Recherche:Repenser le temps de travail
« Ce n'est pas parce que c'est difficile que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas que c'est difficile. » (Sénèque)
« Travailler plus collectivement, moins individuellement, être plus nombreux à travailler, et travailler mieux. » (Pierre Larrouturou).
« Quand un homme est chômeur, neuf sont dans le malheur.
Quand on est dans l’malheur, beaucoup deviennent casseurs. » (CM)
En 2006, Fabienne Brutus, employée à l'ANPE, écrivait dans son livre (elle se fera licencier à cause de cette publication, voir infra) que la France comptait, en incluant toutes les catégories de personnes aptes à travailler et privées d'emploi, y compris celles progressivement retirées des listes officielles, environ 19% de chômeurs. Alors que le chômage n'a cessé d'augmenter depuis, au troisième trimestre de l'année 2020, on est informé que le nombre de chômeurs « au sens du BIT » atteint 2,7 millions de personnes en France. Pas de commentaire.
nouvel obs.com, Publié le 13 septembre 2020 à 18h00 :
La semaine de 4 jours À LA CARTE est-elle le remède à la crise ? :
« DISSENSUS. Pour sauver les emplois, faut-il réduire durablement le temps de travail ? Les avis du député européen Pierre Larrouturou et de l’économiste Jean-Marc Daniel.
L’idée plaît aux Allemands qui avaient approuvé le « Kurzarbeit » lors de la crise de 2008 ; 60 % des Français y sont aussi favorables… à condition de conserver leur salaire.
Moins de travail pour mieux le répartir et réduire le chômage ? Certaines entreprises y croient. Récemment, la société de matériel informatique LDLC a décidé de la mettre en œuvre en 2021, avec augmentations de salaires et embauches à la clé, pariant que le bien-être des salariés les rendra plus productifs. C’est ce qui s’est en effet produit dans certains des groupes qui ont adopté le dispositif de la loi Robien sur l'aménagement du temps de travail […]. »
Cette étude est une réflexion sur l'œuvre de Pierre LARROUTUROU, économiste et homme politique, député européen, qui fut Conseiller général d'Île-de-France. Tête de liste Europe Écologie de l'Union de la gauche, il fait battre la droite aux élections régionales de mars 2010 dans les Hauts-de-Seine (Neuilly, Boulogne, La Défense).
- Il est soutenu par les personnes suivantes, dont la plupart sont membres du Collectif Roosevelt :
Michel BARNIER, négociateur en chef (Brexit) pour l'Union européenne,
Jean JOUZEL, climatologue et glaciologue. Directeur de recherches au CEA, membre de l'Académie des sciences, membre de l'Académie d'agriculture de France, Président de l'association Météo et Climat,
Edgar MORIN, sociologue et philosophe,
Cynthia FLEURY, philosophe, psychanalyste, professeure titulaire de la chaire Humanités et Santé au CNAM[1]. L’imminence de la catastrophe serait-elle la meilleure invitation à l’action ? Pourtant, comment expliquer qu’à de rares exceptions près, en matière de lutte contre le réchauffement climatique, il ne se passe rien ? Aveuglement, impuissance ou jouissance de la destruction ?,
Dominique MÉDA, philosophe et sociologue, inspectrice générale des affaires sociales,
Cyril DION, directeur de COLIBRIS
Patrick PELLOUX, médecin urgentiste,
Susan GEORGE, politologue et autrice franco-américaine,
Lilian THURAM, ancien footballeur international,
Caroline FOUREST, essayiste,
Claude BÉBÉAR, AXA,
Jean PEYRLEVADE, dirigeant d'entreprise, haut fonctionnaire,
Antoine RIBOUD, Danone,
Chritsian BOIRON (Laboratoires),
Alain DELEU, syndicaliste, ancien vice-président du Conseil économique et social,
Bruno GACCIO, humoriste, scénariste, auteur et producteur de télévision,
Christiane HESSEL, Anne HESSEL, médecin, porte aujourd’hui le Pacte Finance-Climat avec Pierre Larrouturou et Jean Jouzel, Jean ROUSSEAU, président d’Emmaüs International,
etc.
- Parmi les économistes :
Denis CLERC, fondateur de la revue Alternatives économiques,
Gaël GIRAUD, École d’Économie de Paris,
Jean Gadrey, spécialiste des services et des indicateurs de richesse,
René Passet, spécialiste du développement, Nicolas Postel, Sandrine Rousseau, Richard Sobel, etc.
- Parmi les personnes disparues :
Stéphane HESSEL, Jacques DELORS, Michel ROCARD, Jean DANIEL (fondateur du Nouvel Observateur), Marc BLONDEL (F.O.), Curtis ROOSEVELT, petit-fils de l’ancien Président, etc.
Le texte qui suit a écrit à l’été 2008 avant que survienne la crise. Comme il n'a pas pris une ride je l'ai laissé tel quel. J'ai juste fait deux ou trois ajouts mineurs et un peu revu les temps de conjugaison.
État des lieux
modifier« Quand aux peuples entiers voués à l’oisiveté, que fera-t-on d’eux, que feront-ils d’eux-mêmes ? » (…) Mais il est un plaisir plus cher à l’homme, plus cher que l’ivrognerie et la débauche, celui de crier « À bas ! » et de mettre le feu partout. Ce jeu-là ne tardera pas à remplacer tous les autres… » Lanza del Vasto, disciple et ami de Gandhi, poète, philosophe, et artiste, in Le pèlerinage aux sources.
Contre les trente-cinq heures, demi-mesure absurde, coûteuse, injuste et compliquée, qui ne fait que susciter une méfiance envers un partage du travail intelligent.
Pour la Semaine de 4 jours à la carte (S4J), seule mesure radicale apte à combattre efficacement le chômage et à initier un véritable projet de société, pour que renaisse une envie de réenchanter le monde et de se diriger vers des lieux riches de promesses hardies et de désirs féconds.
En 1981, quelque temps après avoir démissionné d'un “bon” emploi, je quittais le monde des exclus et retrouvai enfin un travail, mais jamais je ne pourrai oublier ceux que j'ai quittés, pas plus que je n'oublierai ceux que j'ai rejoints. J'arrive tout de suite au fait, m’inspirant directement de l’économiste Pierre Larrouturou, disciple de Pierre Mendès France et célèbre promoteur de la semaine de quatre jours à la carte. Il a inséré ce concept dans une démarche englobante, vaste projet de société. Il écrit dans Le Monde, est reçu à France Culture, France Info, sur quelques autres médias, mais bien trop rarement à la télévision. « Depuis ces dernières décennies, grâce à l’automatisation, à l’informatique, il y a besoin de beaucoup moins de travail humain, pour une productivité qui a considérablement augmenté. »
D’abord quelques constatations :
– Plusieurs sondages (du CNRS entre autres) avaient révélé il y a quelques années qu’une grande majorité de Français souhaitaient avoir du temps pour vivre, en partageant d'une meilleure façon, plus efficace pour chacun, leur temps de travail, à condition que leur salaire ne soit pas amputé.
– Nous sommes 19 millions de personnes (actualiser cette donnée) à travailler entre 35 et 50 heures par semaine (parfois plus), souvent surmenés, et compensons en faisant des dépenses superflues que nous regrettons ensuite. Nous avons de moins en moins de temps à consacrer à notre conjoint, à nos enfants, à penser à nous-mêmes. À l’opposé, 8 millions d'entre nous (actualiser) galèrent par insuffisance ou absence de travail (plus de 4 millions de personnes travaillent zéro heure par semaine), ce qui est en contradiction totale avec la logique économique. Actuellement le temps de travail est partagé de la façon la plus inéquitable qui soit et c'est nous-mêmes qui avons laissé faire ce choix.
– Les pays ayant un taux de chômage inférieur à la France ont tous une durée moyenne de travail hebdomadaire inférieure à nous.
