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La marginalité, réflexions sur le concept via l’approche interactionniste et une analyse de la domination

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De Emma Erroelen.

Introduction

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Le thème de la marginalité m’est venu car ces derniers temps je m’interrogeais sur ce que j’appelle, la marginalité volontaire. Suite à plusieurs rencontres ces dernières années je me suis demandée pourquoi des personnes qui avaient tout pour avoir une « bonne vie », plaquaient tout pour changer cette dernière et quitter, en quelque sorte, la société. Autant des familles citadines parties vivre en autarcie que des personnes seules, citadines souvent aussi, décidant de parcourir différents chemins au volant d’une camionnette aménagée, par exemple.

Je partais du postulat que la marginalité était le fait de vivre hors société car celle-ci excluait certains individus. Que cet autarcisme n’était pas désiré et plutôt mal vécu. Ces rencontres précitées m’ont montré qu’il ne suffisait pas d’être un paria pour se marginaliser, pour vouloir vivre autrement que ce que les préceptes de notre société, capitaliste, nous dictent. C’est ce qui est pour moi une marginalité volontaire.

Ayant du mal à expliquer ce que j’entendais par ce terme, il fut convenu que mon travail se focalise sur le concept de marginalité. Trouvant également l’idée positive en espérant aiguiser ma connaissance sur ce sujet afin de mieux en étudier les possibles variantes dans un futur travail. Ce travail a pour vocation de réunir une partie de la littérature sur ce sujet afin d’essayer de mettre au jour les limites du concept de marginalité.

Le terme marginal est un mot qui renvoie une image, souvent différente, à chacun d’entre nous. Comme le disent Luc Van Campenhoudt & Nicolas Marquis, dans leur livre, Cours de sociologie, « les sciences sociales abordent des phénomènes sur lesquels, souvent, « tout le monde a déjà un avis » et à propos duquel des interprétations socialement instituées préexistent. » (Van Campenhoudt & Marquis, 2014, p.61). Hoggart montre également que notre regard sur l’Autre va être affecté par des aprioris liés à notre milieu social.[1] Nous avons donc tous des catégories de pensée qui nous permettent de traduire le monde dans lequel on vit, l’important, pour celui qui étudie une science sociale, l’anthropologie, par exemple, est de se défaire de ses schémas de pensée. Déconstruire son sens commun permet de mieux appréhender et de comprendre les processus de pensée de celui de son interlocuteur.

Ce travail s’articule principalement autour d’un ouvrage de référence sur ce sujet ; Outsiders d’Howard Becker. L’auteur, né en 1928 aux États-Unis, est un sociologue appartenant à l’École de Chicago dont il est un des plus reconnu participant. L’École de Chicago est un mouvement de la section de sociologie de l’Université de Chicago qui a amené un nouveau regard sur la discipline principalement entre 1918 et 1940. Ils théorisaient sur l’urbain et l’étude de l’homme moderne, via l’interactionnisme symbolique, et promouvaient des études d’observation sur le terrain.

L’interactionnisme symbolique est un « paradigme sociologique » qui voit un fait social, comme étant le résultat d’une somme d’interactions[2] entre plusieurs sujets. Ces derniers donnent un sens à leur action et l’interprète avec leur regard ; comprendre la spécificité de chacun d’eux permet de mieux analyser l’équation. (Van Campenhoudt & Marquis, 2014, p.337)

En plus de cette approche nouvelle, Becker était pianiste de jazz ce qui lui a permis d’être un observateur privilégié lorsqu’il commença son étude sur les fumeurs de marijuana. Cette étude amena à son célèbre livre, Outsiders. Cet ouvrage, au-delà de ce sujet, va interroger la déviance, ses acteurs catégorisés comme marginaux. Interactionniste, Becker va amener le point de vue de tous les acteurs prenant part à ce concept : autant le regard extérieur, ceux qui désignent et matent la marge, autant le regard intérieur, ceux qui vivent la marge.

La première partie de ce travail tournera donc autour de plusieurs concepts de cet ouvrage, articulés avec d’autres apports de l’École de Chicago ainsi que d’auteurs venant d’autres horizons. Un premier point portera sur le concept d’outsider via des réflexions sur les normes sociales et sur les sous-groupes & sous-cultures. Le concept de déviance sera amené en second lieu, pensé, grâce à la théorie de l’étiquetage et du concept de carrière. Et troisièmement, une réflexion sur les entrepreneurs de morale sera discutée. Ayant commencé ma réflexion avec le livre de Becker, il m’a semblé cohérent de continuer à voir le point de vue de penseurs qui analysent avec le même paradigme que lui.

La deuxième partie de ce travail analysera la perspective selon laquelle nous sommes dans une société capitaliste, l’argent devient donc la valeur centrale de celle-ci, ce qui fait coïncider le concept de pauvreté avec celui de marginalité. Mes lectures, évoquées pour la première la partie, ayant déjà quelques décennies, j’ai voulu aussi lire des ouvrages plus récents. Ceux-ci évoquaient la marginalité comme une catégorie dominée dans nos sociétés capitalistes. C’est pourquoi cette deuxième partie parle d’un rapport de domination entre les riches et les pauvres, qui va marginaliser les seconds.

Une approche symbolique, avec De la souillure de Mary Douglas et Le mythe du trickster de Laura Makarius, avait été pensée et commencée à être inclue dans ce travail. Ne sachant pas où inclure cette partie et comment faire le lien avec les différents écrits que j’avais déjà, l’idée a été mise de côté.

