Voir l'introduction à la journée Recherche:Journée d'étude — Nouvelles intermédiations dans les dispositifs de co-recherche

OUVERTURE

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Jean-Baptiste Merilhou-Goudard – INRAE – Délégué Sciences avec et pour la société

Je vais ouvrir cette journée en revenant sur quelques déplacements que j’observe, six ans après avoir co-écrit avec François Houllier un rapport sur les sciences participatives en France. À l’époque de ce rapport, on parlait de « société civile ». À l’époque du livre blanc d’Alliss, on parlait de « tiers état de la recherche ». Aujourd’hui, on parle de « tiers secteur ». Par ailleurs, dans notre rapport, on parlait exclusivement de « sciences participatives ». Le numéro des « Cahiers de l'action » associé au programme de cette journée revient bien sur la différence et la raison du glissement des « sciences » vers les « recherches » participatives. Avec François Houllier, nous étions très attachés au fait que les sciences et recherches participatives produisaient des connaissances. C’est en discutant avec Alliss que l’on a compris que le processus comptait parfois autant que les productions, et surtout que la diversité des productions nécessitait bien de parler de « sciences et recherches participatives » – auxquelles s’ajoute aujourd’hui la thématique des co-recherches. J’observe un autre glissement intéressant autour de cette « médiation scientifique » un peu polysémique, pas toujours très claire en termes de missions, qui prend parfois le nom de « médiation de recherche ». À ce titre, les travaux de la journée autour de l’évolution des métiers nous intéressent d’autant plus qu’INRAE est en train de finaliser sa feuille de route pour la médiation scientifique.

En parcourant le programme de cette journée, j’ai aussi retrouvé des besoins qui restent d’actualité : le besoin de se prémunir contre le sentiment de défiance ou d’instrumentalisation des différents secteurs des co-recherches, le besoin de légitimation des acteurs du tiers secteur de la recherche, et le besoin d’inciter les chercheurs à s’impliquer et à reconnaître le travail de ceux qui s’investissent. Sur ce dernier point, j’avoue qu’en prenant mes fonctions, j’ai été un peu surpris, à la lecture d’une étude bibliométrique autour des sciences et recherches participatives, de découvrir qu’il existait toujours un décalage entre les postures institutionnelles plutôt favorables – c’est le cas d’INRAE qui a inséré les sciences avec et pour la société dans sa feuille stratégique « INRAE 2030 », avec des moyens humains et financiers associés – et d’autres perceptions parfois moins favorables dans la communauté scientifique. En échangeant avec nos départements scientifiques, j’ai également été surpris de comprendre qu’il y avait encore une retenue des auteurs à citer la démarche participative, par peur de ne pas être publié ou d’avoir des problèmes avec certains comités de lecture. J’aurais pensé, naïvement, qu’on n’en était plus là.

En arrivant à mon poste, je vois aussi les évolutions qui sont portées par la société tout entière, avec une nouvelle structuration des acteurs, des lieux de recherche, et le développement exponentiel des living lab et des tiers-lieux. Et si, sur les sciences et recherches participatives, on peut regretter un engagement ministériel pas toujours très clair ou en tout cas insuffisant en termes d’animation et de mutualisation des projets, il y a quand même des choses qui bougent : l’ANR porte l’appel à projet SAPS autour des recherches participatives, et l’on voit une dynamique émerger et des réflexions se mêler autour de la science ouverte, au sein notamment du comité dédié au MESR. Concernant les organismes nationaux de recherche, le conseil scientifique du CNRS a émis une recommandation pour une stratégie de recherches participatives, et l’Ifremer a lancé un comité des parties prenantes. Quant à l’INRAE, outre son axe dédié aux sciences avec et pour la société dans sa stratégie « INRAE 2030 », il poursuit son engagement historique avec Alliss autour du projet Sokori et d’une réflexion concernant un guide des tiers-lieux et des living lab à destination des équipes de recherche. Cela s’inscrit pour nous dans un mouvement de structuration plus général autour de l’innovation ouverte, et dans une stratégie SRP à plus long terme qui est en préparation.

