Le travail et la technique/Conséquences éthiques du développement technique

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Conséquences éthiques du développement technique
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Chapitre no 5
Leçon : Le travail et la technique
Chap. préc. :Logique du développement technique
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Bilan sur les risques liés au développement technique modifier

Alors que la morale des principes universels que chaque individu doit suivre pour agir en tant qu'humain, l'éthique est d’abord une réflexion sur l'état présent des mœurs dans une société, et tente de les établir en les adaptant aux modifications de notre manière de vivre, engendrée par la technique. Des exemples de questions éthiques : Un embryon est-il une personne ? À partir de quand ?

Ici, nous voulons évaluer du point de vue éthique les conséquences générales du développement technique, en évitant les jugements trop tranchés, car les progrès apparaissent toujours ambivalents, comme dans le mythe d'Icare que Platon montre dans son Ménon. Dans ce mythe, la technique est montrée comme libératrice mais aussi mortelle. On doit donc distinguer la technique et l'usage que nous en faisons. Cependant, on doit rappeler que le développement technique est imprévisible et autonome; il faut donc comprendre que les objets techniques sont simplement des moyens pour atteindre un but, mais imposent des finalités en révélant des applications insoupçonnées et deviennent des finalités en eux-mêmes. En étant autonome, le développement technique nous impose donc ses propres valeurs, un mode de vie : en nous libérant des nécessités de la vie, la technique nous soumet à son propre développement, elle n'est donc pas neutre.

Au delà de cette ambivalence, la technique comporte différents risques :

  • Le plus évident est celui lié à la puissance qu'elle permet : C'est à partir de 1914 que l’Homo faber réalise vraiment quels pouvoir de destructions il détient : Entre 1805 et 1815, les guerres napoléoniennes ont fait 2,5 millions de morts. Alors qu'en seulement quatre ans (1914-1918) la première guerre mondiale en fait 9 millions, la seconde 62 millions... Désormais, à cause de cette puissance, les destructions possibles sont à l'échelle de la planète entière. Comme le dit Michel Serres dans Le Contrat Naturel : « non seulement la nouvelle nature est comme telle, globale, mais elle réagit globalement à nos actions locales. » Nous sommes à un moment essentiel de l'Histoire Humaine : pour la première fois, l'avenir du monde dépend réellement de nos propres choix.
  • Il existe un risque lié à l'efficacité de la technique : le succès de la technique, son développement continu, notre inquiétude face à l'avenir et notre aversion naturelle pour le travail tendent à nous faire penser que tout peut se résoudre de manière technique. Un nouvel état d'esprit apparaît : la logique technicienne, celle de l’Homo Faber, doit être élargie à tous les domaines, même ceux qui concernent l'humain. Nous sommes prêts à une mécanisation de notre existence : même la politique n’est pas épargnée par le souci de rentabilité. Apparaissent alors dans nos sociétés des technocraties, des états où l'exercice du pouvoir est finalement remis à des experts à cause de leurs compétences techniques.

Différentes solutions modifier

À l'évidence, la solution qui consisterait à faire machine arrière semble impossible pour plusieurs raisons. Premièrement nous avons vu que le développement technique est une réaction en chaîne de problèmes et de solutions. Non seulement nous ne serions plus capables de répondre aux besoins vitaux qui existent aujourd'hui, mais nous ne serions aussi dans l'impossibilité de résoudre les nouvelles difficultés entraînées par la technique elle-même (pollution, épuisement des ressources...) Deuxièmement, seul un régime totalitaire pourrait imposer aux hommes de renoncer à leur propre nature, à cette liberté de toujours inventer et de désirer la nouveauté : pour retrouver la nature, il faudrait faire disparaître l'esprit humain.

Ce n’est pas pour autant qu’il faudrait adopter la solution inverse et parier sur le développement technique en supposant qu’il sera assez efficace pour pallier aux périls qu’il produit lui-même. Comme le croyait Descartes, en nous permettant de toujours faire bien, c'est-à-dire efficacement, le progrès ne pourra aboutir qu’à nous donner la capacité de toujours faire le bien. Cela est peut-être possible mais reste un horizon idéal. En attendant, nous voyons que plus la technique se développe et plus les dangers se multiplient et se globalisent.

Quelles solutions reste-t-il alors ? Pouvons-nous croire que la solution politique et juridique envisagée aujourd’hui suffise ? La création des comités d'éthique réfléchissant sur de nouvelles normes et les soumettant au pouvoir politique semble nécessaire. Cependant, cette réponse législative reste encore locale alors que le problème est global. Si ce qui est régulé ou interdit dans un pays ne l'est pas dans d'autres, les problèmes posés par la technique restent des dangers et demeurent identiques.

Il est donc nécessaire, avant d'envisager toute solution concrète, de revenir à ce qui chez l'humain est à l'origine de tous les grands changements et tous les grands bouleversements de son histoire, à savoir les idées. Contrairement à ce que l’on croit, justement à cause de notre logique technicienne, ce sont les idées qui changent le monde. Si les sociétés humaines ont connu de telles révolutions au XVIIIe siècle c’est parce que de nouvelles idées, comme celle d'une égalité entre les humains, sont devenues évidentes. Alors que le XVIIIe siècle fut un tournant de l'histoire humaine à cause d'une nouvelle conception de la relation entre les hommes, le XXIe siècle devra être un nouveau changement de cap de cette histoire à partir d'une nouvelle conception de la relation entre la nature et l'homme.

Comment résumer cette nouvelle idée qui doit devenir une évidence pour chacun ? Il faut abandonner la perspective du projet cartésien, et nous rappeler la perspicacité d'Aristote : inspirons-nous de la nature elle-même. Jusqu'à présent par la technique l'humain maîtrise toujours mieux la nature pour en tirer profit, il ne s'adapte donc plus à elle, mais y vit comme un parasite. Or, comme tout parasite, il se met lui-même en danger par ses excès : il va disparaître en détruisant son hôte. Aussi, il est nécessaire d'adopter une solution que la nature elle-même a déjà envisagée depuis longtemps : la symbiose. À l'image, par exemple, des fourmis qui colonisent certains acacias et leur apportent un entretien, « rétribué » par la présence d'un abri. Nous devons désormais établir un rapport d'échange mutuel avec la nature, et notre propre technique nous en donne les moyens. L'alternative historique est simple : la mort ou la symbiose.

L'efficacité technique nous donne l'illusion d'une maîtrise, or nous ne maîtrisons pas notre maîtrise sur la nature. Nous la soumettons peut-être, mais nous nous laissons asservir par le développement technique, nous ne le dirigeons pas et nous nous en remettons entièrement à lui. Il est temps de retrouver le sens du mot sagesse au sens socratique, et de nous rappeler, pour reprendre la jolie formule de Saint-Exupéry, que nous n'héritons pas la Terre de nos parents, mais que nous l'empruntons à nos enfants.