L’outsider

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Les normes sociales

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Un outsider, définit simplement, est, un individu qui transgresse une norme. Afin de comprendre et de définir les contours de ce qu’est un outsider, il est bon de poser ce que ce sont les normes sociales, celles qu’il est censé dépasser. Pour Luc Van Campenhoudt et Nicolas Marquis, la norme est « un précepte de conduite correspondant à une situation sociale donnée ». Les normes sont donc d’origine culturelle et non naturelle. » (Van Campenhoudt & Marquis, 2014, p. 338). Pour Becker, les normes « définissent des situations et des modes de comportements appropriés à celles-ci ; certaines actions sont prescrites (ce qui est « bien »), d’autres sont interdites (ce qui est « mal ») ». (Becker, 1985, p.25)

Ces normes peuvent être exprimées juridiquement mais, également, implicitement, représentées par des comportements qu’on va juger de « normaux ». Une norme peut être explicitée dans la loi sans pour autant que la société voit sa transgression comme une déviance, et est parfois même encouragée. Par exemple, le travail au noir est normalisé voire motivé dans certains groupes de la population. Inversement, une norme peut être culturelle sans pour autant qu’elle ne soit légalement définie. Par exemple, les normes de politesse. L’étude de la déviance, et donc des normes sociales, ne va pas se focaliser sur la légalité de la norme transgressée mais à comprendre les mécanismes engendrés par tous les individus concernés de pourquoi la situation est perçue comme marginale.

Pour Becker, lorsqu’on voit un individu déviant, il y a une perte de confiance quant à sa fiabilité pour le respect des autres normes sociales, il sera donc mis au ban du groupe car considéré comme étranger à celui-ci, il deviendra un outsider. Ce n’est pas parce que le déviant est perçu comme tel qu’il va accepter cette catégorisation : l’outsider peut ne pas prendre cela comme argent comptant car il estime que « ses juges » sont étranger à son monde social, à ses référents normatifs. (Becker, 1985, p.25).

La traduction des normes communément admises diffère selon le contexte social et culturel des individus. La perception d’un acte déviant va donc dépendre de celui-ci.  (Becker, 1985, p.28) Les individus vont se comporter en fonction de l’interprétation normative de leur environnement afin de garder des relations et interactions sereines avec la société. Si il n’a plus cela, l’individu sera « libre d’obéir à ses impulsions » (Becker, 1985, p.51), plus enclin à dévier de la norme, et donc de se faire désigner comme un outsider.

Le marginal, celui qui est dans la marge – de la société, est donc celui qui outrepasse une (ou des) valeur(s) de celle-ci ; valeur au sens de Parsons, où la valeur est « un élément d'un système symbolique qui sert de critère pour choisir une orientation parmi les diverses possibilités qu'une situation laisse par elle-même ouvertes. » (Becker, 1985, p. 153)

Plusieurs sociologues ont écrit à propos de cet étranger, celui qui vient du dehors. Tel que Simmel, Park, Thomas et Anderson[3].

Georg Simmel (1858-1918), était un philosophe allemand, considéré comme l’un des pères fondateurs de la sociologie. Il va interroger la société moderne et son vivre ensemble via l’interactionnisme méthodologique, qui « qualifie l’approche méthodologique de Simmel consistant à étudier les actions réciproques et à en extraire les formes. » (Van Campenhoudt & Marquis, 2014, p. 337). En 1908, il publie un essai général de sociologie. Simmel va amener deux concepts intéressants pour un travail sur la marginalité : le blasé et l’étranger.

Le blasé est celui qui va se caractériser par son indifférence quant à la valeur des choses, l’argent, par exemple. (Martuccelli, 1999, pp.394-395) L’étranger, quant à lui, est un symbole de médiation au sein de la société car étant hors de cette société il apporte une certaine objectivité, surtout qu’il n’a aucun rapport organique avec les individus de celle-ci. Ce n’est pas quelqu’un qui est dans l’errance, mais pas non plus dans la sédentarité, il fait un pont entre les deux. (Martuccelli, 1999, pp.386-387). On pourrait s’interroger sur la figure du marginal de nos sociétés modernes, si il ne sera pas un mélange de ces deux concepts : un être n’ayant pas une place à part entière due à son indifférence quant à la valeur monétaire.[4]

Fortement inspirée de Simmel, l’École de Chicago va penser le concept d’homme marginal lors de leurs réflexions sur les représentations de l’individu moderne, en reprenant l’idée simmelienne que, l’homme marginal est un homme de l’entre-deux. Ils vont étudier ce concept via les processus de déracinement et de désorganisation sociaux, (Martuccelli, 1999, p.423), sans pour autant alimenter les stéréotypes liés à ces processus, tel que la précarité.  Ils seront également influencés par sa méthode, l’interactionnisme méthodologique, en évoluant vers l’interactionnisme symbolique.

Park caractérisera l’homme marginal par son ambivalence entre deux cultures, deux sociétés. Celle-ci amènera cet homme à savoir qu’il voudra en même temps rester et partir. L’homme marginal est donc cosmopolite ce qui lui apporte un plus large horizon culturel. (Martuccelli, 1999, pp.419-420).

En parallèle de l’homme marginal, le concept de hobo sera défini par l’École de Chicago. Tout d’abord, Anderson expliquera que le hobo est un individu à la recherche de nouvelles sensations en vivant de nouvelles expériences dans un but de liberté et d’être un étranger. Le hobo est mobile car c’est ce qui lui permet d’aller vers de nouveaux horizons. Park constate que c’est un homme toujours en mouvement mais sans direction car sa liberté individuelle passera toujours devant ses besoins communautaires et relationnels.

Dans ses écrits, Thomas parle de quatre désirs fondamentaux : expériences nouvelles, sécurité, réponse et reconnaissance. Le désir des expériences nouvelles, sera souvent discuté par l’École de Chicago comme étant une caractéristique des marginaux. Pour Thomas, ce désir est le propre de la modernité. Mais cette aspiration, individuelle, rentre en conflit avec le besoin premier de la société, un maximum de stabilité. (Martuccelli, 1999, P.424). Certains individus seront donc guidés par leur désir de sécurité, ce que Thomas appelle les « philistins », quand d’autres vivront leur désir d’expériences nouvelles, appelé les « bohémiens ». Le marginal, le hobo rentre dans cette deuxième catégorie.

L’outsider, l’étranger, ou le marginal, est donc un individu qui n’est pas entièrement au sein d’une société, ni entièrement en dehors dû à des normes qu’il ne respecte pas car animé par d’autres valeurs.

