Méthodologie de la fiche d'arrêt/La saisine du juge administratif

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La saisine du juge administratif constitue le point de départ du contentieux. De ce point de vue-là, la saisine est l’action qu’accomplit un requérant lorsqu’il demande au juge administratif de trancher un litige dans lequel il estime que ses droits ont été violés. Mais la notion de saisine peut aussi être appréhendée comme un droit. En ce sens, elle constitue un rempart à la confusion de pouvoirs et une garantie contre l’arbitraire, lesquels sont protégés par la Constitution.

La saisine du juge administratif
Icône de la faculté
Chapitre no 6
Leçon : Méthodologie de la fiche d'arrêt
Chap. préc. :Arrêt Communauté de Martigues, CE, 2013
Chap. suiv. :Juger l’Administration c’est encore administrer
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L’intérêt de s’interroger sur la saisine du juge administratif est multiple. D’abord, puisqu’elle constitue le point de départ du contentieux administratif, la saisine interroge sur l’effectivité du recours administratif, c’est-à-dire l’effectivité de l’accès au droit, mais aussi de la garantie des droits. Mais surtout, puisque ces droits sont des droits vis-à-vis ou contre l’Administration, la saisine du droit administratif emporte un enjeu des plus essentiel : la garantie de l’État de droit, c’est-à-dire de la soumission de l’Administration au droit, de son respect de la légalité.

Les modalités de la saisine du juge administratif constituent donc autant de variables d’ajustements positifs, permettant la réalisation des différents objectifs précités. Mais elles sont toutes aussi des variables d’ajustements négatifs, qui peuvent limiter plus ou moins fortement leurs concrétisations. Toutes ces variables sont au service d’une machine dont le réglage subtil obéit à des impératifs d’ordre politique, en son sens le plus large, c’est-à-dire la Politeia, l’équilibre dans la structure et le fonctionnement de la société. En ce sens, les modalités de la saisine administrative se lisent, en France, comme un miroir de l’effectivité des droits garantis par notre société. Une ouverture restreinte est le reflet d’une société où la puissance publique règne et où le collectif prime sur l’individu. Et à l’inverse, un degré d’ouverture important sera le signe d’une puissance publique strictement encadrée où l’intérêt général s’efface devant les intérêts privés. Entre ces deux extrêmes, toute une palette de nuances apparait. La saisine s’ajuste et se décline au grès de la conjoncture politique, dans son sens plus restrictif, la Politkè, c’est-à-dire la pratique et les luttes du pouvoir. Dans une perspective contemporaine, la saisine du juge administratif fait face à deux problématiques. La première est celle de la rationalisation des finances publiques, exacerbée par l’entrée de la France dans l’Union européenne. La seconde résulte de la rencontre de deux conceptions de l’État opposées : l’État social et l’État libéralisé. À la croisée de ces chemins se trouve la saisine du juge administratif. Vestiges d’un modèle passé, dont l’intérêt pour l’effectivité de la garantie des droits est en voie de déperdition, ou au contraire ébauche tangible d’un intérêt grandissant, la saisine administrative et ses multiple évolutions sont à la mesure de ces enjeux. Ces évolutions peuvent être appréhendées par deux arrêts qui témoignent d’ « un changement profond de politique jurisprudentielle »16 : les arrêts Dame Lamotte (1950) et Czabaj (2016). En 1950, le Conseil d’État ouvrait la saisine du juge de l’excès de pouvoir alors que la loi l’avait expressément exclu. Presque soixante-dix ans plus tard, les juges du Palais Royal referment eux-mêmes ce recours, « au nom de la sécurité juridique » [16] . Selon la professeure Mamoudy, « à l'origine de ces deux solutions emblématiques se trouvent deux justiciables passés à la postérité, deux grandes figures du contentieux administratif » [16] qui incarnent, pour la première l’ouverture de la saisine contre la lettre de la loi, et pour la seconde, la fermeture de cette dernière en méconnaissance du code de la justice administrative.

