Le théâtre : texte et représentation/Qu'est-ce que le classicisme ?
Contextes historique et esthétique
modifierLe contexte politique
modifierLe classicisme coïncide avec le règne personnel de Louis XIV (1661-1715), règne fort, règne d'ordre. A la mort de Mazarin, qui assurait la régence pendant son enfance, le « Roi Soleil », qui n'a que 23 ans en 1661, affaiblit les nobles et les ministres pour concentrer entre ses mains tous les pouvoirs ; c'est le principe de l'absolutisme. Le règne de Louis XIV est caractérisé par une économie prospère, grâce à l'action du ministre Colbert dans l'industrie, l'agriculture et les transports. Par ailleurs, de nombreuses guerres victorieuses permettent au roi Soleil d'agrandir le territoire français (Flandre et Franche Comté).
Le contexte religieux
modifierLe XVIe siècle a été agité par des guerres de religion sanglantes, opposant catholiques et protestants. L'édit de Nantes, proclamé par Henri IV en 1598, a apaisé les tensions en accordant aux protestants le droit de pratiquer leur culte sur le territoire français. Pour Louis XIV, cependant, le protestantisme rompt l'unité nationale. Sous le règne de Louis XIV, les protestants sont donc sévèrement persécutés, avant d'être poussés à l'exil par la révocation de l'édit de Nantes en 1685.
Une autre division religieuse, interne au catholicisme, cette fois, agite la seconde moitié du XVIIe siècle : l'opposition entre les jésuites et les jansenistes. Le débat qui les agite concerne la question de la grâce (la décision divine selon laquelle l'homme, à sa mort, est sauvé, allant au paradis, ou damné, c’e condamné à l'enfer). Le pape et le pouvoir royal prennent parti pour les jésuites et l'abbaye de religieuses de Port-Royal, foyer du jansenisme, est persécutée avant d'être détruite en 1710. Il s'agit, pour le pouvoir royal, de contrôler également les pratiques religieuses des sujets du royaume.
Le contexte littéraire
modifierLe contexte agité des guerres de religion et des grandes découvertes (découverte de l'Amérique, découverte de l'héliocentrisme notamment) qui a animé le XVIe siècle a souligné l'instabilité des connaissances et donné naissance à l'esthétique baroque. Celle-ci se caractérise par un goût pour les ornements, le trompe-l'œil et par une réflexion sur les jeux d'illusion. Le classicisme se construit en réaction à cette esthétique du désordre. Les artistes peinent à vivre du fruit de leurs cuvres ; aussi cherchent-ils la protection de nobles influents, qui leur offrent des lieux de création et assurent la diffusion de leur quvre. Le roi, en particulier, encourage la production littéraire qui assure le rayonnement culturel de la France à l'étranger. Molière, Racine, La Fontaine, Lully, Mansart, Le Nôtre ou Vauban bénéficient de son soutien. C'est aussi dans cette optique de contrôle et de rayonnement qu'est fondée la Comédie-Française en 1680.
Le classicisme, un mouvement culturel du XVIIe siècle
modifierRappels
modifierUn mouvement littéraire est un groupe d'écrivains qui, à une période donnée, partagent une même vision du monde et une même vision de l'art. Lorsque des écrivains décident de fonder un courant, ils posent leurs principes dans des textes théoriques (manifestes, arts poétiques, préfaces). Il arrive aussi que l'on définisse un courant littéraire a posteriori, en repérant des thèmes récurrents et des esthétiques communes à des écrivains d'une même époque ; c'est le cas pour le classicisme, qui n'a été défini comme tel qu'au XIXe siècle. Un mouvement culturel concerne divers domaines : le classicisme est une esthétique à l'œuvre dans la littérature, la peinture, l'architecture ou encore l'art des jardins. Courants littéraires et culturels peuvent caractériser plusieurs pays. Le romantisme, par exemple, est une esthétique que l'on retrouve en Allemagne, en Angleterre et en France au début du XIXe siècle. Le classicisme est un courant typiquement français.
Définition
modifierLe classicisme est un courant culturel de la seconde moitié du XVIIe siècle et plus particulièrement des années 1661 à 1685, qui rassemble des artistes pour lesquels le monde est ordonné et cohérent. La raison, c'est-à-dire l'intelligence, doit permettre à l'« honnête homme » de contrôler ses passions et de discerner le vrai du faux. Ordre, clarté et simplicité sont donc les maîtres mots des classiques, qui s'inspirent beaucoup en cela de l'Antiquité grecque et latine. Le goût pour la régularité, la symétrie incite alors les artistes classiques à se plier à de nombreuses règles.