Les sous-groupes et les sous-cultures

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Pour Becker, au sein d’une société se trouve plusieurs sous-groupes, chacun avec son propre système de normes. A chaque sous-groupe correspond donc ce qu’il appelle une sous-culture. Les individus partageant un même sous-groupe, vont avoir un certain nombre d’idées communes pour comprendre le monde qui les entoure et des comportements liés à celles-ci. Lorsqu’un individu rentre dans un sous-groupe déviant, la sous-culture de celui-ci va lui fournir des justificatifs à sa déviance.

Une sous-culture se forme toujours quand le sous-groupe lié ne se reconnait plus dans la société et ses valeurs. Le sous-groupe créera donc son propre système normatif. Ces sous-cultures, avec des idées en marge de la société dominante, seront toujours qualifiées de déviantes, même si ce qui les réunis n’est pas quelque chose d’illégal. Les sous-cultures sont donc des réponses à la culture dominante.

Pour définir ce qu’est une sous culture, Becker reprend la définition anthropologique de la culture, selon Robert Redfield. Pour Hughes, c’est une définition qui est spécifique aux sociétés homogènes, telles les sociétés primitives. Pour Becker, les sous-groupes étant homogènes, cette définition convient aux sous-cultures.

« Par le terme de culture nous désignons l’accord mutuel sur les idées conventionnelles, manifestes dans les actions et les objets, qui caractérise toute société. C'est cet accord mutuel qui constitue les significations attachées aux actes et aux objets. Ces significations sont conventionnelles et donc culturelles dans la mesure où elles sont devenues typiques pour les membres de cette société du fait des intercommunications entre ceux-ci. Une culture est donc une abstraction : c'est l'ensemble des types auquel tendent à se conformer les significations que les différents membres de la société attribuent à un même acte ou à un même objet. Les significations s'expriment dans les actions et dans le produit des actions, à partir desquels nous les inférons. On peut ainsi définir la "culture" par les limites à l'intérieur desquelles les comportements conventionnels des membres de la société peuvent varier sans cesser d'être tenus pour identiques par tous les membres. »

(Redfield, 1941, p.132 – cité par Becker, 1985, pp. 103-104)

Pour résumer, selon Becker, il y a une culture – ou sous-culture – si il y un « ensemble organisé de significations ». (Becker, 1985, p. 104).

Dans son étude sur la déviance, Becker, parle de ce concept de sous-culture en exemplifiant avec les musiciens de danse. Ils ne font rien d’illégal, mais leur mode de vie est perçue comme bizarre et marginal. Ce qui suffit pour les cataloguer de déviant.

Même si les normes vont dépendre de l’influence socio-culturel d’un individu, et que donc, potentiellement, tout individu peut être vu comme étrange, les sous-cultures se créeront toujours à partir du modèle dominant. Pour exemplifier ce que je tente d’expliquer, je vais donner un cas concret, le regard que j’ai eu sur les « voisins d’en face » de la maison familiale où j’ai grandi. Mes voisins sont des individus tout à fait normaux si on prend les caractéristiques de notre société capitaliste. Mes parents, si on prend ses mêmes dictats, sont des marginaux. J’ai toujours jugé ses personnes avec ma grille de valeurs, celles que mes parents m’avaient inculquée, je ne comprenais pas leur façon de vivre, de penser, et surtout de nous juger. Malgré ça, pour moi, ce n’était pas des marginaux mais plutôt des moutons. Je ne me suis jamais identifiée comme marginale – même si je savais, sentais le regard extérieur – car la sous-culture dans laquelle j’ai grandi me donnait un système normatif complet pour appréhender ce qui m’entourait.

La façon de voir le monde n’est pas binaire : les marginaux et les autres. En fonction de son milieu socio-économique, de sa culture, de ses expériences personnelles, chacun va avoir sa propre grille de lecture. On pourrait alors se demander pourquoi certains individus en arrivent à rejoindre ou créer une sous-culture, tandis que d’autres arrivent à rester inclus dans la société. Pour comprendre ce phénomène, il est intéressant de consulter deux théories de Hughes, tout comme l’a fait Becker.

La première est que dans notre société il y a deux types de statuts : un statut principal et un statut subordonné. Lorsqu’est assigné, à un individu, un statut principal, celui dominera les autres statuts (subordonnés) que pourraient avoir l’individu. Le statut de déviant est un statut principal ; une fois qu’un individu aura transgressé une norme, et qu’il sera qualifié de déviant, ses autres statuts, peut-être acquis par de « bonnes » actions pour la société, seront mis dans l’ombre. (Becker, 1985, p.56).

La seconde est que pour chaque statut il y a deux types de caractéristiques : les principales et les accessoires. Un statut type aura, la plupart du temps, une caractéristique principale qui sera le référent pour savoir si un individu à ce statut ou non. Si cette caractéristique est identifiée, le statut sera attribué : les observateurs de cette première caractéristique s’attendront à l’émergence d’autres caractéristiques, les accessoires. (Becker, 1985, p.55).

On peut donc comprendre pourquoi certains individus, statués de « déviant », on plus de difficultés que d’autres à rester inclus dans la société, et donc à créer leur propre culture. Une fois le statut sur les épaules, il est difficile de s’en défaire, les observateurs ne voyant pas les autres statuts. Focalisés sur le « principal », ils auront des attentes, négatives en ce qui concernent les marginaux, ils seront donc mis petit à petit au ban de la société, stigmatisés par celle-ci.

L’outsider est donc un individu, qui, ne répondant pas à une norme sociale, ne sera pas totalement inclus dans la société globale. Tous les auteurs précités amènent cette idée d’ambivalence entre la société globale et un groupe social. Une ambivalence, due à un échec d’intégration dans la société, à cause de comportements qui vont être qualifiés de déviant, et qui sera analyser comme une menace pour l’équilibre de la société, si cet individu ne sait pas respecter les normes sociales. Becker va plus loin que les autres auteurs en constatant que ces personnes de l’entre-deux, restent des êtres sociaux, et vont de se retrouver, liés par un comportement similaire, sous la forme d’un sous-groupe dans lequel il y a une sous-culture avec son propre système normatif.

