Recherche:Shoah en France

La Shoah alsacienne

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La Shoah alsacienne est une recherche historique d’Alexandre Gilbert traitant des massacres perpétués par la gestapo, sur le sol français, avec ou sans l’aide de la milice française, par le gaz ou la précipitation, durant la seconde guerre mondiale.

Problématique modifier

La Shoah en France recouvre les persécutions, les déportations et l'extermination subies par les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale en France.

Nous parlerons de Shoah alsacienne (ou Alsatian Holocaust, en anglais) pour mettre en relief, deux événements qualifiables de crimes contre l’humanité, perpétués directement sur le sol français, et non rattachés à des représailles directement contre des membres de la résistance : l’exécution de 86 juifs, principalement d’origine grecque mais issus de 6 nationalités différentes, au Camp de concentration de Natzweiler-Struthof ainsi que les 36 juifs alsaciens précipités du haut des Puits de Guery, à Saint-Amand-Montrond.

Pour cela j’ai interrogé dans un premier temps un historien allemand, Hans-Joachim Lang, un réalisateur alsacien, Emmanuel Heyd, puis un psychiatre d’origine marocaine, Georges Federmann.

Le Camp de concentration de Natzweiler-Struthof modifier

Hans Joachim Lang & “modern aspects” of the Holocaust in France modifier

After WWII, corpses of 86 Holocaust victims were found in the Institute of Anatomy in Strasbourg and burried in the Cronenbourg cemetery. Selected in Auschwitz, in 1943, the 29 women and 57 men were gassed in the Natzweiler Struthof concentration camp for the skeleton collection in the former german Reichsuniversitaet Strassburg. The institute was directed by SS Obersturmbannfuhrer, Prof. August Hirt, who was the initiator of the crime. Dr Hans-Joachim Lang identified the victims in 2004. Eleven years later Dr. Raphael Toledano, french researcher, found together with the director of the Institute for Forensic Medicine three small glass containers, in which tiny bits of leftovers from a human stomach and five small pieces of skin were preserved, which can be attributed to Menachem Taffel, one of the 86 victims. These samples come from the autopsies, taken by French forensic scientists after the discovery of the corpses.

What is your connection to the city of Strasbourg ?

My researches about the 86 victims of the SS-“Ahnenerbe” since about 20 years. This was a research done by my own, I did it during my free time. Mainly I have been a newspaper journalist, focus science. Now I am a Honorary Professor, no longer journalist. Focal points of my researches are Shoah and medical experiments in Block 10/Auschwitz. Second: I am a member of the international historical commission at the university about medicine at the Reichsuniversität Strassburg.

Where you surprised by the resistance of the Faculté de médecine de Strasbourg to reopen their archives ?

We must differ two periods: During my researches for my book “Die Namen der Nummern”, which was published in 2004, the University of Strasbourg as well as other stately institutions in France didn’t like to cooperate. They did not answere to my request. Exception were the National Archives in Paris. At time I don’t see any problems. The cooperation in the commission historique is supported by the confidence that the research about the history of the german Reichsuniversitaet is of mutual interest.

Was it easier to work with the archives of Yad Vashem and the U.S. Holocaust Memorial Museum ?

During my own researches many years ago it was indeed easier to work in all other archives than in french archives. Because of more liberal laws for using files in archives. Only the Archive of the International Red Cross in Bad Arolsen was for long time a big problem. But during the researches for my book about Block 10 some years later it was easy to work there, times have changed.

The collection of human beings of the american neonazi Ed Gein who inspired movies as Psycho, Silence of the lambs, Chainsawmassacre, Maniac or American Psycho is considered as the delirium of a psychopath. The french psychiatrist George Federmann says August Hirt on the contrary was definitely normal. Do you agree with that ?

I don’t know what means “definitely normal”. I agree that Hirt was a human beeing and not a devil or a monster. Nevertheless: A man who decides to kill people in order to build up a rassian collection cannot be named “normal”. Okay, he had a normal career as a scientist, at least before his time at the Reichsuniversitaet. As a judge I would say he was fully resonsible for what he has done. And to say “fully responsible” does not mean ill. He had turned to a criminal. But is a criminal normal?

Did Bruno Beger, phrenologist and member of the expedition of Himmler and the Ahnenerbe in Tibet to find the biological origins of the aryans, initiate the project of the skeleton collection ?

We have no source to say sure who was the initiator. But because of a lot of evidences and the circumstantial situation I do not agree to Michael Kater, who assumes that Bruno Beger was the initiator of the collection. I assume that it was August Hirt who wanted to extend the historian collection in Strasbourg in the sense of “modern aspects” how Hirt named it in January 1945 in a letter. We know what the “modern aspects” are meaning: the rassian aspects oft he Nazi-ideology. Beger was not a harmless scientist but he had other interests than Hirt[1].

Emmanuel Heyd & la tragédie pasolinienne du Struthof modifier

Après la Seconde Guerre Mondiale, des restes humains de 86 victimes de l’Holocauste furent découverts à l’Université de médecine de Strasbourg puis enterrés au cimetière de Cronenbourg.

Sélectionnés à Auschwitz, en 1943, ils furent gazés au camp de concentration de Natzweiller-Struthof poui compléter la collection de squelettes d’un Institut d´anatomie dirigé par le SS obersturmbännfuhrer, August Hirt.

En 2005, le Dr Hans-Joachim Lang identifie le nom des victimes puis en 2015, Raphael Toledano, retrouve des bocaux contenants des restes humains appartenant au sinistre anatomiste. Il a réalisé avec Emmanuel Heyd, un documentaire, Le Nom des 86, sur leur histoire.

Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Raphaël Toledano avec qui vous réalisez le documentaire sur le nom des 86 victimes du professeur Hirt ?

J’ai rencontré Raphaël Toledano, à l’époque encore étudiant en médecine, lors d’une conférence de l’historien et journaliste Hans Joachim Lang qui présentait à Strasbourg le fruit de ses 15 ans de recherches et la publication de son ouvrage en langue allemande : « Die Namen der Nummern » (le nom des chiffres).

Hallucinés par cette histoire, Raphaël et moi avons ébauché ensemble l’idée d’un documentaire qui pourrait raconter cette histoire locale à portée internationale. Il y avait une urgence en ce début du XXIe siècle à raconter ce qui s’était passé il y a plus de 70 ans, car les derniers témoins de l’époque nous quittaient.

Il y avait également une urgence à parler des crimes horribles commis sur le territoire français. À rappeler qu’à Strasbourg, non seulement occupée mais annexée de fait, un médecin anatomiste nazi de l’université de Strasbourg (Reichsuniversität) planifiait et faisait assassiner 86 Juifs en les gazant au camp du Struthof situé à 50 km à l’ouest de Strasbourg, afin de constituer une collection pour le musée d’anatomie de la faculté de médecine de Strasbourg.

Originaire d’Haguenau dans le nord de l’Alsace et fils de Malgré nous, parliez-vous du sujet de la formation intellectuelle des Waffen SS au sein de l’Université alsacienne dans votre entourage lorsque vous vous êtes intéressé au sujet ?

Les universités du Reich (Reichsuniversitäten en allemand) sont des universités fondées par l’Allemagne nationale-socialiste dans les régions qu’elle avait annexées. Il n’y en a eu que trois : à Prague, à Poznan et à Strasbourg.

Ces universités étaient destinées à devenir le « rempart combattant » du Reich national-socialiste, les deux premières contre le monde slave, et la dernière contre l’Occident.

(Précision: Les nazis réutilisèrent l’Université, développée par le second Empire Allemand, après la guerre de 1870. Les personnels furent évacués en septembre 1939 lors de l’évacuation totale de Strasbourg.)

Elles ont été dotées de moyens importants et des meilleurs éléments : chercheurs, professeurs venant de toute l’Allemagne nazie afin de proposer une vitrine de la science et la culture allemande comme la plus avancée et la meilleure du monde.

Une propagande de germanisation destinée à donner envie, à rendre fière la population locale de l’existence de ce phare de la culture germanique sur leur territoire. Sur l’activité même de la Reichsüniversität, il existe malheureusement très peu de travaux historiques.

Après une phase d’oubli (ou de déni), nécessaire pour se rabibocher et continuer à vivre ensemble après-guerre, on a raté la phase de reconstruction mémorielle du passé. C’est un peu grâce à notre documentaire, que l’Université projette chaque année aux étudiants de première année de médecine, que l’université de Strasbourg a mis en place une commission de recherche historique internationale en 2016 pour rattraper ce manquement.

La collection d’êtres humains du néonazi Ed Gein qui inspira les films Psychose, Le Silence des agneaux, Massacre à la tronçonneuse, Maniac ou American Psycho est considérée comme le fait d’un psychopathe. Pour le psychiatre George Federmann, August Hirt était quelqu’un de définitivement normal à l’image des meilleurs médecins de son époque. Est-ce votre avis ?

Je partage l‘avis du docteur Georges Federmann, oui August Hirt est normal (encore faut-il définir ce qu’est la normalité), ce n’est pas un psychopathe schizophrène, n’en déplaise à certains auteurs de fiction. Et je trouve ça encore plus horrifiant.

Un savant, reconnu à son époque par ses pairs à l’étranger se retrouve capable de porter de tels projets criminels. Comment un savant de renom, un excellent professeur, un médecin a-t-il pu proposer et faire exécuter ce crime horrible ?

On aurait pu croire que c’était un monstre, un fou, mais il n’en est rien. C’était un homme normal, certes craint par ses étudiants, mais ce père de famille aimé par ses enfants, un chercheur reconnu par ses pairs, a utilisé sa croyance pour nier l’humanité de ceux qui, à ses yeux, en étaient indignes.

Il a fait tuer 86 Juifs parce qu’il croyait que bientôt, il n’y aurait plus de Juifs sur terre et voulait en garder une trace.

L’anatomiste August Hirt était Gottgläubig. Dans l’Allemagne nazie, l’adjectif Gottgläubig (littéralement, croyant en Dieu) s’appliquait à un mouvement religieux nazi (créé par Himmler), qui rassemblait ceux qui avaient rompu avec le christianisme mais avaient gardé leur foi dans une puissance supérieure où « Dieu était la pureté de la race humaine ».

