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Corps, activité physique et christianisme

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La place que l’Eglise accorde au corps et à son activité est un sujet complexe qui suscite bien des propos et des questionnements tant en interne qu'en externe. Un échantillon de ces polémiques est fourni par cet extrait d’un ouvrage à succès paru au début de ce XXI° siècle où un de nos plus médiatiques philosophes contemporains assure sans sourciller que la chrétienté, dès le départ bannit le corps de la représentation du surnaturel. Entre le premier concile de Nicée qui le refusa et le second en 787 qui l’accepta, sept siècles s’écoulèrent. Pourquoi pas ? Mais pour qui sait que le premier s’est tenu en 325, l'écart 787-325 ne fait pas précisément sept siècles.

Une polémique plutôt ambigüe modifier

On eut apprécié en outre qu’il précisât lequel des vingt canons édictés en conclusion du premier bannit le corps de la représentation du surnaturel. Et il faut être bien mal informé du second pour affirmer qu’il accepta - enfin - sa représentation dans l’art sacré. Comme d’autres conciles qui eurent à se prononcer sur des interprétations réputées hérétiques qui proliféraient alors, celui-ci concerna les iconoclastes qui revendiquaient la destruction de toutes les images considérées par eux comme une médiation déformante et dangereuse, une incitation à l’idolâtrie. Une conviction qui puisait ses racines dans le Judaïsme depuis l’affaire du veau d’or et qu’on retrouve dans l’Islam sunnite dont l’art reste bien peu figuratif. Trois siècles plus tard les cisterciens restent eux-mêmes très réservés quant à l’ornementation de leurs abbatiales.

Mais cette hérésie en elle-même témoigne de l’omniprésence et du rôle pédagogique des représentations graphiques ou plastiques des êtres et des choses dans les lieux de culte de notre haut Moyen Âge. Estimer que Nicée II a permis la représentation du corps dans l’art sacré parce qu’il a condamné les iconoclastes est un contresens absolu puisque le tort de ceux-ci fut d’estimer abusif l’usage qu’on faisait déjà de celle-là. L’archéologie révèle certes peu de traces de ces « images » en Occident où trop de nos lieux de culte bâtis en bois jusqu’à l’an mille sont partis en fumée avec les grandes invasions puis les raids des Vikings mais l’église d’Orient en conserve des témoignages éloquents. Certes un penseur, si médiatique soit-il, n’est pas tenu d’être aussi un patrologue éclairé. Mais il pourrait s’abstenir de telles affirmations fondées sur ce qu’il connaît si mal. Or trop de développements qui déplorent, selon une formule consacrée, le poids de 20 siècles de dualisme judéo-chrétien sur la prise en considération du corps et sur son éducation relèvent, hélas, du même tonneau.

A leur décharge, il faut reconnaître que les « sports » du Bas-Empire ne sont pas sortis indemnes du règne de Théodose 1°. Excommunié par saint Ambroise (340-397) en 390 pour avoir noyé dans le sang une émeute consécutive à une course de chars, cet Empereur très chrétien entreprit pour prouver sa « bonne foi » de bannir toute violence de l’Empire, à commencer par les jeux du cirque et les jeux olympiques qui n’en étaient plus qu’une succursale. Certes les chrétiens de l’époque - dont les prédécesseurs servaient encore quelques temps plus tôt de pitance aux bestioles du Colisée - n’ont pas dû enfiler de gilets jaunes pour manifester énergiquement leur désapprobation devant le Capitole. Mais force est de reconnaître qu’il s’agit d’une décision strictement séculière sans fondements théologiques. Et, si cet interdit fut bien appliqué en Occident, en Orient la très chrétienne Byzance ne renonça pas pour autant à ses jeux sportifs et leurs courses hippiques. Déjà, au sein de deux territoires voisins se réclamant de la même chrétienté, deux poids deux mesures. Il n’est donc pas inutile de creuser le débat.

Les origines : monisme et dualisme modifier

Or dans ce domaine le dogme est mouvant et ses effets parfois contrastés. Certes saint Jean (chapitre 1 versets 14 à 18) nous affirme bien que le Verbe s’est fait chair mais hormis le fait que ce corps du Christ est omniprésent de sa conception à sa mise en terre dans le symbole des Apôtres, les Credo ne sont guère explicites sur "ce qu'il faut croire" à ce sujet et c’est surtout l’Histoire qui permet de l’éclairer. Là, la prise en considération du corps et de son éducation par les cultures chrétiennes relève de deux pôles philosophiques constitutifs du christianisme.

