Recherche:La BioBrick : de la vertu éthique à l'aubaine d’une économie immorale

La BioBrick : de la vertu éthique à l'aubaine d’une économie immorale

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Par Lionel Scheepmans

La biologie synthétique pose plusieurs problèmes au niveau de la propriété intellectuelle en raison des pratiques établies jusqu’à ce jour. Ces pratiques consistent en effet à breveter toutes nouvelles découvertes (Konig, Dorado-Morales et Porcar 2015). À côté des brevets, toute une panoplie d’outils de protections de la propriété intellectuelle peuvent aussi être utilisés tel que le copyright, la marque déposée, les licences diverses libres ou non, etc. Mais comment dès lors orchestrer un projet si ses parties constitutives sont soumises à tant de droits de propriété différents ? Sans oublier que la réglementation en termes de monopole informationnel peut varier d'un pays à l'autre (Rutz 2010). C'est ainsi que lors de la création d’un riz transgénique, il a fallu débloquer 70 brevets (Rutz 2009) !

Face à ce constat, la Fondation BioBricks (Association sans but lucratif) propose de se lancer dans la recherche et l'innovation « responsable » en établissement un système de contrat entre contributeurs et utilisateurs de séquences génétiques.

Concrètement, il s’agit de rassembler toutes contributions offertes gratuitement pour les soumettre au BioBrick™ Public Agreement (BPA) un outil légale de libre usage qui aide l’ensemble des acteurs à créer et partager librement leurs pièces génétiques. Ce partage est facilité par l’usage de fonctions génétiques standardisées intitulées « BioBricks ». En pratique les BioBricks sont conçues pour être librement assemblées afin d'encoder des fonctions génétiques nouvelles ou déjà existantes. Plus précisément, voici la mission de la fondation tel qu'elle se présente sur sa page d’accueil du site de la Fondation :

« The BBF’s mission is to ensure that the engineering of biology is conducted in an open and ethical manner to benefit all people and the planet.
We believe fundamental scientific knowledge belongs to all of us and must be freely available for ethical, open innovation. This is a new paradigm »[1]

Un paradigme nouveau donc, mais toutefois emprunt d’idéologies qui ne le sont pas. L’idée par exemple que tout le monde soit bénéficiaire des actions de la fondation pourrait rejoindre selon les détails, une approche utilitariste des sciences. Quant à l’idée d’ouverture dans les échanges et d’activités ouvertes, libres mais aussi contractuels, elle s’inscrit clairement dans le courant de la pensée libérale.

Ce qui est nouveau par contre au sein de ce projet c’est d’établir une rupture intrinsèque entre sciences et capitalisme. En effet, dans une organisation sans but lucratif, l’idée d'accroître le capital financier d’un ensemble d’actionnaires ne pourrait en aucun cas trouver sa place. Une bonne chose somme toute, si l'on pense aux nombreuses dérives observables comme par exemple au sein de l'industrie pharmaceutique[2].

Reste encore à se pencher sur les questions de pouvoir et de gouvernance qui d'emblée soulèvent une question éthique par le simple fait que la fondation BioBricks est une institutions Américaine qui répond au lois américaines produites par le peuple américain[3]. N’existe-t-il pas là un risque de concentrer autant de pouvoir décisionnel dans un même pays ? N’y a-t-il pas non plus un problème de transparence et d'égalité lorsque que ce pouvoir décisionnel s’articule uniquement en anglais ? Que doit-on aussi pensez du fait que les statuts de la fondation ne soit pas disponible sur le site de la fondation ? Une page de questions réponses est toutefois disponible et nous informe de ceci :

« Is the BPA a license, such as the GNU Public License (GPL) developed by the Free Software Foundation? :
By contrast, the BPA is a contract between one person who wants to make a genetically encoded function free to use and someone else who wants to use it freely. As a second major difference between the BPA and the GPL, there is no required “give back” or “viral” clause in the BPA. »
[...]
What do you mean by “free-to-use?
We mean that any Contributor-held intellectual property rights that might be used to limit the use of the contributed materials will not be asserted against Users of the materials. »

Ainsi, comme l'a très bien remarqué Geneviève Fioraso dans son rapport sur les enjeux de la biologie de synthèse (Fioraso 2012, p. 137), la license BPA n’implique aucune obligation de réciprocité au niveau des échanges qu'elle coordonne, ni aucune obligation de maintient des termes de la BPA sur les produits dérivés. Dans un tel contexte, les biobricks deviennent donc une magnifique aubaine pour les riches entrepreneurs qui pourrons en bénéficier gratuitement pour créer des applications qui pourrons ensuite breveter dans pour les rendre payantes tout en interdisant la production et la commercialisation par d'autres. Qui d’autre par ailleurs que de riches personnes ou institutions, seraient capable de payer les coûts de production des ces applications ?

À long terme, l’ « open and ethical manner to benefit all people and the planet » annoncé dans la mission de la Fondation BioBricks n'apporte aucune réponse aux inégalités des répartitions de biens et de richesses parmi les hommes. La vertu éthique annoncé par la BioBricks Fondation risque donc de servir in fine une économie immorale.

Ainsi, sans l'application du concept copyleft au sein de la license BPA (interdiction de changer de licence lorsque l’on utilise un contenu sous licence pour en développer un autre dérivé) d'une part, la science restera au service des plus riches, d’autre part l’innovation se poursuivra dans un but lucratif et donc en faveur de ce qui est potentiellement rentable en termes de marketing et de vente et pas en termes de réponses aux besoins et problèmes existants au sein de nos sociétés.

Bien sûr on entendra toujours dire que le business est nécessaire au financement de la science. Mais à cela, on peut aussi répondre que pour fonctionner, la science a besoin d’idées de matières mais pas d’argent. L'argent n'étant qu'un moyen se procurer ces deux choses tout en privilégiant les plus riches au détriment des plus pauvres. Le copyleft appliquée aux découvertes scientifique serait donc en ce sens un moyen de régulariser les inégalités de richesses entre les êtres humains.

Reste enfin la question de savoir si la BioBricks(TM) en tant que manière d'agencé les séquences génétiques constitue un formatage libre ou non. Car si ce formatage est sous licence et soumis à un brevet, comme ce fut le cas pendant 20 ans par exemple pour le format musical MP3, c’est toutes les questions débattues dans le monde de l'informatique au sujet des problèmes d'interopérabilités et la venue de formats libres qui se posent alors au cas de figure de la BioBrick.

Notes et références

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  1. BioBricks Foundation, BioBricks Foundation. Consulté le 2016-04-30
  2. Industrie pharmaceutique — Wikipédia. Consulté le 2016-04-30
  3. CitizenAudit.org - BIOBRICKS FOUNDATION INCORPORATED. Consulté le 2016-04-30

Bibliographie

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  • Geneviève Fioraso, « Les enjeux de la biologie de synthèse (Rapport) », Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, vol. 378 [texte intégral (page consultée le 2016-04-30)]
  • « Responsibility and intellectual property in synthetic biology », EMBO reports, vol. 16, no  9, 2015-09-01, p. 1055–1059 (ISSN 1469-221X1469-3178) [texte intégral lien PMID lien DOI (pages consultées le 2016-04-30)]
  • Berthold Rutz, « Synthetic biology and patents », EMBO reports, vol. 10, no  S1, 2009-08-01, p. –14-S17 (ISSN 1469-3178) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2016-04-30)]
  • Berthold Rutz, « Patentability of synthetic biology inventions in Europe », Biotechnology Journal, vol. 5, no  1, 2010-01, p. 11–13 (ISSN 18606768, 18607314) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2016-04-30)]
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