Au siècle dernier, le psychologue russe Lev Vygotsky a soutenu l’idée que c’est en se transformant qu’un système peut prendre conscience de ce qu’il est, et imaginer d’autres transformations. Cela m’a fait penser au fait d’appréhender la recherche comme un processus relationnel entre acteurs dynamiques, et même d’en faire une nécessité pour mieux comprendre ces systèmes-là. Or, il est difficile pour des institutions d’appréhender des systèmes qui sont toujours en mouvement, de les caractériser alors qu’ils changent en permanence, et d’essayer de réunir autour d’un projet des acteurs étiquetés de telle ou telle façon, alors que précisément leur rôle va être amené à évoluer. On est donc bien dans le thème de cette journée sur les nouvelles fonctions et nouveaux métiers autour de l’intermédiation, qui s’intègre dans un long processus de compréhension de l’institutionnalisation du partenariat entre le TSR et l’ESR. Je suis très heureux qu’elle soit organisée à INRAE, et suis très intéressé par ce qui s’y dira pour aider cette institutionnalisation des fonctions, des actions, des projets qui sont en mouvement et qui mobilisent cette intermédiation.

INTRODUCTION : Participation – Policies – Foresight

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Matthias Weber – Center for Innovation Systems and Policy (Vienne, Autriche)

On observe quatre grandes tendances en matière de définition et de préparation de politiques et de programmes de recherche et d’innovation, dans le cadre desquelles la prospective peut être utilisée comme un moyen d’intermédiation :

1)   La notion de recherche et innovation est plus vaste qu’il y a 20 ou 30 ans : on ne considère plus seulement les innovations technologiques, mais aussi les innovations sociales et systémiques.

2)   L’idée de directionnalité de la recherche et de l’innovation devient plus importante : cela se reflète dans des concepts comme les grands défis, les missions transformatives, mais aussi dans la considération des aspects éthiques dans les développements de nouvelles technologies.

3)   Les transformations en sciences, technologies et société s’accélèrent : il est de plus en plus difficile de suivre les développements scientifiques et technologiques. Quand nous en savons plus, il est déjà trop tard pour influencer la direction du changement technologique.

4)   Les nécessités et les opportunités de participation se renforcent : on observe l’intégration de nouveaux types d’acteurs dans la recherche et dans la préparation des politiques et programmes de recherche-innovation.

Coproduction d’agendas et de politiques de recherche-innovation

Cette dynamique de coproduction s’observe dans les priorités politiques et dans la programmation de la recherche et de l’innovation (programmes-cadres de la Commission européenne, programmes des agences ou des organisations de la recherche et de l’innovation comme l’INRAE, le CNRS etc.).

Il y a eu plusieurs générations de prospectives dans le contexte de la politique de recherche et d’innovation :

• Dans les années 1960, au Japon, la méthode Delphi reposait sur l’évaluation par des experts de différentes phrases ou affirmations sur les technologies du futur.

• À partie des années 1980, on s’est moins focalisé sur les technologies et l’on s’est davantage intéressé aux développements en termes de marché ou aux développements socio-économiques.

• Au milieu des années 1990, on a commencé à considérer l’utilisation de scénarios comme base de développement de stratégies collectives, dans le cadre de processus mobilisant les différentes parties prenantes pour leur permettre ensuite d’introduire des changements en leur sein.

• Autour des années 2000, on a commencé à développer des stratégies adaptatives, avec une perspective plus systémique.

• Il y a une dizaine d’années, on a redécouvert la nécessité d’adresser l’imprévu, et considéré la recherche et l’innovation comme un laboratoire pour permettre à la société de mieux affronter des développements potentiels du futur.

• Depuis quelques années, on observe l’inclusion croissante de nouveaux types d’acteurs dans des processus de prospective qui jusqu’alors étaient dominés par des acteurs issus de la recherche.