D’abord la pensée judaïque où la question des statuts réciproques de l’âme et du corps ne semble pas trop préoccuper l’ancien testament. Quand Yahvé s’y choisit un prophète, ce n’est ni pour son âme ni pour son cœur, cet organe noble qui assure depuis l’Égypte antique le lien entre la matière et le spirituel : il sonde son foie et ses reins. Trois éléments anatomiques qui constituaient jadis, sur les murs du métro de bonnes raisons de boire une certaine eau minérale des Vosges pour mieux éliminer. Inutile d’épiloguer sur les analyses biologiques auxquelles les candidats doivent se soumettre avant d’être déclarés bons pour le service ; mais l’Homme apparait bien là comme UNE personne unique. UN corps animé plutôt que corps ET âme. Et dans le nouveau testament lorsque Jésus est invité à s’identifier par les émissaires de Jean le Baptiste, il le fait en se présentant essentiellement comme le thérapeute des corps : les sourds entendent, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés … et, seulement, enfin, la bonne nouvelle est apportée aux plus pauvres. N’en déplaise à certains : le judaïsme semblerait surtout moniste.

C’est du côté de la composante hellénistique de la pensée chrétienne qu’il faut rechercher les discours qui, à l'instar de Juvénal (47-128) adepte d’un esprit sain dans un corps sain, distinguent ce dernier de l’âme pour en faire sa résidence temporelle. Certes, avant que le symbole de Nicée ne dise ce que chacun doit croire, d’autres conciles ont déjà condamné les nostalgiques d’ Empedocle qui soutenaient l’antériorité et la permanence d’âmes vagabondes, purs esprits comparables aux anges, qui occuperaient transitoirement des corps périssables comme le pensent encore les hindouistes. Or Dieu a bien pétri le corps d’Adam avant de lui donner vie : même quand on la distincte du corps, l’âme de l'homme n’existe qu’avec, par et après lui. Et la corporéité des anges eux-mêmes en a intrigué certains au point que Byzance se serait écroulée face aux Turcs alors qu’on s’y disputait au sujet de leur sexe !

Mais saint Paul, qui loue les coureurs du stade (1 Co 9, 24-27) tout en déplorant l’écharde plantée dans son corps, illustre la vision qui semble l’emporter lors de nos premiers siècles où le corps parait au mieux comme un instrument au service de l’âme. Et si certains militent pour le développer et l’endurcir comme jadis chez les spartiates car plus il est fort, plus il obéit, plus il est faible, plus il commande, reconnaissons que la majorité s’efforce bien de le mater par l’ascèse et la mortification. C’est à partir de cette prééminence de l’âme que l’école d’Alexandrie – Pantène (????-216), Clément (150-215), Origène (185-253)… – développe des discours qui font reculer les limites de l’érémitisme. À l’image du Christ lors de sa retraite au désert des moines s’isolent dans des grottes inaccessibles au fond des Météores et de la Cappadoce, dans le désert de Chalcis en Syrie ou au sommet de colonnes au centre des métropoles pour élever leur âme en abaissant leur guenille corporelle par le jeûne et autres privations. Le médecin qu’est Marc va plus loin encore en mettant ce propos dans la bouche du Christ : si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la (Mc, 9/43).

Mais pendant ce temps l’acte refondateur du baptême concerne bien le corps dont l’immersion totale préside à l’avènement de l’Homme nouveau, comme le faisait le Baptiste dans le Jourdain. Et au IVe siècle Augustin d’Hippone (354-430), disciple de Platon et de Galien, s’efforce de localiser l’âme dans les ventricules du cerveau. Même privé de cette âme, le corps fait l’objet d’un tel respect - peut-être hérité du paganisme romain - qu’il faut attendre le XIV° pour banaliser la dissection à fins scientifiques ou médico-légales. Comme si cette guenille corporelle était quand même une sacrée guenille …

