167 : « Indépendance de l’économie à l’égard des institutions sociales et politiques est l’erreur de fond de la mystique libérale »
P170 : « Le libéralisme s’est progressivement transformé en un conservatisme étroit s’opposant à toute marche en avant des sociétés au nom du respect absolu de l’ordre naturel »
L’agenda du libéralisme réinventé (Rougier)
P171 : « Il faut un interventionnisme libéral, un libéralisme constructeur, un dirigisme de l’État qu’il conviendra de distinguer d’un interventionnisme collectiviste et planiste » → Rétablir sans cesse les conditions de la libre-concurrence menacée par des logiques sociales qui tendent à l’enrayer, afin de garantir la victoire des plus aptes.
P172 : « Le danger est que l’État soit mis sous la coupe de groupes coalisés, qu’il s’agisse des plus riches ou des masses pauvres »
Rougier pose trois domaines de légitimation de la politique publique :
- établissement d’un état de droit
- politique d’adaptation aux conditions changeantes
- aider à la réalisation des « équilibres naturels »
Mise en place de la concurrence par l’ingérence de l’État permet d’éviter la démagogie politique
Néolibéralisme et révolution capitaliste (Lippman)
Lippman : « collectivisme est une contre-révolution à l’étendue du capitalisme sur toute la planète »
P175 « L’agenda du néolibéralisme est guidé par la nécessité d’une adaptation permanente des hommes et des institutions à un ordre économique intrinsèquement variable, fondé sur une concurrence généralisée et sans répit »-→ Donner à l’humanité un nouveau genre de vie
L’homme est inscrit dans le passé, c’est P177 « un inadapté chronique qui doit être l’objet de politique spécifiques de réadaptation et de modernisation »
Deux aspects humains de cette politique globale d’adaptation à la compétition : eugénisme + éducation
P179« Justification d’un impôt progressif destiné destiné entre autres à l’éducation des producteurs, mais aussi à leur indemnisation en cas de licenciement pour les aider à se reconvertir et se déplacer »
Le règne de la loi
P180« Dans une société libre, l’État n’administre pas les affaires des hommes. Il administre la justice entre le hommes qui mènent eux-mêmes leurs propres affaires. »
Le gouvernement libéral c’est P181 «le contrôle social exercé non pas par une autorité supérieure qui donne des ordres, mais par une loi commune qui définit les droits et les devoirs réciproques des personnes et les invite à faire appliquer la loi en soumettant leur cas à un tribunal ».
Un gouvernement des élites
Lipp P183 : « Plus les intérêts à diriger sont complexes, moins il est possible de les diriger au moyen de la contrainte exercée par une autorité supérieure » → Seul un état fort peut faire respecter la loi communes
P184 : « Il ne peut être gouverné que par une élite compétente, dont les qualités sont à l’exact opposé de la mentalité magique et impatiente des masses »
7- L’ordolibéralisme entre « politique économique » et « politique de société ».
Forme allemande du néolibéralisme → insistance sur l’ordre procédural et constitutionnel L’ordre « ordo » comme tâche politique Distinction « ordre économique » (formes d’organisation) et « ordre de l’économie » (réalisation et défense d’un ordre économique, celui de la concurrence. P188 : « Il doit être constitué et réglé par une politique ordonnatrice ou de « mise en ordre » → cadre institutionnel Dimension morale → capacité humaine à créer volontairement un ordre social juste, conforme à la dignité de l’homme P190 : « Œuvre de volonté et non produit d’une évolution aveugle, l’ordre de marché participe donc à un ensemble cohérent d’institutions conformes à la morale » Dissociation entre École de Fribourg (Euken) → fondement principal = cadre juridico-politique (politique économique tournée la croissance) et partisans d’un Libéralisme sociologique (von Rustow) → cadre social moral religieux (politique de société tournée vers une amélioration de l’environnement social) La légitimation de l’État par l’économie et son « supplément social » P192 : « L’ordolibéralisme a fourni la justification doctrinale de la reconstruction politique ouest allemande en faisant de l’économie de marché la base d’un Etat libéral-démocratique. » Aspect négatif → Critique ordolibérale : nazisme = aboutissement naturel de l’économie planifiée et croissance de l’état détruit les liens entre individus → collectivisme/coercitisme VS économie de marché/liberté individuelle Aspect Positif → ordolibéralisme opère un double circuit entre l’État et l’économie (Foucault) p193 : « l’économie produit de la légitimité pour l’État qui en est le garant » 1947 → Influencent la politique ouest-allemande, P195 : « le problème majeur de l’économie allemande est la perte de la fonction des prix comme indicateurs de rareté. État doit obéir aux principes de subsidiarité = respect des milieux d’intégration des individus dans des sphères naturelles hiérarchisées. → Deux objectifs politiques : consolidation sociale de l’économie de marché + intégration des individus dans des communautés de proximité L’ordre de concurrence et la constitution économique P197« Souveraineté du consommateur et concurrence libre et non faussée sont les principes fondamentaux de toute constitution économique. » → Principe de la concurrence au cœur de cet ordre économique. « La concurrence libre est l’objet d’un choix politique fondamental » → Institutionnaliser l’économie de marché Argumentation rationnelle VS naïveté naturaliste Principes constituants de la législation économique : stabilité de la politique économique – stabilité monétaire – marchés ouverts – propriété privée – liberté des contrats – responsabilité des agents économiques Politique de mise en ordre et politique régulatrice Quelle politique conduire pour le gouvernement ? Encadrement de la société par la législation + Vigilance d’une police des marchés P201 → La politique conjoncturelle doit obéir à la règle constitutionnelle suprême de stabilité des prix et contrôle de l’inflation Exemple : Loi de 1957 – Création de la Bundesbank → Banque centrale indépendante, non soumise au gouvernement et mission n°1, sauvegarder la monnaie Le citoyen consommateur et la société du droit privé Ordre social et politique se fonde sur : concurrence libre et loyale entre des individus souverains sur leur vie Distorsion de la concurrence = domination illégitime de l’État ou d’un groupe d’intérêt privé P203 : « Tous les consommateurs en tant que consommateurs ont un même intérêt pour le processus concurrentiel et le respect des règles de la concurrence. » P205 : « Le gouvernement est le gardien de la volonté générale en étant le gardien des règles du droit privé » L’économie sociale du marché : les équivoques du social L’économie de marché est sociale : obéit au choix des consommateurs = démocratie par la consommation. Opposition à l’État social-Etat Providence. Indemnités, assurances sociales → découragent les agents économiques. Remèdes aux problèmes de pauvreté : charité + responsabilisation individuelle La politique de société de l’ordolibéralisme interdépendance de toutes les institutions → réduction de la séparation économie état et société. P209 : « La concurrence est en matière de rapport social la norme » P212 : « Le marché doit rencontrer ses limites dans des sphères soustraites à la logique marchande : l’autoproduction, la vie familiale, le secteur public, sont indispensables à l’existence sociale » → Le lien social ne peut se réduire à un rapport marchand. Programme « sociologique » → tendre à de petites unités familiales en concurrence La petite entreprise comme remède à la prolétarisation Critique de Röpke : prolétarisation = principale cause du collectivisme → Le nomadisme prolétaire lié à la destruction de la paysannerie a créé un grand vide dans l’existence de millions de travailleurs Politique de la société doit : p214 « combler le fossé prolétaire/bourgeois en déprolétarisant pour faire des prolétaires des bourgeois et des citoyens » → Développement de la petite exploitation familiale et de la propriété. VS État social qui fait dépendre l’homme de subsides collectifs La troisième voie Entre le darwinisme social et l’État social = forme universelle de l’entreprise
p218 : legs politique de l’ordolibéralisme allemand au néolibéralisme contemporains :
→ « la promotion de la concurrence au rang de norme destinée à guider une « politique de mise en ordre »
→ « L’assignation à l’action politique d’un objet tout à fait spécifique, à savoir la société jusque dans sa trame la plus fine, et donc l’individu comme foyer du gouvernement de soin et point d’appui du gouvernement des conduites.