Fondements de la prospective

Cette philosophie de la prospective se fonde sur cinq éléments :

• L’exploration des développements scientifiques technologiques et des besoins socio-économiques,

• La création d’une compréhension commune des défis, des objectifs et des priorités,

• L’apprentissage participatif pour améliorer cette compréhension commune,

• La mise en place d’actions coordonnées de façon soft,

• La mobilisation et l’intégration d’uneplus grande diversité d’acteurs et parties prenantes.

Trois exemples de projets reflétant les développements récents en matière de prospective

1)    De la prédiction à la création des futurs : l’intégration de la prospective dans les processus politiques

Objet : La préparation du dernier programme-cadre de l’Union européenne (Horizon 2020).

Ce travail a relevé d’un processus politique en quatre phases : la strategic intelligence / le sense making / la sélection des priorités / l’implémentation. La phase 1 (strategic intelligence) concerne la connaissance de base. Les phases 3 et 4, assez formelles, sont très bien définies au niveau européen. En revanche, la phase 2 (sense making) est une phase critique, souvent « intransparente » et pas très bien définie : c’est à cet endroit-là que les activités de prospective de la Commission européenne (CE) ont été positionnées. Elles visent à traduire des connaissances sur le présent et le futur dans des propositions de priorités qui entreront ensuite dans un processus de négociation politique.

La préparation du programme-cadre Horizon 2020 a commencé en 2016-2017, c’est-à-dire trois ou quatre ans avant le lancement du programme. Dans la phase de sense making, nous avons créé un réseau horizontal intégrant les différentes directions générales de la CE, pour faciliter le débat entre elles. Outre ce processus de participation interne, nous avons introduit des éléments de participation externe incluant des experts et des parties prenantes, afin de développer des priorités plus transversales qui favorisent le dialogue les différentes directions générales.

Nous avons réussi à établir des perceptions de défis et d’opportunités communes entre les différents piliers de la Commission européenne, mais aussi avec d’autres institutions européennes comme l’Agence européenne de l’Environnement. Au final, sur la vingtaine de priorités définies dans le cadre de ce processus, une douzaine ont été intégrées d’une façon ou d’une autre dans le programme-cadre de la CE – soit dans les sujets des missions européennes ou des programmes de travail classiques, soit sous la forme de partenariats stratégiques que nous avons montés par la suite.

2)    De la connaissance des experts à la connaissance des différents groupes d’acteurs, parties prenantes ou citoyens concernés : la mobilisation des citoyens pour définir des priorités d’action

Objet : La co-définition des priorités du nouveau programme-cadre de recherche et d’innovation dans le cadre d’Horizon 2020.

Le projet Cimulact (Citizen and Multi-Actor Consultation on Horizon 2020) visait à expérimenter une façon de mobiliser les citoyens au niveau européen. L’idée était de piloter la participation de citoyens pour faire émerger des visions, des besoins, mais aussi des programmes de recherche potentiels dans le cadre d’Horizon 2020.

À partir des visions et besoins (environ 180) identifiés par des citoyens de 30 pays de l’Union européenne (UE), nous avons imaginé 48 programmes de recherche sous forme de scénarios. Mais le transfert de ces résultats dans les débats politiques au sein de la CE, puis dans les débats politiques, a été très difficile, car les projets d’Horizon 2020 sont assez éloignés du processus de décision et ne sont pas forcément pris en compte. C’est l’un des défis pour la prospective en général : si l’on est trop proche du processus politique, on est capturé par celui-ci, si l’on est trop loin, on n’est pas pris en compte.

Cependant, ce projet implémenté dans 30 pays a permis de vérifier qu’au niveau national, les processus de participation des citoyens dans la définition des grandes orientations de programmes de recherche pouvaient fonctionner.

