Recherche:Humanité·s numérique·s et socio-anthropologie numérique

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Humanité·s numérique·s et socio-anthropologie numérique

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De Lionel Scheepmans.

De l'anthropologie visuelle à l'anthropologie numérique et des espaces numériques modifier

Il est difficile aujourd'hui d'entreprendre une recherche dans le champ de l'anthropologie numérique sans s'intéresser à cette autre science intitulée « Humanités numériques » dont l'intitulé fut traduit littéralement de l'expression anglaise : « Digital humanities ». C'est en effet au sein de cette dernière discipline que semble se produire, de la manière la plus vive et la plus aboutie, les débats suscités par l'avènement de ce qui est commun d'appeler aujourd'hui la révolution numérique.

Dans ce contexte, l'anthropologie, comme toutes autres disciplines liées au domaine des sciences humaines et sociales, de l'art, des lettres ou de l'informatique, doit donc nourrir sa propre réflexion. Mais la nouveauté et le changement continuel engendrés par une révolution en marche empêche, ou en tout cas gène, l'établissement d'un consensus clair au sein de la discipline. Il en revient de ce fait à chaque chercheur de se positionner lui-même dans l'exercice de ses travaux. Une tâche ardue si elle se veut bien faite, car de l'avenue, de l'usage et de l'observation des nouvelles technologies de communication, découlent des questions épistémologiques, éthiques et politiques de premières importances.

Les premiers explorateurs du monde, que l'on pourrait considérer comme précurseurs de l'anthropologie sociale et culturelle moderne, rédigeaient des journaux de bord ou autres documents rendant compte de leurs expériences en pays lointains. Le 15 septembre 1800 déjà, Joseph-Marie de Gérando éditait au sein de la Société des observateurs de l'homme l'ouvrage intitulé : « Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l'observation des peuples sauvages », que l'on peut considérer comme le tout premier guide d'enquête ethnographique.

Dans cet ouvrage, il était notamment question de la méthode d'observation participante rendue plus tardivement célèbre par Bronislaw Malinowski. Pour compléter leurs récits et fournir les preuves de leurs observations, les grands voyageurs s'efforçaient aussi de rapporter au pays autant de témoignages de leurs découvertes que constituent toute une série d'objets, d'êtres vivants, et d'êtres humains. Tous ces trésors de voyages trouvés, échangés, mais le plus souvent considérés comme volés par les populations des lieux d'origines, dépassaient par leurs simples présences toute description, aussi complète qu'elle puisse être.

De ces collections sont nés musées, zoos, et autres vitrines d'exposition dont les plus ignobles au vu de la morale d'aujourd'hui furent sans doute les zoos humains. De cette époque, nous retiendrons la singulière histoire de Saartjie Baartman (~1789-1815) surnommée la Vénus hottentote, importée sous contrat depuis l'Afrique du Sud pour exposer ses particularités physiques au monde occidental. Après sa mort dans des conditions d'extrême précarité, ses reliques furent conservées dans des musées avant d'être restituées en 2002 à son peuple d'origine après des décennies de demandes sporadiques.

Face à la complexité, au caractère onéreux et immoral de ces pratiques d'importation, l'anthropologie, bientôt reconnue comme science, deviendra friande de techniques d'enregistrement les plus variés. L'appareil photo, la caméra, l'enregistreur audio-phonique, prirent place dans les valises des anthropologues dès leur apparition et le concept d'anthropologie visuel fut reconnu rapidement en tant que sous discipline. Parmi les précurseurs notables de celle-ci figure Rudolf Pöch (1870-1921) qui rapporta en Europe la preuve formelle de l'existence des Pygmées à travers une série d'enregistrements audio-visuels.

Avec la venue du numérique, ce sont de nouveaux outils d'observation, de récolte, de conservation, de partage, d'analyse, de discussion et d'évaluation qui furent adoptés par les anthropologues. Par-delà de ces nouveaux outils, le numérique apporta finalement de nouveaux questionnements et de nouveaux terrains ethnographiques. Des thématiques préexistantes telles que la culture matérielle, la dichotomie nature culture, le transhumanisme ou post-humanisme, furent remis au goût du jour. De nouveaux concepts firent leurs apparitions : Homo numericus, cyberculture, cyberespace, le Web social ou Web 2.0, Internet des objets, Web des objets, le Web sémantique, le Web 3.0, l'E-santé, etc. Au sein de l'anthropologie numérique[1] enfin apparut le concept d'anthropologie du numérique clarifiant ainsi le fait que l'adjectif « numérique » s'applique avant tout aux nouveaux usages, espaces et communautés créés par la venue du numérique.

Approches et principes en anthropologie numérique modifier

Même si le jeune âge de l'anthropologie numérique ne permet pas encore d'établir un parfait consensus au sujet de ses tenants et aboutissants, il est d'ors et déjà possible de catégoriser 3 types d'approches :

L'approche immersive : où la recherche porte sur un espace numérique et les observations se limitent à l'espace numérique.

Exemple d'ouvrages : My Life as a Night Elf Priest An Anthropological Account of World of Warcraft[2], Coming of Age in Second Life: An Anthropologist Explores the Virtually Human[3], Culture fr.wikipédia[4], etc.

L'approche holistique : où la recherche porte sur un espace numérique, mais les observations ne se limitent pas à l'espace numérique.

Exemple d'ouvrages : Social Media in an English Village[5], Hacker, Hoaxer, Whistleblower, Spy The Many Faces of Anonymous[6] ou encore Common Knowledge?: An Ethnography of Wikipedia[7], Digital Crime and Digital Terrorism[8], etc..