7- L’homme entrepreneurial Nouveauté des austro-américains : - machine éco tend à l’équilibre si elle n’est pas perturbée par le moralisme ou interventions politiques et sociales - Dans la concu, G se construit l’entrepeneurship = principe de conduite le plus universel du capitalisme → cette dimension de l’homme-entreprise est leur principale contribution Lemke P221 : « Le néolibéralisme se présente « comme un projet politique qui cherche à créer une réalité sociale qui est supposée déjà exister » Concurrence = « processus de découverte de l’information pertinente, mode de conduite du sujet qui cherche à surpasser et à devancer les autres dans la découverte de nouvelles occasions de gains. » → Concerne la totalité de l’action humaine → P222 : vise à « modeler les sujets pour en faire des entrepreneurs sachant saisir les opportunités de gains, prêt à s’engager dans le processus permanent de la concurrence » Critique de l’interventionnisme Von Mises → Le contrôle est indivisible : p223 : « ou il est tout privé ou il est tout étatique ; ou la dictature de l’État ou la souveraineté du consommateur » Êtres assistés VS entrepreneurs créatifs : p225 « L’individu doit être seul à décider de la fin de ses actions, car lui seul sait ce qui est bon pour lui » Nouvelle conception du marché = p225 « processus de découverte et d’apprentissage qui modifie les sujets en les ajustant les uns aux autres » → autocréateur, il s’autoengendre dans le temps sous sa propre dynamique s’il n’est pas perverti par des entraves éthiques ou étatiques. → Il construit son propre sujet = autoconstructif Action humaine n’est pas maximisation MAIS rationalité minimale qui le pousse à accorder des moyens à un objectif d’amélioration de sa situation. = voie du subjectivisme → L’homme sait se conduire grâce au marché qui constitue un processus de formation Gouvernementalité néolibérale → créer des situations de marché pour permettre l’apprentissage Le marché et la connaissance Individu est rationnel et ignorant → il suit des règles, comportements, schèmes de perception Connaissances individuelles et particulières comptent le plus. P230 : « seuls les mobiles individuels poussent les individus à faire ce qu’ils doivent faire sans que personne n’aient à leur dire de le faire, en utilisant des connaissances qu’ils sont les seules à détenir ou à chercher. » Problème de l’économie = comment tirer meilleur parti de l’information fragmentaire dont on dipoe L’entrepreneurialité comme mode de gouvernement du soi science économique repose pour V. Mises sur la « praxéologie » p231 = Comprendre comment agit réellement le sujet, comment il se conduit dans une situation de marché Autogouvernement = Entrepreneurship p231 : « Chacun de nous est un entrepreneur potentiel puisque le rôle entrepreneurial pur ne suppose aucune bonne fortune initiale sous forme d’actifs de valeur. » → Liberté d’action = faire l’expérience de ses facultés, d’apprendre, de se corriger, de s’adapter = marché est un processus de formation de soi : développe l’esprit de spéculation Former le nouvel entrepreneur de masse Vmises : Pas de conscience spontanée de l’esprit humain Hayek : Pas de conscience des règles auxquelles on obéit p236 : « Si les masses ne pensent pas, il appartient à des cercles étroit d’intellectuels de mener frontalement le combat contre toutes les formes de progressisme et de réforme sociale, germe de totalitarisme. » p237 « La culture d’entreprise et l’esprit d’entreprise peuvent s’apprendre dès l’école, de même que les avantages du capitalisme sur toute autre organisation économique » L’universalité de l’homme entreprise Faire en somme que chacun devienne le plus enterprising
8- L’État fort gardien du droit privé Ni laisser-faire….. Ni fins sociales Hayek critique : - les insuffisances du libéralisme manchesterien (intervention indispensable pour le bon fonctionnement du marché - objectifs sociaux des gouvernements (conception artificialiste de la société) → Comment légitimer certaines interventions sans concéder que l’ordre du marché est artificiel ? L’ordre spontané du marché ou « catallaxie » Hayek complique l’opposition naturel/conventionnel → ce qui est indépendant de la volonté humaine n’est pas nécessairement indépendant de l’action humaine. Il distingue « ordre fabriqué » – « ordre naturel » – « ordre spontané » = phénomènes qui résultent de l’action humaine sans pour autant résulter d’un dessein humain. → ordre de marché est un ordre spontané Ordre du marché est p246 « indépendant de tout but particulier et peut être utilisé pour la poursuite de très nombreux buts individuels divergents et même opposés. » 1 → Il repose non sur des buts communs « mais sur la réciprocité cad sur la réconciliation de différents buts, au bénéfice mutuel des participants ». 2 → Cohésion du marché rendue possible par des règles formelles qui valent en raison de leur généralité : « elles consistent uniquement en interdictions d’empiéter sur le domaine protégé de chacun ». → Ordre de marché est une nomocratie régie par la loi 3 → La société est elle-même un ordre spontané = « La Grande Société » « l’ordre de marché rend possible la conciliation des projets divergents et ce même lorsque ces projets poursuivent des fins non-économiques » Il est constitué de relations économiques qui sont au fondement du lien social De plus à l’opposé des théories walrassiennes il y a une division de la connaissance Ordre spontané = la catallaxie La sphère garantie de liberté et le droit des individus p250 « les règles de conduite qui seules rendent possible la formation d’un ordre spontané du marché sont donc elles-mêmes issues, non de la volonté arbitraire de quelques hommes, mais d’un processus spontané de sélection opérant sur la longue durée ». → Parallèle avec l’évolution biologique de Darwin. → Sélection des règles de juste conduite = principe du progrès des sociétés Règles de justice : - Pas déduites abstraitement de par la raison naturelle (jusnaturalisme) - Pas le fruit d’un dessein délibéré (positivisme) → ce sont « un produit de l’expérience pratique de l’expérience humaine (p252) Pour Hayek la liberté est négative → c’est l’absence de la coercition exercé par autrui Toute règle de juste conduite crée un droit correspondant à des individus et délimite des domaines personnels.. Le domaine légitime des activités gouvernementales et la règle de l’État de droit Sphère protégée = contour des limites de l’intervention de l’État État doit s’appliquer à lui même les règles qui valent pour toute personne privée (p256) = société du droit privé (comme il vaut aussi pour les organisations). Trois niveaux de loi hiérarchisés
- - métal-légal = règle de l’État de droit
- - légal = détermination de nouvelles règles générales de conduite
- - gouvernemental = promulgation des décrets et lois
Trois attributs de la loi véritable
- - Généralité (ne vise personne spécifiquement)
