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Penser la Clarté

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La Penser la Clarté est une recherche en Pédagogie d’Alexandre Gilbert tirée d’une série d’entretiens publiés dans le Times of Israël.

Problématique modifier

Nous analyserons la pensée de la clarté (chomskyienne, libertarienne et wittgensteinienne).

Nous nous baserons sur le travail sur l’ère de la transparence de Serge Bramly, les recherches sur la notion de blasphème de’Anastasia Colosimo pour faire une synthèse autour de la pensée claire de la philosophe wittgensteinienne, Christiane Chauviré.

Serge Bramly, l’ère de la transparence modifier

Serge Bramly, romancier, scénariste, critique d'art et prix interallié 2008, pour son roman Le premier principe, le second principe, a publié La Transparence et le reflet en 2015.

« Le verre axe du monde, lecture historique et analyse ? Le modèle occidental s’est imposé à la Terre entière, sans que personne ne comprenne bien comment il s’est constitué. Les thèses ne manquent pas pour expliquer son hégémonie, qui s’est même appliquée au Temps (le calendrier chrétien est ainsi devenu à peu près universel), mais aucune, qu’elle soit d’ordre économique ou social, ne paraît vraiment concluante. Pourquoi la Chine ou l’Inde ou le monde musulman, malgré une nette avance de départ, ne se sont-ils pas imposés à notre place ? Je ne prétends pas avoir résolu ce problème à facettes, mais l’histoire de l’art comparée m’a permis de distinguer l’un des multiples ingrédients de l’équation, passé jusqu’ici sous silence : le rôle qu’a joué le verre dans le développement de la civilisation occidentale. Je parle pour ma part d’un Âge du verre, qui a succédé à celui du fer. Il suffit de raisonner par l’absurde pour en apercevoir l’importance cruciale : qu’on essaie d’imaginer notre vie sans tout ce que permet ce matériau — sans lunettes, sans éprouvette, sans microscope ni télescope, sans ampoule, sans miroir, sans thermomètre, etc. Or, pour ce qui est de ses applications (la lentille, le miroir, la vitre), le verre est demeuré un phénomène purement européen… jusqu’à ce que la mondialisation, dont nous avons été les instigateurs brutaux, nous en ôte le monopole. A titre d’exemple : si Asahi, la première manufacture de verre en plaque du Japon, a été fondée en 1907 (les fenêtres étaient tendues de papier jusque-là), elle compte aujourd’hui parmi les leaders de cette industrie. Dans mon livre j’ai essayé de voir comment l’Art, en tant que reflet d’une civilisation, portait la marque des multiples changements intervenus. Pourquoi et comment le réalisme illusionniste, né en Grèce, a-il forgé au cours des siècles notre mode de vision et de représentation, et pourquoi et comment ce mode n’a-t-il existé qu’en Europe et nulle part ailleurs ? Les derniers chapitres s’intéressent à la désintégration de ce mode de représentation, vers 1870, à partir de l’Impressionisme, quand l’Europe, parvenue au fait de sa puissance, préparait son suicide au moyen de guerres mondiales… Nous ne nous en sommes pas encore remis, et n’avons encore rien de mieux à proposer que les vestiges de systèmes défunts. Réfléchir sur les causes peut aider à préparer l’avenir, c’est du moins ce qu’on dit[1].. »

Anastasia Colosimo, la question du blasphème modifier

Anastasia Colosimo est philosophe du droit, théologienne de la politique et criminologue. Elle est née en 1990 et vient de recevoir le Prix Elina et Louis Pauwels 2016.

« Pour vous le blasphème est par essence un crime sans victime. Comment la loi Pleven de 1972 et la loi Fabius-Gayssot de 1990, ont-elles contribué à faire émerger l’idée d’un groupe-victime ? Si la théologie nous enseigne que le blasphème est par essence un crime sans victime, dans le sens où c’est Dieu qui est visé par le blasphème, dans nos sociétés contemporaines, le blasphème s’est transformé en « offense aux croyants ». C’est cette transformation qu’il s’agit d’interroger.

En y regardant de plus près, on se rend compte aisément que cette transformation est liée au fait que le blasphème a toujours été un problème qui intéressait plus le politique que le religieux à proprement parler. L’exemple le plus éloquent est sans doute celui de Socrate, qui est condamné, souvenons-nous en, pour impiété. C’est ce que nous retrouverons dans tous les régimes politiques où l’autorité temporelle puise sa légitimité dans un principe divin et où l’unité de la cité repose sur le partage d’une vérité révélée. Autrement dit, si j’attaque Dieu, j’attaque le Prince, puisqu’il est nommé ou voulu par Dieu. Et inversement, si j’attaque le Prince, c’est Dieu que j’attaque.