Spécificités du classicisme
modifierLa toute-puissance de la raison
modifierEn 1637, le philosophe René Descartes publie le Discours de la méthode, auvre dans laquelle il essaie d'établir une méthode permettant d'accéder à la connaissance. Afin de se débarrasser de tout préjugé, il convient selon lui de faire « table rase », c'est-à-dire de remettre en question tout ce qui nous semble vrai. Au terme de ce travail, il se rend pourtant compte qu'une chose ne peut être mise en doute, c'est le fait même de penser, car pour nier, il faut être capable de réfléchir. Il aboutit donc à son célèbre « Je pense, donc je suis », qui fait de la raison la qualité principale de l'homme. Pascal, un autre philosophe du XVIIe siècle, loue lui aussi les vertus de la raison qui éclaire l'homme et le mène à la vérité, par opposition à l'imagination, « cette maîtresse d'erreur et de fausseté ».
Les règles
modifierPuisque les æuvres se veulent « rationnelles », les impératifs de clarté et de cohérence s'imposent et incitent les auteurs à se plier à des règles exigeantes, énoncées par Boileau dans son « Art poétique ». « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement », selon Boileau. En poésie, la clarté du propos est assurée par l'usage de vers réguliers, longs et pairs (alexandrins, décasyllabes, octosyllabes), qui doivent comporter une césure à l'hémistiche (coupure au milieu du vers). Les enjambements sont proscrits, tout comme les provincialismes ou les archaïsmes, qui nuisent à la simplicité de la forme. Seul La Fontaine se permet une certaine liberté en maniant le vers libre. Au théâtre, les auteurs se soumettent à la règle des trois unités. En architecture, symétrie et proportions harmonieuses sont de rigueur.
L'imitation des Anciens
modifierLes règles du théâtre classique sont inspirées de la Poétique d’Aristote. Cet essai théorique, composé au IVe siècle avant J.-C., analyse les grandes tragédies grecques d’Eschyle, Sophocle et Euripide (Ve siècle avant J.-C.) afin les grands principes de la composition dramatique. Racine, le grand tragedien classique, s'inspire directement de ces pièces et met en scène des personnages de la mythologie grecque dans Andromaque, Phèdre ou encore Iphigénie. Quant à La Fontaine, il remanie les fables d'Esope, un écrivain grec du VIe siècle avant J.-C. Les classiques considèrent en effet que la perfection artistique a été atteinte par les Anciens, et que la création doit d'abord passer par l'imitation. Cette conception est remise en cause à la fin du XVIIe siècle et donne lieu à une violente querelle littéraire : la querelle des Anciens et des Modernes. Alors que Boileau, La Bruyère et La Fontaine défendent l'imitation des Anciens, les Modernes, à la tête desquels se trouve Charles Perrault, considèrent au contraire que l'art peut progresser et qu'il faut améliorer les formes anciennes mais aussi innover, inventer de nouvelles formes. Cette querelle annonce la fin de l'hégémonie classique.
La morale
modifierL'art classique se donne un double objectif : instruire et plaire. Il faut « mêler l'utile à l'agréable », l'art a donc une fonction morale et didactique. Les Fables de La Fontaine, les Caractères de La Bruyère ou les Maximes de La Rochefoucauld répondent à ce double impératif : à travers des histoires amusantes, des descriptions satiriques ou des traits d'esprit, ils séduisent les lecteurs par leurs formes courtes tout en tirant une leçon morale. Le genre théâtral, en revanche, est particulièrement attaqué par l'Église qui l'accuse de mettre en scène des personnages incitant au vice. Molière, dont plusieurs pièces tombent sous le coup de la censure, reprend l'idée d'une catharsis, c'est-à-dire d'une purgation des passions qui serait à l'œuvre lors de la représentation théâtrale : en observant les défauts des personnages, en vivant par procuration leurs émotions extrêmes, les spectateurs sont purgés de ces vices et deviennent meilleurs.
L'idéal de l'honnête homme
modifierLa raison doit aussi permettre à l'homme de dominer ses émotions et de ne pas céder aux passions (sentiments excessifs). Elle est une qualité essentielle de l'honnête homme, dont la conversation est spirituelle sans être ennuyeuse, un homme naturel et simple, qui s'intéresse à tout et respecte ses interlocuteurs, tolérant et cultivé. Sa qualité première est donc d'avoir le sens de la mesure.
L'étude psychologique
modifierL'honnête homme a pour vertu principale la tempérance, c'est-à-dire la modération. Les passions intéressent toutefois tout autant les écrivains classiques, qui cherchent à en décrire les méfaits sur l'homme. Racine ou Molières explorent les passions qui dévorent l'homme : Phèdre est folle d'amour pour Hippolyte quand Tartuffe est animé par une ambition qui le pousse à l'hypocrisie la plus vile. L'analyse psychologique est également très fine dans les romans de Mme de Lafayette, en particulier La princesse de Clèves, que l'on qualifie pour cette raison de « roman d'analyse ».