3)    De la prospective comme instrument de planification, la prospective comme processus de gouvernance anticipative et collective : la mobilisation des parties prenantes dans la conception de programmes de recherche-innovation

Objet : La définition de nouvelles initiatives dans le cadre des missions européennes en recherche-innovation.

De nouvelles générations de programmes ayant des ambitions transformatives sont en train d’être introduites dans Horizon 2020, relevant des cinq missions thématiques de l’UE : l’adaptation au changement climatique ; le cancer ; la santé des océans, des mers, des eaux côtières et continentales ; les villes intelligentes et neutres en carbone ; la santé des sols et l’alimentation.

Nous avons commencé par mettre sur pied des groupes de travail sur chacune de ces missions, afin de définir plus spécifiquement des propositions d’actions. Dans le cadre de l’adaptation au changement climatique par exemple, l’un des objectifs que nous avons fixés concerne la transformation d’au moins 150 régions vers un avenir résilient face au changement climatique. Lors de ce processus, les groupes de travail ont bénéficié d’une grande autonomie pour définir les directions pour les missions. Les directions générales de la Commission européenne étaient assises au deuxième rang. Les discussions étaient présidées par une personnalité forte, ayant une grande expérience politique, afin d’assurer l’indépendance des groupes de travail.

La première phase a permis d’élaborer des feuilles de route jusqu’à 2050. La deuxième phase, qui concernait la spécification de ces plans d’action, a aussi été une phase d’expérimentation de nouvelles formes de gouvernance et de collaboration au niveau local ou régional. S’agissant de la mission sur les villes par exemple, nous avons créé des contrats entre la ville et la CE pour le financement et la définition des feuilles de route et des activités. Ces contrats sont conçus comme des « auto-obligations » définies par les villes elles-mêmes pour monter des activités de recherche et des d’innovation s’intégrant dans un plan plus vaste de transformation de la ville. À ce jour, sept contrats ont été signés en France, 9 en Allemagne, 1 en Autriche.

Cette phase d’implémentation implique un renforcement de la gouvernance des missions au plan national, en intégrant notamment des éléments de prospective et de participation des citoyens. En Autriche par exemple, les groupes interministériels ont défini une feuille de route pour suivre et coordonner les activités européennes et les activités menées au niveau national. Il faut noter que ces missions sont ouvertes aux activités de co-recherche et de co-création menées avec des acteurs qui de la recherche qui ne sont pas des acteurs établis. C’est peut-être une opportunité pour le futur.

Conclusion

Certaines tendances actuelles favorisent des approches de co-création dans la recherche et l’innovation, mais aussi de co-création des politiques et des programmes de recherche-innovation. La prospective s’établit comme instrument d’intermédiation pour la co-création des politiques et programmes de recherche et d’innovation. Nous pilotons de nouveaux formats de prospective permettant à une plus grande diversité d’acteurs de participer à ces processus. Ce n’est pas encore parfait, mais quelque chose est en train de s’institutionnaliser. Dans les missions européennes, on observe une plus grande reconnaissance du rôle du tiers-secteur de la recherche dans la programmation ou la préparation des politiques de recherche-innovation, mais la majorité des activités, programmes et politiques de recherche et d’innovation reste dominée par les mêmes acteurs. Cet aspect reste donc à approfondir et discuter.

ÉCHANGES

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Bénédicte Bucher – IGN

Y a-t-il une articulation entre ces démarches de co-construction d’un futur et certains « référentiels » tels que les 17 objectifs de développement durable ou les scénarios climatiques ?

Matthias Weber

Concernant les ODD, il y était fréquemment fait référence dans le développement des stratégies de recherche-innovation et des politiques de recherche-innovation depuis cinq ou six ans, mais aussi dans le premier projet que je vous ai présenté. Actuellement, j’ai l’impression que c’est un peu moins visible, peut-être à cause des autres crises auxquelles on est confronté. S’agissant des scénarios climatiques, il faudrait plutôt poser la question à des personnes liées à des domaines spécifiques comme l’agriculture et alimentation, les mobilités, l’énergie, l’environnement, l’industrie, où la référence est présente – mais peut-être pas de façon aussi directe qu’avec les ODD.

