Discours de la servitude volontaire, La Boétie modifier

(Résumé détaillé) On retient souvent de ce texte la thèse suivante : dénonciation de la tyrannie et responsabilité du peuple qui lui obéit (d'où le titre) alors qu'il pourrait cesser.

Le texte de la Boétie, rédigé en moyen français, s'inscrit dans une tradition humaniste. J'ai pu lire dans ce texte plusieurs références à l'Antiquité grecque, à commencer par la citation d'ouverture : une "réplique" d'Ulysse dans une traduction française de l'Odyssée d'Homère. Je rappelle qu'Ulysse, de retour sur son île natale (Ithaque), chasse les prétendants de son épouse la reine Pénélope, déclarant alors qu'il vaut mieux un seul maître que plusieurs. Cette citation permet à La Boétie de donner son point de vue sur le fait d'avoir un maître, qui n'est que tyrannie. Mais il n'en blâme pas Ulysse, qui dans le fond obéit à ce qu'on appellerait aujourd'hui "le contexte de l'époque". Il ne souhaite pas non plus s'engager dans une question extrêmement classique en philosophie politique, celle du meilleur gouvernement, souvent question de nombre de dirigeants dans la philosophie occidentale (puis repris par Montesquieu au siècle des Lumières, le dix huitième). Il se servira pourtant de la notion de nombre, de l'unité du dirigeant, dans son œuvre.

Le tyran est seul, et la "foule" le souffre, l’endure. La nature humaine est telle que l'on apprécie l'amitié et le Bien, la Vertu. On est donc tenté de mettre au pouvoir ceux qui en font preuve, ce qui pour la Boétie revient à mettre ces gens à une place où ils pourraient faire le mal, parce qu'ils ont fait le bien à une autre place. Ainsi, je ne peux m'empêcher de penser à Pétain, dont l'action lors de la Première Guerre Mondiale conduisit à lui faire confiance lors de la Seconde.

La Boétie harangue la foule. Non sans provocation, il oppose une situation de guerre (armée contre armée) à la tyrannie (foule contre "femmelette" : un individu quelconque qui soumet une foule entière). Ici, la Boétie semble utiliser la provocation sur un ton de pamphlet pour faire honte aux sujets. Comme ils sont lâches ! Il poursuit l'analogie entre guerre et tyrannie, puisant à nouveau son inspiration chez les Grecs : les batailles de Thémistocle et Miltiade (au cinquième siècle en Grèce Antique) sont retenues par l'Histoire comme des preuves du courage des Grecs. Certaines batailles sont connues pour être des victoires grecques en dépit de forces déséquilibrées au détriment des grecs (cela ne figure pas dans le texte mais c'est un élément culturel partagé par le public lettré), il n'en reste pas moins que c'est armée contre armée (et qu'Hérodote, par exemple, exagéra beaucoup le rapport numérique entre Grecs et Perses, comme le montrent des recherches archéologiques contemporaines). Si (expérience de pensée), on consignait dans un ouvrage les réalités numériques de la tyrannie, comme on a consigné les batailles grecques ou même comme on parlait de peuples exotiques (époque du contact entre colons et autochtones, des "Grandes Découvertes"), cela semblerait fictif, invraisemblable. (Démarche, également menée au siècle des Lumières, qui consiste à considérer sa culture avec des yeux étrangers).

Mais comment combattre un tyran ? En fait, le tyran est un individu faible, ou plutôt sa force vient de notre servitude, il n’est de tyran que traité comme tel. Donc : inutile de combattre, il suffit que tout le monde désobéisse. (On comprend dès lors la démarche de la Boétie : le fait d'appeler par écrit à la désobéissance prend plus de sens que s'il appelait à une révolte armée, plus complexe à organiser). En réalité, plus un tyran est tyrannique, plus on lui obéit ! La forme réfléchie est employée : s'asservir. Les sujets s'asservissent (ils s'assujettissent), ils ne sont pas asservis. La Boétie doute même qu'ils veuillent de la liberté.

Surtout, le tyran est l'ennemi. Le terme ennemi renvoyant dans l'esprit des gens à l'ennemi extérieur, cette armée étrangère qui vient nous envahir, La Boétie le détourne pour écrire que le pire ennemi est le tyran. (La Fontaine écrira : notre ennemi, c'est notre maître. Il s'inspire de Phèdre pour qui un pauvre qui change de maître ne change pas sa fortune. La gauche plus moderne va plus loin en réaffirmant l'antagonisme de classe par rapport à l'antagonisme supposé des Nations, mais le texte de la Boétie ne semble pas véhiculer cette idée, quoi qu'il l'ait peut être inspirée).