Le Haut-Moyen Âge : le paganisme maîtrisé ? modifier

Si le christianisme primitif est bien tributaire de cette empreinte gréco-latine déjà complexe, il doit aussi se confronter lors de son extension aux usages locaux préexistants. Chez nous, après le baptême de Clovis (466-511), l’enseignement que les évêques dispensent aux élites et aux populations urbaines doit composer avec la rugosité des usages mérovingiens. Le fondateur de la dynastie lui-même ne fait pas de détail pour châtier un collaborateur qui, au nom du respect de la tradition franque, a écorné le trésor sacré de la cathédrale de Soissons. Puis les rapports entre les grands de ce royaume chrétien n’ont rien d’un roman à l’eau de rose : en témoignent les démêlés des reines Frédégonde (545-597) et Brunehilde (547-613), cette dernière pourtant mère de sainte Beuve et saint Baudry.

Mais il en est de tout autre nature dans nos campagnes où le paganisme survit à leur évangélisation par les moines irlandais qui, derrière Mandé puis Colomban (540-615), ont cependant déjà appris à négocier avec les cultures celtiques. S’il leur faut imposer Noël censé remplacer depuis le IV° siècle les diverses célébrations du solstice d’hiver dans tout l’Empire, ils doivent aussi planter la Croix dans les lieux propices à la vie collective : ceux de l’approvisionnement en eau et les éperons barrés sécurisés depuis la préhistoire. Les sources sacrées des druides dont on ne parvient pas à détourner les gens sont promues lieux de pèlerinages miraculeux.

En Côte-d’Or la Douix de Chatillon-sur-Seine est dès les débuts de l’âge du fer un lieu de culte dédié à Divona comme en attestent les fibules celtiques et gallo-romaines recueillies sur le site. La christianisation en fit un sanctuaire marial où les filles du pays jettent encore parfois leurs épingles à cheveux pour voir leurs vœux exhaussés. A trois kilomètres de là le cimetière qui entoure l’église de Montliot recèle une curieuse table des morts. Pierre à cupules identifiée et classée comme table de sacrifice protohistorique, elle reste un élément de la liturgie funéraire actuelle.

Abbatiales et cathédrales s’élèvent sur les tertres sacrés où les temples romains avaient déjà remplacé dolmens et allées couvertes. Bien qu’inversée, leur orientation est même pérennisée. Quelques druides sont devenus missionnaires émérites ; quelques sages ou héros locaux ont pu faire des saints plus ou moins mythiques dont les mérites restent attachés à leurs restes charnels distribués généreusement et vénérés çà et là ; de nos jours la célébration du solstice d’été demeure liée à celle de la Saint-Jean. Il n’est pas interdit de penser que les danses et combats rituels des cérémonies celtes aient influencé quelques liturgies locales : en juillet 2019 le fest-noz de Mûr-de-Bretagne se réclamait sur son site de type pardons, pèlerinages et processions. Le fait que paganus – c’est à dire de la campagne - soit à l'origine du mot païen atteste de la christianisation bien plus tardive de ces habitants des « pagi » ruraux que celle des populations urbaines.

Avec Alcuin (730-804), Benoît d’Aniane (750-821), Jean Scot (800-876) la renaissance carolingienne ne semble pas remettre en cause les compromis laborieux avec le druidisme celtique dont des signes se manifesteront encore longtemps sur les chapiteaux de nos églises romanes. Et à Sainte-Suzanne, en Mayenne, les reliques de la sainte martyrisée à Rome au III° siècle arrivent au X° en un lieu où on a identifié le culte antérieur d’une divinité païenne hydronymique : Suze/Ana. Mais l’impact réel du druidisme sur le dogme catholique occidental et sur la place que celui-ci accorde au corps reste cependant bien difficile à évaluer.

Pendant ce temps beaucoup des premiers moines défricheurs sont surtout de rudes gaillards qui ne se posent pas trop de questions théologiques existentielles ; comme en témoignent nombre de mutineries internes contre abbés ou prieurs et les véritables guerres que certaines abbayes se livrent entre elles ou avec l’autorité épiscopale. Pourtant, dès le V° siècle, après celles de Jean Cassien (360-435) et d’Honorat d’Arles (375-429) la règle de saint Benoît (480-547) a posé un cadre à leur turbulente énergie. L’organisation de la vie monacale y tient en deux mots, ora et labora : aussi les frères doivent-ils s’adonner à certains moments au travail manuel et à d’autres heures déterminées à la lecture de la parole divine.