La question qui se pose alors face à ce paradoxe est de savoir dans quelle mesure les évolutions des modalités de saisine de la juridiction administrative sont efficaces quant à la soumission de l’Administration au droit. S’il est indéniable que la saisine administrative possède aujourd’hui une certaine souplesse dans son aspect procédural (I), force est de constater que les éléments matériels à l’appui de la saisine du juge administratif ne sont pas sans une complexité importante (II).

La souplesse de la saisine de la juridiction administrative dans la soumission de l’Administration au droit

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           L’évolution de la saisine de la juridiction administrative est marquée par une diversification indéniable des recours (A) qui s’est traduite par une ouverture croissante de la saisine. L’ouverture relative qui, hier, prévalait a progressivement pris fin avec l’étendue du contrôle du juge. Cette progression a permis, aujourd’hui, une certaine aisance procédurale des modalités de la saisine (B).

La diversification des recours

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Le mouvement de diversification des recours s’est exprimé par l’ajout de nouvelles actions aux recours ordinaires et par une multiplication des référés et des procédures d’urgence.

Les recours ordinaires sont de deux types : le recours pour excès de pouvoir et le recours en plein contentieux. C’est la distinction que retient l’ancien vice-président du Conseil d’État Édouard Laferrière[1] et la juridiction suprême de l’ordre administratif au tout début du 20e siècle (CE, 1912, Lafage). À ces derniers recours se sont récemment ajoutées l’action de groupe et l’action en reconnaissance de droit.

Le recours pour excès de pouvoir (REP) est un recours de type objectif qui a pour objet d’examiner la légalité d’un acte administratif, c’est-à-dire vérifier si cet acte est conforme à toutes les normes qui lui sont supérieures, dans le but d’obtenir d’obtenir son annulation. Ce moyen de protection efficace du citoyen contre l’arbitraire a pour cette raison été constitutionnalisé par le Conseil Constitutionnel (CC, DC, 1987, Conseil de la concurrence). Comme le souligne la professeure Morand-Deviller, « aisé, peu coûteux, largement ouvert, le REP a incontestablement un caractère démocratique »[2] qui permet efficacement la soumission de l’Administration au droit. Le REP permet un respect effectif des droits des citoyens et une défense opérante contre l’atteinte aux libertés individuelles. C’est ce qu’affirme le professeur Gaston Jèze lorsqu’il soutient que le REP « est l’arme la plus efficace, la plus économique et la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés »[3]. La loi du 18 novembre 2016 pour une modernisation de la justice du XXIe siècle a créé deux nouvelles actions. La première, codifié à l’article L 77-10-3 du code la justice administrative (CJA), est l’action de groupe qui permet un accès collectif au juge pour faire cesser le manquement à l’origine d’un dommage et d’obtenir réparation du préjudice subi par les victimes. La seconde, codifiée à l’article 77-12-1 du CJA, est l’action en reconnaissance de droit qui permet une reconnaissance globale de droits individuels au profit d’un groupe indéterminé de personnes non parties à l’instance. Ces deux nouvelles actions ont comme objectif commun de favoriser la reconnaissance des droits en simplifiant la procédure juridictionnelle.

Le recours de plein contentieux (RPC) est un recours subjectif qui permet de saisir le juge par des demandes extrêmement diverses. Son but est de compléter le REP dans l’objectif d’assurer le respect de la légalité par l’Administration en permettant au juge d’utiliser la plénitude de ses pouvoirs. Par exemple, le justiciable peut demander d’enjoindre l’administration de faire ou de ne pas faire quelque chose, de lui verser des dommages-intérêts ou bien de réécrire une décision. Ce pouvoir d’injonction issu de la loi du 8 février 1995 rend particulièrement efficace la saisine puisque par le passé nombreux « services récalcitrants n'exécut(aient) pas spontanément les décisions juridictionnelles »[4]. Il contribue ainsi au respect effectif de la légalité par l’Administration.

Il existe plusieurs types de référés : référé précontractuel, référé contractuel, référé fiscal, référé « flagrance fiscal », déféré-suspension, référé « immeuble menaçant ruine », référé audiovisuel, référé « informatique et libertés », référé-provision réquisition, référé « étude d’impact », référé « enquête public »…[5]. Sans rentrer dans le détail de chacune de ces procédures, leur existence suffit à elles-mêmes pour démontrer que la diversité des procédures administratives est réelle. Deux catégories principales de référés seront étudiées : les référés ordinaires et les référés d’urgence.

