Recherche:Socio-cognitivisme et développement/De la psychologie culturelle …
Ce qui suit ne doit rien à un travail de recherche stricto sensu : seule une motivation d’enseignant d’E.P.S. et d’entraîneur de gymnastique sportive y est pour quelque chose. Ayant pu suivre dans les années 1970 des compétitions mondiales et leurs entraînements préparatoires j’étais convaincu que les gymnastes soviétiques n’étaient ni les plus brillants ni les plus créatifs. Et néanmoins au bout du marathon à 12 épreuves qui régissaient alors les compétitions indiscutablement les meilleurs … avec les japonais.
Aussi quand Kuznetzov, membre de la commission scientifique de la Fédération internationale de gymnastique et directeur du laboratoire d’anthropomaximologie de l’université Lomonossov fit une tournée en France je ne manquais pas son passage à l’I.N.S. Ce biologiste réputé y créa la surprise en affirmant d’entrée que les progrès récents en entraînement sportif ne devaient rien à sa discipline mais relevaient d’une « nouvelle psychologie » qui avait permis à la fois de diminuer les charges d’entraînement, mieux stabiliser les apprentissages et améliorer la « créativité » des apprenants.
Déjà féru d’enseignement programmé par objectif qui nous venait d’Outre-Atlantique, j’avais déploré ne pas avoir pu participer aux deux colloques franco-soviétiques organisés sur ce thème par Jean-François Le Ny à Orsay. Je me jetais aussitôt sur les actes puis sur ceux d’un troisième organisé plus tard à Lille. Cette découverte devait se solder par une inscription en thèse d’État et sa soutenance en 1991, quelques années avant que la célébration des anniversaires communs de Jean-Piaget et Lev Vygoski n’amorce l’intégration des concepts du second et de ses héritiers dans la réflexion francophone. Notre propos ne vise ici qu’à en faciliter l’accès aux enseignants.
Chargé par Staline d'évaluer le niveau scolaire en URSS quelques années après la Révolution, l'académicien Lev Vygotski qui s'est antérieurement consacré à l'analyse du langage identifie des particularismes de développement liés aux cultures régionales. Il en conclut que notre développement mental dépend de deux facteurs : l’évolution biologique de notre système cérébral, de nos capacités physiques d'une part et l’histoire socio-culturelle de nos expériences d'autre part. Dans les sociétés humaines évoluées l’école et les autres cadres éducatifs (y compris celui de « la rue ») sont les lieux de cette seconde genèse qui reconditionne tout au long de notre vie l’organisation de nos neurones. Parce que la culture donne forme à l’esprit Vygotsky (et depuis Brunner) se sont consacrés à ses incidences sur diverses formes de développement à travers une psychologie culturelle.
A cette occasion, il relève que si la mesure du développement (le QI) ne prend en compte que les acquis en autonomie totale, tout sujet qui relève de ce niveau « officiel » peut toujours résoudre des tests de niveau supérieur avec un peu d'aide (questions, exemples, analogies). Ce second niveau révèle de ce qui est en cours de développement et que l’enseignement peut accélérer utilement. Il désigne l’espace entre ces deux niveaux qui délimitent l’enseignement potentiellement efficace comme comme zone proximale de développement. L'élargissement progressif de cet espace caractérise les progrès d’un développement mental. Travailler au-delà de cette zone (zone blanche) ne sert à rien sinon à donner des illusions ou à décourager. Répéter des exercices dans la zone acquise (zone noire) ne ne se justifie que si cela s’avère utile à des progrès ultérieurs (gammes en musique, calcul mental en mathématiques, musculation en sports). Sinon l'effet en est démobilisant.
Activité ce n’est pas agitation. Être actif pour un élève, c’est aller au-devant de ce qu’il faut apprendre et ça dépend plus de l’organisation de l’enseignement que de son caractère, même si certains sont plus longs que d’autres à s’y mettre. s’avère parfois indispensable à des progrès ultérieurs
Le terme d'activité a deux sens qu’on peut représenter sur deux axes. D'abord un axe vertical où activité est synonyme de disciplines : on parle, par exemple, d’activités mathématique, scientifique ou physique. Ces disciplines se composent parfois elles-mêmes de plusieurs activités : même si elles se soutiennent parfois géométrie descriptive et algèbre en gymnastique procèdent bien d’activités différentes. On rencontre aussi à travers des expressions comme l'activité de l'enfant … ou du troisième âge un axe horizontal ; le terme concerne alors les particularités d'une tranche d’âge et ses comportements les plus fréquents. L'activité effective de chacun se situe au croisement de ces axes. Elle correspond à la zone proximale de développement du sujet pour une activité donnée.