Pour célébrer la gloire de Dieu ce travail manuel vaut oraison et la figure de Jésus charpentier conforte ceux qui ajustent les poutraisons des abbatiales et des cathédrales. Ce beau programme ne trouvera son plein achèvement qu'avec la réforme initiée par Mayeul de Forcalquier (910-994) à partir de Cluny ; le travail intellectuel des scriptoria où, entre autres, on traduit le Coran et le Talmud s’y ajoute alors à celui des champs, des vignes, des bois, de la cuisine, de l’apothicairerie et des ateliers utiles à la vie de la communauté. Mais on assiste aussi à une répartition hiérarchique des tâches : aux moines consacrés le labeur du scriptorium et de l’apothicairerie. Le reste aux frères lais et aux serfs.

Du bas Moyen Âge à la Renaissance : entre spiritualité et réalisme modifier

Les mauvaises habitudes sont cependant tenaces : au XII° Pons de Melgueil (1075-1126), abbé déchu, tente encore de reprendre Cluny par les armes à Pierre de Montboissier (1092-1156) ! Et jusqu’en 1250 les évêques de Langres doivent livrer bataille aux moines de Pothières chaque fois qu’ils veulent traverser leurs terres pour se rendre en leur résidence d’été de Mussy-sur-Seine sans bourse délier ; au point que l’histoire locale parle toujours de ces guerres de Pothières qui ont ensanglanté le Lassois. Bien avant les Ordres chevaliers, beaucoup de moines étaient déjà des combattants aguerris.

Cependant, avec l’amélioration de leur productivité certains monastères s’endorment dans le confort matériel et une réaction critique ne tarde pas à se manifester. Les Bogomiles en quête d’une foi plus pure renouent avec Priscillien (340-385) et le manichéisme d’un monde soumis à deux principes : Dieu et Satan. Tout ce qui est matière, dont le corps, ses œuvres et ses besoins appartiennent au dernier et seule l'âme est œuvre de Dieu. Vite considérés hérétiques, tant par les Eglises d’Orient que d’Occident, ils se maintiennent au fond des Balkans d’où leurs convictions rayonnent jusqu’au milieu du XIV° et la conquête ottomane.

Robert d’Arbrissel, (1047-1117), héritier du syneisaktisme irlandais de saint Aldhelm (640-710), expose encore sa horde mixte à la tentation charnelle pour mieux en éprouver et purifier les âmes quand la réforme initiée par Nicolas II (990-1061) qui ne s’achèvera qu’au XII° siècle avec les conciles du Latran pour clarifier les rapports entre la papauté et l’Empire s'attaque aussi aux mœurs et aux pratiques. Le mariage et la procréation, simple union plus ou moins bénite, est élevé au rang de sacrement en 1215 alors que celui des prêtres, souvent toléré jusqu’alors, a été déjà définitivement banni ; parmi les plus brillants penseurs du XII° siècle d’Arbrissel lui-même, Pierre Abélard (1079-1142) et Héloïse (1092-1164) en ont fait les frais.

La vaillance physique de l’aristocratie, fruit de l’entraînement des combattants, est reconnue et disciplinée par la sanctification d’une liturgie sacramentelle qui se substitue à un rituel laïc préexistant. L’ adoubement du chevalier, précédé d’une longue veillée de prière, fait l’objet d’un véritable cérémonial religieux. Les Croisades et la nécessité de défendre le Saint-Sépulcre amènent l’apparition des Templiers, des Hospitaliers et des chevaliers Teutoniques. Pour ces moines-soldats c’est la consécration religieuse elle-même qui est liée à l’excellence corporelle requise par les obligations militaires. Mais c’est aussi l’époque où Robert de Molesmes (1029-1111) et ses plus illustres disciples – Bruno de Cologne (1030-1101), Aubry de Citeaux (1050-1109), Etienne Harding (1060-1134), Bernard de Clairvaux (1090-1101) … - renouent avec la rigueur et le dépouillement du désert.