La recherche de cette pureté, d’humains ayant une lignée non mélangée, a été l’obsession de l’Ahnenerbe, cet institut de recherche dépendant directement de Himmler et tentant de trouver des justifications scientifiques à l’idéologie nazie. Cette idéologie, cette religion déshumanise et tue.

Bruno Geber, le phrénologue membre de l’expédition de l’Ahnenerbe au Tibet pour retrouver les origines biologiques de la race aryenne, sujet cher à Himmler, fut-il l’initiateur du projet de collection de squelettes ?

C’est la thèse que défend Michael Kater, mais il n’y a pas de preuve tangible. Nous avons trouvé les écrits du directeur de l’Ahnenerbe Sievers aux Bundesarchiv de Berlin, qui semblait presser l’anthropologue Beger à rencontrer August Hirt à Strasbourg quelques jours après l’inauguration de l’université nazie de Strasbourg afin de rajouter ce projet de collection de squelettes (ou de crânes, suivant certains courriers) dans le dossier que Hirt devait transmettre à Himmler pour faire valider ses travaux.

Hirt n’est peut-être pas l’initiateur du projet, mais il s’en saisit et le défend auprès de la hiérarchie nazie. Par conviction, certes, mais certainement aussi par ambition personnelle.

Cela lui a permis d’avoir les budgets pour ses autres recherches, il est passé Haupsturmführer en moins de deux ans, comme Josef Mengele ou Klaus Barbie. Rappelons, qu’après le gazage des 86 Juifs, les corps ont été plongés dans des cuves de la cave de l’Institut d’Anatomie de Strasbourg.

Et vont y rester jusqu’à la libération de Strasbourg. Les corps vont être mutilés afin de les faire disparaitre avant l’arrivée de la deuxième DB du Général Leclerc qui libéra Strasbourg avec l’aide des Américains. Le bâtiment devait être dynamité par les nazis avant de fuir la ville. Les bombardements alliés les en ont empêchés.

Inspira-t-il plus tard directement les personnages sinistres de nazis des films de Jean Jacques Annaud (7 ans au Tibet) et Steven Spielberg (Indiana Jones) ?

Il y a eu beaucoup de médecins et de savants nazis criminels. Après le procès de Nuremberg, a eu lieu en 1946 le procès des médecins. La liste de leurs crimes a inspiré maints auteurs de fiction ultérieurement.

On trouvera moins de choses concernant les savants nazis criminels, dans la mesure où ceux-ci pour la plupart ont été recrutés par les forces alliées. La seule référence directe à August Hirt que je connaisse est le film PORCHERIE de Pasolini en 1971.

Ressentez vous toujours des résistances du public dans la diffusion de votre documentaire ?

Du public, non, les résistances viennent plutôt des diffuseurs. À l’exception d’Alsace 20 et d’HISTOIRE qui nous a fait l’honneur de diffuser notre documentaire en prime-time à 20h40 en mar]]s 2016.

Les autres diffuseurs nous reprochant surtout une forme de narration du documentaire inadapté à la télévision (ou du moins à leur vision de la télévision). Notre choix pour un tel sujet a été de garder une pudeur, nous avons écarté les images chocs, mais parfois le simple récit n’en n’est que plus fort [2].

Ces médecins allemands qui gazaient des juifs en Alsace, Dialogue avec le psychiatre Georges Federmann modifier

Georges Yoram Federmann est probablement le psychiatre le plus iconoclaste de sa génération. Dans Le Divan du Monde, documentaire de Sven de Pauw, sorti en 2015, il brise un tabou en laissant filmer ses consultations, drôles et émouvantes, “sans rendez-vous ni posologie”, dont il prépare déjà une suite, Comme elle vient, dont la sortie est prévue en 2018.

Il est aussi le défenseur infatigable de la mémoire des 86 juifs gazés dans le camp de concentration du Struthof-Natzwiller, sur le sol français, qui devaient rejoindre le « musée de la race » figurant des squelettes juifs, du sinistre professeur August Hirt, dirigeant de l’Université de Strasbourg pendant la Seconde guerre mondiale.

Jewpop : Pouvez vous nous parler de votre enfance à Casablanca ?

Georges Federmann : Ce qui m’a sans doute le plus frappé, c’est le profil psycho-affectif de ma mère, qui est morte en 2009. C’était une femme d’une énorme générosité avec un cœur et une maison ouverts aux quatre vents, mais avec une perception de la réalité sociale fondée sur la conviction qu’il existait une hiérarchie de la valeur et de la condition de la vie humaine. Ma mère était issue d’une famille juive du Maroc, convaincue que les Français étaient une classe et une « race » supérieures, inaccessibles, avec lesquels il était impossible de se « mélanger », sauf à une exception, au moment de la présence américaine au Maroc. À ce moment là, il eut été presque possible de transgresser la loi dogmatique du respect absolu de « l’endogamie » de la communauté juive locale, en se mariant avec un américain (même non-juif) au prix, toutefois, de quitter le Maroc et la famille pour traverser l’ Atlantique. Une sorte d’exil doré sans retour.

Les « Juifs » étaient la catégorie arrivant immédiatement après les « Français » ; en dessous encore, il y avait les « Arabes », qui étaient employés à des fonctions de femmes de ménage ou d’hommes de mains et auxquels il était interdit de se « mélanger ». Et tout en bas de l’échelle, il y avait les « Noirs », qui étaient véritablement perçus comme une catégorie infra humaine, à tel point que les mendiants Gnaouas qui jouaient dans la rue, à qui on jetait quelques pièces, étaient stigmatisés sans qu’on perçoive la force de leur tradition séculaire. J’entends encore aujourd’hui le rythme lancinant des qarqabu…

Il me vient un autre souvenir du Maroc au moment où pour la première fois après mes 50 ans j’y suis retourné, en 2004 ; à Zagora dans le Sud. J’ai été bouleversé par le fait que dans un village retiré fait de maisons en terre, les villageois avaient conservé le site de la synagogue, aménagé, et que les vieux étaient capables de reprendre les mélopées des chants du shabbat, qu’ils avaient gardées intacts dans leur esprit et à l’oreille. Ils attendaient le retour des Juifs.

J : Quel souvenir gardez vous de votre arrivée en Alsace ?

GF : C’est en percevant le renoncement à sa part culturelle allemande que j’ai saisi une partie du drame de l’Alsace, qui aurait pu constituer une telle (double) richesse, si la partie culturelle allemande avait été reconnue et cultivée par la France. Je vous renvoie au livre de Selma Stern, Yossel de Rosheim , écrit en 1958 et traduit 50 ans plus tard par Freddy Raphael, qui nous montre le parcours extraordinaire de Yossel, défenseur des Juifs à l’époque de Charles Quint et de François 1er. Il nous apprend que la culture juive en Alsace est avant tout allemande et qu’en déniant ce fait, on renonce à au moins 4 siècles de culture qui pourraient nourrir notre volonté et notre devoir de devenir européen aujourd’hui.

On ne peut pas non plus comprendre l’Alsace, si l’on n’a pas intégré le drame des incorporés de force. Mais l’Alsace, c’est aussi le Cercle Menachem Taffel, la résistance d’Adélaïde Hautval et c’est le légalisme du maire Peter Scharber, en 1349, qui tenta, en vain de sauver les Juifs de Strasbourg du bûcher.

J : Comment êtes-vous arrivé à la traumatologie, puis à la psychanalyse ?

GF : Concernant ma « conversion » à la psychiatrie et à la psychanalyse, je dis toujours que « je suis né juif, et me suis converti à l’exercice de la médecine ». Elle a été motivée par la prise de conscience de l’existence d’expérimentations médicales nazies sur le sol alsacien en 1943 et 1944. Expérimentations qui ont toujours été déniées par l’ensemble des professeurs de la faculté de médecine de Strasbourg. Comme si elles n’avaient pas existé. Comme si elles étaient anachroniques. Comme si les médecins allemands ayant adhéré au nazisme n’avaient été que des « fous et des criminels », alors qu’ils faisaient partie de la corporation ayant donné les meilleurs médecins du monde (occidental). Tous mes enseignants, à Strasbourg, ont toujours laissé entendre que l’adhésion des médecins allemands au nazisme a été criminelle et accidentelle, alors que mes recherches m’ont poussé à reconnaître qu’elle était structurelle.

C’est en prenant conscience que le mal pouvait être en nous que j’ai essayé de m’identifier aussi à mes « collègues allemands ayant adhéré au nazisme », pour essayer de comprendre comment, dans une situation cruciale, comme celle de l’accueil des « damnés de la mer » (1) aujourd’hui, le médecin pouvait prendre le parti du pouvoir et du fort contre ses patients les plus fragiles.

J : Que pensez vous de l’analyse de Hans Joachim Lang et Emmanuel Heyd, qui confirment votre analyse sur le profil psychologique d’August Hirt.

GF : Je me suis reconnu dans le témoignages des mes amis E. Heyd et H-J. Lang, mais mes constats sont plus radicaux. La matrice idéologique qui a permis aux médecins allemands d’adhérer, sans hésitation, au nazisme à partir de 1933, n’a pas été extirpée. Les médecins ont constitué la profession qui a le plus adhéré aux structures nazies, sans y être obligés. À part ceux qui ont été jugés à Nuremberg, tous les autres ont été « recyclés » et ont exercé et enseigné jusque dans les années 1970/75 , pour moi , «comme des nazis ». Je considère que le terme « ancien nazi » est inapproprié . Qui, parmi eux, a regretté ou demandé pardon ? À ma modeste connaissance, aucun.

Et les réticences principales aux combats du Cercle Menachem Taffel (depuis 92) ont été celles de la communauté médicale locale, ainsi que de la communauté juive, très frileuse de 1992 à 2005. Ces réticences persistent d’ailleurs malgré « l’angélisme » de H. Joachim concernant la commission mise sur pied par la faculté en 2016, à laquelle le Cercle Taffel n’a pas (encore) été associé, alors que c’est lui qui a offert la primeur des découvertes de Lang à Strasbourg, en 2003 (les révélations pour Toledano et Heyd), à un moment où il était encore un obscur journaliste, inconnu dans le domaine historique. Sans notre « courage , à l’époque, l’histoire des « noms des 86 » serait restée une histoire allemande. Nous avons fait confiance à Lang, mais qui nous garantissait la qualité de ses recherches ?

