Littérature de jeunesse en anglais : Eleanor Fortescue-Brickdale, Le conte de Fleur et Blanchefleur/La sentence




L'Amiral, furieux, s'écria : « Donnez-moi mon épée que je l'utilise contre cette fausse Clarissa puisque la vraie se trouve en face de moi ! » Il se dirigea avec son chambellan vers la chambre de Blanchefleur. Il releva les épaisses courtines de soie, la lumière du soleil envahit le lit éclairant le couple endormi. Fleur était si beau qu'en dépit de sa colère, l'Amiral se demanda lui-aussi s'il ne s'agissait pas d'une jeune fille ; il leva son épée, prêt à les frapper d'un même coup, quand, soudain, ils se réveillèrent et, en le voyant, l'épée dressée, ils fondirent en larmes, bien conscients qu'ils méritaient la mort.
« Mécréant ! » hurla l'Amiral, « Qui êtes-vous ? Comment avez-vous osé pénétrer dans ma Tour ! Vous méritez la mort ! »
« Ayez pitié messire, de nous deux, car Blanchefleur et moi sommes amoureux depuis notre enfance d'un amour véritable et tendre comme il n'en existe nulle part au monde ! »
Le chambellan s'empressa et supplia son maître de les épargner car ils avaient droit à un juste procès pour leur délit.
L'Amiral consentit à ce sursis, mais, de peur qu'ils ne s'enfuient, il ordonna de les attacher avec des cordes jusqu'à ce que les seigneurs aient rendu leur verdict.

En effet, comme le festival nuptial annuel était imminent, les grands seigneurs du royaume, rois, ducs, comtes et barons étaient déjà rassemblés à Babylone et se rendirent immédiatement à la convocation de l'Amiral dans le salon prestigieux dont la splendeur surpassait celui de Priam, le roi de Troie, par sa taille d'un mille carré et par ses piliers en cristal soutenant son dôme élevé. L'Amiral prit place sur son trône, entouré de ses seigneurs, commanda le silence et prit la parole en ces termes :
«  Mes seigneurs, prêtez-moi attention car vous allez devoir rendre une sentence pour ces deux prisonniers dont les résultats rejailliront sur mon honneur et le vôtre. Admirez cette Blanchefleur, que j'ai achetée trois fois son poids en or pour la faire mienne et l'épouser le jour du festival nuptial ; jusqu'à ce jour, afin que mes yeux se réjouissent de sa beauté, je l'ai installée dans la Tour des Vierges et chargée, avec sa compagne Clarissa, d'être à mon service matin et soir pour la serviette de lin et l'eau du bol d'or. Mais cela faisait à peine quatre mois qu'elle était à mon service dans ma Tour, qu'elle m'a trahi pour un autre que j'ai failli exécuter à bon droit dans un élan d'indignation. Alors maintenant, c'est à vous de prendre une décision juste et inflexible à l'encontre de ces criminels.

Répondant à l'appel de leur Roi-Amiral, les seigneurs décidèrent de condamner à mort les prisonniers mais sans être d'accord sur le mode d'exécution de la sentence. Les uns préconisaient la pendaison, d'autres la corde de l'arc, tandis que d'autres étaient partisans que les coupables soient écartelés par des chevaux sauvages ; la plupart étaient pour le bûcher ou la noyade avec une énorme pierre autour du cou : mais tous étaient d'accord sur la finalité, la mort pour ce couple coupable.
Puis un roi du nom d'Aliers se leva et prit la parole : « C'est une honte et une disgrâce d'entendre dans une cour royale un tel brouhaha de voix proférant des opinions aussi divergentes. Ayez l'obligeance messieurs de déléguer l'un d'entre vous pour exprimer l'opinion générale. De plus, maintenant que nous avons entendu l'accusation prononcée par son Altesse, il serait juste d'écouter la défense des prisonniers. »
« Il n'en saurait être question, s'écria le roi d'Arabie, Basier, pas question mes seigneurs. Si ces prisonniers ont trahi notre Amiral, ils n'ont pas à être entendus, pareils à des voleurs pris sur le fait qui doivent être amputés d'une main sans autre forme de procès. »