Un siècle plus tard, avec l’appui de Philippe Auguste (1165-1223) et forte de son statut de corporation ecclésiastique indépendante, l’ école cathédrale de Paris se transforme en Université. L’essentiel des études fondées sur les arts libéraux y conforte la dimension hellénistique du christianisme. Alors qu’Aristote y rappelle la coexistence d’une âme immortelle et d’un corps périssable on y dénonce les manifestations liées au calendrier religieux où ce dernier s’exprime de façon excessive ou désordonnée : carnavals et fêtes diverses où on retrouve trop de relents du paganisme. Mais celle-ci dévolue aussi à ses étudiants le terrain du Pré-aux-clercs afin qu’ils puissent s’y ébattre.

Cependant, de l’autre côté des Alpes où François d’Assise (1180-1226) comme jadis Paul de Tarse s’applique lui aussi à mater frère Ane, les signes concrets de renouveau ne se manifestent pas assez vite au gré de certains. Pierre Valdo (1140-1227), réclamant des hommes nus qui suivent un Christ nu, se détache de l’Eglise universelle pour une recherche d’existence toujours plus désincarnée ; derrière lui les hérésies vaudoises et cathares prospèrent à l’est et au sud du royaume. Malgré la lutte que l’Eglise et le pouvoir temporel engagent contre elles, les épidémies et la guerre de Cent ans qui relèguent un temps ces soucis au second rang des préoccupations vitales, ces vagues contestataires aboutissent aux séismes de la Réforme dont les nouvelles institutions éducatives connaissent un tel succès auprès des élites qu’elles menacent un temps la catholicité.

Les Temps modernes : Jésuites contre Port-Royal modifier

Mais Jean Calvin (1509-1564) affirme alors des positions très rigoristes, voire répressives. Ce fut tout le génie d’ Ignace de Loyola (1491-1556), son ex-condisciple en Sorbonne, de mener la contre-Réforme en accordant place aux activités physiques et artistiques pour reconquérir l’enseignement : il lui fallait laisser les autres ordres se surpasser dans les jeûnes et les mortifications car il était aujourd’hui plus nécessaire pour la gloire de N.S. J.C. de fortifier les corps et les estomacs. Au XVII° Descartes reçoit encore au collège de La Flèche une véritable formation d’escrimeur dont il saura faire bon usage. Si d’autres ordres enseignants suivent aussi cette voie la suite s’avère plus troublée.

Car si l’activité physique a bien sa place à l’école, l’Eglise et l’Etat sont unanimes pour condamner la violence qui entache jeux et tournois ainsi que ceux qui y consacrent trop de temps. Et la propension des Jésuites à peser sur les affaires du royaume inquiète vite la noblesse et le lobby gallican du clergé français. Redoutant leur allégeance au pape noir qui les gère depuis Rome, ils entreprennent de les contrer dans leurs domaines d’excellence : la politique et la pédagogie. Le jansénisme, surenchère catholique au calvinisme, va jouer un rôle déterminant avec le recteur Charles Rollin (1661-1741). Son Traité des études (1726) qui fait vite autorité relègue leurs internats pour limiter le temps scolaire au profit de l’éducation familiale à qui revient le soin de l’éducation corporelle. En 1763 leur cabale aboutit à l'expulsion pure et simple de la compagnie de Jésus. Plus d’un siècle de mise entre parenthèse de la prise en compte du corps s’en suit dans le cadre des écoles françaises au profit d’une éducation exclusivement spirituelle et intellectuelle dont les tréfonds de notre éducation nationale ne sont toujours pas totalement délivrés.

Alors qu’outre-Manche John Locke (1632-1704) à partir d’une finalité prosaïquement économique et hygiénique a déjà milité pour l’entraînement et l’éducation physique des classes laborieuses la France semble être la seule en Europe à être frappée par cette régression. À la fin du XVIII° Gutsmuths (1759-1839), théologien allemand et aumônier protestant d’un institut d’éducation ainsi que le suisse Pestalozzi (1746-1827) apportent une justification supplémentaire en faisant de la gymnastique un élément-clef de la construction des facultés mentales et de la personnalité. Leurs publications donnent rapidement à leurs convictions une dimension européenne.