Là où mes amis sont « détachés » de la réalité d’aujourd’hui, c’est que cette histoire se rejoue tout le temps dans le domaine médical et que, selon moi, Auschwitz ne nous a rien appris. Et je m’en tape la tête contre les murs tous les jours quand j’accueille dans mon cabinet les « damnés de la mer », sans rendez-vous, en essuyant le mépris ou le dédain de nombre de mes confrères locaux, qui estiment que je déprécie (et trahis) l’esprit de l’exercice de la psychiatrie classique, en m’inscrivant comme juriste ou assistant social pour essayer, en priorité, de fournir des papiers aux clandestins, via la psychiatrie. Ce ne serait pas assez noble et déprécierait le classicisme de l’exercice de cette science.

(1) Notre Mer Notre Mer qui es si bleue 
Que ton Nom soit partagé 
Que ton horizon me fasse renaitre 
Que ta volonté et ta miséricorde m’ acceptent 
Offre-nous aujourd’hui notre Triton de ce jour Comme une trompette de la renommée Et non plus comme un cercueil 
Pardonne-nous nos défaites et nos deuils 
Comme nous pardonnerons à nos bourreaux 
Et ne nous soumets pas aux quotas 
Mais délivre l’ Europe de ses peurs et de ses carcans Georges Yoram Federmann, Strasbourg, 20 mai 2015 © photos : Portrait de Georges Yoram Federmann par Claude Truong-Ngoc (février 2015) / DR Photo de la Reichuniversität de Strasbourg (1941) / DR La galerie Flickr de Claude Truong-Ngoc Article publié le 23 octobre 2017. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Jewpop[3].

Michel Cymes : «Il y a eu des camps de la mort polonais et un camp de la mort français» modifier

Depuis la diffusion du documentaire de Michel Cymes « Hippocrate aux enfers » sur France 2, réalisé par Jean Pierre Devillers et Claire Feinstein, les polémiques se succèdent. Autopsie d’un tabou alsacien : la Shoah en France, à travers une interview que le médecin et auteur du livre éponyme a accordé à Jewpop.La polémique autour d’Hippocrate aux enfers commence en 2015 avec la découverte de restes humains, datant du gazage de 86 juifs au camp de Natzwiler-Struthof dans les Vosges, pendant la seconde guerre mondiale, et retrouvés à l’université de Strasbourg par Raphaël Toledano*. Quelle relation entretenez-vous à ce moment là avec lui ? Michel Cymes : La polémique n’a pas commencé à ce moment là, mais bien avant à la sortie de mon livre. J’entretenais des rapports très cordiaux avec lui car je l’avais eu au téléphone pour préparer mon livre.

Premier acte. La polémique enfle avec les critiques de Georges Federmann qui vous accuse de ne pas l’avoir consulté pour confirmer ses propos, que vous mentionnez dans votre livre. Comment s’est terminé votre échange à partir de là ?La polémique a pris une mauvaise tournure quand Ferdermann, je pense, à monté le président des universités de Strasbourg de l’époque contre moi, alors que ce dernier n’avait même pas lu mon livre. D’où une conférence de presse dans laquelle on m’a descendu. Un échange très tendu a eu lieu à la librairie Kleber, avec lui et les envoyés de l’université. Je n’ai plus eu de contact avec lui par la suite.

Deuxième acte. C’est la confirmation, les restes sont enterrés au cimetière de Cronenbourg. Une commission d’investigation sur le sujet est créée avec, parmi elle, Hans Joachim Lang, qui a retrouvé l’identité des 86 martyrs d’August Hirt. Que vous reprochent les historiens à partir de là ?Rien. Les historiens ne me reprochent plus rien, mais ne tiennent pas à ce que je fasse partie de la commission, je pense…

Troisième acte. Le documentaire diffusé sur France 2 n’est diffusé qu’en deuxième partie de soirée, alors que celui de Claude Lanzmann sur Arte, Les quatre sœurs, est diffusé en prime time. Avez-vous rencontré une résistance des programmateurs ? Michel Cymes : Aucune. C’est en parfait accord avec France 3 que nous avons préféré diffuser en deuxième partie de soirée. Le mardi en prime, les gens regardent des programmes familiaux avec les enfants. Hippocrate n’aurait pas eu une belle audience. Alors que l’on peut considérer comme un très beau succès un million de téléspectateurs à cette heure-ci, sans compter le replay.Quatrième acte. Le Monde et Télérama vous accusent respectivement d’être « exaspérant » et le film d’être « une pénible pantomime ». On pense aux critiques contre Claude Lanzmann sur la « longueur » de Shoah, contre Steven Spielberg sur la « sur-esthétisation » de La Liste de Schindler et contre Roberto Benigni sur la dimension « tragi-comique » de La Vie est belle. Peut-on faire de l’art après Auschwitz, comme s’interrogeait Theodor Adorno ? Michel Cymes : On peut, la preuve ! La presse a été très élogieuse à part Télérama et le Monde. Ces deux articles étant écrits par des journalistes qui pensaient plus à se faire plaisir qu’à critiquer, ce qui devrait être leur métier. Vu les réactions à ma réponse à Télérama, je pense que le public en demande encore.

Conclusion. Le sénat polonais vient de voter une loi interdisant l’utilisation du terme de « camp de la mort polonais » assortie d’une peine de prison, approuvée le 7 février par le président Duda. L’ambassadeur polonais en France a même demandé si le camp de Natzwiler-Struthof était qualifiable de « camp de la mort français ». Sommes-nous coupables d’incriminer l’institution universitaire dans son ensemble pour les crimes de la Reichsuniversitat et de parachever la culpabilité du peuple polonais pour les crimes nazis ?On ne réécrit pas l’Histoire en changeant quelques mots dans une phrase. L’Histoire est là. Connue. Il y a eu des camps de la mort polonais et un camp de la mort français. Et que cela plaise ou non aux dirigeants polonais, c’est écrit, non pas dans le marbre , mais dans la brique des chambres à gaz.

  • Raphaël Toledano est médecin à Strasbourg. Il se consacre depuis 2003 à l’étude historique des expériences médicales nazies menées pendant la seconde guerre mondiale en Alsace. En décembre 2010, il a soutenu à Strasbourg sa thèse de doctorat en médecine sur les expérimentations menées au camp de Natzweiler-Struthof par le virologiste Eugen Haagen, dans laquelle il dévoilait pour la première fois le nom des 189 Roms victimes de ces expériences. Il a été récompensé pour son travail par de nombreux prix dont le prix international de la Fondation Auschwitz 2010-2011. Membre du conseil scientifique du Centre européen du résistant-déporté (Musée du Struthof ) depuis 2012, il travaille actuellement à l’élaboration d’un projet d’exposition au Struthof et prépare un ouvrage consacré aux expériences nazies menées au Struthof. Il est coréalisateur avec Emmanuel Heyd du film « Le nom des 86»<re>http://jewpop.com/michel-cymes-il-y-a-eu-des-camps-de-la-mort-polonais-et-un-camp-de-la-mort-francais/</ref>.

Serge Klarsfeld : « Tous ceux qui évoquent les “camps polonais” insultent la Pologne » modifier

Dans la crypte du Mémorial de la Shoah, qui présente l’exposition Beate et Serge Klarsfeld, les combats de la mémoire (1968-1978) du 7 décembre au 29 avril 2018, Serge Klarsfeld fait lire chaque année les noms des déportés des convois qui partirent pour les camps de la mort. Il a accepté de répondre à quelques questions d’actualité pour Jewpop.

Pour le 40ème anniversaire de la défaite allemande, vous avez publié The Struthof album avec Jean Claude Pressac, comportant des photographies de restes humains retrouvés dans les caves de la Reichsuniversitat à Strasbourg. Quelle est alors la réaction du public à cette information encore largement méconnue aujourd’hui ?Très peu de réaction à cette publication à la diffusion très limitée. Ce n’était pas une révélation. L’épisode était connu. Notre commentaire et explication historique du contexte n’intéressait que peu d’historiens.

Le négationniste Robert Faurisson, qui fut l’élève de Jean Beaufret, lui même l’assistant de Martin Heidegger, a nié l’existence de la chambre à gaz du Struthof jusque devant les tribunaux. Comment s’organisa alors la défense des parties civiles ?Face à Faurisson, c’était surtout la communauté historique qu’il fallait convaincre. Cela a été accompli grâce à la documentation que nous avons produite dans notre ouvrage.

Dans le documentaire diffusé sur Arte en 2017, Le nom des 86, Hans-Joachim Lang, Raphaël Toledano et Emmanuel Heyd, retracent l’identification des martyrs d’August Hirt. Comment réagissez vous à ce moment là ?J’étais heureux que les noms des victimes soient identifiés, qu’elles ne restent pas anonymes et que l’on puisse retracer ce que fut leur vie et leur mort.

Suite aux déclarations du président polonais Andrejs Duda, Michel Cymes déclare qu’ « il y a eu des camps de la mort polonais et un camp de la mort français » tandis qu’Eric Zemmour dit que « nous élaborons des lois mémorielles pour nous flageller et que les Polonais font la même chose, mais pour se glorifier. » Lequel des deux a raison ?Il n’y a eu ni camp de la mort polonais ni français. Il y a eu des camps d’extermination allemands en Pologne et un camp allemand en Alsace annexée. Les lois mémorielles ré-avancent des faits avérés et en tirent des leçons.

Le 10 février 2018, pendant l’hommage aux victimes de la catastrophe aérienne de Smolensk de 2010, qui a couté la vie au président Lech Kaczynski, son frère jumeau a évoqué la loi en refusant de donner raison « à ceux, qu’ils soient Juifs ou Polonais, qui insultent la Pologne. » Les juifs ont-ils insulté la Pologne ?Tous ceux qui évoquent les “camps polonais” insultent la Pologne. Les Polonais dans leur ensemble ont eu un comportement hostile aux juifs ; les Polonais ont perpétré des pogroms dès l’entrée des Allemands en Pologne et même après la libération du pays. Par contre, il ne faut pas oublier que la Pologne a perdu 3 millions de polonais chrétiens, qu’il n’y avait plus d’État polonais, que le gouvernement polonais en exil à Londres a été très engagé aux côtés des juifs, qu’il y avait une forte armée polonaise en exil engagée aux côtés des Alliés, que les nombreux aviateurs polonais de la R.A.F. ont participé à la victoire, et qu’il y a plus de Justes polonais que d’autres nations[4].