– Les grands concepts économiques que l’on a enseignés aux étudiants devenus, pour certains, des économistes très médiatiques, ont été pensés d’une manière anarchique, aveugle. Sans tenir compte des leçons du passé, cet enseignement a été élaboré au coup par coup, dans une vision d’un avenir illusoire, s’en remettant au destin, et – plus impardonnable encore – en négligeant les avertissements de plus en plus forts et répétés de ces dernières décennies. Ils ont complètement occulté que la mécanisation nous a permis d’être de plus en plus productifs, avec de moins en moins d’actifs.
– D’après les enquêtes des inspecteurs du travail, il y aurait en France deux milliards d’heures supplémentaires, la plupart n'étant pas payées.
– Plus généralement, une démocratie dont de plus en plus de membres sont volontairement exclus, peut-on encore l’appeler une démocratie ?
Citer ces faits et ces évidences est le meilleur moyen de parvenir à des conclusions logiques, rationnelles, efficaces. Alors pourquoi ne pas en prendre conscience ? Pourquoi faire l’autruche ? Pour tendre aux orgueilleux pessimistes la corde pour nous pendre ? Une politique qui ne prendrait pas en compte ce constat nous amènerait une débâcle économique et sociale.
Notre devons oser la confiance. Pourrons-nous demain dire à nos enfants : « Nous avons pensé à vous » ?
Deux notions historiques sont à considérer :
1) La France, depuis des siècles, est observée, étudiée, parfois imitée dans le monde entier. Alors au lieu de toujours critiquer et donner des leçons aux autres nations, ne pourrait-elle un peu balayer devant sa porte ?
2) Parfois, l'Histoire a semblé près de s'arrêter – ou très près de mal finir, comme par exemple avec la montée du nazisme et la guerre de 39-45 ; ou dans les années 1990, avec la guerre dans des Balkans.
À ces deux occasions, la France a joué un rôle prépondérant, contribuant à ce que l’Histoire prenne un nouveau départ. Dans ce présent crucial, dont nous sentons qu’il est un tournant dans la marche du monde, saurons-nous une nouvelle fois réagir ? Les guerres devraient pourtant nous donner matière à réflexion. Ah ! ce fatalisme, cette peur mythique, ancrée dans l'inconscient collectif. L’Histoire nous a pourtant enseigné que l'audace, alliée à la conviction profonde de bien faire, est toujours, un jour ou l’autre, récompensée.
Au contraire, la résignation d'un seul homme favorise dans son entourage – et même souvent provoque – la venue de toutes sortes de déviances. Trop peu d'entre nous osent croire que tout est encore possible. Résultat : c'est la Grande Peur, l'optimisme qui s'en va – ou l’égoïsme qui s'accroît, comme on voudra. Le plus mauvais argument des opposants à la réduction du temps de travail individuel est de dire que ce n’est pas en travaillant moins que la France va s’en sortir. Or ce n’est pas la France qui travaillera moins, c’est chaque chômeur qui travaillera beaucoup plus (ou plutôt, un fort pourcentage de chômeurs, un chômage résiduel étant inévitable), et les déjà actifs qui seront beaucoup moins fatigués, plus efficaces et plus disponibles pour leur famille. La France travaillera même plus, et surtout beaucoup mieux. C’est pour cela que le choix de l’expression Réduction du Temps de Travail, ainsi que son sigle RTT, a été fort mauvais, le but recherché n’est pas une réduction du temps de travail mais au contraire une augmentation du temps de travail général.
Quelques outils de Pierre Larrouturou
modifierDéjà plus de quatre cents entreprises ont de leur propre initiative adopté la semaine de 4 à la carte. Elles ont pu embaucher au moins 10 % de salariés supplémentaires, bénéficiant par là même d’une exonération totale et définitive de leurs cotisations chômage (Fleury Michon, Monique Ranou, Télérama, Mamie Nova-Coop Even, ainsi que des centaines de PME. Dans la grande majorité des cas, tous, patrons et employés, y ont trouvé leur compte. Des organisations spécifiques du temps de travail sont prédéfinies pour adapter la formule aux différents corps de métiers.
– Quatre jours de travail (32 heures) sur cinq (pour la plupart des salariés).
– Quatre mois sur cinq (programmeurs en informatique…).
– Quatre semaines sur cinq.
– Quatre jours sur sept (hôpitaux, transports).
– Une semaine longue, une semaine courte (pour les chauffeurs routiers par exemple).
– Un week-end de quatre jours toutes les deux semaines.
– Une année sabbatique tous les cinq ans (chercheurs…).
– Etc.
« Je me demande pourquoi ce qui se fait chez Brioche Pasquier ne se fait pas ailleurs. » (Jacques Chirac en 1995, en visite chez "Brioche Pasquier", à propos de la semaine de quatre jours). Jacques Chirac ne pouvait certainement pas trouver beaucoup d’alliés dans son camp ni chez les grands patrons d’industrie pour le suivre dans sa réflexion.
Un journaliste à Pierre Larrouturou : « Votre idée ne recoupe pas le clivage droite-gauche. Elle montre les divisions profondes des partis sur une question que tous présentent comme fondamentale. La semaine de quatre jours creuse un fossé entre les anciens et les modernes. Il faut trois qualités pour s’approprier votre projet : comprendre la gravité de la crise, refuser de s’en tenir aux politiques classiques et avoir le courage de se désolidariser des autres membres du parti. Vous ne trouverez pas grand monde pour vous aider. »
François Mitterrand sur France 2 le 25/10/1993 : « Les trente-deux heures ou plutôt les quatre jours, cela a le mérite d’être parlant, d’être clair, d’avoir une signification. Cette bataille pour les quatre jours me paraît éminemment sympathique (Ndr : on voit avec cet adjectif condescendant qu'il ne souhait pas s'avancer plus que cela). Pour ce qui concerne les salaires, il doit y avoir des mesures de compensation, et ces mesures de compensation ne peuvent venir que d’une redistribution des revenus ou d’une intervention de l’État. »
François Mitterrand était gravement malade mais surtout, aurait-il eu le courage de lutter quasiment seul alors que Margaret Thatcher et Ronald Reagan avaient initié l'hyper-capitalisme ? Il est permis d'en douter. En libérant des journées de travail pleines, parfois des semaines, voire des mois ou même des années, on a dans ces entreprises créé beaucoup plus d’emplois qu’avec les calamiteuses trente-cinq heures. En outre on a créé du temps libre pour les travailleurs. La S4J va de pair avec une meilleure gestion des tâches – est induit aussi un meilleur amortissement du matériel. C’est une formule souple et bien rodée.
Avec la semaine de 4 jours à la carte, la relation au travail et la qualité de vie s’améliorent, les personnes qui la pratiquent pensent davantage à elles et à leur famille. Untel peut par exemple s’occuper de la bande de jeunes du quartier, bien heureux qu'un adulte vienne leur proposer une activité (culturelle, foot, judo…). Tel autre peut prendre le temps d’aller discuter avec la vieille dame seule du sixième étage. Que dire aussi des sommes faramineuses (des milliards d’euros défalqués de nos feuilles de paie), versées par les Assedic à des gens qui tombent malades à force de se sentir inutiles et cassés ? Une partie de cet argent ne serait-elle pas plus profitable au financement de nos retraites ? On oublie aussi les frais astronomiques engendrés par le stress et les maladies des trop-travailleurs ; par l'angoisse de nos jeunes devant l’avenir – surtout s’ils ont vu leur père chômeur rester à la maison pendant des années – et livrés aux pires dérives, drogue, délinquance... Ce sentiment de fatalisme de toute une société non seulement crée de la pauvreté mais il entretient les nationalismes, le racisme, l'antisémitisme, les intégrismes chez tous les désespérés.
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
modifier« Notre modèle de paix, de justice, avait été conçu sur l'économie carbonée (censée être inépuisable), à partir de l'énergie. Aujourd'hui il faut inverser la chose. [...] C'est notre modèle de justice qui doit devenir notre modèle de croissance. » (Cynthia Fleury, France culture).