- - Doivent être connues et certaines
- - Égalité (doit s’appliquer de manière égale à tous)
→ Le pouvoir politique ne peut intervenir dans la sphère privée et protégée de l’individu. Il doit préserver l’efficience de l’ordre du marché. L’activité la plus importante de l’État = « aménager un cadre favorable aux décisions individuelles » + services non-fournis par l’entreprise concurrentielle (santé, routes, équipements urbains) est rejeté : toute discrimination arbitraire, contrôle des prix, justice sociale ou matérielle peut offrir un revenu minimum garanti pour les laissés hors-marché → Le gouvernement n’est pas exclu
Trois écarts majeurs avec le libéralisme classique : (p266)
- - Les relations économiques internes au jeu du marché sont le fondement de la société toute entière
- - Droit naturel remplace le constructivisme juridique (dessine en creux l’idéal d’une société de droit privé).
- - L’État doit s’appliquer à lui même les règles de droit privé
L’État fort plutôt que la démocratie pour Hayek, le « bien commun » de Locke n’est qu’un « moyen facilitant la poursuite d’une grande diversité d’intentions individuelles. (p267) Une assemblée législative sans contrôle démocratique détermine le nouvelles règles générales (Hayek préfère le terme démarchie à démocratie) Pas de pouvoir absolu à la majorité, règle majoritaire ni limitée, ni limitable : parle de « souveraineté populaire » (p268) → démocratie illimitée susceptible de dégénérer en démocratie totalitaire. Mais ce qui prévaut aujourd’hui dans la pratique du néolibéralisme c’est la construction de l’ordre du marché qui est donc éloigné de la position générale de Hayek.
Chapitre 3 : La refondation intellectuelle
10- Le grand tournant Thatcher Reagan, nouvelle droite : A.Gamble : « Économie Libre, État Fort » Classique conservateur (défense nationale, police, contrôle des populations, restauration des autorités établies (p274)) + retour du marché (privatisation, baisses des protections sociales, monnaie forte et stable, limitation de l’inflation). + ce qui est rarement évoqué → Le caractère disciplinaire (p275) État = gardien vigilant des règles de concurrence, créateur de situation de marché, former des individus adaptés aux logiques du marché → dimension stratégique de l’État → Pas un complot, plutôt une « stratégie sans stratège (Foucault) et la bourgeoisie est l’agent de sa mise en œuvre. Résultat d’une « logique des pratiques » → techniques de pouvoir (et notamment disciplinaires), la concurrence comme nouvelle norme mondiale qui donne une cohérence globale. Une nouvelle régulation par la concurrence Deux façons de rater le grand tournant : - réduire exclusivement à une transformation interne du système capitaliste - voie une application délibérée et concertée de la théorie économique de Friedman → Mise en place de la concurrence comme norme mondiale « s’est opérée par le branchement d’un projet politique sur une dynamique endogène, tout ensemble technologique commerciale et productive. » (p278) Programmes de Thatcher Reagan relayés par FMI et BM : besoin de répondre à une situation « ingérable » → trop grande implication des gouvernés dans la vie politique et sociale. La Trilatérale réclame la reconnaissance d’une « limite désirable à l’extension indéfinie de la démocratie politique » (p279). // Crise du régime fordiste et du partage de la valeur ajoutée avec baisse du taux de profit dans les 60’ + combativité salariés, chocs pétroliers → nouvelle politique monétariste = indexation des salaires sur les prix, transférer la perte des chocs pétroliers sur le pouvoir d’achat des salariés → hausse des taux d’intérêts → entraîne crise de la dette des latino-américains = plans d’ajustements structurels → Privatisation accélérée des entreprises publiques + dérégulation de l’économie Dogme du monétarisme s’impose avec le « consensus de Washington » (p281) Les États deviennent eux-même des acteurs de cette concurrence en cherchant à attirer les IDE L’essor du capitalisme financier Mise en place d’un marché unique de capitaux (libération des changes,privatisation du secteur bancaire, décloisonnement marchés fi, monnaie unique européenne) → Fondé sur un « besoin de financement de la dette publique » satisfait par l’appel aux investisseurs internationaux (p283) → Globalisation de la finance qui se détache de la production et des échanges = incapacité pour un Etat de prendre des mesures à l’encontre des détenteurs de capitaux → Modification des règles de contrôle des entreprises : pression des actionnaires → pression managériale sur les salariés pour accroître les dividendes et augmenter le cours en bourse « création de valeur actionnariale » = principal critère de gestion Adaptation des entreprises pour décupler la valeur fi (fusac, recentrage métiers de base, externalisation production, réduction de taille) → Le marché financier est un agent disciplinant des acteurs de l’entreprise (p284). Conséquences sociales : endettement des individus, augmentation du patrimoine financier et immobilier des individus. « Chaque sujet a été conduit à se concevoir et à se comporter dans toutes les dimensions de son existence comme un porteur de capital à valoriser » (p284) (études, épargne, logement, boursicotage) → érode les logiques de solidarité = Concurrence généralisée y compris dans l’ordre de la subjectivité Ce n’est donc pas une dérégulation mais la mise en place d’un nouvel ordre économique L’État n’a pas subi la pression des marchés financiers, c’est lui qui a créé la situation puis sauver les krachs. Idéologie - Le capitalisme libre Depuis les années 1960 → création d’un discours sur le « désengagement de l’État» et l’« efficacité des marchés ». Les think thank des « évangélistes du marché » ont pris d’assaut les grands partis de droite. Mise en avant de la révolution conservatrice américaine et critique de l’État = source de tous les gaspillages et freins de la prospérité. » « Alors que jusque dans les années 1970, le chômage, les inégalités sociales, l’inflation, l’aliénation, toutes les pathologies sociales » étaient rapportés au capitalisme, dès les années 1980, les mêmes maux sont désormais systématiquement attribués à l’État. » (p292) → La capitalisme passe de problème à solution universelle. L’État-providence et la démoralisation des individus Remise en question de l’utilité de toutes les interférences étatiques avec l’ordre du marché : - indemnités de chômage + revenu minimum = responsable du chômage - sécurité sociale = creusement déficit + inflation des coûts - gratuité des études = flânerie et nomadisme des étudiants - redistribution des revenus = décourage l’effort - politiques urbaines = alourdissement de la fiscalité locale (p294) Nouveau grand thème néolibéral : État bureaucratique détruit les vertus de la société civile, honnêteté, sens du travail bien fait, effort personnel, civilité etc.. Constante du discours est la « critique de l’assistanat » → Double argument : efficacité du coût + supériorité morale « Travail, famille et foi sont les seules remèdes à la pauvreté » (p296) La vie est une gestion perpétuelle du risque qui réclame une autorégulation → société du risque et développement du marché de la sécurité personnelle → Généralisation de l’analyse coût bénéfice à l’ensemble du comportement humain (p298) Un nouveau système de discipline Discipline = technique de gouvernement propre aux sociétés de marchés = « conduite des conduites » → De l’enfermement à la surveillance de la qualité des produits vendus sur le marché « Dès l’âge classique des disciplines, le pouvoir ne peut donc s’exercer par une pure contrainte sur un corps, il doit accompagner le désir individuel et l’orienter en faisant jouer tous les ressorts de ce que Bentham appelle l’influence. Ce qui suppose qu’il pénètre dans le calcul individuel, qu’il en participe même, pour agir sur les anticipations imaginaires que font les individus : pour renforcer le désir (par la récompense), pour l’affaiblir (par la punition), pour le détourner (par la substitution d’objets) (p300) = Dirigisme indirecte des conduites La liberté de choisir = « obligation obéir à une conduite maximisatrice dans un cadre légal, institutionnel, règlementaire, architectural, relationnel, qui doit être précisément construit pour que l’individu choisisse « en toute liberté » ce qu’il doit obligatoirement choisir dans son propre intérêt. » → Le calcul individuel doit pouvoir s’appuyer sur un ordre du marché stable, ce qui exclut de faire du cadre même l’objet d’un calcul. La stratégie est donc de créer le plus grand nombre possible de situations de marchés et donc des « obligations de choisir ». Le marché devient « la règle du jeu ». → Dispositifs de récompenses et de punitions (incitations, désincitations), contrôle et évaluation de la conduite. = Expansion de la technologie évaluative = mode disciplinaire qui repose sur le fait que plus l’individu calculateur est supposé libre de choisir, plus il doit être surveillé et évalué pour obvier à son opportunisme foncier et le forcer à conjoindre son intérêt avec celui de l’organisation qui l’emploie. Exemple : principe monétariste de Friedman. Créer un cadre monétaire stable → Les contraintes de marché forcent donc les individus à s’adapter (lutte contre l’inflation = priorité politique, taux de chômage = variable d’ajustement) Revenu minimum → objectif d’activer le marché du travail en modifiant le comportement des chômeurs. Le chercheur d’emploi doit est supposé devenir un sujet acteur de son « employabilité », un être « self enterprising », qui se prend en charge lui même. → remise en question des principes de solidarité. (p306) L’obligation de choisir La « liberté de choix » : on ne peut concevoir un sujet qui ne soit actif, calculateur, à l’affût des meilleurs opportunités. Expansion de la liberté de choisir = création de la concurrence là où elle n’existe pas Consommateur prévoyant qui se dote de garanties et de choisir de façon rationnelle dans tous les domaines les meilleurs produits et prestataires de services. « privatisation de la vie sociale » « L’espace public est de plus en plus construit sur le modèle du « global shopping center » (P.Drucker) Également l’éducation : « chèques d’éducation » aux USA pour instaurer la concurrence entre écoles. Individu devient « consommateur d’école » La gestion néolibérale de l’entreprise Extension et intensification de la concurrence ont modifié l’organisation du travail et les formes d’emploi de la force du travail → disciplinarisation des salariés, augmentation des inégalités de revenu, discipline de la valeur actionnariale → Chq salarié devient un « centre de profit individuel » Management des ets privés → individualisation des objectifs et récompense sur la base d’évaluations quantitatives (mise en concurrence des salariés entre eux) Gestion personnalisée entraîne la comparaison des résultats et des performances : intériorisation des contraintes et autodiscipline → évaluation est la clé de la nouvelle organisation Autogouvernement de soi n’est pas obtenu uniquement par un discours managérial séducteur mais aussi par la menace du chômage. Le comble de l’autocontrôle est lorsque le salarié doit définir ses objectifs à atteindre et les critères sur lesquels il veut être jugé. La pratique des experts et des administrateurs On observe une « privatisation de la conduite » puisque la vie se présente comme le résultat de « choix individuels » . Mode néolibéral de l’action publique constitue un virage dans la rationalisation bureaucratique, beaucoup plus qu’un désengagement de l’État. »(p316) La troisième voie de la gauche néolibérale porosité de la « gauche moderne » (blairisme) → acceptation de la flexibilité du marché du travail, remise au travail des chômeurs, rejet du keynesianisme = les discours « modernes » « responsables » « réalistes » = acceptation préalable de l’économie du marché, vertus de la concurrence, avantages de la mondialisation des marchés, contraintes de la modernisation financière et technologique. « Politique de la gauche moderne est d’aider les individus à s’aider eux-mêmes, c’est à dire à s’en sortir dans une compétition générale. » (p321) L’État = « un investisseur social » (Giddens) = Abandon des piliers fondamentaux de la « social-démocratie » Dans son application politique le néolibéralisme se nie comme idéologie puisqu’il est la raison même. (p326) Dogmatique néolibérale = Pragmatique générale indifférente → La modernité et l’efficacité ne sont « ni de droite, ni de gauche » Passage de la période militante (Thatcher, Reagan) à la période gestionnaire (bonne gouvernance, bonne pratique, adaptation à la mondialisation)
11- Les origines ordolibérales de la construction européenne
Le concurrentialisme se substitue au libéralisme d’autrefois = idée de base du néolibéralisme contemporain CECA (1951) puis Rome (1957) → premières règles pour éviter de fausser la concurrence Vision de l’UE de Bolestein (Institut Eucken) Défense de quatre libertés : circulation des biens, des personnes, des services, des capitaux
- → flexibilisation des salaires et des prix
- → réforme des retraites pour favoriser l’épargne individuelle
- → promotion de l’esprit d’entreprise
- → défense de l’idéal de civilisation d’une société libre contre le « nihilisme » (p331)
Archéologie des principes du Traité constitutionnel européen
- Le but est d’organiser l’Europe comme « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » (p332)
Deux piliers :
- - concurrence entre activités économiques
- - stabilité des prix garantie par une Banque Centrale Indépendante
Mais également interdiction des dumping des monopoles ou des subventions étatiques
- → « Constitutionnalisation » (p336) de l’économie sociale de marché = intégration dans le droit constitutionnel des principes de concurrence.