Qu'en est il du corps du tyran ? Il n’a qu'un corps, donc le corps qui observe pour punir, qui donne des coups… n'est autre que "votre corps", c'est à dire les corps du peuple qui obéit. On pourrai effectuer un rapprochement contemporain avec les forces de l'ordre et les violences policières : il s'agit de gens du peuple qui pour servir l'Etat utilisent leur corps pour mutiler et manier des armes, le CRS qui me frappe n'est pas le chef d'Etat, c’est un de mes co-sujets, qui s'est fait complice du chef. Citation célèbre ensuite : « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. » Mais d'où vient cette volonté de servir ? La Boétie mène donc une démarche généalogique.

La Boétie imagine que nous vivons selon les lois de la nature, idéal philosophique antique. Alors, nous n'obéissons qu'à nos parents, nous sommes sujets à la raison et serfs de personne. Les termes employés par la Boétie montrent qu'il existe une distinction entre obéir et servir, ces mêmes termes sont apparus plus tôt avec la même nuance de sens. L'âme est naturellement disposée, par la raison, à fleurir en vertu si on l'influence en bien, et à flétrir si on l’influence en mal. De plus, la nature nous a faits égaux, en nous distribuant des parts équitables. L'idée est que tous les êtres humains sont naturellement frères.

L'injustice, en revanche, n'est pas naturelle. Pour la Boétie, même les animaux (pourtant faits pour servir l'Homme) se battent pour leur liberté, alors il est injuste (injure = injustice en moyen français) que l'être humain soit asservi.

La Boétie a ensuite recours à une typologie des tyrans, selon la façon dont ils acquièrent le pouvoir : par l'élection, par la force ou par la succession. Cependant, les tyrans élus ne sont pas meilleurs, et sont tout aussi tyranniques.

L'inclinaison naturelle à vivre libre plutôt que sous un tyran s'observe, La Boétie évoque ensuite les hommes qui naissent asservis (est sous entendue une métaphore des animaux). La Boétie fait allusion au peuple Juif (Hébreu, dans l'Antiquité) qui choisit l’asservissement, et dont il se refuse à lire l'Histoire (parallèlement, il s'intéresse à l'Histoire grecque antique) pour ne pas se réjouir de tous leurs malheurs. Pour la Boétie, on dirait qu’un peuple ne perd pas sa liberté, mais gagne sa servitude. Cependant, la nature a beau être forte, elle peut être dominée par ce qu'on devine être la culture/l'éducation. (La Boétie évoque une expérience faite avec deux chiens frères). La Boétie évoque ensuite des anecdotes antiques.

La Boétie évoque la nature altérée, ce qui appartient à une tradition philosophique. On peut y voir un narratif, notamment grec antique mais qui apparait dans de nombreux mythes, de l'âge d'or. Rousseau et d'autres philosophes reprendront cette idée d'état de nature. Ce qui opprime, c'est la "coutume" : c’est elle qui fait la servitude volontaire. Le terme coutume, en moyen français [1] désigne l'usage, et désigne aussi (encore de nos jours) le droit non écrit (la Boétie commence alors ses études de droit). Après une digression érudite, la Boétie écrit que perdre la liberté fait perdre la vaillance. Il évoque des tyrans antiques (le terme de tyran, que l'on trouve chez Platon et Xénophon, est péjoratif chez ces auteurs). La Boétie dénonce ensuite les mythes superstitieux au sujet des tyrans (par exemple, un tyran au doigt guérisseur). Pour La Boétie, ceux qui croient que Vespasien rendait la vue aux aveugles sont bien plus aveugles que ces gens ! L'admiration envers les tyrans est renforcée par la culture (par exemple, les symboles comme la fleur de lys), la poésie (il évoque ainsi la Pléiade, poètes de la Renaissances : Ronsard, Du Bellay…), les livres d'Histoire qui tiennent davantage de la légende (Clovis)… A noter que les Rois de l'époque de La Boétie racontent que Dieu leur a donné ce pouvoir, et que les tyrans antiques prétendent être d'ascendance divine. On dit aussi que Mérovée, grand père de Clovis, est né d'un monstre marin ! C'est donc toute une propagande, naïvement créée et crue par le peuple, que La Boétie dénonce.

Qui protège le tyran ? Une structure pyramidale. Au sommet, six personnes, puis six cent sous les ordres de ces six, six mille sous les ordres de ces six cents... Un tyran, comme une partie du corps malade, conduit d'autres personnes ambitieuses (tyranneaux) à l'entourer et à faire du mal (La Boétie exclut ce qu'on pourrait appeler de façon moderne le Lumpen, qui ne fait ni bien ni mal). La Boétie évoque des corsaires. Il dénonce ceux qui protègent et servent le tyran pour s'enrichir, ou pour gagner son amour (évoquant alors Néron). Or, pour la Boétie, les tyrans ne sont pas aimés de leur entourage et ne l'aiment pas, il n'y a que crainte entre eux. Ceux qui sont attirés par les tyrans sont semblables au papillon attiré par le feu (La Boétie utilisera d'autres métaphores). Mais quand le peuple souffre du tyran, il ne l’accuse pas. Pourtant, et c'est la conclusion de la Boétie, il n'est rien de si contraire à Dieu que les tyrans.