Les référés ordinaires sont des référés qui ne sont pas conditionnés par la notion d’urgence. Ils sont au nombre de trois : le référé-constat, le référé-expertise et le référé-provision.

Le référé-constat a pour objet de faire constater des faits à un moment donné dans la perspective d’une instance devant la juridiction. Cette procédure permet de conserver rapidement des éléments de preuves qui sont éventuellement amenés à disparaitre.

Quant au référé-expertise, il vise au prononcé de mesure d’instruction ou d’expertise. Enfin, le référé-provision, lui aussi instauré par le décret n°988-907 du 2 septembre 1988, a pour objet de « permettre le versement rapide d’une provision » « dans les cas où la créance invoquée par le demandeur n’apparait pas sérieusement contestable ». Ce recours est particulièrement utile puisqu’il permet, en cas d’erreur grossière de l’administration, d’obtenir une provision rapidement de sorte que les dommages causés soient limités.

Pour toutes ces raisons, ces trois référés sont au service de l’effectivité de la saisine administrative dans la soumission de l’Administration au droit.

Mais « la juridiction administrative fonction(nait) toujours mal »[6] comme l’affirma le professeur Rivero. Ainsi, avec l’objectif de rendre plus opérationnel la soumission de l’Administration au droit, la loi du 30 juin 2000 a créé deux référés d’urgences : le référé-suspension et le référé-liberté.

Le référé-suspension, codifié à l’article 521-1 du CJA, permet à un justiciable de demande au juge de prononcer la suspension de l’exécution d’une décision en l’attente de la décision au fond du REP.

Le référé-liberté, codifié à l’article 521-2 du CJA, permet au justiciable qui fait grief à une autorité administrative ou un organisme privé chargé d’une mission de public d’avoir porté une « atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté fondamentale » de demander au juge d’ « ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde de cette liberté » dans les 48h. Ce délai strict est imposé par le législateur. Il a comme corolaire la défense des libertés fondamentales et collectives. Cette évolution récente suggère que la saisine du juge administratif ne perd ni en vitesse ni en popularité. Au contraire, elle est une expression législative des demandes citoyennes. Ces derniers ont obtenu par l’instauration de ces deux référés un outil de soumission de l’Administration au droit rapide et redoutable, celui-ci possédant de larges et amples pouvoirs d’action.

Toutefois, la diversification de recours n’a de sens que si la Haute Juridiction de l’ordre administratif accepte d’ouvrir effectivement son prétoire en contrôlant des matières qu’il ne contrôlait pas par le passé. Cette politique d’acceptation est celle menée par le Conseil d’État depuis les origines du contentieux administration dans l’objectif d’une garantie des droits des justiciables. « Cependant, en ouvrant plus ou moins largement son prétoire, le juge administratif détermine aussi l'étendue de son contrôle sur l'action de l'administration. À cet égard, la volonté du juge de s'immiscer (ou non) dans certains pans de l'action administrative peut jouer un rôle déterminant dans l'ouverture ou la fermeture de son prétoire » [16]. La diversification effective, c’est-à-dire concrète des recours, permettant une saisine plus large, dépend également de la volonté du juge. En effet, la diversification des recours a mené à une augmentation significative du contentieux. En réaction, le juge administratif, qui a la faculté du contrôle du degré d’ouverture de la saisine, peut vouloir mener une politique de « désencombrement des prétoires » [16]. C’est ce que fait la jurisprudence Czabaj, lorsqu’elle limite le délai d’un recours où l’intéressé n’a pas été informé du temps imparti dans lequel il pouvait contester la décision qui lui était imposée.

Néanmoins, d’un point de vue purement procédural, les modalités de saisine contentieuse se sont considérablement assouplies.

L’aisance procédurale des modalités de saisine contentieuse

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L’aisance procédurale de la saisine contentieux apparait dans la conception large de l’intérêt à agir, l’absence d’une obligation d’être systématiquement assisté par un ministère d’avocat, et l’appréciation aisée des conditions de recevabilités des référés.