Une première traduction française en 1805 par Armar et Durrivier puis leur importation par Amoros (1770-1848) à partir de 1814 inciteront la très catholique Restauration puis le second Empire à ré-envisager la place des pratiques physiques dans leur système éducatif largement dévolu aux ordres enseignants. Dès 1820 l’abbé Allemand (1772-1836) associe la gymnastique aux grands jeux dans ses premiers patronages. L’italien Jean Bosco (1815-1886), les dominicains Henri Lacordaire (1802-1869) puis Henri Didon (1840-1900), l’abbé Timon-David (1823-1891) confortent une tendance que la III° République ne fait qu’amplifier en instaurant cette gymnastique à l’école. Découvrant l’héritage de Thomas Arnold (1795-1842) et de ses christians muscular - chevaliers des temps modernes – Pierre de Coubertin (1863-1937) y réclamera la place du sport proprement dit.

Le siècle passé modifier

Le prosélytisme de ce dernier dépasse les limites de nos frontières. À la recherche d’appuis pour pérenniser son vaste projet olympique balbutiant, Coubertin obtient une audience privée de Pie X en 1905. Il doit se montrer très convaincant car celui-ci missionne aussitôt un de ses gardes nobles, Mario di Carpegna (1856-1924), pour créer la Fédération des associations sportives catholiques italiennes (FASCI) et organiser au Vatican dans l’année même un congrès associé à un concours sportif qui réunit à Rome 33 sociétés de gymnastique et 400 athlètes et cyclistes. L’opération est renouvelée en 1906 puis en 1908 avec 2.000 participants venus d’Italie, de France, de Belgique, d’Irlande et même du Canada. Après un échec l’année suivante, la France prend le relais en 1911 où Nancy voit la création de l’Union internationale des oeuvres catholiques d'éducation physique (UIOCEP) dont Carpegna prend un temps la présidence avant de limiter ses engagements au scoutisme mondial.

Ce concours de 1905 n’est pas sans répercussions collatérales sur le sport français. Les sections sportives des patronages, déjà fort nombreuses et bien organisées, sont alors surtout affiliées aux deux grandes fédérations nationales que sont l’ USGF et l’ USFSA. Dans un climat anticlérical exacerbé celles-ci excluent, au nom d’un article de la récente loi de 1901, celles qui ont répondu à l’appel du Vatican. Les résultats s’avèrent catastrophiques pour elles : les patronages catholiques, souvent regroupés en véritables fédérations régionales (du Nord, du Sud-Ouest, du Rhône et du Sud-Est …), leur tournent le dos irrémédiablement pour adhérer massivement à la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France (FGSPF), nouvelle fédération catholique du docteur Paul Michaux (1854-1923), qui végétait en région parisienne depuis 1898. À la veille de la déclaration de la Grande guerre ses effectifs rivalisent avec ceux de chacune de ses deux nouvelles concurrentes.

L’hémorragie ne s’arrête pas là car cette nouvelle donne offre une tribune aux associations de football, déconsidérées par l’USFSA trop attachée à la promotion de l’aristocratique rugby. Charles Simon (1882-1915), secrétaire général de la FGSPF, fédère au-delà de sa propre boutique et obtient la reconnaissance internationale d’un comité d’Unions dissidentes, le Comité français interfédéral (CFI). Tombé au champ d’honneur le 15 juin 1915, il est relayé par son successeur à la FGSPF, Henri Delaunay (1883-1955) qui s’associe à un autre chrétien social proche de Marc Sangnier (1873-1950 ), Jules Rimet (1873-1956), pour créer en 1919 la Fédération française de football. Alfred Wahl, professeur émérite d’histoire contemporaine et historien du football, reconnait volontiers tout ce que notre premier sport populaire doit à trois militants chrétiens. Et ce bien avant que la constitution pastorale de Vatican II, Gaudium et Spes ne tranche au milieu des méandres que nous venons de parcourir à la hâte : il est interdit à l’homme de dédaigner la vie corporelle … C’est donc la dignité même de l’homme qui exige qu’il glorifie Dieu dans son corps.

Pour conclure modifier

Ces modestes rappels historiques n’ont d’autre prétention que d’inciter à des recherches plus approfondies tant en histoire qu’en théologie sur un sujet décidément bien complexe. Toute nouvelle contribution sera bienvenue ….