La déviance

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Définition

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Une fois qu’une norme sociale est transgressée, la notion de déviance apparait. Elle peut être définie comme « un comportement qui s’écarte des normes généralement admises dans un groupe ou dans l’ensemble de la société. » (Van Campenhoudt & Marquis, 2014, p. 334). Avec l’approche interactionniste, la déviance n’est donc pas un acte anormal mais le résultat de l’interaction entre l’acteur déviant et de la sanction émise par les observateurs.

Par exemple, l’homosexualité a longtemps été vu comme une pathologie car la norme sociale était l’hétérosexualité. L’homosexualité va se prêter à des interrogations contrairement à l’hétérosexualité car elle est posée comme incarnant « à la fois le bien (ce qu’il est « bon » de faire), la normalité (ce qu’il est « normal » de faire) et la santé psychique (ce qu’il est « sain » de faire). Becker ne veut donc pas interroger la déviance que selon du point de vue de qui s’écarte de la norme, mais également interroger cette norme, qui est le produit d’une histoire culturelle et d’un contexte social, même si souvent justifiée comme étant naturelle. (Van Campenhoudt & Marquis, 2014, p. 64)

Penser la déviance et penser la norme est donc indissociable.

La théorie de l’étiquetage

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Toujours dans une approche interactionniste, Becker va amener la théorie de l’étiquetage. Lorsqu’une transgression est remarquée et désignée par la société, le transgresseur sera étiqueté de « déviant ». Cet étiquetage est donc le résultat de l’interaction entre l’acte commis et les réactions des observateurs qui font qu’un acte va être étiqueté de déviant. Un même acte non-observé, ou non dévoilé, ne sera donc pas étiqueté comme tel.

Cette théorie de l’étiquetage, permis par la mise en évidence d’une transgression de norme via un observateur, est à mettre en parallèle avec la théorie de la gouvernementalité de Michel Foucault.

Foucault (1926-1984) est un philosophe français qui a écrit sur la prison et les mécanismes de pouvoir à travers l’histoire jusqu’à nos jours.  Grand penseur, deux concepts de Foucault sont intéressants à mettre au jour dans ce travail : le panoptique et le biopouvoir.

Dans Surveiller et Punir, livre publié en 1975, après avoir raconté l’histoire de la prison, Foucault parle du panoptique. Idée venue de Jeremy Bentham, la prison est imaginée circulaire avec, sur les bords, les différentes cellules et en son centre, un œil de contrôle. Cet œil serait pensé d’une manière à ce que les détenus, chacun dans leur cellule, ne sachent jamais si quelqu’un est ou non dans la tour centrale et donc s’il est observé. Pouvant toujours être dans la potentialité d’être observé, le détenu serait donc plus docile. Cette architecture peut être étendu à d’autres institutions où l’on veut que les individus se sentent observés pour plus de complaisance ; par exemple, l’école ou l’hôpital.

Quelques années plus tard, Foucault amènera le concept de biopouvoir. Pour lui, le pouvoir n’est plus concentré dans les institutions étatiques, le pouvoir est partout, dispersé. Chacun des individus d’une société possède du pouvoir et chacun des individus sait que ce pouvoir est diffus. Ce concept, qui ne voit plus un pouvoir étatique exprimé par la force physique mais un pouvoir invisible et dispersé, va être présent, selon Foucault dans des sociétés libérales-démocratiques, dans des gouvernements, qu’il nomme, gouvernementalité.

Tout comme avec le panoptique, les hommes savent qu’ils ont la potentialité d’être observé par quelqu’un qui a du pouvoir. Un pouvoir de voir, analyser, interpréter et d’étiqueter un être, selon lui, de déviant. Ce sentiment d’omniscience du pouvoir va amener un autocontrôle et une autocritique des individus ; ceux-ci ne sentiront pas la force que le pouvoir a sur eux pensant être autonome dans leur décision.

Concept de carrière

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La carrière, ou carrière morale, est une série d’étapes par lesquelles un individu va passer lorsqu’il changera de sous-groupe. Deux auteurs ont théorisé sur ce concept : Becker avec l’Outsider et Goffman[5] dans Asile, son enquête au sein d’un établissement psychiatrique. Le premier va parler de la carrière du déviant et le second de la carrière morale ; mais toutes deux suivent le même schéma.

La première étape est celle de la phase préhospitalière chez Goffman où l’individu concerné va se sentir mis à l’écart par des personnes qui disent vouloir son bien et va petit à petit perdre des responsabilités qui faisaient partie de son quotidien. Chez Becker, cette étape est celle de la transgression où pour une raison ou une autre un individu ne va pas respecter une norme de son groupe social. Dans les deux cas, il y a une limite qui sera franchie et une étiquette collée à cet acte, et une distance sera prise par les personnes faisant partie de leur quotidien.

La deuxième étape est la phase hospitalière chez Goffman où l’individu est enfermé dans une institution (totale) où il subit une surveillance constante, et se voit gagner une nouvelle identité. Cette phase chez Becker est celle d’être publiquement désigné (d’outsider). Cette étape est donc, pour les deux auteurs, un moment d’étiquetage et de changement de statut de l’individu.

La troisième et dernière étape, est la phase post hospitalière chez Goffman – phase qu’il a peu étudié : le reclus retrouve sa liberté mais a du mal avec le monde extérieur car il en a été coupé un certain temps. Chez Becker, c’est la phase d’entrée dans un groupe déviant organisé. L’individu apprend donc sa nouvelle sous-culture grâce au sentiment d’un destin commun partagé avec les autres membres du groupe. Une fois intégré dans son nouveau sous-groupe, l’acte déviant de fumer de la marijuana, par exemple, ne sera plus perçu comme tel, étant la norme au sein du sous-groupe. La nuance ici est que chez Goffman l’individu retourne dans son ancien groupe, tandis que chez Becker, l’individu continue son intégration dans son nouveau sous-groupe. Mais il est possible d’imaginer que si l’individu de chez Becker devait aussi faire marche arrière, il serait dans la même position et ambiguïté que celui de Goffman.