Partant de là, dans une société démocratique, le concept de blasphème ne devrait plus exister, puisque le principe divin n’est plus un fondement de la légitimité du pouvoir, pouvoir qui appartient désormais au peuple souverain. Pourtant l’interdiction s’est maintenue dans bon nombre de pays européens ! Comment ? Justement par une « traduction » fallacieuse de blasphème en offense aux croyants. Comme l’argument du blasphème n’est pas audible par un état séculier pour décider d’en faire une limite à la liberté d’expression, ce même blasphème a été traduit en termes séculiers et s’est transformé en une offense aux croyants. C’est ce que Guy Haarscher appelle « le loup dans la bergerie » : un argument allant à l’encontre de l’essence de la démocratie se maquille en argument démocratique – ici la protection des croyants – pour mettre une limite à une valeur démocratique fondamentale qu’est la liberté d’expression.

En France, le glissement est particulièrement frappant. Alors que la loi sur la presse de 1881 a aboli tout délit d’opinion et n’interdisait en rien le blasphème, la loi Pleven de 1972 a permis à ceux qui voulaient faire condamner un blasphème de se faire entendre par les tribunaux. C’est ce qui s’est passé pendant le procès contre Charlie Hebdo en 2007, lorsque des associations ont porté plainte contre la publication des caricatures de Mahomet en prétextant qu’il s’agissait là d’une offense pour les musulmans, alors même que ceux-ci n’étaient jamais visés, c’était la divinité qui l’était. Et on pourrait croire que ça n’est pas très grave, mais ça l’est ! Notamment parce que ce procès a donné l’impression qu’il y avait « une communauté musulmane » qui était contre les caricatures, or nous savons tous que cette communauté est très diverse et qu’elle ne peut être prise comme un tout indistinct.

L’autre problème, c’est que la loi Pleven a ouvert le champ à la multiplication des lois mémorielles avec la loi Gayssot de 1990, mais aussi la loi de 2001 sur la reconnaissance du génocide arménien, la loi Taubira de 2001 sur la reconnaissance de la Traite négrière et l’esclavage ou encore celle de 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » et le fameux débat qui s’en est suivi sur « le rôle positif de la présence française outre-mer ».

Or pour comprendre pourquoi une telle sanctuarisation de l’histoire est problématique, il faut se souvenir des premières phrases de la pétition « Liberté pour l’histoire » lancée par Pierre Nora, appuyé par un grand nombre d’intellectuels, dans le journal Libération : « L’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant. »

Sans doute c’est de cela qu’il s’agit de se souvenir, la démocratie n’est fondée sur le partage ni d’une vérité révélée, ni d’une vérité historique et l’expression doit être libre, même si elle dérange. Surtout, si le fait de poser des limites à la liberté d’expression est tout à fait compréhensible dans le cas d’attaques individuelles, il est beaucoup moins évident dans le cadre d’attaques formulées contre des groupes. La civilisation, c’est exactement la sortie de la tribu et la possibilité de se penser et de se définir autrement que par sa simple appartenance à tel ou tel groupe[2].. »


Christiane Chauviré, penseur de la Clarté modifier

Christiane Chauviré, élève de Jacques Bouveresse, est une philosophe française, spécialiste de l’oeuvre de Ludwig Wittgenstein. Elle a publié en 2016, Comprendre l’art : L’esthétique de Wittgenstein.

« Wittgenstein disait : "Le génie juif c’est une génie reproducteur. Ils sont incapables de créer." Quelles sont les références de Wittgenstein à la Mishna ?

Wittgenstein ne savait pas l’hébreu et ne connaissait pas la Mishna. Ses parents étaient des juifs viennois complètement assimilés, et de religion catholique. Il a pris la nationalité britannique lors de l’Anschluss, et ne s’est jamais tourné vers la religion juive.

Dans Comprendre l’art. L’esthétique de Wittgenstein, vous parlez d’une philosophie des aspects. Pouvez-vous développer ce point ?

L’esthétique de Wittgenstein est majoritairement une philosophie des « aspects » ou du « voir-com » en ce sens que pour lui, comprendre un morceau de musique, c’est saisir des aspects en lui, pendant son exécution, l’entendre comme une valse, ou comme une marche. Son rapport étroit à la musique lui a permis de déployer une philosophie des aspects à large spectre, concernant la perception auditive et visuelle. On peut dire aussi que son éthique musicale était une éthique de la justesse[3].. »

« D’un bout à l’autre de sa carrière, Wittgenstein a été un homme des Lumières, soutenant que la seule philosophie légitime doit se consacrer entièrement à la clarification du langage, luttant ainsi contre une certaine forme d’obscurantisme qui ne se sait pas tel : il faut donc le clarifier totalement par l’analyse logique dans le Tractatus, et par la mise au jour de la grammaire profonde de nos expressions trompeuses, dans sa deuxième philosophie. Pour cela il nous faut obtenir une vison synoptique des rapports grammaticaux entre les descriptions des phénomènes ou des faits de grammaire. Dans les deux cas, il faut avoir une autre appréhension de notre langage au lieu de l’utiliser de façon irréfléchie, détruire le charme de ces expressions qui envoûtent, analyser le trouble qu’ils engendrent en nous. Le meilleur exemple de cette démarche, efficace en philosophie, est la guérison des troubles suscités en nous par notre langage philosophique ou par le langage ordinaire. Si nous ne donnons un sens à un élément d’une proposition, celle-ci devient dénuée de sens[4].. »

Références modifier