Claude Askolovitch : « l’éradication du judaïsme d’Europe centrale occulte tout le restee » modifier

Pourquoi ne parle-t-on jamais de la déportation des Séfarades à Auschwitz et des gazés de Salonique au camp du Struthof, qui devaient composer une collection de squelette à l’université de Strasbourg ? Nicolas Sarkozy, lui même en partie originaire de Salonique, fut le premier président à ne pas se rendre au camp de Natzwiler-Struthof. Sans doute parce que l’éradication du judaïsme d’Europe centrale occulte tout le reste. Un grand historien du judaïsme séfarade, Haim Vidal Sephiha, belge d’ascendance judéo-espagnole-turque, aujourd’hui nonagénaire, a été déporté à Auschwitz. Il a écrit ! Mais c’est la loi du temps et des grands nombres. Ce qu’on appréhende du judaïsme séfarade en France se circonscrit à l’Afrique du Nord, dont le judaïsme ne fut pas exterminé… Des noms surnagent, tel le boxeur juif de Tunisie Young Perez… La Salonique juive fut effacée de la carte, mais c’est loin de nous… J’ignore pourquoi Nicolas Sarkozy n’a pas su être fidèle à cette ville d’où venait son grand-père Benedict. Je crois que c’est une affaire entre lui et lui. À un moment, et je sais que c’est horrible, la mémoire et les cérémonies ne peuvent plus contenir toutes les horreurs de l’Histoire. Les témoignages existent, on peut lire et entendre, c’est déjà bien. Je ne crois pas que les morts nous réclament un mausolée ou une injonction de mémoire ; leurs âmes nous appellent plus à essayer d’être justes, on en est loin. Nous insultons plus les gazés de Sobibor quand nous laissons un génocide s’accomplir en Afrique, et nous démontrons à chaque noyade de migrants que nous n’avons rien appris du Patria ou du Saint-Louis[5].

Alain Michel : « Tout s’est transformé au cours des années 1980, début des années 1990, et il serait intéressant d’analyser pourquoi » modifier

Comment expliquer le déni des familles juives d’Alsace-Lorraine après le guerre sur l’histoire des puits de Guérry et du camp de Natzwiller-Strutthoff méconnus en France ? Vous regardez l’après-guerre avec les yeux de 2020 (c’est le problème de beaucoup de gens qui confondent Mémoire et Histoire). Les Juifs après la guerre sont occupés par trois choses : se réintégrer dans la République, panser les plaies de la Shoah, au niveau individuel et collectif, et pour certains soutenir la création de l’Etat d’Israël. Certes, la commémoration existe, mais la Shoah n’est qu’un élément à l’intérieur de toute une histoire collective qui se met en place. Je me rappelle à la fin des années soixante dix, début des années 1980, lorsque je commence à m’intéresser à l’histoire de l’époque de la Shoah, le CDJC (le mémorial d’aujourd’hui) est un désert, peu ou pas de visiteurs dans le petit musée poussiéreux de l’époque, 2 ou 3 chercheurs dans la bibliothèque.

Le grand mérite de Klarsfeld et de sa femme, c’est d’avoir commencé bien avant les autres. Lorsque j’ai fait ma maîtrise sur les EIF pendant la guerre, nous étions très peu à travailler sur des sujets liés à la Shoah. Nous avions créé une petite association de jeunes historiens qui travaillaient sur la Shoah et sur l’histoire juive (le Rhicoj – Association pour la Recherche en Histoire Contemporaine des Juifs), nous devions être au maximum une quinzaine à travers toute la France. Un seul professeur nous soutenait, André Kaspi, qui avait créé le vendredi matin en 1981 je crois un séminaire sur la Shoah où il n’était pas payé, car il n’y avait pas de budget, et ceux qui suivaient ce séminaire ne recevaient pas de crédit académique.

Tout s’est transformé au cours des années 1980, début des années 1990, et il serait intéressant d’analyser pourquoi, mais je n’ai pas le temps ici. Pour revenir sur votre question précise : le Strutthoff était un haut-lieu de la résistance, et même si l’on connaissait l’histoire des Juifs gazés pour étudier leurs crânes, c’était un petit détail. Quant à l’histoire des puits de Guéry, c’était un des crimes commis par l’armée allemande au moment des combats de la Libération, dont Oradour sur Glane et les pendaisons de Tulle étaient les symboles, mais la dimension antisémite n’en formait pas le coeur[6].

Hans-Joachim Lang and Natzweiler/Struthof’s Gas Chamber modifier

Have you been invited to the inauguration of the building with the gas chamber, on November 25, under constructions during the past three years ? H-J. L: The inauguration associated with the opening of a permanent exhibition was originally to take place in the first week of May, the same week in which the final report of the Historical Commission was to take place in Strasbourg. I learned of this only afterwards and by chance, although I had already agreed with the predecessor of the current director exactly five years ago to make a special memento available as a permanent loan for the exhibition, which was already conceived for the first time at that time. It is a Brussels lace blanket from the personal estate of Elisabeth Klein, one of the 86 Jews murdered in the gas chamber. Similarly, the five grandchildren of Alice Simon, also one of the 86 murdered, living in the United States. Their loans are their grandfather’s wedding ring engraved Alice and his watch chain with attached family portraits.

We also learned of the new opening date only by chance and only after inquiring that the memorabilia were not to be on display there. They were intended for a devotional room, about which, however, one must still reflect a year in terms of content before it can be opened at the end of 2023 / beginning of 2024. At the protest of the Simon grandchildren, their memorabilia will now be provisionally included in the exhibition. To their great regret, the grandchildren will not be able to attend the opening because of the date, which is too short for their travel arrangements. The invitation of other relatives was not planned.

Georges Federmann, l’obstination du témoignage modifier

En 1943, dans le camp de concentration de Natzweiler-Struthof, les nazis transformèrent une salle de bal en chambre à gaz, pour compléter la collection de « crânes de commissaires judéo-bolchéviques », du sinistre professeur August Hirt. Le commandant du camp Joseph Kramer, y assassina 86 hommes et femmes juifs en août 1943. Une exposition permanente y sera officiellement inaugurée le 25 novembre 2022. Georges Yoram Federmann, psychiatre qui apparait dans Le Divan du Monde, de Sven de Pauw, en 2015, a accepté de répondre à nos questions.

Vous avez-été proche du regretté Jean Kahn, irremplaçable défenseur de la mémoire de la shoah, avant même les lois Gayssot, Lellouche et Perben. Quel est le lien qui vous unissait à l’ancien président du Consistoire et son épouse Nicole ?

GYF: Jean Kahn est l’un de fondateurs du club sportif confessionnel emblématique de Strasbourg, l’AS Menora, créé dans le années 1960 pour accueillir les juifs du Maghreb. Jean en sera le président. Menora va nous engager, mon frère Michel et moi, pour participer à la grande aventure professionnelle qui va nous mener jusqu’à la Nationale 2 dans les années 75. Nous sommes parmi les 20 meilleurs clubs de France. J’ai 17 ans et mon frère 15. Nous avons été champions de France cadets avec la Provence. Nous vivons à Marseille. Le club va aussi offrir un emploi à mon père au FSJU et nous trouver un appartement en banlieue, à Hautepierre. Nous allons vivre de grands moments sportifs dont 3 Maccabiades en Israël sous les couleurs de la France, en 73, 77 et 81. Jean sera appelé ensuite à des fonctions nationales auprès de Jacques Chirac à la Commission consultative des droits de l’homme (CNCDH).

Philippe Olivier, dans son livre paru en 2019, Jean Kahn. Une biographie. 1929-2013, me cite à 7 reprises : p 39, sur l’identité de 7 résidents juifs de la Fondation Sonnenhof emportés dans le cadre de l’Opération T4, p 112 pour l’accueil des 52 Roms de Zamoly, p 204 sur les 86 juifs gazés au Struthof. Jean affirmera que leur mémoire reconstituée fut une des trois œuvres principales de sa vie, p 304 sur le souvenir de la déportation des homosexuels. Jean a apporté une aide décisive aux actions du Cercle Taffel à partir de janvier 2005. Et derrière Jean, il y avait toujours Nicole, soutien aimant et inconditionnel restée dans l’ombre mais éclairant les œuvres de son mari par sa modestie douloureuse et inaltérable. Ce n’est qu’à partir du moment où nous avons commencé à poser des Stolpersteine à Strasbourg, en 2019, que j’ai appris qu’elle avait été internée à Drancy.

Philippe Olivier est aussi notre précieux guide pour revenir sur la biographie de Nicole Kahn, née Weill (pages 39 à 42). « Nicole Weill (elle nous pardonnera de donner sa date de naissance, 1933) eut, dans sa famille, six déportés qui ne revinrent pas des camps. Ils y connurent la forme la plus horrible de « Gezerah », mot hébreu désignant la persécution. Partis de Drancy pour Auschwitz par le convoi No 72 le 29 avril 1944, ils appartiennent à plusieurs générations : Jeanne Bloch la grand-mère maternelle de Nicole, était âgée de 76 ans, Louis Loeb de 58 ans, Yvonne Loeb de 45 ans, Jean-Paul Loeb de 21 ans, Armand Loeb de 19 ans et Simone Loeb de 16 ans. Cette dernière fut livrée aux médecins SS d’Auschwitz. Pour sa part, Nicole, avec laquelle Jean Kahn se maria en 1955 (mon année de naissance), connut les cachettes et les privations en tout genre. Réfugiée avec ses parents et ses deux frères à Marseille en 1940, elle y demeura jusqu’en 1944. La famille Weill fut, à la suite d’une dénonciation, arrêtée, incarcérée en février de la même année à la Prison des Baumettes pour 5 semaines, puis transférée à Drancy. Elle y resta 4 mois. (Elle avait 11 ans.) Là les Weill purent échapper par miracle au départ vers l’enfer des camps polonais ». Un de ses deux frères, Francis, de 10 ans son aîné, sous-lieutenant dans les FFL, prit part à la libération de Paris et participa aux côtés de l’ US Army à la libération de Metz. Il y fut mortellement blessé et mourut dans sa 21e année.