Ces trois phases, sont donc transposables à beaucoup de situations où un individu se trouve confronter à des changements de sous-groupes.

Selon le paradigme interactionniste symbolique, on constate que la déviance dépend avant tout du regard porté sur celle-ci. Pour qu’un acte soit qualifié de déviant, il faut qu’un observateur soit présent. Cet observateur étiquètera alors l’individu actant. Mais cela ne se fait pas non plus comme ça. Becker constate que les individus étiquetés ont tous suivis un même schéma : la carrière du déviant. Une fois l’étiquette collée, il est très difficile pour l’individu de s’en défaire. Dans la deuxième phase, l’individu peut encore faire marche arrière, mais comme il sera déjà publiquement identifié, il sera difficile pour lui de retourner pleinement dans la société dominante. Dans la troisième et dernière phase, une fois la sous-culture acquise et sa grille de valeur changée, l’individu étiqueté, ne se sentira plus comme ça, car son comportement qui est qualifié de déviant, est la norme dans son nouveau groupe.

Les entrepreneurs de morale

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La déviance et la norme étant intrinsèquement liées il est intéressant de se demander d’où vienne ces normes. Pour Becker, il y a trois conditions pour que le processus de respect des normes se mette en marche. La première, est, qu’il faut qu’un agent punisse celui qu’il voit comme transgresseur, il faut qu’il entreprenne une démarche, d’où le nom de ce concept. Ensuite, une fois la transgression avérée, il faut la mettre en lumière afin que personne ne puisse nier ce qui a été commis. La dernière condition, est qu’il faut que l’agent y voie un avantage à mettre cette étiquette. (Becker, 1985, p.171)

Ceux qui créent la norme

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Ceux qui créent la norme, sont comme en « croisade pour la réforme des mœurs » : pour eux la société n’est pas ordonnée, il faut donc que des normes soient mises en place. Ce type d’entrepreneur de moral croit dur comme fer en sa vision de ce que doit être la société, ces nouvelles normes, même si parfois contraignantes, sont pour un mieux ; sont pour le bien de ces marginaux. Ce point de vue paternaliste les conforte dans l’idée que grâce à ces nouvelles normes, ils leurs évitent une certaine forme d’exploitation. Gusfield les définit ainsi : « on reconnait dans ce type de réformiste moral le mode d’approche d’une classe dominante vis-à-vis de ceux qui occupent une position moins favorisée dans la structure économique et sociale ». (Becker, 1985, p.173)

Cette analyse qu’amène Becker, et la définition de Gusfield, peut faire penser à la figure révolutionnaire de Marcuse, où il distingue deux couches de la société où elle peut émerger : chez les sous-privilégiés et chez « ceux qui grâce à leur position ou à leur éducation, ont la possibilité – et non sans peine d’ailleurs – de connaître les faits » (Martuccelli, 1999, p. 276). Cette deuxième catégorie peut dès lors poser des nouvelles normes pour aider la première catégorie, avec un motif humanitaire, mais sans être concernés par la cause. Comme le défini Gusfield, il y a des individus qui sont dans une position dominante : leurs capitaux socio-culturels leur permettent une certaine place dans la société qui va les mener à un meilleur accès à l’éducation, ce qui va leur donner du temps et une capacité à penser le monde. Pour certains d’entre eux, avec une ambition humanitaire, paternaliste ou juste réformiste, ce temps et cette capacité seront utilisés pour créer de nouvelles normes concernant les dominés, ceux qui sortent du bon chemin, les marginaux.

Celui qui créée la norme peut aussi être celui qui, initialement, est déviant, et en normalisant sa réalité, il s’éloigne du statut de marginal. Dans son article, « des normes d’« habiter » questionnées : le quartier de la Baraque », Anaïs Angeras, explique, en 2015, comment les habitants de ce quartier alternatif ont décidé de mettre en lumière leur mode de vie, associé à des stéréotypes d’insalubrité et de précarité, afin de faire changer le regard et les normes juridiques. Cela portera ses fruits, ces habitats alternatifs, sont actuellement au cœur de la réflexion des politiques de logement.

Anaïs Angeras est une anthropologue française qui étudie les habitats dit « légers », ces habitats qui, par les matériaux utilisés, ont impact environnemental bien moindre que les maisons « en brique », ces habitats qui sont la norme dans nos pays occidentaux. Lorsqu’elle écrit cet article, Angeras a déjà passé deux ans en immersion complète dans un quartier alternatif accueillant ce style d’habitat : le quartier de la Baraque à Louvain-la-Neuve.

L’article évoque les prémisses de ce quartier. Suite à la colère des étudiants néerlandophones de l’Université de Louvain, dans les années 1970, une nouvelle ville et université, une antenne francophone, est construite dans la commune d’Ottignies ; Louvain-la-Neuve. Des habitants refusant l’expulsion sont rejoints, dans la zone de la Baraque, par des étudiants en architecture. Ces étudiants créatifs d’un autre mode d’habiter mais également refusant ces logements, qui leur sont destinés, « onéreux et étriqués » (Angeras, 2015, p.43). Dans une idéologie de vivre autrement, s’éloignant des préceptes de la société de consommation à laquelle ils sont destinés. Précurseurs ou marginaux, après plusieurs batailles, ces étudiants ont su construire un lieu de vie différent de ce que la norme sociale nous a enseigné. Quarante ans plus tard, le quartier est toujours là, et les normes sont en train de changer.