Yuna Chiffoleau – INRAE

Concernant la participation de ceux qui ne sont pas des acteurs établis, comment construire l’ouverture pour aller plus loin ? Et qui sont ces citoyens des 30 pays qui ont participé à la co-définition des priorités du nouveau programme-cadre de recherche et d’innovation dans le cadre d’Horizon 2020 ?

Matthias Weber

Il y a deux choses à dire là-dessus. D’une part il faut faire un effort spécifique pour assurer une participation forte des nouveaux acteurs dans ces processus, car certains acteurs ont beaucoup de ressources qui justifient leur présence. Les citoyens sont moins bien organisés pour participer à ces processus de décision à l’échelle européenne. C’est aussi une question de ressources et d’influence. Dans le cadre des groupes de travail dont j’ai parlé, nous avons fait l’effort d’assurer une présence équilibrée des différentes parties prenantes concernées par ces domaines. Mais dans d’autres domaines, c’est toujours un défi : il faut comprendre comment sont organisés les processus, où l’on peut participer… Le projet que nous avons mené, qui intégrait un petit nombre de citoyens de chaque pays, était aussi une simulation pour voir comment faire à plus grande échelle. En ce moment, nous expérimentons l’utilisation des plateformes digitales numériques pour ouvrir des débats à des personnes qui ne sont pas facilement représentées dans les processus.

Isabelle Richard – Docteure en psychologie sociale et chercheure en psychologie environnementale

Est-ce que, dans vos différents débats, vous discutez des modalités de financement des dispositifs de co-recherche ? Même au niveau local, il est très difficile de monter des projets de co-recherche avec des institutions, des collectivités territoriales, des citoyens. Souvent, c’est le chercheur qui continue de tout créer, et les collectivités territoriales n’ont pas forcément le pouvoir d’« acheter » cette expertise et cette collaboration.

Matthias Weber

Je connais bien ces problèmes. En Autriche, nous avons introduit il y a quatre ans de nouvelles modalités de financement qui permettent aux villes, par exemple, de participer aux projets en tant que partenaires, et donc recevoir de l’argent. Dans le contexte des missions, nous avons aussi développé un modèle institutionnel qui permet de financer directement les activités des villes. Et nous expérimentons aussi de nouvelles modalités pour faciliter le financement des acteurs comme les ONG. Au niveau européen, celles-ci sont plus soutenues depuis quelques années. Il y a des efforts pour renforcer leur représentation dans les projets de recherche, dans le cadre d’Horizon 2020 par exemple. C’est un espace d’expérimentation institutionnel.

Jules Desgouttes – Co-coordinateur de Artfactories/autresparts

J’ai entendu dans votre propos une hésitation sur l’articulation entre le travail de recherche et l’action politique. Au fond, l’enjeu est-il de trouver une manière de faire pour que le travail de recherche pèse sur la construction des politiques publiques, ou de trouver une manière de transformer la posture des chercheurs pour qu’ils aient une action politique ?

Matthias Weber

C’est peut-être les deux en même temps. Il est important que les chercheurs prennent conscience de l’importance d’être présent dans les processus politiques qui définissent les conditions cadres pour la recherche. C’est une question qu’il faut affronter si l’on veut créer de l’espace pour de nouveaux acteurs. Je ne sais pas si en France le tiers secteur de la recherche est suffisamment organisé ou a assez de soutien pour favoriser cette prise de conscience et contribuer à la création de conditions cadres qui permettent un nouveau mode de recherche, mais l’enjeu est là : il faut créer des conditions qui permettent des nouveaux modes de recherche et d’innovation.