Nous nous sommes retrouvés au 28 rue Schwilgué à Strasbourg, le 1er mai 2019 pour poser 6 Stolpersteine : 5 pour la famille Loeb et 1 pour grand-mère Bloch. Pascale Lemler, descendante, auteur du très sensible « Page de garde » a déclaré : « Ceux qu’ici nous rappelons n’ont pas seulement connu un destin personnel tragique. Ils ont été les témoins-victimes d’un « crime contre l’humanité », de l’invention d’une « solution finale » de l’humain. En ce sens nous sommes tous des survivants, toutes les générations européennes d’après ont à reconnaître qu’elles sont concernées. Car à la naissance peut désormais être associé la possibilité d’être exterminé ou d’exterminer. » Je m’honore de faire partie du trio qui avec Bertrand Goldman et Nicole Dreyer est à l’origine de la création de l’association Stolpersteine 67 dès 2016.

Et pourtant je suis né apatride au Maroc et suis imprégné de culture sépharade. C’est en venant à Strasbourg, en 1972, pour jouer au basket que j’ai découvert le monde ashkénaze, froid et distant parfois, silencieux, discret, prudent et fidèle, dur à l’extérieur et tendre à l’intérieur. J’ai exploré une grande partie de l’Histoire traumatique de la région (l’annexion, l’incorporation de force, la massacre du 14 février 1349, l’adhésion des médecins au nazisme, la part vichyste du professeur Leriche ou du Maire Pierre Pflimlin, etc..) et ai été confronté au silence sinon à la réticence de nombreux ashkénazes. Il aura fallu attendre la pose des stolpersteine ou le décès de ces personnes pour constater que les fantômes qui hantaient l’histoire de chaque famille pouvait s’incarner. Il aura fallu attendre 75 ans pour commencer à chasser ces fantômes. Le temps de la stupeur, de l’ineffable, de l’indicible, du silence salvateur pour refouler l’horreur. Dans chaque famille, il y avait la présence dévastatrice d’un numéro de Convoi.

Une de mes plus fortes émotions est l’adhésion de Simone Polak au Cercle Taffel. Simone a écrit à l’âge de 90 ans, avec l’aide sensible de Muriel Klein-Zolty, son témoignage de rescapée d’Auschwitz : « Agis comme si j’étais toujours à tes côtés » (la dernière phrase que sa mère lui a adressée). Née en 1929, elle a été déportée par le Convoi 74. Pour en revenir à Nicole, lors de sa venue à Strasbourg en juin dernier (2021), le grand rabbin René Gutman, revenait d’ Israël où il est à la retraite, pour honorer Nicole et lui décerner le diplôme d’Echeth Haïl (de femme valeureuse équivalent du diplôme de Haver pour les hommes) pour son implication dans la vie de la Communauté et pour son rôle majeur dans le dialogue inter-religieux. Victoire de la vie sur l’absurdité et sur une forme accomplie de racisme d’état. Victoire exemplaire qui nous oblige. C’est Jean qui doit être fier d’elle. Nicole qui apparait au soir de son chemin de vie plus comme une inspiratrice et une guide de la carrière de son mari que comme une « simple » compagne et mère de famille. Nicole qui a écrit sur la page de garde de l’exemplaire de la biographie de Jean qu’elle m’a offert : « Merci de ta fidélité sans faille à Jean et de ton obstination à défendre l’autrui. Affectueusement à toi ».

Vous êtes le défenseur infatigable de la mémoire des 86 juifs gazés dans le camp de concentration du Struthof-Natzwiller, sur le sol français, qui devaient rejoindre le « musée de la race » figurant des squelettes juifs, du sinistre professeur August Hirt, dirigeant de l’Université de Strasbourg pendant la Seconde guerre mondiale. Dans un entretien précédent, vous racontiez que le Cercle Taffel n’avait pas été associé à la commission mise sur pied par l’université de Strasbourg, alors qu’il avait offert la primeur des découvertes de Hans-Joachim Lang à Strasbourg, en 2003. Cela a-t-il été fait depuis ?

GYF: Oui, du bout des lèvres, malgré tout. Le rapport passionnant de près de 500 pages évoque les actions du Cercle à 2 reprises en lui rendant la paternité des révélations du journaliste Hans-Joachim Lang en 2003 mais sans évoquer les énormes difficultés et embûches que l’ Université et la faculté de médecine ont semé sur son chemin de 1992 à 2005 (pp 447 et 454). L’Université s’est présentée comme si elle avait toujours « naturellement » défendu cette cause.

L’Université de Strasbourg a dévoilé le rapport de cette commission, en mai, qui a enquêté durant cinq ans sur les activités de la Reichsuniversität, l’université du Reich fondée en 1941 à Strasbourg et produit un rapport de 500 pages. Que nous apprend ce document et quelles conclusions pouvons nous tirer de ce travail effectué ?

GYF: C’est un travail remarquable qui a dû attendre 77 ans pour éclore (Il faut signaler la démission de Raphaël Toledano et celle notable aussi du Professeur Jean-Marie Le Minor en cours de route). Il ouvre des perspectives attendues, notamment en confirmant que 40 % du personnel médical de la Reichsuniversität (96 médecins) était d’origine alsacienne et mosellane. Il confirme qu’il n’existe plus de restes des 86 victimes de la Chambre à gaz du Struthof.

« Concernant les expériences en chambre à gaz menées sur des détenus du camp de concentration de Natzweiler, la commission historique a pu identifier les victimes des séries d’expériences réalisées en 1943-1944. Outre les quatre personnes déjà connues, à savoir Zirko Rebstock et Andreas Hodosey (décédés le 16 décembre 1944), Adalbert Eckstein (décédé le 18 décembre 1944) et Josef Reinhardt (décédé le 9 août 1944), 36 autres détenus ont pu être identifiés. Les quatre victimes déjà connues des expérimentations sur le phosgène étaient des Sinté, ce qui laisse à penser qu’il y a eu une sélection des détenus selon des critères raciaux pour les expérimentations les plus risquées des dernières séries. La dernière d’entre elles impliquait l’utilisation d’une dose de phosgène si élevée que la mort d’un certain nombre de détenus était prévue par le protocole expérimental dont le but était d’étudier l’effet prophylactique de l’urotopine sur des personnes mourantes. »

La chambre à gaz du Struthof, en travaux depuis trois ans, réouvrira le 26 novembre. Comment expliquer que les présidents Sarkozy et Macron soient les seuls à ne pas s’y être rendus ?

GYF: Je ne sais pas. Macron a encore 4 ans pour venir. Le Struthof a longtemps été vu de Paris comme l’ incarnation de l’ histoire de la soi-disant trahison alsacienne. Je suis convaincu que nombre de « français « ne pardonnent pas aux alsaciens de ne pas avoir résisté, pire d’avoir « collaboré » à Oradour. Or il était quasiment impossible de résister au système totalitaire nazi.

Pourquoi le Struthof est-il le seul camp de concentration et d’extermination d’Europe où l’entrée est payante, y compris pour les étudiants et le chômeurs ? GYF: Cela reste incompréhensible pour moi et je m’ honore d’avoir eu le soutien de Boris Pahor qui a signé une lettre au CERD en 2021 à 107 ans.

La dénomination de camp du » déporté-résistant » escamote-t-elle l’extermination des 86 juifs ?

GYF: Non car le Struthof était un camp politique parmi les plus durs même si Diana Henry a fait la démonstration que sur les 50 000 prisonniers du camp, 10 000 étaient juifs , mais politiques avant tout.

La cérémonie du 25 novembre de réouverture se distancie-telle du Cercle Taffel ? GYF: Non, il est convié et nous iront le représenter. Je ferai partie de la délégation française qui rendra hommage à Boris Pahor, le 28 novembre prochain, dans le cadre de la session d’hiver de l’ IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance) qui se tiendra en Suède.

Qu’attendez-vous donc à cette occasion ? GYF: Avant tout, que l’exemplarité tragique de ce drame nous permette d’être moins mauvais soignants et d’accueillir dans nos cabinets « les juifs d’ aujourd’hui » de manière inconditionnelle.

Ce qui arrive aujourd’hui aux étrangers d’une société représente, en termes politique, social, économique et symbolique, ce qui pourrait advenir aux « nationaux », autochtones, indigènes, aux propres enfants de la société en question. On sait qu’il faut une ou deux générations au moins pour se libérer du vécu de douleur morale, de haine, d’amertume et d’effroi. Comment envisager une cohabitation entre les ennemis d’hier – Israéliens et Palestiniens, Hutus et Tutsis, Catholiques et Protestants en Irlande – sans un travail de deuil et un travail de reconnaissance du préjudice de la victime et des responsabilités du bourreau ? Il est indispensable de rechercher les liens pouvant exister avec des situations cliniques courantes en appliquant cette hypothèse.

Aussi dans mon travail comme dans ma propre vie, je recommande le principe suivant : « Dans votre couple, admettez et agissez comme si votre partenaire avait toujours raison et adaptez votre attitude en conséquence. »

Car il s’agit de prendre aussi bien soin de ceux qui sont à notre proximité, de reconnaître leur part d’étrangeté et la fonction d’étranger qu’ils peuvent jouer dans notre propre organisation psychique pour faire en sorte de contribuer aussi aux équilibres conjugaux, familiaux et non seulement sociaux et politiques. Autrement dit, pour favoriser une véritable posture écologique, qui peuvent bien être les « menacés » qui consultent dans nos cabinets ? Qui sont les « Juifs d’aujourd’hui » ? On voit bien que là « juif » n’est pas une religion ou une spiritualité mais une fonction : « celle qui permet de stigmatiser » (Georges Yoram Federmann, Le Divan du monde, Golias, 3e édition, 2019, 276 pages, p. 135. ).