Ce qui est intéressant, avec ce quartier, c’est qu’il est autant concerné par les normes juridiques que les normes sociales. Par rapport aux normes sociales, les « premiers » habitants du quartier de la Baraque étaient vu comme des marginaux face à la société mais en faisant découvrir leur mode d’habiter, via des visites de quartier ou des reportages – modes de communication qui ne fait pas consensus au sein des habitants, une population plus large fut intriguée, touchée, intéressée par ce mode de vie. Montrant que les préjugés collés au fait de vivre dans une roulotte, par exemple, n’étaient pas fondés, la vision collective sur ce mode de vie a évolué. Il est de moins en moins marginal de vouloir vivre dans un véhicule aménagé, dans une cabane, ou autre chose qu’une maison « clé sur porte », sans pour autant que ce soit pour des questions financières ou pour être plus proche de la nature, clivage que l’article déplore. A côté de ça, malgré l’irrégularité de la situation au quartier de la Baraque, mais de la tolérance des différentes autorités, les habitants ont décidé de mettre en lumière leur combat pour que des législations soient mises en place pour ces habitats alternatifs. Montrer qu’ils sont dans l’illégalité pour toucher l’opinion et que les normes juridiques soient clarifiées. Pari gagné, depuis quelques mois les choses bougent au parlement wallon, des normes impliquant l’habitat léger viennent d’apparaitre dans le code wallon du logement.

La création des normes peut donc venir de n’importe quel citoyen mais toujours avec la conviction que c’est pour un « bien » à la société.

Ceux qui font appliquer la norme

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Une fois qu’une norme est créée, il faut qu’elle soit mise en application. Les agents qui s’occupent de ceci n’ont pas forcément cette foi viscérale de l’intérêt de cette norme mais elle est plutôt une raison d’être, une justification de leur emploi. Ils se trouvent dans une situation ambiguë : ils doivent montrer que leur travail porte ses fruits tout en montrant que le problème n’est pas éradiqué, que cette norme à, finalement, une raison d’être, que leur travail est légitime. (Becker, 1985, pp.180-181). Cette application des normes peut se mettre dans la typologie de Durkheim quant aux types de sanctions.

Emile Durkheim (1858-1917), est un sociologue français considéré comme l’un des pères de la discipline. Il sera reconnu pour son travail sur la modernité et le processus de différenciation sociale afin de comprendre les problèmes d’intégration liés à la société moderne. (Martuccelli, 1999, p.35)

Il va identifier deux types de société : la société non différenciée et la société différenciée ou la société moderne. Dans la première, nous sommes dans une société homogène basée sur la solidarité mécanique qui est une « solidarité basée sur la similitude entre les individus qui partageant les mêmes valeurs et les mêmes compétences. Elle prévaut dans les sociétés préindustrielles » (Van Campenhoudt & Marquis, 2014, p.341). Dans ce type de société, lorsqu’une norme est transgressée ce sont tous les individus du groupe ainsi que leurs croyances qui sont affectées. La loi sera donc répressive.

Tandis que dans la société moderne, chaque individu est spécialisé dans un rôle déterminé tels les organes d’un corps, une solidarité organique sera donc prépondérante. Ce type de solidarité est définie comme une « solidarité basée sur la différence et la complémentarité entre les individus, sur la division du travail. Elle prévaut dans les sociétés industrielles modernes. » (Van Campenhoudt & Marquis, 2014, p.341). Lorsqu’une norme sera transgressée, ce ne sera pas toute la société, ce ne sera pas chaque individu et ses croyances qui en sera impactés. La loi sera donc restitutive afin de viser le dédommagement de l’acte précis.

Nous sommes dans la société différenciée – moderne – où la loi est restitutive. Cela signifie que quand il y a un préjudice causé, celui-ci ne va pas heurter l’ensemble de la société mais un groupe restreint lié à un domaine d’action particulier ; la sanction se portera exclusivement sur la restauration du dommage causé.

De la société capitaliste à une marginalité économique

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S’adapter à de nouveaux moyens de production

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Le capitalisme, ainsi que le néolibéralisme, va amener de nouveaux moyens de production dans nos sociétés. Lorsque Wolfgang Hartke (1908-1997), sociologue allemand, observe le phénomène et conceptualise la sozialbrache, qu’on pourrait traduire par « friche sociale » (Bailly, 1983, p. 84). Suite à l’industrialisation de la société, la plupart des individus migrent vers la ville pour aller travailler et ainsi rencontrer une certaine modernité. Mais tous ne font pas ce choix, ceux de la friche sociale : ils décident de continuer à travailler la terre et n’adhère au nouveau modèle proposé. Il décrit ces derniers comme des marginaux.  Ces marginaux, qui préfèrent rester loin des contraintes des nouveaux modes de production et de la société moderne (Morice, 1979, p.91).

Dans cette réflexion d’adaptabilité aux nouveaux moyens de production, l’École de Chicago, aux États-Unis a également observé, dans leurs réflexions sur l’homme marginal, des individus qui ne se conformaient pas à ce que la société attendait d’eux ; les hobos. N’arrivant pas à s’adapter au travail à l’usine, le hobo devient un ouvrier nomade ; il n’est pas un vagabond car celui-ci ne travaille pas, ni un clochard qui est sédentaire. (Martucelli, 1999, p.425)

Dans son article, « la marginalité : réflexions conceptuelles et perspectives en géographie, sociologie et économie », Antoine Sylvain Bailly met en lumière deux visions qui expliquent la marginalité, et donc le paupérisme, dans les sociétés libérales : une perspective libérale et une perspective radicale. La première montre trois constats des poches de pauvreté dans la géographie des États-Unis : les lieux de productions sont concentrés en quelques lieux ; l’employeur, être rationnel, paye sa main d’œuvre le moins cher possible ; les lieux de production vont s’adapter à la demande au profit des plus riches. Une ségrégation spatiale se créée donc en fonction d’où se trouvent les lieux de production. La deuxième, la vision radicale, explique que la pauvreté est organisée par la production, que ce n’est pas un signe de dysfonction du système mais bien intrinsèque à lui.

