Quelques témoignages sur la vie des start-up/Quelques conditions du succès
Quelques conditions du succès
modifierRassembler les compétences complémentaires nécessaires
modifierLes créateurs de start-up à fort contenu technologique sont souvent des scientifiques ou des technologues qui sous-estiment l’importance des autres fonctions, notamment de marketing et de vente, mais aussi d’industrialisation, de service avant ou après vente. C’est spécialement vrai en France où les ingénieurs et les vendeurs ne sont pas formés sur les mêmes campus [Inria].
Lorsqu’il n’est pas possible de rassembler toutes les compétences désirables dans l’équipe initiale, on peut parfois mobiliser une partie des talents nécessaires chez des partenaires externes. Il peut s’agir d’alliés invités à siéger au conseil d’administration de l’entreprise ou de spécialistes présentés par un investisseur [Sofinnova, Vallée]. Parfois l’entreprise s’appuie sur les laboratoires publics ou privés dont sont issus des membres de l’équipe ou la technologie exploitée. C’est souvent le cas pour les spin-off de l’INRIA ou du CEA qui profitent d’un accès plus facile aux ressources de leur institut d’origine [Inria, Soitec, Soisic]. De même Meristem Therapeutics a largement bénéficié des services agronomiques de la coopérative Limagrain dont elle est issue [Meristem]. Il peut s’agir aussi du réseau professionnel des fondateurs ou des premiers cadres de haut niveau recrutés. Ainsi HRA Pharma s’est créé à une époque où Hoechst-Marion-Roussel incitait beaucoup de ses collaborateurs au départ et le PDG de l’entreprise a pu mobiliser largement leurs compétences [HRA]. Ces alliés externes pourront ainsi participer à l’aventure à moindre risque, puisqu’ils l’aident « en perruque », sans que leur situation personnelle ne dépende totalement du succès de l'entreprise. Le risque est plus réel pour les investisseurs, mais en dehors du cercle personnel de l’entrepreneur (family, friends and fools), ceux-ci répartissent leurs investissements et ne dépendent pas du succès d’une seule opération.
Enfin, une PME s’appuiera parfois sur un fournisseur pour lequel elle constitue un client « instructif » aux besoins particulièrement avancés. C’est le cas de Projective Design qui entretient des partenariats stratégiques avec ses fournisseurs de circuits intégrés et de lampes. Il arrive aussi qu’un client mette les moyens nécessaires pour s’assurer de la disponibilité d’une technologie complémentaire [Soitec].
Ce besoin de mobiliser des compétences nombreuses demande une capacité à faire travailler ensemble des individus de cultures très différentes au sein de l’entreprise ou du réseau de ses partenaires.
Un financement adapté aux objectifs et aux perspectives de l’entreprise
modifierBeaucoup de créateurs d’entreprise sous-estiment largement leurs besoins financiers. Même si ce n’est pas le cas, il leur est souvent difficile de trouver des investisseurs ou des prêts. L’ANVAR ou les incubateurs ne peuvent engager que des montants limités, les banquiers classiques veulent des garanties de solvabilité donc des gages matériels qu’une entreprise qui construit des compétences et d’autres actifs incorporels ne peut fournir. Quant aux venture capitalistes, ils ne s’intéressent qu’aux entreprises ayant à la fois des besoins très substantiels, des perspectives de retour importantes en cas de succès et un scénario de sortie crédible (par cotation ou plus souvent rachat) dans un avenir assez proche, sans quoi ils ne peuvent espérer rentabiliser leurs due diligences.
L’entrepreneur français souffre du manque d’investisseurs providentiels (business angels) capables de mettre quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros en attendant que l’entreprise ait validé au moins les aspects techniques de son projet et ait besoin de sommes beaucoup plus importantes pour son développement commercial [Vallée, France Angels].
Dans certains cas, des fonds de corporate venture pourront se substituer avantageusement aux fonds « financiers », quand le groupe qui investit connait bien le marché et peut donc mieux juger le potentiel de l’entreprise (moindres coûts de transaction) et lorsqu’il a des intérêts stratégiques dans le développement de la technologie (la start-up peut devenir un fournisseur lui apportant une avance intéressante). Le groupe peut apporter à la start-up de précieux actifs complémentaires (capacité de fabrication, accès au marché). Le risque est qu’à terme, l’intérêt stratégique du groupe investisseur et celui de l’entreprise créée divergent (si par exemple l’entreprise a intérêt à vendre la technologie aux concurrents) [Barbier].
Un recours précoce aux investisseurs de venture capital implique une dilution économique et stratégique importante des fondateurs. C’est souvent nécessaire dans des cas où il est bien plus avantageux d’avoir quelques pourcents d’une belle entreprise que la totalité de rien, notamment quand le modèle économique implique la mise en œuvre rapide de développements technologiques, industriels ou commerciaux coûteux [Esterel, Business Objects]. Parfois, il peut être avantageux de démarrer sur un modèle mixte, lorsque les compétences à construire permettent une offre de service dont les revenus pourront être réinvestis dans le développement de produits. C’est ce qu’ont fait, dans des secteurs très différents, Projective Design (design d’équipements pour le compte de tiers avant de proposer leurs propres projecteurs), SOISIC (design de composants de technologie SOI, avant de vendre ses bibliothèques et outils de design) ou Aureus Pharma (mise en place de bases de données documentaires dans des laboratoires pharmaceutiques, avant de développer ses propres médicaments grâce à des outils documentaires très performants).