Raphaël Toledano et la soi-disant trahison alsacienne modifier

Le Dr. Raphaël Toledano, prix international de la Fondation Auschwitz 2011 est coréalisateur avec Emmanuel Heyd du film documentaire Le nom des 86. Il est membre du conseil scientifique du Centre européen du résistant-déporté, l’ancien camp de concentration nazi de Natzweiler-Struthof, où le commandant Joseph Kramer transforma une salle de bal en chambre à gaz. 86 hommes et femmes juifs, y furent assassinées, en août 1943, afin de compléter la collection de « crânes de commissaires judéo-bolchéviques », d’August Hirt, à la Reichsuniversität Straßburg. Une exposition y sera inaugurée, le 25 novembre 2022.

Vous avez découvert les restes de l’une des 86 victimes juives gazées au Struthof, sur le sol français, devant rejoindre la collection de squelettes de la Reichsuniversität. Dans quel contexte cet évènement a eu lieu et quelle fut votre réaction ?

Raphaël Toledano: Lors de mes études de médecine à la Faculté de Strasbourg, on avait l’habitude d’entendre des rumeurs sur la présence dans les collections d’anatomie de restes humains datant de la Seconde guerre mondiale. Ces rumeurs ont toujours été démenties par la Faculté et présentées comme des légendes. Nos professeurs nous expliquaient que tout avait été vérifié et qu’il n’y avait plus rien. Or, ces rumeurs étaient très insistantes et provenaient parfois de médecins qui avaient fait leurs études à Strasbourg dans les années 1950 à 70. Je me rappelle d’un pédiatre mulhousien qui m’avait affirmé avoir étudié en Anatomie les poumons bleutés d’une personne gazée au Struthof ou d’une pédopsychiatre strasbourgeoise qui m’assurait avoir disséqué un bras avec un matricule tatoué en Médecine Légale. Un jour de 2008, le Cercle Menachem Taffel dirigé par Georges Federmann reçut une lettre de Uzi Bonstein, un gastroentérologue parisien, ancien moniteur d’anatomie à Strasbourg pendant ses études. Celui-ci s’était souvenu que, pendant son monitorat, on lui avait montré des bocaux étiquetés « juifs » et « tziganes » en Anatomie. Ce souvenir lui était revenu brutalement et il voulait savoir ce qu’ils étaient devenus. L’affaire fut prise très au sérieux. Mon directeur de thèse de l’époque, Christian Bonah, chercha à accéder discrètement à l’Institut d’anatomie pour en vérifier les placards mais n’y parvint pas, l’endroit étant particulièrement difficile d’accès – on le comprend aisément. Finalement, une rencontre fut organisée entre Uzi Bonstein et les dirigeants de l’Anatomie qui lui firent visiter tout l’Institut et lui ouvrirent tous les placards, lui montrant qu’il n’y avait rien de tel. En rentrant à Paris, il ne savait plus s’il avait rêvé ce souvenir ou s’il avait vraiment vu ces bocaux. Sa femme lui répondit qu’elle se souvenait qu’il lui en avait bien parlé à l’époque. L’affaire n’ayant rien donné, elle ne fut pas ébruitée et l’Université continua à affirmer qu’elle avait vérifié toutes ses collections. En janvier 2015, Michel Cymes sortit un livre intitulé Hippocrate aux enfers dans lequel il publiait le témoignage d’Uzi Bonstein.

L’Université de Strasbourg se sentit attaquée, convoqua la presse le 28 janvier et se fendit d’un communiqué : « Depuis septembre 1945, il n’y a donc plus aucune de ces parties de corps à l’Institut d’anatomie et à l’Université de Strasbourg ». Or, l’Université n’avait jamais vérifié l’intégralité de ses collections (et ne l’a toujours pas fait d’ailleurs) !

Je ne tardais pas à découvrir la preuve qui manquait. Au cours de mes recherches sur les livraisons de cadavres à l’Institut d’anatomie pendant la période de l’Annexion de l’Alsace au IIIe Reich, je tombais en effet sur une lettre prouvant qu’il y avait bien des pièces anatomiques de victimes d’August Hirt présentes après 1945 à l’Université. Il s’agissait d’une lettre du médecin légiste français Camille Simonin qui fut chargé par la justice militaire française d’expertiser en 1945 les corps retrouvés en Anatomie. Au cours de l’autopsie qu’il dirigea, il conserva pour le musée de l’Institut médicolégal de Strasbourg trois bocaux : l’un contenant des morceaux de peaux d’une ou plusieurs victimes et deux éprouvettes renfermant le contenu de l’intestin et de l’estomac d’une victime de la chambre à gaz.

La lettre de Simonin datait probablement de 1952 puisqu’il se proposait de montrer ces bocaux au procès de Metz où furent jugés les médecins ayant expérimenté au KL Natzweiler. C’était la première fois que je trouvais un document attestant de l’existence de tels bocaux ! Je pris rendez-vous avec le nouveau directeur de l’Institut de médecine légale, Jean-Sébastien Raul, et lui montrais la lettre en lui disant que ces pièces humaines n’avaient rien à faire dans un musée de la faculté mais qu’elles devaient être restituées à la Communauté Juive et enterrées. Il tomba des nues, me dit qu’il n’en avait jamais entendu parler et il me proposa de procéder immédiatement à leur recherche. Munis de la clé du musée de l’Institut, nous entreprîmes de retrouver les trois bocaux décrits par Simonin. Cela ne prit que quelques minutes ! Un vrai choc !

Prévenue, l’Université fut évidemment très embarrassée. Il me fut proposé de faire enterrer en cachette ces bocaux, ce que je refusais. Puis, on me demanda d’attendre la fin de l’été pour que cela soit annoncé et que l’Université puisse peaufiner sa communication et ses éléments de langage. L’affaire remonta à l’Elysée, très remonté contre les dirigeants de l’Université, surtout après la séquence au cours de laquelle elle avait malmené Michel Cymes. À la fin, c’est le Maire de Strasbourg, Roland Ries, qui annonça dans un communiqué la nouvelle de la découverte une semaine plus tard et ce, malgré les pressions de l’Université. Les bocaux furent inhumés au Cimetière de Cronenbourg le 6 septembre 2015. A partir de là, je réclamais la constitution d’une commission chargée de vérifier l’intégralité des pièces de l’Université puisque je savais qu’il y en avait d’autres datant de l’époque nazie, en histologie, en dermatologie et en anatomie pathologique par exemple. Je publiais en 2016 un article dans une revue scientifique racontant tout cela et dévoilant l’identité de 232 cadavres livrés en Anatomie pendant la guerre (prisonniers de guerre soviétiques, résistants, condamnés à mort) aux fins d’être disséqués par Hirt et ses étudiants. En 2016, cette commission a vu le jour.

Comment entrez-vous en contact avec Georges Federmann du Cercle Taffel, Hans-Joachim Lang puis Michel Cymes ?

Raphaël Toledano: Au début de mes études de médecine, en 1997, je connaissais l’histoire du projet de « collection de squelettes juifs » d’August Hirt par mon père, médecin généraliste et féru d’histoire. A l’époque, on pensait qu’on ne connaîtrait jamais l’identité des victimes de Hirt, hormis celle de Menachem Taffel, identifiée en 1985 par Jean-Claude Pressac et Serge Klarsfeld grâce à une photo du rapport d’autopsie montrant clairement son matricule tatoué 107.969. En 2003, la presse annonça un grand colloque à l’Orangerie (à Strasbourg) organisé par le Cercle Menachem Taffel. Cette association créée par les psychiatres Georges Y. Federmann et Roland Knebusch avait pour ambition de faire mieux connaître les agissements des médecins sous le nazisme et de rendre hommage aux victimes. A l’occasion de ce colloque, je rencontrais pour la première fois cette figure strasbourgeoise charismatique et inclassable, Georges Federmann, devenu depuis un ami. On lui doit d’avoir initié ce combat et de le porter encore aujourd’hui. A la fin du colloque, Hans-Joachim Lang vint présenter pour la première fois le résultat de ses recherches qui lui avaient permis de retrouver le nom des 86 victimes d’August Hirt. Ce fut un moment extraordinaire et très émouvant que la lecture de ces noms devant une foule nombreuse debout. A partir de là, je savais que je devais travailler sur ce sujet. Je rencontrais aussi Emmanuel Heyd, homme de la télévision, passionné par le sujet, et nous discutâmes de la possibilité de faire un film documentaire et d’interviewer des témoins et historiens sur le sujet. Nous nous rendîmes au Département d’histoire de la Faculté de médecine de Strasbourg, dirigé par Christian Bonah, pour lui demander l’accès aux archives de la Faculté. Il n’y avait pour ainsi dire rien à voir, mais M. Bonah considérant mon grand intérêt pour le sujet, me proposa de faire une thèse sur le sujet. Celle-ci fut soutenue en 2010 et décrivit dans le détail les expérimentations du virologiste Eugen Haagen au KL Natzweiler, au camp de Schirmeck et dans un asile psychiatrique de Berlin, avec publication de l’identité de ses centaines de victimes, majoritairement Roms et Sintis. En 2014, notre film sur l’histoire de la collection de squelettes de juifs voulue par Hirt est sorti, sous le titre « Le nom des 86 », traduit depuis en anglais, allemand, italien. En plus de suivre le cheminement de Hans-Joachim Lang, un des hommes les plus remarquables que j’ai rencontrés dans ma vie, nous avons tourné ou retrouvé de nombreux témoignages inédits sur le déroulement de ce crime, celui d’un ancien étudiant de Hirt, celui d’une habitante de Rothau, celui d’Henrypierre, celui de déportés de Natzweiler et d’Auschwitz. Quant à Michel Cymes, il m’a contacté après la découverte des restes humains à la Faculté de médecine de Strasbourg en juillet 2015, évidemment très heureux de cette découverte qui était une sorte de revanche sur l’Université de Strasbourg après les polémiques de janvier 2015 sur son livre. Il est d’ailleurs venu à l’inhumation de septembre 2015 et a tourné par la suite le documentaire inspiré de son livre. Je trouve cela courageux d’avoir mis sa notoriété au service de ce sujet et d’avoir pu faire connaître à un public qui ne s’y serait peut-être pas intéressé ce thème de la médecine sous le nazisme.