La course à la croissance, la surconsommation (etc.), ne sont plus tenables pour la planète et pour l'Humanité (Rapport Meadows). J'ai pleuré le 11 décembre 1994 quand devant mon téléviseur j'ai entendu Delors dire qu'il ne se présenterait pas, 4 mois plus tard, à l'Élection présidentielle française de 1995, même si je crois que je m'attendais un peu à une mauvaise nouvelle[2] (sinon pourquoi aurait-il demandé à faire une allocution devant tous les Français alors qu'il était en tête de tous les sondages ?). Au tout début des années 1980, Margaret Thatcher et Ronald Reagan avaient initié l'hypercapitalisme. Puis c'est 20 ans plus tard, au tout début des années 2000 que la fille de Jacques Delors fabrique de toutes pièces une demi-mesure mal fagotée (avant même sa mise en œuvre Pierre Larrouturou publie en janvier 1998 le livre 35 HEURES – le double piège), puis reprise pour être encore plus discriminatoire, et qui va réduire à néant tous les efforts qu'avait faits son père. On évite en famille de parler d'un sujet qui divise. Elle refuse de serrer la main à Pierre Larrourou.
En 2006, alors que les statistiques officielles du chômage faisaient état de 7 millions de chômeurs, Fabienne Brutus, qui se fera ensuite licencier de son poste à l'ANPE, écrivait le livre Chômage, des secrets bien gardés - La vérité sur l'ANPE et diffusait des vidéos (toujours disponibles sur le net) montrant comment le nombre de 17 millions s'était transformé en 7 millions. Cette phrase de Larrouturou je m'en souviens : « Une fois, j'ai rencontré dans un colloque M. Raffarin à qui je montrais la courbe de la productivité en France [qui croissait sans cesse]. Pour toute réponse, il m'a arraché la courbe des mains. »
On ne peut accorder aucun crédit à des révélations telles que celle-ci : « Le chômage en France baisse de 1,9% au deuxième trimestre 2019. »
C'est un lieu commun qu'il faut rappeler : les grosses entreprises ont intérêt à ce que le travail soit précaire, car ainsi les possibilités de négociations sur les salaires sont nulles (“Si vous n'êtes pas content, Pôle emploi embauche”). Rares sont ceux parmi les dirigeants politiques qui ont une vision globale saine de la société.
Quand une société foule aux pieds la justice les troubles sociétaux de tous ordres se multiplient, la société se vide de son sens et de sa raison d’être, toutes les politiques se discréditent les unes après les autres. Quand un point aussi primordial que la justice est moqué, méprisé, mis sous le boisseau, d’année en année, de mois en mois, de jour en jour, comment se pourrait-il qu’une société ne finisse pas par se désagréger ? C'est d’une évidence criante, mais le citoyen contemporain devient de plus en plus aveugle et déprimé.
La loi Aubry était déjà une usine à gaz dans sa première version très coûteuse, et si elle a pu amener de l’oxygène dans quelques secteurs, elle est injuste pour beaucoup d’entre nous. Dans sa dernière version le gaz est devenu très toxique, les adversaires du partage des temps l’utilisent comme argument. La gauche, déjà très frileuse à l’époque, a par cette loi porté un coup presque fatal au partage du temps de travail et s’est discréditée pour longtemps. L’homme de la rue, manquant de temps pour s’informer sur le concept n’y a vu que du feu. Désormais un partage mieux étudié des temps de travail et de loisir est devenu le plus grand tabou de notre temps, sur lequel il faudra bien à nouveau se pencher, « si l’on ne veut pas aller dans le mur » (P. L.).
Nombre de nos concitoyens sont résignés, pensant qu’on leur ponctionnerait une bonne partie de leur salaire, que leur pouvoir d’achat baisserait considérablement. C’est l’inverse qui se produirait. Pourtant cette baisse du niveau de vie se produira mathématiquement si l’on n’arrive pas à un meilleur partage du temps de travail qui redonnerait à l’homme sa dignité et lui permettrait de goûter les fruits de son labeur et de se reposer. Avec sa longue expérience politique, Michel Rocard se disait persuadé, depuis 1996 au moins, que c’était la seule arme vraiment efficace contre le chômage : « La semaine de 4 jours est un objectif urgent et responsable. (…) « Dans la boîte à outils antichômage, il n’y a pas d’instrument plus puissant. (…) « L’idée de partage du travail est à la hauteur de ce beau mot qu’est celui du partage. Il nous faudra la développer et lui donner tout son sens, celui d’une réorganisation des activités qui va très au-delà de l’aménagement de la seule durée du travail… » (Ce que j’ai dit, 1993). Henri Emmanuelli, Alain Trautmann, chercheur et fondateur de Sauvons la Recherche, le généticien Albert Jacquard, José Bové et quatre cents responsables politiques de neuf pays se sont prononcés en faveur de la S4J à la carte.
« La semaine de quatre jours (à la carte) est la formule la plus créatrice d’emplois et la plus porteuse d’initiatives personnelles et de développement convivial. » (Jacques Delors, Le Monde, 7 octobre 1997).
La loi des trente-cinq heures, même si elle a pu avoir quelques effets positifs, apparaissait à Pierre Larrouturou comme un cautère sur une jambe de bois. Il prédisait : « On n'aura pas l'effet de masse critique nécessaire. L'effet sur l'emploi va être faible, ça va coûter très cher. On n'aura pas les évolutions qualitatives nécessaires dans le rapport au travail. Des milliers de salariés vont être frustrés... » Il comparait la R.T.T. à un antibiotique :
– Soit tu mets la dose et tu gagnes la partie (contre les microbes ou contre le chômage).
– Soit tu y vas trop mollement et tu prends le risque de discréditer le remède, et même d'accroître la résistance au mal.
À la question du journaliste économique de France Culture qui, enthousiasmé, lui demandait : « En vous écoutant je me dis : mais pourquoi cette énergie, toutes ces idées que vous avez, n'ont-elles pas été prises au sérieux par un parti ? », il répondit : « Franchement, ma conclusion, c'est que la question sociale ne les empêche plus du tout de dormir. » Certains de nos dirigeants politiques ont une moralité toute personnelle. Ce sont ces faux optimistes qui ont perdu foi en l’humanité. Ils ne croient plus qu’en leurs agréables certitudes et vont jusqu’à prononcer le plus terrible des mensonges : « Le nombre de chômeurs continue de baisser. » Afin pouvoir proférer cette énormité, la définition du chômeur a été dénaturée. Les chiffres du chômage diffusés par les médias sont faux. C'est le plus abject mensonge de ce début de vingtième siècle. Les journaux télévisés, censés décliner en trente minutes ce qu’un journal papier de vingt ou trente pages peut révéler, nous fournissent des informations parcellaires, des chiffres consciencieusement filtrés sans préciser à quoi ils correspondent. D’après ces médias le chômage diminue continuellement. Quand on prend un moment pour se renseigner on voit qu’il continue inexorablement sa progression. Dans quelques lignes vous lirez les astuces qu’utilisent nos dirigeants et maints journalistes pour tricher et mentir. Ce mensonge est la conséquence logique du goût immodéré de nos dirigeants actuels pour le pouvoir. Les citoyens les plus lucides et les mieux informés qui ne se font pas un cinéma frappé au coin de l’esprit du monde, savent bien qu’il y a de plus en plus de précaires, de chômeurs et de pauvres. En 2007 déjà un sondage Emmaüs-BVA rapportait que 48 % des Français pensaient courir le risque de devenir un jour SDF. Ami lecteur, je ne vais pas t’ennuyer avec des chiffres, mais voici des données très officielles. N’apparaissent plus, sur les listes de chômeurs transmises aux médias par le gouvernement :
– Les chômeurs de plus de 55 ans : on leur demande de ne plus pointer à l’ANPE.
– Les RMIstes découragés, qui ne pointent plus à l’ANPE.
– Les chômeurs qui en désespoir de cause cherchent au moins un CDD, une mission d’intérim ou même un temps partiel. Ils n’existent plus. Circulez y a rien à voir.