Atelier 1 – L’institutionnalisation de démarches de co-recherche dans les Établissements publics scientifiques et techniques (EPST)

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Intervenant-e-s :

• Janine Barbot – Sociologue à l’INSERM

• Yuna Chiffoleau – Sociologue à l’INRAE

• Romain Julliard – Directeur du Programme Mosaic au MNHN

• Alexandra Villarroel – Coordinatrice de Particip-Arc et de Vigie Muséum au MNHN

• Myriam Winance – Sociologue au CERMES3 (CNRS)

Animation : Marc Barbier (INRAE, IFRIS) et Elise Demeulenaere (CNRS)

Les nouveaux métiers des sciences participatives dans le domaine de la biodiversité

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Alexandra Villarroel – Coordinatrice de Particip-Arc et Vigie Muséum (MNHN)

Vigie Muséum regroupe l’ensemble des programmes de sciences participatives portés par le Muséum d’histoire naturelle autour de la biodiversité. Ces programmes ont des modes de coordination et des modalités d’implication des participants assez variés, mais ils sont majoritairement co-portés avec d’autres acteurs, notamment des acteurs associatifs (associations naturalistes, de sensibilisation à l’environnement, etc.). C’est dans ce cadre que nous avons mené une réflexion sur le rôle des coordinateurs et animateurs de programmes de sciences participatives. Notre constat de départ était que les programmes participatifs sont menés sur des échelles temporelles assez longues et des échelles spatiales assez larges. Il y a donc un enjeu de coordination et d’animation de ces programmes sur la durée. Nous avons voulu caractériser cette fonction de coordinateur à travers la rédaction d’une fiche métier, pour la valoriser et la faire connaître. Derrière cela, il y a également un enjeu de reconnaissance en termes financiers et un enjeu de formation à ces nouveaux métiers.

La fonction de coordinateur recouvre différentes activités. Une première phase est consacrée à la co-conception du protocole de recherche, avec des phases de tests auprès des partenaires pour que ce protocole soit le plus adapté à la problématique et au public à mobiliser. La deuxième phase est la co-construction du projet, avec la mise en place d’un réseau de partenaires (notamment les relais locaux qui vont développer le projet et mobiliser des participants) et la recherche de financements pour lancer le projet et assurer sa continuité. La troisième phase est dédiée au développement d’outils de participation, de ressources pédagogiques et d’outils de communication. La quatrième phase, qui correspond à la mise en œuvre du projet, s’attache à répondre aux besoins récurrents (formations, assistance aux participants, communication, organisation d’événements, recherche de financements, accompagnement des partenaires dans le déploiement du programme). Les deux dernières phases concernent la gestion et la valorisation des données (base de données, restitution aux partenaires) et la valorisation des résultats (publications scientifiques, articles dans des journaux associatifs, médiation). À la fin du projet, nous organisons avec Sorbonne Université une formation d’une semaine pour donner aux participants un aperçu global du métier de coordinateur.

Il est important de souligner que ces coordinateurs ne peuvent pas tout faire, étant donné la très grande diversité des tâches qu’ils sont amenés à conduire. L’idée est donc aussi de favoriser des passerelles avec d’autres métiers en interne, notamment les métiers de l’informatique (construction d’outils de participation numériques…), les métiers de la communication (newsletters, réseaux sociaux…), ainsi que les médiateurs (création d’outils de valorisation adaptés à différents publics…).

Romain Julliard – Directeur du Programme Mosaic (MNHN)

En 2020, le Muséum a obtenu un financement dans le cadre d’un appel à projet sur la diffusion de la culture scientifique et technique. Notre projet portait sur la façon dont les sciences participatives pourraient contribuer au développement de la culture scientifique, et pourraient se professionnaliser, s’institutionnaliser, se structurer via les outils numériques de participation.