A propos d’Eugen Haagen, ce virologiste nazi qui a testé des vaccins contre le typhus au Camp de Natzweiler sur une centaine de déportés tziganes, est-il vrai qu’il était sur la liste des Prix Nobel ?

Raphaël Toledano: Haagen travailla au début des années 1930 aux États-Unis aux côtés du chercheur Max Theiler et ils mirent au point la première culture du virus de la fièvre jaune. Haagen rentra à Berlin en 1934 et Max Theiler continua ses recherches et parvint à développer un vaccin contre la fièvre jaune en 1937. En 1951, Theiler obtint le Prix Nobel de médecine pour ses découvertes concernant la fièvre jaune. Lors de son second procès qui se tint devant le Tribunal militaire français de Lyon en mai 1954, Haagen aurait déclaré : « Sans ces Français qui me tiennent enfermé, je serais Prix Nobel. » Cette affirmation mégalomaniaque fut reprise et transformée à partir des années 1990 par plusieurs auteurs qui écrivirent que Haagen était « nobélisable ». Or, personne n’avait vérifié cette assertion de Haagen. Les archives des Prix Nobel étant d’ailleurs fermées pendant une période de 50 ans, ce n’est qu’à partir de 2004 que j’ai pu avoir accès à la période précédant le Procès d’Haagen. Il s’avère qu’Haagen n’a jamais été proposé à cette distinction, contrairement à ce qu’il a affirmé à son procès. Encore aujourd’hui, on lit parfois que Haagen était nommé sur la liste des candidats au Prix Nobel mais cela reste faux.

L’Université de Strasbourg a dévoilé le rapport de cette commission, en mai, qui a enquêté durant cinq ans sur les activités de la Reichsuniversität, l’université du Reich fondée en 1941 à Strasbourg et produit un rapport de 500 pages. Que nous apprend ce document et quelles conclusions pouvons-nous tirer de ce travail effectué ? Raphaël Toledano: Au début de la Commission, le but était de vérifier les collections et accessoirement, de faire le point sur l’état des connaissances sur les agissements des médecins de la Reichsuniversität Strassburg. A la première réunion de la Commission, le Pr. Jean-Marie Le Minor, anatomiste, révéla l’existence de pièces histologiques appartenant à August Hirt qu’il avait réussi à sécuriser. Malheureusement, lors d’un de ses déplacements, ces pièces qu’il devait étudier furent déplacées et une partie disparut. A la suite de cela, il démissionna de la Commission et pour ne pas risquer d’autres vols, il livra toutes les archives de l’Institut d’anatomie concernant August Hirt aux archives départementales du Bas-Rhin. Afin qu’elles soient accessibles à quiconque souhaiterait les consulter. De mon côté, dès la première semaine de création de la Commission, je me rendais dans les sous-sols de la Faculté et y découvrais des centaines de thèses inédites des étudiants de la Reichsuniversität Strassburg. Je commençais à travailler dessus pendant des semaines. Jusqu’à ce que le chef de la Commission découvre mon sujet de recherche et vint retirer ces thèses du sous-sol les confiant à un autre chercheur. Il me proposa de travailler alors sur un autre sujet : les collections de dermatologie. Mais à nouveau, il ne joua pas le jeu et visita les collections de dermatologie sans moi, se faisant mettre à la porte de la clinique dermatologique par ses dirigeants. Le pompon fut atteint quand le journal de l’Université publia un article sur la Commission expliquant que celle-ci était née à la suite d’une idée que le Président de l’Université avait eu en lisant des thèses. Aucun mot sur les bocaux retrouvés en 2015 considérés comme un détail insignifiant pour l’Université. Cela permettait de faire oublier la mission première de la Commission qui était de vérifier les collections de la Faculté de médecine, tâche complètement délaissée au fil du temps. Et pour cause. Le Doyen de la Faculté avait commandé un « audit » à ce sujet et on lui avait répondu qu’il y avait environ 40.000 pièces dans les collections des différents instituts de la Faculté de médecine et que pour toutes les vérifier, il faudrait embaucher 3 personnes à temps plein sur 15 ans. Autant dire que cela ne fut pas fait. La Commission convoqua une conférence de presse pour annoncer en grandes pompes la découverte des thèses et des coupes histologiques. Mais en vérité, rien n’était fait pour rechercher et vérifier systématiquement l’intégralité des collections de la Faculté de médecine. Quelques pièces furent retrouvées en Anatomie pathologique de l’époque nazie. On ne peut toujours pas affirmer avec certitude s’il reste ou non des pièces de l’époque nazie à la Faculté de médecine de Strasbourg. Aujourd’hui, les dirigeants de la commission proposent que l’on recueille des témoignages pour savoir ce que sont devenues les pièces d’anatomie de Hirt dans l’après-guerre. Dommage que cela n’ait pas été fait en six années. Quant au rapport, il reprend des choses établies : le nom des 86 victimes de Hirt est connu depuis les travaux d’Hans-Joachim Lang en 2004, les expériences de Haagen ont été décrites par le menu en 2010, les noms des cadavres livrés en Anatomie ont été publiées en 2016, les travaux de Bickenbach ont été bien étudiées par Ernst Klee ou Hans-Jurg Kuhn et leurs 40 victimes identifiées depuis belle lurette, une plaque avec les noms des 100 victimes des hôpitaux psychiatriques avaient été apposés en avril 2015 à Stephansfeld… Hormis la somme que cela représente et la mise à disposition du public d’un ouvrage de référence sur le sujet, la commission a pu montrer le rôle méconnu de August Hirt dans les expériences menées à Dachau ou dévoiler de nouvelles expériences en dermatologie grâce aux thèses retrouvées. Mais au-delà de tout cela, ce qui est le plus important pour moi, c’est le changement radical de discours à la Faculté et à l’Université. On est passé d’une forme de déni, de tabou et de silence, à une prise de conscience massive des dirigeants de l’Université. Il y a 7 ans, on me proposait d’enterrer en cachette des restes de victimes de la Shoah, aujourd’hui ils veulent parler de ce sujet, le transmettre, faire visiter le Struthof aux étudiants. Si ma découverte a permis cette évolution des mentalités à l’Université, je ne peux que m’en réjouir.

La chambre à gaz du Struthof, en travaux depuis trois ans, réouvrira le 26 novembre. Comment expliquer que les présidents Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron soient les seuls à ne pas s’être rendus au Struthof ?

Raphaël Toledano: Je n’en sais rien. Il est possible que Nicolas Sarkozy ait attendu son second mandat pour s’y rendre – l’Histoire ne lui a pas permis – mais ce n’est qu’une supposition. Quant à Emmanuel Macron, j’espérais sa venue pour l’inauguration de la nouvelle muséographie du bâtiment de la chambre à gaz. J’ignore si les dirigeants du C.E.R.D. l’ont invité mais il n’y est pas annoncé. Il faut espérer qu’il se rende avant la fin de son deuxième quinquennat sur le site de l’ancien camp de Natzweiler et devant l’ancienne chambre à gaz. J’ai en mémoire la venue de François Hollande en 2015 sur le site de l’ancien camp de Natzweiler. J’avais insisté auprès de Frédérique Neau-Dufour et de Serge Barcellini pour qu’il fasse une halte à la chambre à gaz, ce qu’aucun président français n’avait fait jusque-là. Cela a été sans doute le moment le plus marquant de sa visite avec ce chant extraordinaire de la petite Tosca Helmstetter en hommage aux 16 Roms et Sintis qui ont été gazés en ce lieu terrifiant en 1943 et 1944.

Comment expliquez-vous que l’entrée du Struthof soit payante, même aux étudiants et aux chômeurs ? Raphaël Toledano: Le conseil d’administration de l’ONAC [l’Office National des Anciens Combattants] a voté l’année dernière pour rendre payante l’entrée de tous les lieux de mémoire en France. C’est une décision très discutable et plusieurs personnalités comme feu Boris Pahor, Georges Federmann ou Frédérique Neau-Dufour n’y sont pas favorables. On en arrive à des situations aberrantes comme faire payer l’entrée du camp à la famille d’un ancien déporté qui y est mort. Jusque-là, on pouvait visiter le site de l’ancien camp gratuitement, seul le musée du C.E.R.D. en sous-sol nécessitait l’achat d’un billet. C’est ainsi que l’ancien camp de Natzweiler est devenu en catimini le premier camp de concentration nazi dont la visite est payante en Europe. C’est une décision éminemment politique qui reflète bien l’évolution de notre société et des politiques de mémoire vers un tourisme mémoriel banalisé et rentabilisé.

Dans la même veine, le C.E.R.D. a annoncé sur les réseaux sociaux le 1er avril 2022 la mise en vente de magnets de la nécropole de Natzweiler-Struthof à la boutique-souvenir. Hélas, ce n’était pas un poisson d’avril. Le C.E.R.D. a justifié cela en expliquant « répondre aux nombreuses demandes de ses visiteurs ». Espérons que les visiteurs n’en viennent pas à demander des mugs d’August Hirt ou des tee-shirts de Josef Kramer ! C’est assez désespérant.

La dénomination de camp du « déporté-résistant » n’escamote-t-elle pas, de fait, l’extermination des 86 juifs ? Raphaël Toledano: Après-guerre, il a été décidé de créer de nouveaux hauts lieux de la mémoire nationale pour garder la mémoire des persécutions commises par les nazies. Le Mont Valérien symbolise le lieu de la mémoire de l’exécution des résistants, la prison de Montluc témoigne de la brutale répression nazie à l’égard des résistants, et l’ancien camp de concentration de Natzweiler avec sa nécropole a été institué comme le lieu de la mémoire de la déportation des résistants. Ce titre de « centre européen du résistant-déporté » n’empêche pas ce lieu d’honorer toutes les populations qui y ont été internées, même si jusque dans les années 1980, l’assassinat des 86 Juifs a été quelque peu réduite dans la présentation qui en était faite dans les guides ou la muséographie. L’avènement du négationnisme à la fin des années 1970 a conduit les historiens, Klarsfeld et Pressac les premiers, à des recherches pour mieux connaître l’histoire de ce crime abject et a remis en lumière l’extraordinaire singularité de l’assassinat des 86 Juifs, évènement que l’on peut rattacher tout autant à la Shoah qu’aux dérives mortifères de la science sous le national-socialisme. En 2005, une première plaque nommant les 86 Juifs assassinés a été apposée à la chambre à gaz en présence du Ministre Hamlaoui Mekachera. En 2015, le président de la République François Hollande accompagné de dirigeants européens a dévoilé deux stèles honorant à la fois les 86 Juifs qui y ont été gazés et les 40 sujets d’expériences utilisés pour les expériences sur le gaz phosgène en nommant les 4 Roms qui en sont décédés. On ne peut donc pas dire que le C.E.R.D. « escamote » l’extermination des 86 Juifs. Toutes les mémoires y trouvent leur place, même si parfois se joue en coulisse un combat pour y parvenir.