En faisant réapparaître tous ces chômeurs disparus, on trouvait déjà, début 2011, un total de 5,5 millions. Reconnaître qu’il y a dans notre pays de France plus de dix-neuf millions de chômeurs ferait désordre (chiffre en constante augmentation). Le gouvernement met en place des « politiques de l’emploi » (sic) de plus en plus pernicieuses, habilement ciblées, qui déversent dans ces catégories d’exclus – et dans d’autres à venir, ne vous y trompez pas – les centaines de milliers de chômeurs qu’il génère lui-même. En faisant réapparaître tous ces chômeurs disparus, on trouvait déjà, début 2011, un total de 5,5 millions. Il est très rare d’entendre les télévisions et les radios nous révéler ces informations, les médias préfèrent nous anesthésier, c’est plus réconfortant pour nous, meilleur pour l’audimat et agréable aux annonceurs publicitaires. Un des effets induits par ces stratégies de renoncement est que cinq millions de salariés ont été poussés en dessous du SMIC. La réalité, la logique de la vie, de mois en mois, fait son œuvre. Si l’on continue ainsi le réveil sera... très difficile.
Une initiative qui obligerait tout média à citer, en même temps que des chiffres choisis qui ne veulent plus rien dire, le vrai nombre de sans emploi et de semaines à quelques heures de travail serait bien utile. Il faut lire dans les livres de l’économiste Pierre Larrouturou toutes les informations les données chiffrées qu’à force de travail il s’est procurées pour prendre conscience de ces détournements de sens qui constituent la panoplie de sabotage du pouvoir en place. Tous les concepts sont dénaturés, et en premier lieu celui de la valeur travail. C’est ainsi qu’un jour, des lois scélérates nous condamneront. Le pouvoir en place veut toujours y rester. La démesure de son obstination narcissique est en perpétuelle expansion. Il y a bien sûr des milliers d’exemples. Je n’en citerai qu’un. Je le cite car il est peu connu, et cité par Larrouturou. Sait-on que des agents de l’ANPE sont sommés par leurs supérieurs hiérarchiques – une grave sanction en cas de refus est implicite – de falsifier des données ? De tels méfaits sont perpétrés sur incitation de nos dirigeants au plus haut niveau et répercutés de maillon en maillon en descendant toute la chaîne. Ils sont quotidiens et de plus en plus nombreux, vous-mêmes avez peut-être eu connaissance d’exemples similaires. L’injustice est avalisée par la loi. Je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement entre deux époques :
1) Dans les années 1940, l’adhésion de nombreux Européens au fascisme, aveuglés par le redressement promis par Hitler et Mussolini.
2) La collaboration, aux puissances de l’argent, de nombreux gouvernants actuels, avides de pouvoir et de gloire, orgueilleux au point de ne jamais vouloir admettre qu’ils font plus de mal que de bien. Car ce serait renier leurs actions passées et perdre leur statut. Ils collaborent avec le dieu Argent. La liberté sans limites légalisée que s’attribue les puissants justifie leur oppression du peuple.
Découragés par les “responsables” politiques nous n’osons plus parler du partage du temps de travail pour plusieurs raisons :
– La crainte de voir notre niveau de vie diminuer. La mise en pratique prouve qu’elle est infondée.
– Panurgisme, peur de sortir du rang et d'être exclu du troupeau. Il nous est difficile de nous démarquer de notre entourage, d’assumer des positions radicalement différentes, et même de seulement nous informer sur le sujet.
– Le manque de lucidité, la résignation (sentiment de fatalité), le manque d'espérance.
– La peur du changement et la fausse humilité : ce désir rassurant, cette fausse bonne conscience quand survient l'épreuve, de croire qu'elle ne nous interpelle pas, mais seulement nos responsables (l'État providence).
– La peur du grand méchant loup : « Et les politiques ? Et les chefs d’entreprise ? Et les riches ? » (Car tous sans exception paraît-il seraient des affreux). Mais la bonne volonté de beaucoup existe. En outre a-t-on déjà vu une minorité d'orgueilleux pessimistes triompher définitivement d'une majorité d'hommes libres ?
– La peur de paraître ridicule après que la désastreuse demi-mesure des trente-cinq heures ait abouti à la désillusion que l’on sait.
Jean Peyrelevade, p.-d.g.du Crédit Lyonnais, Le Monde, 08/06/1993 : « À terme, la durée de travail hebdomadaire de chaque individu pourrait être de quatre jours, celle de l’entreprise demeurant fixée à cinq ou six jours. Une telle organisation bouleverserait les conditions d’existence des personnels en allégeant considérablement le coût et la fatigue des trajets domicile-travail – souvent des déplacements faubourgs-centre-ville –, et en augmentant le temps disponible hors travail. À productivité du travail constante, elle conduirait à créer de l’emploi dans l’exacte proportion de la réduction du temps de la durée individuelle du travail. »
– Le manque d’honnêteté. Certains généralisent avec : « Les chômeurs ? S'ils voulaient vraiment, ils trouveraient du travail ! »
– Dans les moments difficiles, ça devient même du masochisme : « On est là, c'est pour en baver ! » Le mot travail vient du bas latin tripalium, qui désignait un instrument de torture. Puis travailler a signifié tourmenter, souffrir, jusqu’au XVl ème siècle.
– Ça peut aussi être très cruel : « J'ai un logement, mais je me crève au travail, moi. »
– La crainte d’être connoté utopiste.
– Au sein de l’entreprise, la crainte de paraître non solidaire.
Revenons un instant sur la crainte de voir notre niveau de vie fortement diminuer. Je cite Pierre Larrouturou dans Libéblog : http://www.liberation.fr/transversales/weekend/295057.FR.php L’hyper libéralisme nous conduit dans le mur. (samedi 1er décembre 2007). « Si tous les salariés passent en moyenne à quatre jours, et si l’entreprise crée au moins 10 % d’emplois en CDI, elle bénéficie d’une exonération des cotisations chômage qui permet d’équilibrer la masse salariale. Selon une étude du ministère du Travail, un mouvement général vers les quatre jours permettrait de créer 1,6 million d’emplois en C.D.I. » Et ce, dans un premier temps, sans tenir compte des effets induits.
« La semaine de quatre jours est la formule la plus créatrice d’emplois et la plus porteuse d’initiatives personnelles et de développement convivial. » (Jean-Baptiste de Foucauld, ancien commissaire général au Plan).
« Si l’on divisait par deux le chômage, la négociation sur les salaires aurait une tout autre allure. Si l’U.M.P. et le Medef sont tellement hostiles à une forte RTT, c’est parce que, bien négociée, elle serait, à moyen terme, le moyen le plus puissant de faire remonter les salaires. La gauche devrait être plus claire sur ce point. »
« S’il y a pour les salaires au-dessus de 1 525 euros, après négociation, une diminution de salaire provisoire de l’ordre de 3 %, elle n’est que provisoire, car l’intéressement des employés, l’amélioration du marché du travail, font que cette baisse de salaire ne dure pas longtemps ».
Toute personne lucide sait que :
– Seule une réduction massive et urgente du temps de travail pourrait nous remettre sur les rails.
– La France se cherche depuis plusieurs décennies un projet collectif dynamisant. D’autres voies sont offertes, toutes nécessaires :
– Utiliser le potentiel innovant des employés.
– Promouvoir les nouveaux métiers.
– Consulter les maisons des chômeurs, qui ont beaucoup à nous apprendre.– Prendre en compte la demande des dirigeants d’entreprise comme celle des employés.
– Réduire les heures supplémentaires lorsque l’on peut embaucher (ce serait le cas avec la S4J).
L'optimisme fait la force. Une nation optimiste et généreuse devient une nation forte. On peut alors se demander pourquoi nos hommes politiques, et le peuple français en général, sont devenus si fatalistes. On a encore pu voir cette résignation aux élections présidentielles de 2007, quand deux semaines avant l’échéance du premier tour 40 % des électeurs inscrits ne savaient toujours pas pour qui ils iraient voter.