Un avantage de ce scénario prudent est qu’en cas de difficulté ou de retournement de conjoncture, l’entreprise peut se replier sur cette activité de service et connaître une croissance plus modeste mais robuste, fondée sur les compétences qu’elle a développées. Aureus a su s’y résoudre, SOISIC y a été contraint par les investisseurs, provoquant le départ du directeur, Arisem n’a pas eu la sagesse d’accepter ce scénario proposé par son PDG, Projective Design a pu passer à l’étape ultérieure et commercialiser ses propres produits.
Faire évoluer rapidement les objectifs de l’entreprise en fonction des évènements, mais savoir rester focalisé
modifierLes exemples précédents montrent l’importance de réévaluer régulièrement le modèle économique de l’entreprise en fonction des informations acquises sur la technologie, sur son marché, sur la compétition et sur l’environnement en général.
Les praticiens insistent sur la nécessité d’avoir des plans de rechange (contingency plans), mais aussi sur l’impossibilité d’un dialogue ouvert sur ceux-ci avec la plupart des investisseurs. En effet, si les investisseurs potentiels veulent des entrepreneurs flexibles et adaptables, ils ont besoin d’un rêve crédible qu’ils puissent faire partager. Un faisceau de scénarios trop complexe exposera l’incertitude du projet et les fera fuir [Aureus]. Rares sont les investisseurs capables d’analyser leurs participations comme un portefeuille d’options dont l’incertitude sur le sous-jacent augmente la valeur [Jacquet].
Même si tout se déroule conformément au business plan initial, le style de management et les qualités requises évoluent rapidement d’une phase à l’autre, selon qu’il s’agit de prouver la faisabilité technique, de livrer les premières commandes, de gérer l’expansion commerciale, voire d’administrer une entreprise qui s’est rapidement développée. Il faut que le dirigeant s’entoure de nouvelles compétences, s’adapte à un nouveau rôle ou s’efface [CDC-PME].
D’une manière générale, la croissance rapide et l’adaptation à un contexte peu prévisible impose de réexpliquer périodiquement à chaque collaborateur son rôle dans l’entreprise [Esterel] et d’imaginer fréquemment de nouvelles trajectoires de développement [Aureus].
Un danger serait cependant de vouloir maintenir beaucoup d’options ouvertes sans en avoir les moyens. Par crainte de se faire piéger dans un scénario qui n’est pas le meilleur, certaines entreprises ne savent pas se focaliser suffisamment. Or, comme l’a montré Geoffrey Moore, il ne s’agit pas de proposer une solution à moitié satisfaisante à tout le monde, mais d’apporter une solution parfaitement adaptée aux besoins de quelques premiers clients judicieusement choisis, puis d’évoluer à partir de ces premières références convaincantes [Esterel, Ilog, Arisem]. Il faut aussi respecter les échéances de sortie de nouvelles versions d’un logiciel ou d’un produit, soit pour tenir tête à la concurrence, soit pour rester crédible par rapport aux annonces faites. C’est donc souvent la date de mise sur le marché qui conditionne les fonctionnalités d’un produit (ou d’une de ses versions), plutôt que l’inverse [Business Objects, Twingo].
On voit la difficulté pour l’entrepreneur de satisfaire ces contraintes souvent contradictoires. Il doit annoncer un business plan convaincant tout en étudiant des stratégies alternatives, s’adapter aux évènements tout en étant persévérant, voire obstiné, pour faire aboutir ses plans, être flexible mais rester focalisé, assigner des tâches précises mais gérer l’évolution et la redéfinition fréquente de celles-ci, y compris de son propre rôle de dirigeant, être un meneur d’hommes charismatique mais savoir se retirer à temps. Ajoutons, lorsque l’entrepreneur est un scientifique, qu’il vient d’une culture qui privilégie la compréhension des phénomènes et doit désormais donner la priorité à la réalisation et à la livraison des produits ou prestations promis (l’important est que ça marche, pas de comprendre pourquoi) [Kaplan, Soitec].
On comprend que l’entrepreneur ait besoin de conseils, voire de coaching. Dans certains cas, cette aide est apportée par un investisseur chevronné et impliqué, voire interventionniste (hands-on) [Korda, Barbier, Vallée], parfois par un dispositif d’incubation ou d’essaimage, lorsque ces fonctions sont exercées avec un professionnalisme suffisant [Inria, Soitec/CEA] ce qui est loin d’être toujours le cas.
On comprend aussi qu’un investisseur avisé soit souvent amené à demander au fondateur de se retirer de la direction opérationnelle de l’entreprise, et que la création directe d’une entreprise par un chercheur ne soit qu’une modalité de valorisation de sa créativité, ni la plus fréquente, ni souvent la plus prometteuse. Il sera parfois plus efficace que le scientifique soit conseil de l’entrepreneur qui exploitera ses idées, une modalité encouragée par la loi mais moins médiatisée [Laffitte].