Droit à la Paresse, Lafargue modifier

Le Droit à la paresse

Lafargue, gendre de Marx, écrit ce pamphlet en 1880. Se fondant sur les réalités du travail de son époque (misère des ouvriers, travail des enfants), Paul Lafargue entend combattre la valeur-travail. A noter qu'une philosophie matérialiste ne raisonne pas en termes de valeurs qui changeraient le monde, mais bien de conditions matérielles qui seraient à l'origine de valeurs. Le texte est constitué d'un préambule et de quatre chapitres.

Je vous invite à lire le résumé que l'on trouve sur Wikipédia. Le Droit à la paresse

Education féministe des filles, Pelletier modifier

Ce court texte est construit sous forme d'un manuel d'éducation, qui répond à des questions concrètes, comme celle des vêtements : si la question de la tenue semble secondaire, elle revêt une importance sociale (Pelletier prend l'exemple des religieux et de l'armée). Le texte se constitue de quatre chapitres. Le premier commence par ces mots :

On a dit avec raison que les peuples n’ont jamais que le gouvernement qu’ils méritent. Un peuple opprimé qui ne mériterait pas de l’être s’insurgerait contre ses oppresseurs et les mettraient hors d’état de le tyranniser. Cette vérité s’applique non seulement aux peuples, mais à toutes les collectivités. Le prolétariat mérite certainement le sort qui lui est fait dans la société présente ; s’il ne le méritait pas, étant donné qu’il forme la majorité de la nation, il y a longtemps qu’il aurait dépossédé la bourgeoisie de son pouvoir.
Même vérité pour les sexes. Mise en marge de la société, la femme, en tant que collectivité, mérite la situation servile qui lui est départie. Elle ne sait que gémir lorsque le joug du mâle est trop dur. Si elle montrait plus de dignité, si elle savait mieux s’organiser, si elle revendiquait avec plus d’énergie, elle aurait depuis longtemps, conquis l’égalité politique et sociale.
Mais il n’y a pas à vitupérer les opprimés de leur peu de ressort moral, ils sont ce qu’ils sont ; l’homme fait la condition et la condition fait l’homme ; le psychologique et le social interdépendant l’un de l’autre. Seules de rares individualités supérieures ont été capables de se rebeller contre la situation à elles faite et d’inciter à la rébellion leurs frères de servitude. Les masses subissent leur condition, ne comprenant même pas qu’elle puisse changer.

Une école qui serait féministe est qualifiée de "goutte d'eau dans l’océan" par Pelletier. Les mesures pour l'éducation sont prétextes à des discussions, qui elles sont plus utiles. Ainsi, dès l'incipit, Pelletier reconnaît que sa propre démarche est sans grand espoir. Ce n’est pas par quelques mesures, surtout individuelles, que l'on changera le monde. On peut trouver dans cette idée un thème classique à gauche : ce n’est pas en triant ses déchets chez soi que l'on combattra le dérèglement climatique, par exemple. Ainsi, la notion de responsabilité collective est mobilisée. Le consommateur, au bout de la chaîne, n'a une responsabilité que limitée selon beaucoup de courants de gauche, qui s'opposent à l'idée de "consommer responsable" comme priorité politique.

Une autre question soulevée est celle de la démarche de Pelletier, de la démarche d'écriture. Car il est évident que si écrire était inutile, Pelletier ne l'aurait pas fait. Elle-même écrit que même si la mère féministe n'applique qu'une partie du programme de Pelletier, ce sera toujours autant, et que par ailleurs elle met davantage d'espoir dans l'analyse et les discussions sur son livre.

Ce préambule, quoi qu'il semble assez indépendant des conseils plus pratiques qui suivent, placent le livre dans une certaine démarche et expliquent son écriture.

Les conseils suivant l'introduction prennent en compte la classe sociale (si la mère est riche… si elle est pauvre…) et le terme éducation est entendu au sens large : éducation informelle, éducation scolaire, éducation sexuelle.

Certains conseils (notamment concernant les VEO, violences éducatives ordinaires) peuvent sembler dépassés au lectorat du vingt et unième siècle. Cependant, la démarche globale est de "masculiniser" la petite fille, chose nécessaire tant que l'égalité n'est pas atteinte : une fois qu'elle le sera, le genre féminin ne présentera plus de danger.

Le fait d'établir un parallèle entre le patriarcat et d'autres formes de dominations (notamment les classes sociales) s'est déjà fait dans une tradition marxiste. La célèbre citation d'Engels : "Dans la famille, l'homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat." fait un parallèle entre le partage des tâches domestiques et la division du travail. La famille est ici vue comme la reproduction de rapports de dominations. La reconnaissance du travail domestique est d'ailleurs un enjeu féministe.

Le parallèle est visible dans le préambule.