Rappelons qu’en 1936 les accords de Matignon furent signés à l'initiative du gouvernement par la CGT et le patronat. Ces accords prévoyaient entre autres une hausse des salaires de plus de 7 à 15 % selon les branches, soit environ 12 % de moyenne sur toute la France. Quelques jours plus tard, bien que la mesure ne figurât pas dans le programme du Front populaire, la semaine de travail passa de 48 à 40 heures.
La loi Aubry, alors que le chômage croissait inexorablement, a été au moins deux fois moins audacieuse que les accords de Matignon. D’éminents économistes, comme Luc Boltanski, Laurent Thévenot, Jérôme Bourdieu, dénoncent avec force l’idéologie dominante dont se gavent toujours plus les médias, où se pavanent de soi-disant experts en économie. France Culture invite parfois des experts mieux informés et objectifs. Parmi ces derniers, on peut aussi citer Jean Boissonnat, économiste et journaliste réputé : « La semaine de quatre jours à la carte n’est pas un mirage. Elle sera une réalité pour tout le monde. Mais ce ne sera pas, contrairement à ce que l’on dit, un enfant de la récession. Ce sera un enfant de la croissance. » (La Croix, 03/11/1993.) Lui non plus n’a pas été écouté. Lorsqu’on s’intéresse de près aux chiffres réels, aux projets qui dorment dans les placards, aux luttes que mènent dans l’ombre de nombreux citoyens et qu’on entend sur les ondes autant d’absurdités on voit que les droits fondamentaux, celui au travail notamment, ont presque tous disparu et et sont de plus en plus remplacés par des devoirs (devoirs d’être laminés).
Il est une chose sidérante : bien que nombre d’économistes et sociologues soutiennent le projet de Larrouturou, les dirigeants de la gauche, encore sous le choc de la loi des 35 heures, sont complètement hors sujet. Cette classe dirigeante de gauche s’est tellement fourvoyée, tellement imprégnée de l’esprit du monde, qu’elle a renié ses convictions les plus fondatrices. Une anecdote : l’autre jour, souhaitant remplacer dans ma bibliothèque un livre de Larrouturou offert à un ami, j’en recherchais l’éditeur sur Internet. Je crus taper dans mon moteur de recherche : La gauche est morte, vive la gauche ! Aucune réponse. Je vérifiai l’orthographe : à mon grand amusement, comme sur mon clavier, la lettre g est placée juste à côté de la lettre f, j’avais tapé La gauche est morte, vive la fauche !
Pierre Mendès France estimait que le suffrage universel n'est pas le meilleur dispositif pour élire un président responsable. Michel Rocard pensait le contraire. Il a changé d'avis . Car ce n’est pas trop la compétence et la bonne moralité, mais bien plutôt les meilleures notes dans la catégorie People, qui, semaine après semaine, hissent au sommet le requin aux crocs les plus acérés.
« Je rêve, pour accomplir la délicate et solennelle mission qu’est l’élection d’un président de la République, à un Conseil des Sages composé d’humanistes et de philosophes. Des anciens comme Jacques Delors, Michel Rocard, des philosophes comme Michel Serres par exemple, nous seraient bien utiles ».
« Les maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs et authentiques philosophes n’arrive au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine, ne se mettent à philosopher véritablement ». (Platon, Lettre VII).
Que je sache, nous n’avons pas eu ces dernières années de grands philosophes au pouvoir ! Le comble serait que ce soit la droite qui s’approprie cette arme réaliste et efficace de la S4J, une idée de gauche à l’origine. Je rêve d’une France avec aux commandes des gens responsables et lucides, de gauche comme de droite, mais basta de ceux qui sans cesse justifient leurs actions passées. Michel Rocard a tout essayé pour éviter que les lignes d’une gauche démissionnaire, emberlificotée dans ses névroses, ne bougent vers une droite radicale inconsciente shootée aux amphé. De nombreux hommes et femmes politiques, tous partis confondus, connaissent le principe de la semaine de quatre jours à la carte mais n’osent en parler après l’échec des 35 heures, préférant attendre qu’éventuellement ce soit le peuple qui réclame le partage du temps de travail. Quand une situation devient difficile, l’esprit est embrumé, effrayé. Devant la complexité de la tâche, il se dit que la solution doit être d’une difficulté extraordinaire alors qu’elle ne doit être que la plus simple possible, et de confiance.
Lorsque des centaines de milliers d’enfants verront leurs pères retourner au travail chaque matin, au lieu de les voir déprimer à la maison, quand ces jeunes sauront qu’eux-mêmes auront de meilleures chances de trouver du travail après le temps de l’école, leur vision pessimiste de l’avenir changera, ils ne penseront plus à brûler des voitures. Il est extraordinaire qu’il faille, encore et toujours, rappeler l’adage : l'oisiveté est mère de tous les vices. Lorsque des millions d’actifs n’auront plus leurs salaires amputés d’importants prélèvements qui servent à financer les ASSEDIC et les soins des salariés malades de stress et de fatigue, les soins des déprimés du chômage, l’expression valeur travail qu’on nous serine depuis 2007 reprendra tout son sens. Des centaines de milliers de salariés brimés par les 35 heures, dans les hôpitaux par exemple, retrouveront une qualité de vie et une dignité. Il faut mettre la dose, non en dilapidant l’argent des Français comme le font les actuels dirigeants mais en partageant intelligemment le temps de travail pour booster l’emploi. La S4J est une arme redoutable pour créer ce que Larrouturou appelle l'effet de masse critique nécessaire. Elle serait l’ossature d'un projet de société attractif et fédérateur.
Claude Odier, directeur département Études, SOFRES-Ressources humaines entreprises et carrières, 12/10/1993 : « Seule une action de choc est à même de jouer le rôle déclencheur d’une véritable solution au chômage de masse. Je dénonce ceux qui clament tous azimuts que la réduction du temps de travail est une utopie. Cessons d’en parler, saisissons-la à bras le corps pour la traduire en une réalité immédiate dans nos entreprises. C’est la seule solution d’ensemble à un problème que l’angoisse de la sur-épargne ne fait qu’amplifier. »
Michel Barnier, alors RPR, écrivait dans Vers une mer inconnue (Hachette, 1994) : « La proposition de passer d’une semaine de cinq à quatre jours me semble pouvoir être un objectif mobilisateur pour le pays et ses entreprises. [...] Cet acte frapperait les imaginations et encouragerait les consciences individuelles à se détacher de la morale du travail pour le travail, et à évoluer vers un meilleur équilibre. »
J’aimerais que vous lisiez au moins un des livres de Pierre Larrouturou, par exemple celui-ci : Pour la semaine de quatre jours : sortir du piège des trente-cinq heures (Éditions La Découverte, 1999). Ce projet vous paraît trop simple ? Trop beau ? Permettez-moi une comparaison avec la science : si vous demandez à un savant à quoi il reconnaît qu’une formule est vraie, il vous répond ceci : « Cette formule doit être la plus simple possible, belle, englobante, donner une impression d’évidence et d’harmonie. » Jean Monnet a dit : « Dans les moments difficiles, les idées simples sont rares. » C'était un négociant en cognac. Brouillé avec les études, il s’était arrêté au bac. Il n’a jamais été ministre ni même député. Pourtant c’est lui qui, d’abord avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), initia la construction européenne dans les années 1950. Grand Homme d’État du monde, il fut aussi conseiller de Tchang Kaï-chek, travailla avec le général de Gaulle (il l’inspira parfois) et fut commissaire général au Plan de 1946 à 1952. Sa maxime mérite toute notre attention.
Sur le livre La gauche est morte, vive la gauche ! figure, en quatrième de couverture, cette appréciation de Christian Dulcy, ancien secrétaire général du groupe socialiste au Parlement européen : « Je me suis régalé en lisant ce texte. Sans langue de bois ni dogmatisme, Larrouturou ouvre des pistes vraiment nouvelles pour remettre notre société sur ses rails. Il nous rend l'envie de nous mobiliser pour qu'une “nouvelle donne” concilie développement économique et épanouissement humain. À lire et à faire passer. »
La France a écrit les Droits de l’Homme. Caparaçonnée dans cette armure déculpabilisante, se croyant définitivement en règle avec ses droits et ses devoirs, elle se préoccupe de moins en moins de ses enfants, alors qu’elle pourrait profiter de cet ancien prestige pour donner l’exemple et rayonner dans le monde. Elle a mis au rencart un inégalable avantage acquis.