- Hégémonie de l’ordolibéralisme en RFA
- peur de l’inflation de 1923
- Création en 1948 d’un Conseil économique auprès des instances d’occupation, dominé par les ordolibéraux et leur dogme de la « concurrence avant tout »
- Lien entre chrétiens et ordolibéraux : principe de subsidiarité = abandon de l’initiative et de la responsabilité à chacun dans les limites du possibles
La construction européenne sous influence L’intégration européenne se fait par la mise en concurrence des systèmes institutionnels au nom du principe de la reconnaissance mutuelle (ex: diplômes) (p343) Vers la mise en concurrence des législations Objectifs ou résultats de la commission : allocation optimale des ressources, baisse des prix, innovation, justice sociale décloisonnement des économies nationales. La Commission dispose du pouvoir exceptionnel d’imposer les « règles du jeu ». (p348) Supériorité du droit de la concurrence sur les considérations sociales et politiques Fidélité quasi parfaite à la doctrine ordolibérale pour les le domaine des services économiques d’intérêt général qui doivent être aussi soumis à la règle concurrentielle (transport, télécommunication, énergie, poste,…) → Désormais les systèmes institutionnels en eux-même (fiscalité, protection sociale, enseignement) = dumping social et fiscal Convergence entre les deux souches du néolibéralisme (allemande et austro-américaine) L’Europe c’est « non plus la fabrication de l’ordre de la concurrence par la législation européenne mais fabriquer la l’ordre de la concurrence par le libre jeu de la concurrence. » (p349)
12-Le gouvernement entrepreneurial
Erreur de Polanyi et de la gauche antilibéral de croire que le retour de l’État = fin de l’utopie libérale. Le néolibéralisme ne cherche pas le recul de l’État et l’élargissement des domaines d’accumulation du capital → il vise la transformation de l’action publique pour la soumettre elle aussi aux règles de la concurrence : reproche de manque d’efficacité et de productivité (p355) = construction de « l’État efficace » ou de l’« État managérial ». → État de plus en plus flexible, fondé sur le marché et orienté vers le consommateur. On pose la question « de la mesure quantifiée de son efficacité comparée à celle d’autres acteurs » (p356) = penser l’exercice du pouvoir gouvernemental selon la rationalité de l’entreprise → Mise en marché de l’institution publique
De la gouvernance d’entreprise à la gouvernance d’État
gouvernance = mot clé de la nouvelle norme néolibérale (p357) → Permet de réunir trois dimensions du pouvoir (État, entreprise, monde). État n’est plus jugé sur sa capacité d’assurer la souveraineté mais sur son respect des normes juridiques et des « bonnes pratiques » économiques de la gouvernance. → « développement croissant de formes multiples de concession d’autorité aux firmes privées, au point que l’on peut parler, dans de multiples domaines, d’une coproduction publique-privée des normes internationales. » = hybridation généralisée de l’action publique « Lorsqu’on parle du poids croissant des organismes nationaux ou internationaux comme le FMI, l’OMC, l’OCDE ou encore la Commission Européenne, on oublie ainsi que les gouvernements qui font mine de se plier passivement aux audits, rapports, injonctions, directives de ces organismes, en sont aussi activement parties prenantes. »(p364) L’État concurrentiel = État partenaire des intérêts oligopolistique (et non arbitre entre intérêts) « La politique que l’on appelle encore « sociale » par inertie sémantique n’a plus pour logique une répartition des gains de productivité destinée à maintenir un niveau de demande suffisant pour les débouchés de la production de masse, elle vise à maximiser l’utilité de la population, en accroissant l’employabilité et la productivité, et à diminuer son coût par des politiques sociales d’un nouveau genre qui consistent à affaiblir le pouvoir de négociation des syndicats, à dégrader le droit du travail, à baisser le coût du travail, à diminuer le montant des retraites et la qualité de la protection sociale au nom de l’« adaptation à la mondialisation » (p366). « Tandis que dans la régulation ancienne des relations sociales il s’agissait de concilier des logiques qui étaient d’emblée considérées comme différentes et divergentes, ce qui impliquait la « recherche du compromis », dans la nouvelle régulation, les termes de l’accord sont fixés d’emblée et une fois pour toutes, puisque de de la performance et de l’efficacité nul ne saurait être l’ennemi. » (p367) → Externalisation du conflit vers une contestation globale de l’État entrepreneurial Gouvernance Mondiale sans gouvernement mondial Le marché mondial = « vaste entrelacs mouvant de coalitions d’entités privées et publiques » (p367) Alimente la thèse postmoderne de la mort de la souveraineté étatique et de l’émergence de nouvelles formes de pouvoir mondial (Hardt et Negri, 2000, Empire) → Déplacement du pouvoir de l’État vers le pouvoir multiple et fragmenté d’agences et d’organes hybrides, mi-publics mi-privés. (p369). N.Klein (La stratégie du choc, p22) : « Le gouvernement agit comme un investisseur de capital-risque à la bourse bien-garnie qui fournit au complexe les fonds d’amorçage dont il a besoin et devient le principal client de ses services » (p369) État devient : une entreprise au service des entreprises Le modèle de l’entreprise Interventionnisme néolibéral : pas corriger les échecs du marché MAIS avantager les plus « aptes » et les plus « forts ». « La compétitivité devient une priorité politique dans le contexte de l’ouverture » (p371) → Le manager qui garantit l’efficience devient le héros des temps nouveaux. Secteur privé vu comme plus réactif, plus souple, plus innovant, techniquement plus efficace car plus spécialisé, moins soumis à des règles statutaires → Grâce à l’effet disciplinaire de la concurrence. Constante rhétorique de la nouvelle droite = mobiliser l’opinion contre les « gaspillages » les « abus » et les « privilèges » (p372) L’hypothèse de l’acteur égoïste et rationnel Restructuration de l’action publique repose sur un postulat : fonctionnaires et usagers sont des agents économiques qui ne répondent qu’à la logique de leur intérêt personnel.