Plutôt que de choisir une infrastructure open source et de la faire développer par des prestataires, comme nous le faisons habituellement, nous avons décidé d’internaliser les compétences informatiques. Avec Sorbonne Université, nous avons créé en janvier 2020 l’unité de service Mosaic (Méthode et outils pour les sciences participatives), dont l’objet est d’accompagner les porteurs de projets dans la mise en place de plateformes numériques de recueil de données. Dans le cadre de l’Alliance Sorbonne Université, Mosaic est amenée à travailler avec des porteurs de projets de toutes disciplines. Elle accompagne aussi des projets d’autres institutions, dans des champs extrêmement variés. Mosaic est financée par les projets qu’elle accompagne. Ce choix pragmatique correspond à son positionnement fondé sur l’investissement au démarrage d’un projet. À ce jour, Mosaic est partenaire d’une douzaine de propositions, ce qui montre qu’un tel dispositif était attendu.

Mosaic participe à l’évolution du partage des données entre contributeurs, avec tout ce que cela peut générer en termes d’effets sur les données elles-mêmes, puisque la participation ne se termine pas au moment où la donnée est produite, mais commence à ce moment-là. Elle est alors partagée et visible et peut être commentée, annotée, complétée, validée par les différents participants. Ce partage permet d’élever le niveau d’engagement des participants, ce qui a des effets très vertueux sur la qualité de la donnée, en termes notamment d’homogénéisation dans la manière de la produire. Ce processus de production des données contribue à faire évoluer la perspective initiale des sciences participatives, dans le programme Mosaic, vers quelque chose qui est davantage coproduit par les participants. Ce modèle est bien adapté aux enjeux liés à la complexité et à l’urgence de la transition. Dans ces dispositifs, les données induisent les bonnes questions, et le contrôle du projet vient des producteurs de données eux-mêmes.

Une autre chose, c’est que ces données coproduites résultent de données d’observation, complétées par le fait que nous sommes des individus construits par notre histoire, notre savoir. Le protocole va donc souvent combiner des observations, des données qui vont être situées, et d’autres informations plus ou moins structurées liées au fait que l’on s’adresse délibérément à des individus.

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Elise Demeulenaere – CNRS / EHESS

Les sciences sociales font souvent une distinction entre les sciences participatives et les recherches participatives, qui impliquent de façon plus active des acteurs avec une vision politique. Les sciences participatives, quand bien même elles sont fondées sur le modèle de la citizen science anglophone, et quand bien même elles reposent sur du crowdsourcing, s’appuient de façon très pragmatique sur des associations naturalistes qui ont une très longue histoire. Par ailleurs, Romain nous a montré que les développeurs de ces projets se posent pas mal de questions sur la façon de produire ces données, et la citizen science est de plus en plus attentive aux arguments de démocratisation de la science. C'est ce que montre l'article collectif dont Aymeric Luneau est premier auteur : "Le tournant démocratique de la citizen science[1]".

Jacqueline Descarpentries – CNRS – Lavis Paris 8

Cette attention particulière à la manière de faire la recherche me semble fondamentale. Je vois bien le récit qui se construit, dans la recherche, autour de la participation, la transformation sociale, l’émancipation, mais nous sommes au cœur de recherches qui sont globalement construites sur une épistémologie « du Nord ». Or on sait que la première source des inégalités, c’est l’épistémologie de la recherche. À partir du moment où nous avons une volonté collective de travailler avec les populations et d’accompagner leurs besoins de transformation, l’enjeu majeur est de réfléchir à la manière dont, en tant que chercheurs, nous nous situons par rapport à ces groupes sociaux. Je ne vois pas comment il peut y avoir de véritables transformations sociales si l’on continue à construire nos hypothèses de travail dans notre bureau. Nous devons mener un travail de réflexion sur la façon d’arriver à construire nos hypothèses de travail en travaillant avec la population. Là, il peut y avoir des leviers transformation sociale. Et là, je ne suis plus dans une démarche de recherche pour la recherche, mais dans une démarche de recherche par la recherche. Dans notre laboratoire, c’est de plus en plus la manière dont on se situe. Et ce qui nous tient à cœur, dans les différentes théorisations avec lesquelles nous travaillons, c’est à la fois bien sûr les théories critiques et les épistémologies du Sud. Il y a de vrais travaux académiques autour de ces épistémologies du Sud et avec les théories critiques, qui sont indispensables pour comprendre les processus de démocratisation de nos démocraties. Selon moi, la recherche participative a un rôle majeur à jouer.