Un puissant sentiment d’infériorité face aux pouvoirs politique et financier développe en nous un complexe. Nous avons complètement oublié que le pouvoir de l’imagination, de la lucidité, de l’intelligence, est infiniment plus productif que le pouvoir fugace de l’argent trompeur. Nul besoin d’être puissant ou célèbre pour faire un peu avancer les choses. Les exemples autour de nous abondent – j’y reviendrai plus loin.
Il suffirait de refuser les contrevérités que nous assènent chaque jour des requins assoiffés d’ambition, de véritables tueurs non justiciables qui mènent au désespoir, à la déchéance, à la maladie et à la mort, spirituelle et souvent physique, directement ou indirectement, des générations entières. Ne mettez plus votre espérance en des soi-disant « experts en économie » relayés par des médias populistes. Et gardons toujours à l’esprit aussi que plus un économiste sera riche ou marqué à droite, plus il se convaincra lui-même du bien-fondé de ses analyses incomplètes, boiteuses et rassurantes. Les vérités exhaustives sont très rares dans les débats politiques médiatisés où fleurissent les faux-fuyants et les contrevérités.
Ne nous laissons plus influencer par tous ces puissants, ces ''grandes'' intelligences résignées au pouvoir de l’argent. Observons autour de nous à quoi mène une confiance exagérée dans les idoles. Une nation a les chefs qu’elle mérite. Et nous ne sommes pas toujours méritants. Le peuple français, qui est un peuple de gauche, n’a pas su se trouver un dirigeant suffisamment audacieux. Espérons que la France s’éveillera avant qu’il soit trop tard.
Il semble que nous éprouvions une grande complaisance à gober les mensonges de dynamiques dirigeants ultra-libéraux souvent contre-productifs. Ils nous distraient de notre morosité en faisant beaucoup de dégâts. Il est on ne peut plus facile, quand l’ambition initiale a été de devenir un politicien puissant, riche si possible, d’abdiquer face au courage que réclame l’Humanisme. De faire siennes les doctrines individualistes à l’œuvre outre-Atlantique. De mettre le social au rebu et d’effectuer une fuite en avant excitante et excitée dans le désir de domination. Dans mon cher pays de France le libéralisme de plus en plus ultra et suicidaire, véritable sabordage, porte de plus en plus vers des sommets de vertige de tristes sires gesticulants avides de pouvoir. Par leur folle excitation ils me rappellent, en plus diffus et beaucoup plus hypocrite, certaines périodes noires de notre Histoire. Ces orgueilleux pessimistes ont décidé une fois pour toutes qu’un nouveau peuple les gênait dans leur entreprise de domination et d’écrasement – d’autant qu’il grossit de jour en jour : celui des exclus. Alors ils l’excluent.
Le peuple inconscient, dans son panurgisme psychologique, a sa grosse part de responsabilité, qui tous les cinq ans écoute les médias infiltrés puis répond aux sondeurs comme on vote dans les télé-réalités On en revient toujours à la fameuse phrase du général de Gaulle, « Les Français sont des veaux. »
La gauche et la droite sont emprisonnées dans leurs problématiques respectives. À droite, la valeur travail a acquis un énorme déficit. Car c’est pour chaque homme que le travail a une valeur. Utiliser cette expression à toutes les sauces n'est pas admissible. Demandez donc à un chômeur découragé ce qu’est la valeur travail : soit il aura envie de vous rire au nez, soit la tristesse le submergera. La perte de cette valeur est cause de la plupart de nos maux. Une petite faille dans une digue fragilisée et la mer submerge les plaines.
Pourquoi la gauche a si peur de guérir
modifierLes instances de la gauche, malades de résignation refusent de se soigner depuis bien longtemps. La droite se sent pousser des ailes. Un grand déséquilibre s’est installé dans le corps sociétal. Cette pseudo-gauche, assommée par l’échec des trente-cinq heures, ne sait plus réfléchir. En déroute totale, elle cherche la sécurité plutôt que de penser à des idées qu’elle juge trop marginales. Elle a l’impression qu’elle y perdrait son temps alors que par son attitude elle en perd et nous en fait perdre à tous. Perdant-perdant, telle semble être la nouvelle devise de ses dirigeants. Pas un instant elle ne pense qu’une radicale simplicité pourrait beaucoup aider à pallier l’extraordinaire complexité dans laquelle elle s’est fourvoyée et où elle se complaît. (C’est difficile, savez-vous ? Voyez comme on en bave ! Aimez-nous !).
Jacques Delors fit de très belles choses pour la France et pour l’Europe. Je pense que Martine Aubry, sa fille, bien que de bonne volonté, voulut, quel qu’en soit le coût, laisser sa marque, encore plus importante. Y aurait-il du Freud là-dessous ? Tant qu’elle y était, elle n’aurait pas dû se contenter d’une demi-mesure. Elle a pêché par excès de prudence et a surtout refusé d’écouter les meilleurs conseillers. Mais ne lui jetons pas trop la pierre : Jospin était favorable aux 35 heures. Sans avoir étudié ni le concept ni l’historique du partage du temps de travail, il les avait promis, et elle devait faire cette réforme. Estimant que cette réforme était vitale et avant que l’opposition ne fourbisse trop ses armes elle fit voter la loi sans beaucoup consulter parmi ses amis. Pour ce qui aurait été d’une démarche plus radicale, le Parti socialiste avait déjà depuis longtemps perdu nombre de ses valeurs fondatrices.
Nous parlons de demi-mesure, cela me rappelle une petite histoire. Un jour un homme très riche offrit à sa fiancée une splendide bague en or massif de cent mille dollars puis l’épousa. Plus tard leur fils devenu adulte se fiança à son tour. Il manquait d’audace et d’imagination ; ses flatteurs conseillers l’incitaient toujours à la prudence. Il souhaitait faire mieux que son père, mais sans contrarier son entourage. Il décida d’offrir à sa belle une bague du même prix, cent mille dollars, mais deux fois plus grosse. Il demanda donc à l’orfèvre de lui fabriquer une bague moitié en or, moitié en plomb. Que pensez-vous qu’il advint d’un tel cadeau quand l’épouse s’aperçut qu’elle avait été trompée ?
Les compétences à gauche ne manquent pas. Mais la peur à l’œuvre depuis des décennies a dressé ses défenses et tissé une armure. Il faut reconnaître que ce doit être pour cette gauche un dilemme fort anxiogène de se remettre complètement en question au risque (pensent-elles) de tout perdre. Elles ont très peur, en délaissant cette complexité parasitaire, de perdre la maîtrise de la situation. Alors, ces dirigeants font preuve d’un redoutable esprit de clan : pour soi-disant protéger les bonnes volontés contre elles-mêmes, on commence par les décourager, de toutes les façons possibles. Et si ça ne suffit pas, on exclut du cercle ces trublions qui osent mettre en péril leur pseudo-pouvoir.
À nouveau je cite ce que disait un journaliste à Pierre Larrouturou : « Votre idée ne recoupe pas le clivage droite-gauche. Elle montre les divisions profondes des partis sur une question que tous présentent comme fondamentale. La semaine de quatre jours creuse un fossé entre les anciens et les modernes. Il faut trois qualités pour s’approprier votre projet : comprendre la gravité de la crise, refuser de s’en tenir aux politiques classiques et avoir le courage de se désolidariser des autres membres du parti. Vous ne trouverez pas grand monde pour vous aider. » L’entêtement orgueilleux est bien plus rassurant que la réflexion sur des choses simples et logiques. C'est la cause première du grand coma de la gauche. Et du coma de toute une société.