(p373) État est alors conçu comme un agent poursuivant ses propres objectifs devant répondre par une offre à des demandes dont la production est comparable à celle des autres agents économiques privés. « Pour s’assurer de l’union de l’intérêt et du devoir [du fonctionnaire], il faut s’attacher à faire du salaire une récompense proportionnée à l’assiduité et à la façon dont le service est rendu. » (p376) Le Public Choice et la nouvelle gestion publique = croyance en « la fin de la bureaucratie ». Elle tendrait à surproduire des services par rapport au besoin réel de la population car pas de concurrence en son sein et les individus rationnels essaient d’obtenir plus de choses de la bureaucratie. Le mouvement du public choice est très hostile à la démocratie formule benthamienne : « The more strictly we are watched, the better we behave » (p381) Rapport hiérarchiques sur le modèle du « principal/agent » fondé sur des choix rationnels : le principal à l’autorité et l’agent doit executer. → La question est comment assurer l’execution par des dispositifs d’incitation et de surveillance. Imposition aux administrations d’un nouveau mode de rationalisation obéissant aux logiques entrepreneuriales : concurrence, outsourcing, audit, régulation par des agences spécialisées, benchmarking… → au nom de l’adaptation de l’État aux réalités du marché et de la mondialisation.(p383). Agents publics doivent rechercher la maximisation des résultats et le respect des attentes des clients Mise en place du triptyque « objectif-évaluation-sanction » La concurrence au cœur de l’action publique Institutionnalisation de la compétition pour répondre au mieux aux finalités attribuées Évaluation des subordonnés = longues chaînes de surveillance et de contrôle de la performance individuelle (p386). Instauration du management de la performance (indicateurs de résultats, gestion des motivations, systèmes d’incitations). Stratégie à double nature : - responsabiliser financièrement l’individu - réguler la demande du consommateur de service public Une politique de gauche Cette réinvention du gouvernement se donne souvent pour une réinvention de la politique de gauche LOLF (2001) → obligation de performance dans la gestion financière de l’État Remplacement d’une logique de moyens par une logique de résultats = réduction du sens de l’action publique et du travail des agents publics. Le marché ne fait pas que « mordre »sur les secteurs associatifs ou étatiques : il est devenu un modèle universellement valable pour penser l’action publique et sociale. Gestion par la performance pose de gros problèmes : fixation des indicateurs, mise en forme des résultats, circulation de l’information entre le haut et le bas (p394) Question → Que veux dire la culture du résultat ? Justice médecine culture éducation, quelles valeurs ? = Remplacement d’un acte de jugement relevant de critères éthiques et politique par une mesure d’efficience supposée neutre idéologiquement (p395) Une technologie de contrôle Croyance dans la vertu d’une évaluation générale et exhaustive capable de rendre compte rationnellement et scientifiquement. L’évaluation est un processus de normalisation qui conduit les individus à s’adapter aux nouveaux critères de performance et de qualité et respecter de nouvelles procédures. Paradoxe : qui évalue les effets de l’évaluation ? « L’intériorisation des normes de performances, l’autosurveillance constante pour se conformer aux indicateurs, la compétition avec les autres, sont les ingrédients de cette « révolution des mentalités » que les « modernisateurs » veulent opérer (p398) Managérialisme et démocratie politique → entraîne un surcroit de centralisation bureaucratique → focalisation obsessionnelle sur les ratios de performance Hyperrationalisation vers la « fabrication de résultats » loin de traduire des améliorations dans le réel. « La méfiance comme principe et la surveillance évaluative comme méthode sont les traits les plus caractéristiques du nouvel art de gouvernement des hommes ». (p400) « Les trois E du management « économie, efficacité, efficience » ont fait disparaître de la logique du pouvoir les catégories du devoir et de la conscience professionnelle » « Le pilotage des administrations, des collectivités locales, des hôpitaux et des écoles par des indicateurs synthétiques de performance, dont les résultats sont largement diffusés par la presse nationale et locale sous la forme de « palmarès », invite le citoyen à ne plus fonder son jugement que sur le seul rapport coût/bénéfice »(p401) → Les citoyens consommateurs ne sont plus appelés à juger les institutions et les politiques selon le point de vue de l’intérêt de la communauté politique, mais en fonction de leur seul intérêt personnel → La définition même du sujet politique s’en trouve radicalement changé (p401)
13 – La fabrique du sujet néolibéral
homme benthamien = homme calculateur et productif L’homme néolibéral est l’homme compétitif intégralement immergé dans la compétition mondiale.(p403). Le sujet pluriel et la séparation des sphères L’homme moderne s’est dédouble : - citoyen doté de droits inaliénables = homme comme fin - homme économique guidé par son intérêt = homme comme outil « L’individu libéral pouvait bien, à l’instar du sujet lockéen propriétaire de lui-même, croire jouir de toutes ses facultés naturelles, de l’exercice libre de sa raison et de sa volonté, il pouvait bien proclamer au monde son irréductible autonomie, il n’en demeurait pas moins le rouage des grands mécanismes que l’économie politique classique avait commencer d’analyser. » Marchandisation expansive matérialisée dans les rapports humains par la contractualisation Sous le contrat il y a un agencement des processus de normalisation et de techniques disciplinaires qui constituent un dispositif d’efficacité. Pourquoi surveiller les sujets et maximiser le pouvoir ? L’intensification des efforts et des résultats, la minimisation des dépenses utiles , telle est la loi de l’efficacité. Fabriquer les hommes utiles, dociles au travail, prompts à la consommation, fabriquer l’homme efficace voilà ce qui se dessine. (p405). → Mais l’utilité n’a pas réussi à absorber toutes les institutions et toutes les sphères Modélisation de la société par l’entreprise Le moment néolibéral se caractérise par une homogénéisation du discours de l’homme autour de la figure de l’entreprise (p408). → Auparavant discours hétérogènes → Création du « sujet néolibéral » ou « néosujet » = gouverner un être dont la subjectivité doit être impliqué dans l’activité qu’il est requis d’accomplir (« facteur humain » dans le néomanagement) L’être désirant devient relais des dispositifs de direction des conduites. Effet recherché : sentiment de travailler pour l’entreprise comme si c’était travailler pour lui-même Nouvelles techniques de « l’entreprise de soi » → prétendent supprimer tout sentiment d’aliénation (p409) La culture d’entreprise et la nouvelle subjectivité Du sujet à l’État en passant par l’entreprise, un même discours permet d’articuler une définition de l’homme à la manière dont il veut « réussir » son existence ainsi qu’à celle dont il doit être « guidé » « incité » « formé » pour accomplir ses « objectifs ».