Tout requérant doit justifier d’un intérêt lui donnant qualité à agir : c’est l’adage « pas d’intérêt, pas d’action » puisque le principe est que « nul ne plaide par procureur ». Il est possible de définir l’intérêt à agir comme « le fait d’être lésé de manière indirecte ou directe par l’acte administratif »[2]. L’originalité de la saisine du juge administratif vis-à-vis de l’intérêt agir est qu’il en a une « vision souple » [2]. Cela permet un compromis entre une acceptation très large, une actio popularis ouverte à chacun, mais risquant de créer une insécurité juridique et un encombrement des tribunaux, et une acceptation trop étroite qui limiterait la possibilité des recours et donc le respect de la légalité par l’Administration. Cet équilibre délicat a été obtenu par trois arrêts majeurs du Conseil d’État. Le premier a admis que les décisions prises par un conseil municipal peuvent être contestées par tous les habitants de la commune concernée (CE, 1901, Casanova). Le second a reconnu qu’un acte de nomination d’un agent public peut être contesté par un de ses collègues, s’il avait pu prétendre à la nomination (CE, 1903, Lot) : c’est un intérêt à agir indirect. Enfin, il a été reconnu qu’un groupe de personne peut faire un REP relatif aux droits collectifs. Celui-ci peut tout aussi bien contester des décisions individuelles si le recours répond à un « intérêt professionnel » (CE, 1906, Syndicat des patrons-coiffeurs de Limoge). Ces trois élargissements successifs de la saisine ont pour conséquence plusieurs degrés supplémentaires d’ouverture de la saisine. Cette souplesse permet de saisir le juge plus simplement, ce qui permet de faire respecter plus efficacement les droits des administrés. Mais encore, « pour une grande partie de la doctrine comme pour le Conseil d’État, à en croire la grande majorité de ses décisions »[7], « il est permis de se demander si la qualité est encore une condition de recevabilité des recours et si les irrecevabilités ne s'expliquent pas par le fait qu'il n'est pas satisfait aux conditions générales relatives à l'intérêt pour agir plutôt que par le fait que certaines qualités ne donneraient pas intérêt »[8]. Cela veut dire que ce qui « paraît essentiel au juge »[9] c’est « l’importance du grief invoqué »[9]. La situation du requérant n’étant alors qu’un moyen pour le juge d’apprécier la gravité du grief qu’il invoque ce qui lui confère de cette manière des qualités particulières. C’est la raison pour laquelle la notion de qualité à agir est particulièrement souple. Elle trouve naturellement sa limite dans le fait qu’elle ne peut s’étendre « jusqu'aux dimensions de la communauté nationale »[10], mais la saisine reste largement ouverte : le requérant n’a pas nécessairement à être « personnellement et directement visé par l'acte qu'il attaque »[10].

Complémentaire et tout aussi efficace pour une plus grande souplesse dans la saisine administrative est l’absence d’obligation systématique d’un avocat. C’est finalement la variable la plus décisive puisqu’elle permet à chaque justiciable d’agir par lui-même, sans frais d’avocats, pour faire respecter ses droits. Cela est valable pour le REP qui est un outil très puissant (cf. I.A). Toutefois, même si le RPC est lui soumis à l’obligation de représentation par ministère d’avocat, l’aide juridictionnelle, qui poursuit le même objectif que la dispense de représentation permet un accès plus aisé au juge administratif ce qui compense l’obligation de représentation de ce dernier.

Enfin, pour saisir l’aisance procédurale des modalités de saisine contentieuse, il convient d’examiner l’appréciation du critère d’urgence dans les référés. S’agissant du référé-suspension, celle-ci est particulièrement souple : l’urgence peut être de nature exclusivement financière (CE, 2001, Confédération nationale des radios libres) et est apprécié en mettant les différents intérêts en présence (CE, section, 2001, Préfét des Alpes-Maritimes) ce qui a comme un intérêt une meilleure prise en compte de la situation du requérant. Quant au référé-liberté, son appréciation de l’urgence est logiquement plus restreinte, puisqu’elle doit appeler à une prise de décision dans les 48 heures. Mais il suffit de démontrer qu’une « mesure doit être prise immédiatement » (CE, 15 octobre 2004) pour que le recours soit accueilli.