Dix jours après avoir écrit ces lignes en 2008, j’avais mis le doigt sur une cause plus précise de l’abyssal déficit d’intelligence de cette gauche. Reconnaître leurs torts, ce serait donner raison à un homme qui n'est pas de leur chappelle à portes blindées. Ce serait donc donner raison à un homme – Pierre Larrouturou – qui a travaillé avec plus de lucidité, effectuant davantage de recherches, d’expériences de terrain. Je comprenais mieux cette léthargie délétère de la gauche. Je comprends mieux aussi pourquoi le pouvoir en place peut autant faire monter la tension sans que personne ne réagisse. Il faudra que la secousse soit très forte pour que le gros et vieux pachyderme éprouve l’envie de se relever. D’autant qu’en trente ans l’animal vieillissant est devenu très craintif et a durci ses défenses. Une humanité qui met volontairement au rebut un nombre toujours croissant de ses membres est comme une terre victime de déforestation, manquant de plus en plus d’oxygène, de régulation. Finalement elle s’asphyxie.
En 2008, Il y avait deux cents millions de chômeurs dans le monde et déjà plus de trois milliards de personnes avaient un risque très élevé de se retrouver sans protection : n'est-il pas temps de penser à une vraie écologie ? Observons avec quel mépris l’État traite 1,2 million de personnes après les avoir rayées de la liste des chômeurs. Comment peut-on prétendre que nos jeunes, devant un avenir angoissant, puissent avoir de la considération pour le monde des adultes et pour des gouvernants aveugles ? Le philosophe, poète, et artiste, Joseph Lanza del Vasto, qui fut l’ami et disciple de Gandhi, écrivait déjà, en 1943 : « Quant aux peuples entiers voués à l’oisiveté, que fera-t-on d’eux, que feront-ils d’eux-mêmes ? (…) Mais il est un plaisir plus cher à l’homme, plus cher que l’ivrognerie et la débauche, celui de crier “À bas !” et de mettre le feu partout. Ce jeu-là ne tardera pas à remplacer tous les autres… » (Le pèlerinage aux sources).
Si la France partageait le travail entre tous ses enfants au lieu d’en épuiser beaucoup par d’infernales semaines de travail, les exclus n’emprunteraient plus les chemins de perdition, les jeunes renonceraient à aller brûler les voitures. La réflexion humaine n’a pas su se synchroniser avec le progrès industriel. L’orgueil et l'acharnement à faire de plus en plus d’argent a pris le pas sur l’humanisme. Nous sommes à l’heure des grands choix. Jules Romains constatait avec effroi, dans Le problème numéro un (1947) : «La courbe du perfectionnement de la nature humaine, et la courbe de l’organisation politique de la société progressent d’une façon beaucoup trop lente par rapport à la courbe du pouvoir conféré par la technique à l’homme. » Il concluait : « Si l’écart entre ces courbes continue à croître de façon aussi vertigineuse, une nouvelle catastrophe sera nécessairement beaucoup plus grave que la dernière. Elle présentera le pouvoir de destruction de celle-ci plusieurs fois multiplié – d’autant de fois plus multiplié que l’intervalle entre les deux catastrophes aura été plus long. »
La France est une petite nation mais elle a le privilège de faire le joint entre l’Amérique et l’Orient. Une nouvelle fois nous sommes à un tournant crucial de la marche du monde. Puissions-nous ne pas laisser passer cette formidable occasion de sublimer nos passions en donnant l’exemple. Le monde entier nous en serait reconnaissant. Ne laissons pas nos esprits se polluer par les commentaires qui dénigrent les trente-cinq heures sans rien proposer. On comprend que la plupart des responsables politiques de gauche défendent cette loi bec et ongles car ils la considèrent comme le principal acquis alors qu'elle a été un formidable piège. Supprimer la demi-mesure des 35 heures (seulement 350 000 emplois créés), d’autant qu’elle coûte cher à tous points de vue et qu’elle est injuste, oui, mais à condition de la remplacer auparavant par un réel partage des temps de loisir et de travail qui a déjà fait ses preuves.
Je fais partie de ceux qui pourraient croire que la loi Aubry leur a profité, mais si j’analyse en détail toutes ses mauvaises conséquences, pour moi-même, dans mon environnement proche, en France et dans le monde (effet papillon), j’ai beaucoup, beaucoup perdu. Je constate que les besoins les plus primaires, les plus vitaux de l’être humain sont de plus en plus bafoués chez beaucoup. Quand une société ne permet pas à un homme de se nourrir dignement par son travail, elle le rejette. Nous sommes devenus aveugles. Les responsables actuels ont une peur viscérale de la simplicité. Nous sommes concernés autant qu’eux. C’est à nous, quand l’occasion se présente, d’envoyer des signaux à nos amis, nos collègues de travail, nos gouvernants. Il n’y a pas de fatalité. Il nous faut juste être logiques et efficaces. Ne nous défaussons pas sur l’État providence.
Je caresse l’espoir que ce profond coma, cette terrible crise des valeurs que nous vivons et qui va en s’accentuant, eh bien, comme il arrive parfois au paroxysme d’une crise, débouche sur un électrochoc. Blanchot disait : « Le désastre peut être une chance. » Dans La Tribune du 9/11/1993, Henri Vacquin, sociologue d’entreprise, écrivait : « Si la semaine de quatre jours n’est pas lancée, j’augure mal de ce qui peut se passer. (…) « La semaine de quatre jours va contraindre à une refonte de l’organisation du travail dans les entreprises et dans les administrations. C’est la porte ouverte au travail qualifiant, à une réelle flexibilité quantitative dans le travail, à une modification de l’exercice du pouvoir dans les entreprises. »
Un débat avec Pierre Larrouturou en 2007, de plus en plus d'actualité
modifierDébat en « chat » avec Pierre Larrouturou, candidat à l'élection présidentielle de 2007, délégué national du PS chargé de l’Europe, le mardi 6 mars de cette même année :
P. L. : (…) Hélas, depuis quatre ans, nous n'avons eu aucun débat de fond au sein du PS. Dans les vingt-quatre mois qui ont précédé la rédaction du projet, la commission économie ne s'est pas réunie une seule fois. J'ai été invité par des dizaines de groupes de citoyens à participer à des débats aux quatre coins du pays pour développer les idées de mon dernier livre, mais à Solferino, je n'ai jamais eu cinq minutes de parole.
(…) En moyenne, aujourd'hui, quelqu'un qui part en retraite est déjà au chômage ou au RMI depuis trois ans en moyenne. Dire qu'il faudra travailler deux ans de plus, si nous n'arrivons pas à lutter radicalement contre le chômage, ne fera que déplacer le problème. Les gens partiront en retraite après cinq ans de chômage au lieu de partir après trois ans de chômage seulement... Je ne suis pas hostile à moyen terme aux quarante-deux années de cotisation, mais à condition d'avoir radicalement fait reculer le chômage, ce qui passe entre autres par la mise en place de la semaine de quatre jours à la carte. Il faudra travailler plus longtemps, mais travailler moins.
V. de F. : « Parler de l’effondrement du système capitaliste comme vous le faites dans votre livre et dire que la crise de 1929 est devant nous, n’est-ce pas exagéré ?
P. L. : Comme le dit l’agroéconomiste Lester Brown, nous sommes sur des « trajectoires d’effondrement. » Aucune des tendances actuelles n’est durable. C’est vrai de la crise sociale, de la crise financière et, bien sûr, de la crise écologique. Nous sommes au bout d’un système. Il est urgent de construire une alternative globale. Aux États-Unis, le pays du plein-emploi selon Nicolas Sarkozy, il y a tellement de petits boulots que la durée moyenne du travail, sans compter les chômeurs, est tombée à 33,7 heures. » (…) La France est le pays qui a le plus augmenté sa productivité. En trente ans, l’économie française produit 76 % de plus avec 10 % de travail en moins. » (…) Soyons clairs. Ce n’est pas ma famille politique que je critique, mais seulement les dix ou les quinze qui squattent Solferino. Leur paresse ou leur aveuglement deviennent scandaleux. Je pensais que le choc du 21 avril serait suffisant pour déclencher des débats de fond.