L'Amiral ordonna que les prisonniers soient amenés ; tous deux se regardaient avec désespoir, tendresse et pitié.
« Sire, dit Fleur à l'Amiral, je suis coupable et prêt à mourir, mais épargnez Blanchefleur car elle est innocente : j'ai pénétré dans votre Tour sans qu'elle en soit informée. »
«  Sire, s'écria Blanchefleur, c'est moi la coupable car, si je n'avais pas été dans votre Tour, Fleur n'aurait jamais essayé d'y pénétrer. De plus, ce serait une honte de condamner à mort un fils de roi pour moi qui ne suis que la fille d'une dame de compagnie. »
« Oh non, sire, il n'en est pas question, c'est à moi de mourir, que Blanchefleur vive ! »
« Suffit ! s'écria l'Amiral, je vous tuerai tous deux de ma propre main. » Et ce disant, il s'élança sur les prisonniers, l'épée en avant, mais Blanchefleur s'interposa et offrit son cou à la lame. Mais elle fut tirée en arrière par Fleur, qui, indigné et en pleurs, s’exclama :
« Comment ! Honte à moi ! Souffrirai-je qu'une femme meure pour moi, un homme, sous les yeux de cette noble assemblée ? » Et il tendit à son tour son cou à la lame ; mais Blanchefleur le tira également par ses vêtements et se précipita en avant, tendant son propre cou. C'est ainsi que les amoureux luttèrent l'un contre l'autre, chacun essayant de mourir à la place de l'autre. Envahis par la pitié, les seigneurs se mirent à pleurer et même l'Amiral, fléchi par ce spectacle, laissa tomber son épée à terre.

C'est le moment que mit à profit un Duc qui, au nom de tous les seigneurs présents, adressa une fervente requête en faveur de la grâce pour la vie des prisonniers.
« Il me semble qu'en ce qui concerne la sécurité et l'honneur de notre Amiral, il vaudrait mieux épargner les prisonniers dont la mort ne lui rapportera rien. Au contraire, s'il les libère à condition que Fleur révèle par quelle ruse il a pu pénétrer dans la Tour, son Altesse pourra découvrir les vrais coupables parmi ses serviteurs infidèles.
L'Amiral, constatant que ses seigneurs étaient partisans de la clémence, accepta la proposition du Duc et accorda la vie sauve aux captifs à conditions que Fleur révèle comment il avait pénétré dans la Tour.
« Je ne pourrai le faire Sire, qu'à condition que vous laissiez la vie sauve à ceux qui m'ont aidé. »
« Ah non, s'écria l'Amiral furieux à l'idée de devoir encore accorder des grâces. Ils mourront, chacun d'entre eux."

C'est alors que se présenta un Évêque qui, se précipitant aux pieds de l'Amiral, le supplia d'accorder sa clémence à toutes les personnes concernées, car, ajouta l'Évêque, « cela ferait d'autant plus plaisir à l'assemblée ici-présente d'entendre les prisonniers raconter leur histoire plutôt que d'assister à leur mort. »
Ces paroles de l'Évêque reçurent l'approbation de tous les seigneurs qui, d'un commun accord, demandèrent au Roi-Amiral de pardonner à ses prisonniers pour donner satisfaction à ses fidèles sujets. Et l'Amiral accepta d'accorder cette faveur à ses seigneurs, pardonna aux amoureux et à ceux qui les avaient aidés. Fleur se releva et leur conta l'histoire douce et touchante de Blanchefleur et lui-même en entier, depuis le temps de leur naissance jusqu'au moment de leurs retrouvailles dans la Tour. À la fin de son récit, Fleur s'agenouilla devant l'Amiral et le remercia en pleurant de lui avoir remis sa Blanchefleur pour qui il avait réalisé tant de prouesses et souffert tant de douleurs. Car sans elle, la vie lui était insupportable, et sans lui, elle trouvait aussi la vie insupportable.
Alors l'Amiral prit Fleur par la main et, l'embrassant, lui demanda de s'asseoir à ses côtés comme le doit être un fils de roi ; puis prenant Blanchefleur par la main, son Altesse dit à Fleur : « Mon ami, je vous donne et vous accorde en mariage la jeune Blanchefleur et le pardon pour toutes les offenses que vous avez pu commettre contre mon pouvoir et ma majesté. »
Submergés de joie et de gratitude, les amoureux se jetèrent aux pieds de leur bienfaiteur qui se leva et les embrassa, puis consacra Fleur chevalier, à la mode de son pays.