Participerez-vous à la cérémonie du 25 novembre pour la réouverture au public de la chambre à gaz ? Raphaël Toledano: Non, je suis retenu par un évènement familial à 500 km de là.

Qu’attendez-vous à cette occasion ? Raphaël Toledano: Le projet de renouvellement de la muséographie du bâtiment de la chambre à gaz est né en 2014 à partir d’un constat simple : les panneaux qui figuraient dans ce bâtiment (trois posters) étaient datés et ne décrivaient que le modus operandi de l’assassinat des 86 Juifs. Aucun mot sur les autres expériences ou sur les victimes. Par ailleurs, l’entrée se faisait directement par la pièce de la chambre à gaz, sans que les visiteurs n’aient reçu auparavant la moindre information. Après un tour du bâtiment rapide, les visiteurs ressortaient par la même entrée. C’était un parcours de visite inadapté, peu fonctionnel, assez frustrant pour les visiteurs, notamment les scolaires ou les personnes étrangères pour qui aucun panneau en langue étrangère n’avait été placé. Frédérique Neau-Dufour, l’ancienne directrice du C.E.R.D., m’a proposé en 2014 de constituer un dossier pour changer cet état de fait. J’ai imaginé un nouveau parcours d’exposition où les gens entreraient par la pièce située à l’ouest du bâtiment, puis recevraient d’abord toutes les informations sur les gazages commis en ce lieu dans les trois premières pièces, avant d’arriver dans la pièce où avait eu lieu les gazages proprement dit. Le projet a été très vite approuvé par l’ONAC et j’en ai été nommé commissaire scientifique. Pour la visite de François Hollande en avril 2015, il m’a même été demandé de boucler cette nouvelle exposition en quelques jours, ce qui n’était évidemment pas possible. J’ai écrit le texte de la nouvelle exposition et j’ai retrouvé de nombreux objets en lien et des photos inédites avec l’assistance de Rozenn Poupon. Le projet fut soumis pour relecture au conseil scientifique du C.E.R.D. qui l’a approuvé à plusieurs reprises avec des discussions fructueuses. Une scénographie épurée a été imaginée par les talentueux Clarisse Garcia et François-Xavier Tachet avec des panneaux verticaux transparents et vaporeux. En parallèle, le projet de renouvellement muséographique s’est doublé d’un projet de restauration du bâtiment qui commençait sérieusement à avoir besoin d’un petit rafraichissement. L’architecte des monuments historiques Pierre Dufour et son équipe ont fait un travail formidable de diagnostic et de restauration du lieu en essayant d’être le plus proche possible de l’état d’origine de cette bâtisse construite en 1912 et qui n’était qu’une annexe de l’Hôtel du Struthof où l’on servait des plats aux lugeurs et skieurs en hiver.

En juin 2019, l’ONAC décida de stopper net le projet « du fait de contraintes budgétaires ». Cette décision coïncida malheureusement avec le départ de Frédérique Neau-Dufour, historienne de formation et femme extraordinaire, à la tête du C.E.R.D. depuis 2011. Pour le projet de restauration et renouvellement muséographique, 2019 fut l’annus horribilis. Convaincu de l’importance de la chambre à gaz dans le parcours muséographique des visiteurs en particulier les plus jeunes, j’écrivais en août 2019 une lettre à la Ministre des Armées pour lui demander de revenir sur la décision de l’ONAC. Aucune réponse. Un nouveau directeur, Guillaume d’Andlau, qui n’était pas historien, fut nommé au C.E.R.D. en octobre 2019. Celui-ci m’expliqua que la chambre à gaz avait été délaissée au profit de la restauration de la baraque cuisine (inaccessible au public) et qu’on reviendrait peut-être à la chambre à gaz dans quelques années. Je n’en croyais pas mes oreilles.

C’était un lieu unique au monde, incarnation de la Shoah et arme du crime de la science nazie raciste et meurtrière, visité par 200.000 personnes chaque année et on le laissait dans un tel état !

Je prenais l’initiative d’écrire à Emmanuel Macron le 12 novembre 2019 lui demandant de bien vouloir intervenir puisque ni l’ONAC ni sa Ministre de tutelle ne semblaient changer d’avis. Deux semaines après ma lettre, le projet fut enfin relancé et je ne peux qu’en être reconnaissant à Emmanuel Macron et ses conseillers mémoire. Le nouveau directeur du C.E.R.D. me félicita d’avoir réussi à relancer le projet mais m’avertit que ma lettre en avait agacé plus d’un à l’ONAC.

A partir de là, plus rien ne fut pareil et on me fit vite payer mon « insolence ». En décembre 2020, je fus convoqué par le chef du département de la mémoire de l’ONAC et Guillaume d’Andlau. Ils m’annoncèrent de concert que finalement, le projet allait être modifié et confié à des employés ! Il n’était plus question désormais de parler des gazages qui avaient pris place dans ce lieu unique mais de toutes les expérimentations, y compris celles qui n’y avaient pas eu lieu (comme les essais de vaccin contre le typhus qui avaient eu lieu dans la baraque 5 du camp souche ou les essais sur le gaz moutarde qui avaient eu lieu dans la baraque du crématoire). L’équipe de D’Andlau proposait même de mettre une photo de pou dans la nouvelle exposition de la chambre à gaz !

On marchait sur la tête. Un débat de fond s’enclencha entre nous. Le conseil scientifique fut pris à témoin. Je soutins mordicus que la muséographie de la chambre à gaz devait être uniquement dédié aux gazages et à leurs victimes, au risque de les banaliser en les noyant dans une masse d’informations confuses sur les expérimentations nombreuses qui avaient pris place au KL Natzweiler et qui méritaient un espace dédié dans la baraque musée. Johann Chapoutot appuya ma position en disant que nous devions nous « opposer à tout confusionnisme ». Robert Steegmann ajouta qu’« il ne saurait être question de « banaliser » les faits qui se sont déroulés dans la chambre à gaz par l’introduction d’autres faits qui n’ont aucun rapport avec les lieux. » Devant le désaveu porté par le conseil scientifique, l’ONAC fit marche arrière et revint sur son idée de tout mélanger dans un étrange gloubi-boulga muséographique. Mais dès lors, je ne fus plus du tout en odeur de sainteté. Le conseil scientifique du C.E.R.D. qui suivit fut très tendu. La directrice de l’ONAC nous accueillit en prélude du dernier conseil auquel j’assistais en nous rappelant que nous n’étions que des conseillers et que nous ne devions pas l’oublier… Ambiance. En novembre 2021, eut lieu un conseil scientifique crucial sur le sujet. Hélas, j’étais malade. En mon absence, il fut décidé qu’un nouveau « groupe de travail » allait s’occuper de l’exposition. A la suite de cela, je présentais ma démission, bien amer. Après l’avoir porté pendant des années, je ne peux que me féliciter cependant que ce projet de renouvellement muséographique soit enfin arrivé à son terme et j’irai voir le résultat final un jour, peut-être avec ma fille adolescente qui commence à s’intéresser au sujet. Les 86 juifs assassinés là ainsi que les 40 internés gazés au phosgène dans la chambre à gaz ont enfin une muséographie dédiée. Avec la présentation des parcours de vie d’Alice Simon, Elizabeth Klein, Jean Kotz, Ichay Litchi, Frank Sachnowitz ou Adalbert Eckstein qui ont péri en ce lieu, je considère avoir pris l’exact contre-pied de la théorie nazie selon laquelle l’individu n’est rien et le peuple est tout. Car, en racontant leur histoire et leur parcours, c’est leur dignité d’êtres humains que l’on restitue à toutes ces personnes gazées entre ces murs sinistres.

Le Camp de Gurs modifier

Diane Ducret : « la France, avant Vichy, a pris la décision d’interner au Vélodrome d’Hiver » modifier

Dans votre roman Les Indésirables, vous avez fait le lien entre le cabaret du camp de Gurs, qui a connu, durant l’hiver 1940, plus de morts que Buchenwald, et le film de Roberto Benigni. Le régime de Vichy n’était pas encore au pouvoir. Existait-il selon vous, contrairement à ce que prétend le gouvernement polonais, des « camps de concentration polonais » et des « camps de concentration français » ? C’est une question des plus difficiles et je ne prétends pas y répondre seule. On remarque cependant que la France, avant Vichy, a pris la décision d’interner au Vélodrome d’Hiver, en mai 1940, des milliers de femmes, à cause de leur origine et nationalité, puis de les transférer dans un camp dans lequel elles ne sont que peu nourries, où elles meurent de ne pas être soignées, du froid aussi, dans lequel elles sont violées pour certaines. Et de ce camp, elles seront conduites en camp d’extermination après l’arrivée des Allemands. Disons que si l’on n’épouse pas entièrement la définition de camp de concentration, on flirte dangereusement avec[7].

La Tragédie des puits de Guerry modifier

Cette complicité de crime contre l’humanité, Georges Kiejman en a parlé mais s’est étonné qu’elle reste largement méconnue. On demanda à Georges Jeanclos, sculpteur des portails en bronze de Bercy et de la cathédrale Notre dame de Lille, de construire un monument commémoratif, hommage sublimé et silencieux aux victimes des puits de Guerry. L’indiscrétion de certaines révérences paraissait encore parfois trop irrévérencieuse[8].

L’oeuvre du sculpteur Georges Jeanclos, dont les parents furent assassinés à Savigny en septaine, est traversée par le souvenir de cette période.

Références modifier