François Hollande m’avait demandé de rejoindre la commission économie du PS, où j’espérais que nous allions vraiment travailler. Hélas, cette commission ne s’est pas réunie une seule fois pendant deux ans. Ne soyez pas étonnés si le PS n’a pas grand-chose à dire sur la fiscalité, les retraites ou encore le chômage. Les statuts du PS prévoient que nous devrions avoir deux conventions par an pour approfondir une question. Depuis cinq ans, depuis le choc du 21 avril, nous aurions dû avoir dix conventions, dix grands moments de réflexion, sur le chômage, l’éducation, les questions Nord-Sud, l’environnement… Nous n’en avons eu aucune !
V. de F. : Pas une seule convention depuis cinq ans, est-ce un élément d’explication de la défaite du PS aux présidentielles ?
P. L. : C’est la principale explication. Ségolène Royal aurait dû s’appuyer sur un projet du PS. Je suis délégué national chargé de l’Europe depuis deux ans. Mais je n’ai pas eu une seule heure de travail avec Hollande ou Moscovici sur les questions européennes. Et je raconte dans mon livre que quand les dirigeants socialistes allemands viennent à Solferino pour réfléchir à une relance de l’Europe nous n’avons rien à leur dire, car nous n’avons rien préparé.
Une plus ancienne citation de Pierre Larrouturou à propos des 35 heures : « La principale réforme de la législature n'est qu'un écran de fumée. La deuxième loi Aubry n'endiguera pas le chômage, n'améliorera pas la vie des salariés et risque de faire perdre à la gauche les élections de 2002. »
Conclusion
modifierComme moi, beaucoup d’entre vous n’ont pas fait d’études chic. Mais nous avons du bon sens, nous sommes chaque jour témoins de la cruelle incompétence de nos dirigeants. Alors pourquoi nous croire à tout prix inférieurs à eux ? Pourquoi donc leur dit-on « oui oui, vous êtes les meilleurs » ? C’est que la plupart d’entre nous n’ont pas le temps d’aller chercher les meilleures informations et de se renseigner auprès d’experts compétents. Angela Merkel s’est insurgée en décembre 2008 contre ses propres amis. Levant le tabou, elle leur a dit que ce qui a plongé le monde dans la récession, c’est que « jusqu’à présent on a écouté les mauvais experts. » À ces experts, quand ils étaient à l’université, on transmettait (et on transmet toujours) des théories inspirées par des intérêts politiques, manquant de rigueur, frileuses. Ces experts en économie, très sollicités dans les médias quand ils sont dans l’air du temps, ont peu à peu désappris à réfléchir par eux-mêmes et ont contribué à la faillite des politiques actuelles.
L’économiste contemporain type, diplômé, labellisé, possède un esprit véritablement rempli de certitudes, de connaissances incomplètes et de données tronquées. L’orgueil du métier entre en ligne de compte. Sera d’emblée rejetée toute nouvelle idée qui risquerait d’ébranler cet assemblage – très bancal car très mal structuré – d’idées préconçues. « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, elle est d’échapper aux idées anciennes qui ont poussé leur ramifications dans tous les recoins de l’esprit des personnes ayant reçu la même formation… » (J.M. Keynes, Essays in Persuasion).
On continue toujours d’inviter ces mauvais experts dans les débats télévisés. Le résultat est que les seuls candidats à la fonction suprême sont ceux que les médias, par l'intermédiaire des sondages d'opinion, désignent comme les meilleurs People, ceux qui ont les plus grosses ambitions personnelles, ceux qui se sont constitué les réseaux les plus influents, avec tout ce que cela implique comme convergences d'intérêts personnels, et donc de compromissions. Finalement, au deuxième tour de la présidentielle, depuis des décennies, il n’y a pratiquement jamais eu de présidentiable vraiment responsable. Les dirigeants élus ont ensuite utilisé l’alibi de ces avis d’« experts » pour fabriquer des politiques de chapelle d’avance vouées à l’échec. On voit que les raisons étaient bonnes pour Michel Rocard, dont on connaissait la finesse de l’analyse politique, de prétendre que le suffrage universel n’est pas la meilleure formule pour désigner l’occupant à la fonction suprême. Quand, en ce début tourmenté de millénaire, on a fait de belles études censées vous préparer une carrière dorée mais que l’aveuglement est là, on ne croit plus à un destin heureux pour l’humanité. Charles de Gaulle a restauré l’honneur de la France. Voici ce qu’il écrit dans Mémoires de guerre, « Le salut » - « Le Rang » (dialogue avec Churchill) : « (…) La primauté reconnue dans la politique à une certaine conception de l’homme en dépit de la mécanisation progressive de nos sociétés, voilà bien – n’est-il pas vrai ? – ce que sont nos grands intérêts dans l’univers qui s’annonce. »
Heureusement qu’il y aura toujours des prisons avec, par cellule, deux ou trois ex-chômeurs (ou « ex-trop petits boulots »), devenus petits délinquants. Qu’il y aura toujours des trottoirs et des rames de métro pour accueillir les mendiants réduits à l’impuissance, des bouches d’air chaud où ils peuvent dormir, des services psychiatriques fournissant neuroleptiques à discrétion, des zones de non-droit qui se multiplient dans les banlieues et dans la capitale. Il nous faut observer, lire les avertissements. Pensons au 11 septembre, aux voitures qui brûlent. Les instances dirigeantes de la gauche se sont bien trop éloignées de l’idée-force centrale, de ce grand concept qui fut à l’origine de la démocratie, l’Humanisme. La droite dirigeante avait voulu croire, parce que ça l’arrangeait, que les citoyens étaient comme elle, non fiables désormais, et avait donc décidé que maintenant, ça y était, le dieu Argent pouvait être entièrement libre de tout décider tout seul. Elle axa sa politique – comme la “gauche” d'ailleurs – sur des raisonnements fallacieux, basés sur des données incomplètes, des applaudissements d’autosatisfaction et des cris de victoire en chantant.
Ma conviction, forgée tout au long d’une vie qui n’a pas toujours été facile, est celle-ci : plus on lui demande à cette vie et plus elle vous donne. Si on est prêt à tout recevoir, elle vous donne.
En passant…
Chiffres Eurostat 2008 sur le temps de travail :
Les Français travaillent en moyenne 35,3 heures par semaine, soit :
– plus qu’aux Pays-Bas (29,9 heures),
– plus qu’au Danemark (34,1 heures),
– plus qu’en Allemagne (34,7 heures),
– plus qu’au Royaume-Uni (34,9 heures).
En France on travaille plus qu’aux USA, qui en sont à 33,7 heures par semaine.
Claude Mariotti
Liens externes
modifier- Émissions sur France culture avec Cynthia Fleury en invitée (voir en bas de la page).
- Le site de Nouvelle donne
Références
modifier- ↑ « Quand on travaille l’âme, on travaille la raison et le désir. Cette confrontation, la plupart des philosophes essaient de l’éviter, essaient de la scinder. »
- ↑ D'après Lionel Jospin, ce sont des raisons personnelles qui ont motivé la décision de Jacques Delors. On a dit aussi que sa fille l'avait encouragé à ne pas se présenter. La raison la plus souvent avancée est qu'il pensait qu'une fois élu il n'aurait pas reçu le soutien de la gauche. Je le pense aussi, comme je pense qu'il aurait eu à faire face à toutes sortes d'attaques de la part de la droite la plus conservatrice qui aurait pu vouloir profiter d'une fenêtre, de la part aussi d'autres groupes ayant la même motivation. Dès le début de son argumentation il dit qu'il a déjà beaucoup donné et met en avant son âge (bientôt 70 ans). Les commentateurs n'ont pas vraiment cru à cet argument, je pense pourtant qu'il compte, il aurait fallu être Superman pour à la fois garder le cap et affronter tous ces crocs en jambe.