L'approche instrumentale : la recherche ne porte pas sur un espace numérique, mais un ou plusieurs espaces numériques sont utilisés comme moyen d'observation.

Exemple d'ouvrages : Immigration, the internet, and spaces of politics[9], Children, Sexuality and Sexualization[10], ect.

En plus de cette typologie, six principes clefs applicables à l'anthropologie numérique furent l'objet d'un consensus au sein d'un collectif de chercheurs pionniers en la matière[11] :

  • Le numérique intensifie la dialectique nature culture.
  • Le numérique offre une meilleure compréhension de la vie pré-numérique.
  • Le numérique doit être abordé d'un point de vue holistique et comme partie intégrante de l'humanité.
  • Le numérique n'est pas facteur d’homogénéisation, mais au contraire réaffirme la notion de relativisme culturel.
  • Le numérique apporte une ambivalence au sein de la vie politique et privée.
  • Le numérique développe une nouvelle culture matérielle dans laquelle l’anthropologue se trouve lui-même imbriqué.

Au-delà de l'anthropologie numérique, la cyborg anthropologie modifier

L'utilisation d'outils dans le but de dépasser ses capacités premières a toujours été reconnu comme trait caractéristique de l'être humain, mais la venue du numérique apporte une nouvelle dimension. C'est ainsi qu'en 1995[12], le concept anglophone de cyborg anthropologie fit son apparition en tant que branche de l'anthropologie consacrée à l'étude de l'être humain en lien avec la cybernétique. Quinze ans plus tard, en 2010, l'anthropologue Amber Case[13], n'hésitera pas à qualifier de cyborg au sens neurologique du terme, ce que certains appelleront plus tard l' « homo connecticus »[14]. Car de faite, l'accès audiovisuel et instantané au contenu du Web et la possibilité de contrôler des appareils à distance via un smartphone, de se géolocaliser ou de connaître et d'analyser son rythme cardiaque en temps réel avec une montre connectée, peuvent à ce jour réellement être assimilés à des fonctions cybernétiques attribuées aux hommes.

Avec ces fonctions, ce sont de nouveaux pouvoirs en matière d'omniscience et d’extension de la mémoire cérébrale au sein d'une noosphère, mais aussi en matière d'autoanalyse physiologique et topographique, ou encore en matière de télékinésie au sein de l'Internet des objets et d'omniprésence, voir d'invisibilité via les nouvelles technologies de communication qui feront de l'homme un cyborg.

À côté de l'homme connecté, existe aussi le cas de figure des avatars utilisés dans des jeux vidéo multijoueurs. Ne peuvent-ils pas, à leur tour, être considérés tels des cyborgs numériques doués d'intelligence humaine ? Replacer dans un contexte hors ligne, les drones, notamment ceux utilisés par les forces armées, ne sont-ils pas non plus des robots doués de raison ? Finalement, resurgiront ainsi les questions soulevées par le transhumanisme et le post-humanisme au sein de la cyborg anthropologie.

Notes et références modifier

  1. Le terme anglophone cyber anthropology a précédé à celui de digital anthropology et est toujours utilisé en langue allemande.
  2. Bonnie Nardi, My life as a night elf priest an anthropological account of World of warcraft, Ann Arbor, University of Michigan Press|University of Michigan Press University of Michigan Library, 2010, 236 p. (ISBN 978-0-472-07098-5 et 978-0-472-05098-7) (OCLC 760718590) [lire en ligne] 
  3. Boellstorff Tom, Coming of Age in Second Life: An Anthropologist Explores the Virtually Human, I, Princeton University Press, 2008 
  4. Lionel Scheepmans, « Recherche:Culture fr.wikipedia — Wikiversité », sur fr.wikiversity.org (consulté le 30 décembre 2017)
  5. Daniel Miller, Social Media in an English Village, UCL Press, 2016-01-01 (ISBN 9781910634448) [lire en ligne] 
  6. Jamie Bartlett, « Hacker, Hoaxer, Whistleblower, Spy: The Many Faces of Anonymous by Gabriella Coleman – review », The Guardian, 2014-11-19 (ISSN 0261-3077) [texte intégral (page consultée le 2017-12-30)]
  7. Dariusz Jemielniak, Common Knowledge?: An Ethnography of Wikipedia, Stanford University Press, 2014-05-14 (ISBN 9780804789448) 
  8. Robert W. Taylor, Eric J. Fritsch et John Liederbach, Digital Crime and Digital Terrorism, Prentice Hall Press, 2014 (ISBN 0133458903 et 9780133458909) [lire en ligne] 
  9. « Immigration, the internet, and spaces of politics », Political Geography, vol. 21, no  8, 2002-11-01, p. 989–1012 (ISSN 0962-6298) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2017-12-30)]
  10. Jessica Ringrose, Children, Sexuality and Sexualization, Springer, 2016-04-29 (ISBN 9781137353399) [lire en ligne] 
  11. Heather A. Horst et Daniel Miller, Digital Anthropology, A&C Black, 2013-08-01 (ISBN 9780857852922) [lire en ligne] 
  12. Gary Lee Downey, « Cyborg Anthropology », Cultural Anthropology, vol. 10, 1995, p. 264-269
  13. Amber Case, « We are all cyborgs now », sur https://www.ted.com, (traduction française)
  14. Christophe Médici, Homo connecticus - Comment maintenir une Haute Qualité Relationnelle® à l’ère du numérique, Dangles, 2015-10-03 (ISBN 9782703311058) [lire en ligne]