Il n’y a pas d’activité mathématique abstraite mais l’activité mathématique de Jean qui peut être très différente de l’activité mathématique de Pierre, son voisin de table qui y dort pendant tout le cours. L’ajustement entre le niveau de l'activité disciplinaire - verticale - et celui de l'activité personnelle - horizontale – est la condition d'un enseignement susceptible d’entraîner l’activité de l’élève. La zone de développement proximal ne caractérise donc pas un état général mais diffère selon l’activité. Mais c’est là que l’enfant se construit à l'aide d’actions qui matérialisent cette activité à son niveau.
Cependant il faut savoir que toute action entretien des rapports ambigus avec une activité : l’action de courir est l’expression de deux activités quasi antagonistes : la fuite et la poursuite. Certains rient aux larmes alors que l’angoisse déclenche chez d’autres un rire nerveux. Dans toute activité, l’intention prime sur le comportement observable qu’elle génère. La maîtrise d’une action ne garantit donc jamais le bon développement d'un type d'activité ; mais, parce que c’est son seul produit visible , c’est le seul outil dont on dispose pour y accéder. Ce qui, comme nous le verrons plus tard, exige l’usage de processus et d’instruments adéquats pour en réduire les incertitudes.
Langage et développement selon Vygotski
modifierTout enseignement repose en effet sur l’utilisation d'instruments. Comme l’homo faber et les grands singes utilisent des instruments et des outils matériels pour agir sur le monde extérieur, l'homo sapiens se développe et se contrôle à l’aide d'instruments psychiques : langage, dessin, écriture, calcul, musique .... L’expérience montre que l'utilisation exclusif d'un instrument original (mathématiques, musique …) peut mener à certaines formes d’autisme. Parmi les outils disponibles le langage humain qui reste le plus universel pour les individus soumis à un développement ordinaire est à privilégier. Il présente deux formes :
- un langage phonétique articulé qui transforme la pensée en mots et
- un langage "pour soi" qui structure notre pensée et assure son auto-contrôle.
Vers deux ans on observe un langage égocentrique''' qui établit le lien entre les deux : l’enfant se raconte des histoires à lui-même ou à son doudou, parfois dans un « sabir » à peine compréhensible. Cette vocalisation diminue ensuite mais le langage intérieur continue d’évoluer : son volume et ses particularités syntaxiques augmentent d’autant plus que l’oralité diminue. Mais certains adultes ont encore la glotte qui bouge quand ils réfléchissent. A terme son évolution en fait un jargon original et hermétique comme celui qui s'établit parfois entre jumeaux.
Le langage "pour soi" et le langage phonétique ne coïncident qu’au-delà du langage commun, en mathématiques par exemple. Il se différencie du langage commun par un phénomène d’agglutination : un mot défini par les dictionnaires peut contribuer dans notre langage intérieur à l’élaboration d’un « paquet » qui le soude à d’autres mots ou à un contexte et le charge ainsi de valences diverses (bien/mal, agréable/dangereux ...). Le langage est parfois un « sac de nœuds » … et bien des noises en résultent.
C'est pourquoi les interventions bienveillantes des autres (y compris de l’enseignant) perturbent parfois la consolidation des apprentissages, structurée puis contrôlée dans la mémoire par le seul langage intérieur. Car le langage extérieur utilise des mots dont la signification, bien fixée par les dictionnaires, peut prendre des sens différents selon les personnes et le contexte dans lesquels ils sont prononcés. Par exemple, si pour la féliciter vous dites une ado de banlieue qu’elle est bonne il n’est pas sûr qu’elle se sente très honorée ! Ces sens propres à chacun – il y a des « mots qui fâchent » - gênent la communication qui repose sur deux éléments : l’émetteur et le récepteur. Et cela ne fonctionne que si les deux sont réglés sur la même longueur d’ondes. Bien le savoir est indispensable pour régler les canaux et limiter le parasitage du message et le brouillage de la réception.
Conclusion … provisoire
modifierC’est par le bon usage de ces trois niveaux de langage que Galpérine et l'école de pédologie soviétique développent une activité à partir d’actions judicieusement hiérarchisées au sein de la zone de développement proximal, chaque activité acquise étant un pré-requis potentiel d'une plus complexe dans une dynamique de développement créatif ou productif.