Cette vision radicale, Bailly n’est pas le seul à l’évoquer ; Bruneteaux et Terrolle, dans « L’arrière-cour de la mondialisation » disent que l’éloignement des marginaux du marché de l’emploi est propre au capitalisme et à ses nouvelles formes d’exploitation moderne. (Bruneteaux & Terrolle, 2010, p.51). Plus nuancé ; Alain Morice, dans son article « la théorie de la marginalité : les limites d’un concept de bon sens » amène le concept de marginalité entretenue. Il reprend les écrits de Marx pour expliquer son concept : lors de son analyse sur le capitalisme, Marx parlera de « l’armée industrielle de réserve » qui est un surplus de main d’œuvre organisé par le capitalisme. Mais il observe aussi, ce qu’il appelle, « l’hôtel des invalides de l’armée active du travail et le poids mort de sa réserve », ces travailleurs rejetés du marché du travail, les pauvres, les marginaux, faisant état de la dysfonctionnalité du système. (Morice, 1979, pp.92-93).

Quelques décennies plus tard, Loic Wacquant, sociologue français, amènera le concept de marginalité avancée, venu avec la reconversion capitaliste des années 1970, où également pour lui, la marginalité se veut intrinsèque à l’économie capitaliste dû à cette ère de désindustrialisation et de la « normalisation du chômage de masse et de l’emploi précaire ». (Wacquant, 2006, p.30).

Les auteurs précités ne sont donc pas unanimes quant au fait que la marginalité, amenée par la paupérisation dans les sociétés capitalistes, soit inhérente à ce type d’économie. Mais ils ont tous fait le même constat, à des époques différentes, que la non-capacité ou le non-vouloir de s’adapter à une société capitaliste aura pour conséquence une marginalisation des ces individus.  S’adapter à cette société c’est entre autre s’adapter aux moyens de production constamment en évolution – car c’est une société toujours en recherche et réflexions sur, comment produire plus, en payant le moins.

Si nous reprenons les théories de la première partie, on pourrait poser que ; étant donné que la valeur principale des sociétés capitalistes est l’argent, et sa quête de toujours plus, si des individus n’y arrivent pas, ou n’en font pas une priorité, ils peuvent être étiquetés de déviants et être ainsi marginalisés.

Lorsque le pauvre devient le marginal

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Dans cette société, capitaliste, où l’argent est la valeur principale, tout individu qui n’en fait pas son cheval de bataille ou qui n’en possède juste pas, sera étiqueté de pauvre et de marginal par la société. Ce double étiquetage aura des répercussions sur leur quotidien.

Lorsqu’on observe les pays dit « développés » nous pouvons voir que les politiques mises en place pour aider les plus démunis ne sont pas financées correctement. (Bruneteaux et Terrolle, 2010, p.52). Dans « L’arrière cours de la mondialisation », le constat de Soulié (2010) est noté : « moins on a de capital et moins on est aidé ». En plus de cela, tous les termes créent pour décrire ses individus (« Rmistes », « délinquants », « jeunes de cités »,) en plus d’être péjoratifs, les renvoie à l’idée qu’ils sont des « problèmes sociaux » pour la société, que c’est de leur faute si ils sont dans cette situation ; dû entre autre au principe de gouvernementalité. (Bruneteaux et Terrolle, 2010, p.139).

Il y a donc des constats concrets qui montrent que la marginalité est entretenue, en plus d’être culpabilisante, mais elle amène aussi une violence symbolique à ces individus.

On dit que « l’habit ne fait pas le moine » mais nous avons quand même des distinctions qui nous permettent de faire des catégories mentales et donc la stigmatisation de cette catégorie du pauvre. En plus de l’apparat vestimentaire, qui est une réalisation de soi, le corps parle aussi. Les familles les plus modestes vont avoir une alimentation plus riche, tant dis que les personnes plus aisées ont le temps de prendre conscience de l’importance d’une alimentation équilibrée. C’est un constat, l’obésité touche majoritairement les plus pauvre ; à l’abri, certes, d’une pénurie alimentaire, mais limité culturellement et financièrement pour éviter la « mal bouff ». (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2014, p.176). Pinçon et Pinçon-Charlot décrivent cette situation en une phrase (p.177) : « On se vide la tête en se gavant le corps ». Cela pourrait être traduit comme une nouvelle sorte de violence envers les dominés ; en plus d’avoir des répercussions sur leur santé, les dominants vont encore plus les stigmatiser en leur montrant le trou que ces problèmes font dans la sécu.

Conclusion

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Ce travail a abordé plusieurs concepts de Becker afin de mieux comprendre les processus de la déviance. Il faut garder à l’esprit qu’il est dans un paradigme d’interactionnisme symbolique, comme présenté dans l’introduction, qui est un paradigme qui cherche à expliquer le social par les différentes interactions des différents agents. Approche développée par l’École de Chicago à laquelle appartenait Howard Becker.

Afin de mieux comprendre ce qu’est un outsider, celui qui transgresse une norme, il fut important de d’abord poser ce qu’est une norme. Une norme, peut être juridique, sociale ou les deux en même temps. Ce qui importe au sociologue, c’est de comprendre pourquoi la société définit certains actes comme « bien » et certains actes comme « mal ». Celui qui vivra à la marge de la société à cause de comportements non conformes a été identifié par plusieurs auteurs de l’École de Chicago, influencé par la pensée de Simmel. C’est un ainsi que le concept du blasé, de l’étranger, de l’homme marginal et du hobo ont été évoqué. Tout comme les « quatre désirs fondamentaux » de Thomas qui est une théorie qui permet d’expliquer pourquoi certains individus se marginalisent et d’autres pas – et pourquoi, ces derniers marginalisent les premiers.

Pour répondre à cette différence et mise au ban de la société, les outsiders, êtres sociaux, constituent des sous-groupes autour de leur déviance commune (la cause de leur exclusion sociétale). Au sein de ces sous-groupes, Becker observe des sous-cultures portées par d’autres valeurs et d’autres explications sur le monde qui entoure les individus.