(p409) = gouvernement de soi entrepreneurial → Transformation du travailleur en une simple marchandise Favorisé par l’érosion du droit du travail, insécurité des nouvelles formes d’emploi = peur sociale Grande nouveauté = façonnement par lequel les individus sont rendus aptes à supporter les nouvelles conditions « effet de chaîne » : les « sujets entreprenants » renforcent eux-mêmes les rapports de compétition entre eux → adaptation à des conditions toujours plus dures qu’ils auront eux-mêmes produites Nous ne sommes pas sortis de la cage d’acier (Weber) du capitalisme → désormais chacun construit sa propre cage d’acier individuelle.(p412) Premier commandement de l’éthique de l’entrepreneur « aide toi toi-même » = éthique du « self-help » Innovation de la technologie néolibérale : rattacher directement la manière dont un homme est gouverné à la manière dont il se gouverne lui-même (p414) L’entreprise de soi comme ethos de l’autovalorisation Cela implique la rationalisation du désir = « chacun peut avoir prise sur sa vie. » Travailler sur soi pour maximiser son capital humain On vante « l ‘homme qui se fait soi-même » → L’entreprise devient un ensemble d’entreprises des personnes qui la composent (p415) Toute l’activité de l’individu est considéré comme un processus de valorisation de soi On est entrepreneur de soi dès que l’on se demande quoi faire de sa vie. Chacun doit apprendre à devenir un sujet « actif » et « autonome » et apprendre à déployer des « stratégies de vie ». (p418) Apparition de « conseillers en stratégie de vie » qui aideront à l’« autodiagnostic » type « Moi et mes compétences » « Moi et ma façon d’agir » « Moi et mon scénario de succès ». Les ascèses de la performance et leurs techniques → La réussite de la carrière se confond avec la réussite de la vie Développement des techniques de coaching de soi, visant la « conduite de soi et des autres » « développement de son potentiel personnel » = meilleur moyen d’améliorer la qualité et de mieux satisfaire le client (p422) Le management de l’âme et le management de l’entreprise Tout le poids de la complexité et de la compétition repose sur l’individu Norme générale d’efficacité appliquée à l’entreprise s’adapte désormais à l’individu « Le management est un discours de fer dans des mots de velours » → tout le marché du « développement personnel » (p426) Le risque : une dimension d’existence et un style de vie imposée Le nouveau sujet est regardé comme un propriétaire de capital humain « L’entreprise de soi, c’est une réactivité et une créativité dans un univers où l’on ne sait pas de quoi demain sera fait. » (p427). Opposition des risquophiles (valorisés) face aux risquophobes (peureux) → Développement des services individuels de gestion du risque (assurances privées, mutuelles individualisées) = « individualisation du destin » (p430) Le risque social pris en charge par l’État social lui disparaît. Accountability homme accountable = mise en place de techniques d’audit, de surveillance, d’évaluation pour accroître l’exigence de contrôle de soi L’évaluation est devenue le premier moyen d’orienter les conduites par l’incitation à la performance individuelle (p432) = subjectivation comptable des évalués Individu devient un sujet évaluable = sujet qui se sait dépendre d’un évaluateurs et des outils qu’il emploie, d’autant plus qu’il a lui même été formé à reconnaître par avance et la compétence de l’évaluateur et la validité des outils (p432) Le nouveau dispositif performance/jouissance Puissance de la rationalité néolibérale : forcer les sujets à fonctionner selon les termes du jeu (p434) L’entrepreneur de soi est un être fait pour « réussir » et « gagner ». Les divertissements, le sport etc radicalise la nouvelle norme sociale et montre au mieux l’imaginaire où performance et jouissance sont indissociables. (p435) Il ne s’agit plus comme dans l’ancienne phase du capitalisme de trouver un équilibre utilité/désutilité mais de produire toujours plus et de jouir toujours plus → « plus-de-jouir » systémique (p436) La performance maximale devient le point de visée que chacun doit opérer sur soi (p437). « se transcender », « repousser ses limites » Processus d’ultrasubjectivation : il n’a pas pour fin un état ultime et stable de possession de soi mais un au-delà de soi toujours repoussé. De l’efficacité à la performance Rôle important de la psycho pour le développement de « l’humanisme entrepreneurial » Fusion du discours psy (aspirations individuelles) et du discours économique (objectifs d’excellence de l’entreprise) autour de la norme de la compétition entre entreprises de soi (p441)-→ accord entre le microcosme et le macrocosme (p441) → Grâce au management, au marketing Les cliniques du néosujet La performance devient la vérité, telle que la définit le pouvoir managérial (p443) Symptômes cliniques : point commun → affaiblissement des cadres institutionnels et des structures symboliques dans lesquelles les sujets trouvaient leur place et leur identité. → Souffrance au travail et autonomie contrariée Individualisation de la responsabilité individuelle dans le remplissage des objectifs, affaiblissement des collectifs, incertitude, brutalité de la compétition = Stress, harcèlement au travail, multiplication des suicides Le sujet est d’autant plus vulnérable que le management a exigé de lui un engagement total de sa subjectivité (p444) Impossibilité du conflit ouvert et collectif : le pouvoir est invisible → Érosion de la personnalité organisation flexible : érode la stabilité autour de l’individu (liens aux autres, valeurs, repères) → Le temps long n’existe pas (p444). Instabilité des projets, des missions, des équipes Impacte la vie privée, , l’organisation familiale, la représentation de soi « Tout est toujours à recommencer » → usure professionnelle accélérée, chaos relationnel et psychique → La démoralisation Autocontrôle et normalisation réduit les engagements des sujets les uns envers les autres (p445) Remise en question des générosités, des fidélités, des loyautés, des solidarités, de toute la réciprocité sociale. La principale qualité est la mobilité et en même temps tout est fait pour exalter « l’esprit d’équipe » Le « self-help » est destructeur de lien social. Comment faire tenir ensemble des sujets qui ne doivent rien à personne : « Sans doute la méfiance, voir la haine, envers les mauvais pauvres, les paresseux, les vieux à charge et les immigrés à ses effets de colle sociale » (p446) → La dépression généralisée Ehrenberg : le culte de la performance conduit le plus grand nombre à faire l’épreuve de son insuffisance et à produire des formes dépressives à grande échelle. Dépression = réponse du sujet à l’injonction de se réaliser et d’être responsable de soi de se dépasser toujours plus haut = Pathologie de l’insuffisance (p447) Discours de « réalisation de soi » et de « réussir sa vie » → stigmatisation des paumés, des ratés, des gens malheureux Si l’entreprise devient une forme de vie → conduit à la fatigue d’être soi → La désymbolisation Le néosujet est en état d’apesanteur symbolique → aucun principe éthique, aucun interdit ne tient plus face à l’exaltation d’un choix infini La structure symbolique fait l’objet d’une instrumentalisation par la logique économique capitaliste : l’identité est devenu un produit consommable. Produit chez le sujet : « fantasme de toute puissance sur les choses et sur les êtres » (p449) « Avec la défaillance des instances religieuses et politiques , il n’y a plus dans le social d’autres références communes que la marché et les promesses. » Création d’un monde de toute puissance dans lequel est happé le sujet sans-limite → psychose de masse avec ses bords psycho et parano → La perversion ordinaire Plus l’être humain est engagé dans cette addiction aux objets marchands, plus il tend lui-même à devenir un objet qui ne vaut que parce qu’il produit dans le champ économique , un objet qui sera mis au rebut lorsqu’il aura perdu sa performance (p451) Subjectivation néolibérale produit de l’objectalisation → « ne plus pouvoir accorder à l’autre et à soi-même en tant qu’autre, que sa valeur de jouissance, c’est à dire sa capacité à rendre un plus. → Le vaincu souffre de ses insuffisances → le vainqueur fait souffrir les autres comme autant d’objets sur lesquels il assure son emprise Perversion = consommer les autres comme des objets que l’on jette lorsqu’on les estime insuffisant = nouvelle norme sociale → « Économie organisée par l’exhibition de la jouissance » La jouissance de soi du néosujet Discours social de valorisation à outrance de l’individu autoconstruit = mythe social du fonctionnement du néosujet (p452) → Chacun est le maître ou croit l’être Le travail n’est pas une peine : il est jouissance de soi par la performance qu’il faut réaliser → Il l’y a pas de perte puisque c’est pour soi qu’on travaille. Imaginaire de la néocondition subjective : Être son propre travailleur et son propre actionnaire, performer sans limites et jouir sans entrave des fruits de son accumulation. L’illimitation de la jouissance de soi est dans l’ordre de l’imaginaire l’exact envers de la désymbolisation Le gouvernement du sujet néolibéral Néosujet doit se faire double - maître de performance que l’on admire - objet de jouissance que l’on jette Mais ce n’est pas de la jouissance anarchique → ce serait oublier la face sombre de la normativité néolibérale = surveillance de plus en plus dense de l’espace public et privé, traçabilité de plus en plus précise des mouvements, évaluation mesquine de l’activité des individus, systèmes fusionnés d’information et de publicité. (p454) Impératif gouvernemental : Comment éviter que cette injonction au dépassement illimité de soi ne dérive pas vers des comportements trop violents et trop ouvertement délictueux. Comment maintenir un ordre public quand il faut pousser à la jouissance tout en évitant le déchainement de la démesure = Le management social de la performance (p456)
Conclusion
- L’épuisement de la démocratie libérale
Quatre traits de la raison néolibérale :
- - Le marché est une réalité construite par l’intervention de l’État et un système de droit spécifique. Le discours néolibéral assume ce projet constructiviste
- - L’essence de l’ordre du marché n’est pas l’échange mais la concurrence.
- - L’État est lui-même soumis dans sa propre action à l’ordre de la concurrence
- - Universalisation de la norme de la concurrence dépasse largement les frontières de l’État. Elle touche jusqu’aux individus dans leur rapport à eux-mêmes (l’individu-entreprise) (p458-457)
Une rationalité a-démocratique Dilution du droit public dans le droit privé, Conformation de l’action publique aux critères de rentabilité, renforcement de l’ exécutif, valorisation de la procédure, tendance des pouvoirs de police à s’affranchir de tout contrôle judiciaire, promotion du citoyen-consommateur → épuisement de la démocratie comme norme politique. La figure du citoyen investi d’une responsabilité immédiatement collective s’efface peu à peu de la scène pour laisser la place à l’homme entrepreneurial (p461) Érosion des droits sociaux du citoyen ouvre la voie à une remise en question générale des fondements de la citoyenneté comme telle. « La valeur suprême est donc bien la liberté individuelle, comprise comme faculté laissée aux individus de se créer pour eux-mêmes un domaine protégé (leur propriété) et non la liberté politique comme participation directe des hommes aux choix de leurs dirigeants. «(p464) → Le néolibéralisme est antidémocratique car il ne veut dans la démocratie qu’un système technique de désignation des gouvernants (p464) Un dispositif de nature stratégique Fait essentiel : le néolibéralisme est devenu la rationalité dominante Inventer une autre gouvernementalité La gauche ne peut se rabattre à l’unique défense de la démocratie libérale Foucault a montré qu’il n’a jamais existé de « gouvernementalité socialiste autonome » (p471) → Le socialisme a toujours été branché sur d’autres gouvernementalités → IL FAUT DONC L’INVENTER (Foucault) « L’idéal serait que les lois politiques acquièrent la même inflexibilité et la même immutabilité que les lois de la nature, en sorte qu’il soit impossible aux hommes de leur désobéir, la dépendance à l’égard des lois s’identifiant alors purement et simplement à la dépendance à l’égard des choses » (Rousseau) (p472) Les contre-conduites comme pratique de subjectivation On oppose volontiers la « mauvaise » rationalité de la concurrence et la « bonne » rationalité de la gouvernance étatique → On néglige alors que la rationalité du capitalisme néolibéral n’est pas une rationalité purement économique. La question centrale : Comment sortir de la rationalité néolibérale ? → Il est plus facile de s’évader d’une prison que de sortir d’une rationalité puisque cela revient à s’affranchir de tout un système de normes mis en place moyennant tout un travail d’intériorisation. (p475) Seule voie praticable : promouvoir des formes de subjectivation alternative au modèle de l’entreprise de soi → Il faut se déprendre de l’illusion que le sujet alternatif serait « déjà-là » et qu’il faut le stimuler Il faut opérer un double refus : refus de se conduire vis-à-vis de soi même comme entreprise de soi et refus de se conduire vis-à-vis des autres selon la norme de la concurrence (p480) → L’essentiel est de comprendre que rien ne saurait nous émanciper de la tâche de promouvoir une autre rationalité (p481) « Cette raison alternative, on ne saurait mieux la désigner que par ce nom : la raison du commun » (p481)