En outre, le juge a dans des matières toujours plus élargies, une obligation d’inviter à régulariser la demande du requérant. C’est-à-dire que le juge doit inviter le requérant à être assisté d’un avocat, lorsqu’il a cru pouvoir s’en passer (CE sect. 27 janvier. 1989), à produire la décision attaquée (CE sect. 30 mars 1973), à traduire la requête en langue française (CE, 18 oct. 2000, Sté Max-Planck-Gesellschaft), et à fournir une requête comportant des conclusions et des moyens (décret du 13 aout 2013). Cette obligation permet de ne pas transformer « la justice administrative en un monument d’ésotérisme, ouvert aux seuls initiés »[14]. Elle permet d’ouvrir la saisine au plus grand nombre.

Toutefois, si la saisine du juge administratif est particulièrement souple dans son aspect procédural, les éléments matériels nécessaires à son appui sont considérablement plus complexes.

La complexité des éléments matériels à l’appui de la saisine du juge administratif dans la soumission de l’Administration au droit

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Il est délicat d’expliquer un phénomène aussi paradoxal qu’une action consistant, à la fois, « à ouvrir une porte tout en la refermant » [16]. Pourtant, c’est l’exercice auquel s’adonne le juge administratif depuis plusieurs années. Une étude systémique des changements récents de la saisine administrative révèle que « si l’accès au juge est élargi ici, ce n’est que pour mieux le refermer ailleurs » [16] Si tel est le cas c’est parce qu’éviter la saisine permettrait  « une meilleure gestion de la justice administrative » [16]. De toute évidence, elle présente des avantages certains pour le juge : possibilité de se défaire rapidement d’un recours, « alléger ainsi sa charge de travail et désencombrer à moindres frais son prétoire » [16]. Ces éléments expliquent que le justiciable ait du mal à justifier systématiquement d’une décision administrative (A) lors de sa saisine. Ils expliquent également que la diversification des moyens de légalité fondant la saisine l’a rendu particulièrement complexe (B).

La nécessité d’une décision administrative

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Pour être attaqué, un acte doit présenter certaines caractéristiques quant à sa nature et sa date de notification ou publication.

S’agissant de sa nature, l’acte doit faire grief. C’est-à-dire qu’il doit « produire des effets juridiques affectant les intérêts du requérant »[11]. Cela exclut alors les actes qui ne semble pas faire grief : les actes préparatoires, les mesures d’ordre intérieur, les circulaires interprétatives et les lignes directrices. La Haute Juridiction de l’ordre administrative a une approche pragmatique pour déterminer si un acte fait grief : l’acte doit être dérisoire. Cela veut dire que l’acte « modifie l’ordonnancement juridique »[2] ou la situation d’une personne seule. A contrario, un acte non dérisoire est un acte qui ne fait que répéter un acte précédent, ou qui conseille, suggère un comportement. Ainsi, en principe tous les actes administratifs peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, ass., 1950, Dame Lamotte). Mais la notion est beaucoup plus étendue et contribue à la complexité des éléments matériels nécessaires à l’appui de la saisine administrative. L’équilibre auquel la juridiction administrative doit parvenir est celui où « l’immobilisme de l’administration face à des demandes des administrés restées sans réponse »[11] est sanctionné et où les « requérants abusifs »[12] ne peuvent pas la saisir prématurément en l’absence de toute réelle décision administrative. Cela est permis par la double règle de la décision préalable et de la décision implicite de rejet (décret du 11 janvier 1965). Toutefois, dans certains cas il est compliqué pour le justiciable de montrer, à l’appui de sa saisine, si un acte administratif produit des effets juridiques. La juridiction administrative a alors écarté, dans certains cas, la dénomination des actes prise par l’administration pour déceler si dans les faits des conséquences juridiques avaient été produites (CE., Sect., 7 février 1969). Ce « réalisme juridique » [13] semble a priori permettre une appréciation plus souple et donc être favorable au requérant. Mais en réalité, il ne fait que complexifier les moyens à l’appui de la saisine du justiciable. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de montrer, de manière négative, que dans l’inaction de l’administration, en dehors de toute demande d'un avantage individuel, pouvait se dissimuler une véritable décision. À l’inverse, « de simples agissements de l'administration, en l'absence de tout support instrumental »[11], peuvent constituer une décision. Le justiciable (ou son conseil) est face à un lourd travail d’argumentation à l’appui de la saisine pour alors démontrer qu’une décision de l’administration a bien été prise. Cela réduit d’autant la garantie que l’État respecte la légalité, surtout que le délai pour agir envers la décision attaquée est un nouvel obstacle au parcours du justiciable.