La déviance ne peut donc pas exister si il n’y a pas de normes sociales et de valeurs communes à tous les membres d’une société. La déviance ne peut non plus exister sans la théorie de l’étiquetage : ce n’est qu’une fois qu’un individu est étiqueté comme déviant par la société que son statut changera. Le regard et la voix de l’autre sont des indispensables dans le processus de la déviance d’un individu. Ces impondérables sont à mettre en parallèle avec la gouvernementalité de Michel Foucault. Ce mode de gouvernement veut que le pouvoir soit diffus au sein de tous les agents d’une société. Le plus grand pouvoir, au sein des sociétés libérales-démocrates, se trouve dans l’observation, et le potentiel de mettre ce qu’il voit aux yeux de tous, des citoyens. Et même de soi-même. Les individus vont donc s’auto-contrôler, pour ne pas être étiqueté, par les autres, et par eux-mêmes.

La théorie de l’étiquetage n’est qu’un rouage dans le processus de la déviance. Ce qui explique principalement ce processus, c’est le concept de carrière, développé par Becker et Goffman dans Asile. Tout individu qui change de groupe, que ce soit lors d’une carrière déviante ou de l’hospitalisation psychiatrique, passe par trois étapes. Une première où le sujet fera son premier acte contraire aux normes sociales – il sentira ses proches ne plus le considéré comme un citoyen à part entière. Ensuite, il sera publiquement désigné, par exemple en se faisant interné dans un hôpital, il sera étiqueté. La troisième étape, qui n’a pas eu les mêmes observations pour Becker et pour Goffman, est pour le premier celle de l’intégration dans le sous-groupe déviant où il prend part à une sous-culture.

Il a été également intéressant, toujours en suivant l’ouvrage Outsiders, de parler des entrepreneurs de morale, autant ceux qui créent la norme et ceux qui font appliquer la norme. Ceux qui créent les normes se sentent impliqués par un sujet et demande un changement de la société à ce propos. Il peut être, objectivement, près ou loin de la cause : ça peut être individu sensible à la cause des sans-abris sans pour autant l’être ou en connaitre, et va se battre pour un logement pour tous, par exemple. Ou être réellement concerné par la cause, tel qu’expliqué dans l’article d’Angeras, où ce sont les habitants qui se sont battus pour la reconnaissance de leur type d’habitat, que les normes juridiques évoluent pour être dans la légalité.

Ceux qui font appliquer les normes, selon Becker, sont des agents engagés pour ça. Ça les met dans une position d’ambivalence, où ils doivent montrer l’utilité de la norme afin de justifier leur présence sur le terrain, mais pas trop, pour ne pas que leur poste soit supprimé car la norme est intégrée de tous.

La deuxième partie de ce travail s’est plus focalisée sur la marginalité économique amenée par un système capitaliste. Plusieurs auteurs, tel que Hartke avec la « sozialbrache » et l’École de Chicago avec le « hobo », constatent, et conceptualisent, que certains individus ne veulent pas ou n’arrivent pas à se conformer aux nouveaux moyens de production qu’amène la société capitaliste. Pour certains, tel que Bailly, Wacquant et Bruneteaux & Terrolle, ce constat est intrinsèque à ce modèle économique : le capitalisme est pensé pour ne pas inclure tous les citoyens. Alain Morice sera plus nuancé à ce sujet, en reprenant les écrits de Marx, il pensera qu’au sein des non-inclus, certains sont pensés par le capitalisme afin qu’il y ait un surplus de main d’œuvre, mais que d’autres, les « poids mort de la réserve » montre une dysfonction du système. Dans une société où l’argent est la valeur centrale, la pauvreté devient une déviance. En plus vivre dans des conditions financières pas faciles, l’individu doit vivre avec une étiquette en plus : celle de marginal.

Notes et références

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1. Richard Hoggart (1918-2014) est un sociologue anglais surtout connu pour son ouvrage La culture du pauvre, paru en France en 1970. Il y dépeint le milieu des classes ouvrières, milieu dont il est issu, ce qui fait l’originalité de son travail.

2. Une interaction est ; « au sens large, une influence réciproque entre deux ou plusieurs individus. Au sens strict, une situation de face-à-face où les individus sont directement en contact les uns avec les autres. (Simmel, Becker, Goffman) » (Van Campenhoudt & Marquis, 2014, p.337)

3.Ces trois derniers cités faisant partie de l’École de Chicago.

4. Voir la cinquième partie ; d’une société capitaliste à une marginalité économique.

5. Erving Goffman (1922-1982) était un sociologue, également, représentant de l’École de Chicago, il travaillera aussi en immersion – lui au sein d’un asile psychiatrique – avec un point de vue interactionniste symbolique.

Bibliographie

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Angeras, A., Des normes d’« habiter » questionnées : le quartier de la Baraque, Socioanthropologie [En ligne], 32 | 2015, mis en ligne le 02 novembre 2016

Bailly, A-S., et al. La marginalité : réflexions conceptuelles et perspectives en géographie, sociologie et économie. Géotopiques, 1983, n°1, pp.73-115.

Becker, H.S. Outsiders : études de sociologie de la déviance, 1985.

Bourdieu, P., La distinction : critique social du jugement, 1979

Bruneteaux, P., & Terrolle, D., L'arrière cours de la mondialisation : ethnographie des paupérisés. 2010

Martuccelli, D., Sociologie de la modernité : l'itinéraire du XXe siècle, 1999

Morice, A., La théorie de la "marginalité" : les limites d'un concept de bon sens. Labour, Capital and Society/travail, capital et société, 1979, (6), pp.121-132

Pinçon, M., & Pinçon-Charlot, M., La violence des riches : chroniques d'une immense casse sociale, 2013

Van Campenhoudt, L., Marquis, N., Cours de sociologie, éd. Dunod, Coll. Psycho sup., 2014

Wacquant, L., Les banlieues populaires à l'heure de la marginalité avancée, 2006, Sciences humaines, 4, pp. 30-33.