Métaphysique/Critères
Critères logiques de construction d’une métaphysique
modifierDans sa métaphysique Aristote a longtemps cherché l’origine du mouvement. Dans ses dix catégories générales (Top I, 9) seules les deux dernières : l’action et la passion, désignent des verbes autres que des verbes d’état. Mais il a bien vu qu’une catégorie, c’est-à-dire un concept ne pouvait pas créer de changement, pas plus qu’un système tautologique. C’était un casse-tête, même en déplaçant le problème du présent aux origines et en cherchant vainement la tautologie miraculeuse, en fait fumeuse, du moteur immobile qui ne pouvait satisfaire pleinement son esprit logique. La métaphysique chinoise ne s’embarrasse pas de logique, elle puise dans la beauté de la nature qui l’entoure les significations intuitives dont l’harmonie peut entraîner l’adhésion de la pensée. Aussi elle affirme un moteur immobile constitué du ciel et de la terre, qui ne crée pas seulement du changement mais engendre trois fils et trois filles dont deux sont immobiles : l’ordre de la montagne, la paix du lac, et quatre mobiles, chacun à sa manière : l’eau qui s’écoule, le tonnerre qui rompt, le bois qui pousse, le feu qui révèle. Un ensemble élégant de principes impersonnels dont les interactions et les combinaisons peuvent paraître refléter les situations multiples auxquelles les hommes sont confrontés. Pour la cabale, la métaphysique mystique juive, bonne mystique, mais pauvre logique, qui naît au Proche-Orient entre le IIIe et Ve siècle, la pensée s’oriente vers une théorisation du chaotique, dont la formulation s’est développée en Espagne au XIIIe siècle. Pour simplifier, le chaotique crée un dieu qui crée un monde, le nôtre. C’est une absurdité car le chaotique n’a d’autre puissance que lui-même. Pour donner un semblant de logique à leurs spéculations (ils connaissaient les Grecs), les cabalistes ont noyé le poisson dans une complexité d’explications paradoxales tordues dans lesquelles l’esprit se perd. C’étaient des mystiques gouvernés par 9, pas des logiciens, on peut les comprendre. Mais il faut le reconnaître, ils avaient bien cerné le chaotique et le rôle qu’il devait jouer dans la construction d’une métaphysique. Car si un système tautologique aristotélicien ne peut pas créer de mouvement de lui-même, il le peut pourtant en interdisant par la contradiction les possibles d’un universel chaotique qui les contient tous, à conditions qu’ils coexistent ensemble. Ils sont nécessairement deux. Le chaotique n’est que l’ultime possible du champ des possibles de la logique, les contenant tous dans l’indifférenciation et l’indistinction, à la fois inertes et opératifs, leurs inverses et leurs contraires. Il ne peut détruire son compagnon puisqu’il le contient pas plus qu’il ne peut se soustraire à lui, s’il est consistant. Le système formel est constitué de tautologies et leurs doubles négations. Ce sont ces dernières qui sont opératives en niant des possibles. L’interaction, ou si l’on veut l’intersection des deux, en supprimant la plus grande partie des possibles du premier tout en préservant une parcelle de son dynamisme, peut créer un monde doté de mouvements cohérents, non seulement dans le champ des possibles mais dans celui du réel. Car le réel devient une certitude logique quand le champ des possibles se réduit à un seul possible. Le réel n’est rien d’autre, et pourquoi pas notre monde. Concevoir notre monde baignant dans un chaotique est aisé, la présence d’un système tautologique additionnel organisant un agencement local l’est moins, mais pas moins qu’un multivers. Une métaphysique n’a pas pour but de démontrer l’indémontrable, mais de proposer un possible acceptable pour la pensée, à condition de respecter un minimum de critères logiques afin d’éviter les pires absurdités.