S’agissant de la date de l’acte faisant grief, il doit répondre à des délais qui varient en fonction du type de recours. Le REP doit être formé en principe dans les deux mois de l’acte administratif (Art. R. 421-1 du CJA) s’il est exprès. Si la décision est implicite, le délai de deux mois commence à courir à partir de la date où est née la décision implicite de rejet (Art. R. 421-2 du CJA). Ce délai est extrêmement bref, en comparaison le droit civil prévoit un délai de droit commun de cinq ans. Certes, un délai bref permet une plus grande sécurité juridique, mais il « n’a rien de raisonnable »[2] au vu de ses conséquences : toute décision illégale qui n’est pas contestée dans les deux mois est définitive. Il est un des premiers obstacles à la saisine du juge administratif qui pourtant dans sa procédure semblait particulièrement souple et ouverte (cf. I). Cela est d’autant plus vrai que le formalisme de la notification du délai est défavorable aux administrés. En cas d’acte administratif unilatéral, la notification et faite par lettre recommandée et le délai commence à courir même si le pli est refusé. À titre d’exemple, pendant les périodes estivales, il est donc demandé à l’administré d’être particulièrement réactif et de ne pas s’éloigner de manière continue de son domicile, sous peine d’être dans l’impossibilité de contester un acte juridique unilatéral qui lui est imposé.

La diversification des moyens de légalités fondants la saisine

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Lorsqu’un requérant fait une saisine, il doit s’appuyer sur des moyens. C’est l’argumentation juridique sans laquelle la saisine administrative ne pourra être considérée. En ce sens, ils sont partie intégrante de la saisine. Dans le cas du REP, les moyens se divisent en deux catégories : les moyens de légalité externes et les moyens de légalités internes. Ceux-ci n’ont cessé d’évoluer dans leurs régimes ce qui a accru la protection des administrés tout en la fragilisant puisque la saisine en est devenue plus complexe. Par exemple, le fait de soulever, dans le délai de deux mois prévus par le REP, que des moyens relevant de l’une des deux catégories, le requérant ne pourra plus faire valoir après l’expiration de ce délai, aucun des moyens se rattachant à l’autre catégorie (CE sect., 1953, Sté Intercopie). C’est incontestablement une restriction supplémentaire au délai déjà très bref imposé pour contester la légalité d’un acte (cf. II. B).

La saisine devant se fonder sur des moyens de droits, elle requiert une véritable expertise que la diversité des moyens et des régimes associés reflète fidèlement.

Les moyens de légalité externes contestent la façon dont l’acte a été pris. Il y en a trois : l’incompétence, le vice de forme et le vice de procédure.

L’auteur de l’acte attaqué doit, en principe, avoir agi dans le cadre d’une « compétence que les textes et la jurisprudence déterminent matériellement, territorialement et temporellement »[14].

Le vice de forme est caractérisé par un défaut de signature (CE, 1990, Torras) ou d’un contreseing (CE sect., 1976, Comité de défense des riverains de l’aéroport Paris-Nord).

Le vice de procédure n’est pas codifié et dépend d’un agrégat très divers de textes, ce qui complique grandement la saisine administrative, et la rend a fortiori plus complexe d’accès. À titre d’exemple, certains actes doivent être pris au terme d’une procédure contradictoire permettant à l’administré de présenter sa défense.

Quant aux moyens de légalités internes, ils critiquent le contenu subjectif, c’est-à-dire son but, ou objectif de l’acte. Il y en a deux : le détournement de pouvoir et la violation de la loi.

Un acte est entaché de détournement de pouvoir lorsque « son auteur l’a pris dans un but psychologique qui n’était pas celui prévu par les textes »[14], soit en prenant un acte qui ne répond pas à un but d’intérêt général, soit en en prenant un qui ne répond pas au but d’intérêt général que l’acte aurait dû viser.

La violation de la loi se définit de manière négative : elle désigne toute illégalité qui n’est pas une illégalité externe ou un détournement de pouvoir. Ainsi, elle englobe l’erreur de droit et l’erreur de fait. L’erreur de droit est caractérisée soit par une atteinte directe à hiérarchies des normes soit par une fausse interprétation des textes. L’erreur de fait peut consister en l’inexactitude matérielle des motifs, ou la qualification erronée de faits. La première désigne la situation où l’administration a inexactement constaté un fait. La seconde désigne celle où l’administration a rattaché à un fait à une catégorie juridique qu’elle n’aurait pas dû.

Ce très bref exposé de la diversification des moyens de légalité fondant la saisine montre à quel point, malgré les apparences trompeuses (cf. I), la saisine du juge administratif est complexe. Cela est d’autant plus vrai que l’opérance de certains moyens a été limité. À titre d’exemple, l’arrêt CFDT du 18 mai 2018 a été l’occasion pour le Conseil d’État de poser une limitation à la possibilité de soulever des moyens tirés de l’illégalité formelle et procédurale d’un acte réglementaire devenu définitif. Le champ d’application de cette restriction est restreint, mais demeure bien réel et n’est pas des moins important. Lorsque le Conseil d’État prétend que ce n’est qu’une précision « des modalités selon lesquelles un acte réglementaire peut être contesté »[15] , il faut voir dans cette chaste terminologie la reconnaissance d’une atteinte au droit de recours.

Ainsi, si le juge administratif n’hésitait pas, hier, à braver les portes du recours fermés par le législateur pour ouvrir son prétoire, force est de constater que ce temps est révolu. « Une logique managériale de gestion de la justice conduit aujourd'hui le Conseil d'État à fermer des voies de droit existantes »[16], parfois contre la lettre et l’esprit de la loi et des dispositions réglementaires. Sa communication habile minore systématiquement l’atteinte qu’il porte à l’ouverture de la saisine administrative tout en encensant l’ouverture de son prétoire. Or, « il ne faut pas s’y tromper, l’heure est à la fermeture de la saisine administrative »[16].

Références

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  1. Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Edouard Laferrière, 1881
  2. Droit administratif, Pierre Bourdon, Jacqueline Morand-Deviller, Florian Poulet, 15e édition, LGDJ
  3. G. Jèze, "Les libertés individuelles", Annuaire de l'institut international de droit public, 1929, p. 180
  4. Les nouveaux pouvoirs d'injonction du juge administratif, LPA 10 févr. 1997, n° PA199701801, p. 4, Florence Malvasio
  5. Le guide des référés administratifs, Olivier le BOT, 2e édition, Dalloz
  6. Jean Rivero, "Le Huron au Palais Royal", 1992
  7. L'actualité de la notion de « qualité donnant intérêt à agir » – Patrick Charlot – RFDA 1996. 481
  8. J.-C. Venezia, Intérêt pour agir, n° 37. Rép. Contentieux adm. Dalloz
  9. M. Laligant, La notion d'intérêt pour agir et le juge administratif, RD publ. 1971 p.50.
  10. Concl. Chenot sous CE, 10 févr. 1950, Gicquel, Rec. p. 102
  11. La notion de décisions faisant grief dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, LPA, 18 janvier 2000, n° PA200001202, p. 14, Benson Jackson
  12. R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 4e éd. no 485, p. 380.
  13. Eric Millard. Positivisme logique et réalisme juridique : La dichotomie faits/valeurs en question. JeanYves Chérot et Eric Millard. Analisi e Diritto 2008, Marcial Pons, pp.177-189, 2009
  14. Droit administratif général, Gilles Lebreton, 10e edition, Dalloz
  15. F. Alhama, « Précisions sur la demande en appréciation de régularité », AJDA 2019. 330
  16. L'ouverture du recours – Olga Mamoudy – RFDA 2019. p.669