La co-construction des connaissances dans et pour les circuits alimentaires courts et de proximité

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Yuna Chiffoleau – Sociologue à l’INRAE (Montpellier)

À la fin des années 1990, dans le cadre du programme DADP (ancêtre du programme PSDR – Pour et Sur le Développement Régional), Yuna Chiffoleau entame une recherche partenariale avec des coopératives viticoles sur la révolution qualité dans le domaine du vin. Se rendant compte que ces acteurs portent une vision réductrice de cette révolution, elle développe un processus de recherche avec des viticulteurs « exclus » pour lesquels les vins de qualité sont d’abord des vins qui respectent l’environnement, valorisent un patrimoine, créent de l’emploi et contribuent aux paysages. À partir de cette idée de multifonction de la vigne, ils produisent des connaissances par l’expérience, dans l’action, favorisant une nouvelle coopération non plus simplement viticole, mais rurale. Ce travail avec les exclus a reçu en 1999 le prix du développement local décerné par la Caisse des Dépôts, légitimant un processus de travail différent, plus en prise avec un certain nombre d’enjeux.

En 2000, Yuna Chiffoleau est sollicitée par une généticienne pour travailler sur la recherche participative de variétés adaptées à l’agriculture biologique. L’enjeu est de parvenir à faire travailler ensemble des « bio-industriels », c’est-à-dire des agriculteurs ayant une approche intensive du bio, et des « bio-militants » faucheurs d’OGM. La sociologie peut permettre, au-delà de positions très tranchées au départ, de partager un problème commun mais aussi des leviers communs. Les chercheuses organisent un dispositif de co-construction de connaissances adaptées à ces environnements différents. Elles commencent par faire l’inventaire des catégories d’acteurs en présence afin de les réunir autour de la table, mais avec l’idée de dépasser le principe de la représentativité : plutôt que de penser ces différents acteurs comme représentatifs de la diversité, elles les mettent dans des « positions relationnelles », c’est-à-dire qu’elles regardent comment les uns et les autres sont positionnés dans différents réseaux : le réseau technique des relations aux objets, les différents positionnements dans des relations de dialogue professionnel ou de conseil et dans des relations marchandes, le positionnement dans les réseaux politiques. Ces positionnements dans les réseaux ne se font pas par hasard : ils sont cohérents avec certaines façons de penser le monde. Les chercheuses se sont placées comme des intermédiaires dans ce réseau de positions relationnelles.

Ce travail s’est étalé sur 20 ans, sans intégrer d’emblée ni en permanence l’ensemble des positions. Il a permis de produire différents types de connaissances, qui ont contribué à faire évoluer l’inscription des variétés au catalogue et ont abouti à la création d’un réseau d’essai de variétés pour la bio. Ce travail a reçu le prix de la recherche participative 2022. C’est une forme de reconnaissance du risque pris par ces acteurs : le risque pour un bio-militant de travailler avec un bio-industriel et inversement.

Enfin, Yuna Chiffoleau a participé à la création, dans le cadre du programme PSDR, du dispositif et de la marque Ici.C.Local, qui vise à signaler les produits locaux issus de circuits courts dans les marchés de plein vent et dans les commerces de détail. Ce dispositif est décliné, géré et contrôlé localement par un comité associant des consommateurs, des producteurs et des partenaires comme les collectivités ou les chambres d’agriculture. Il revient à chaque comité de définir ce qu’est un produit local, c’est-à-dire ce que l’on cherche à soutenir et créer dans le territoire grâce à ce produit, et ce dont on ne veut pas. Ici.C.local a été déposée comme une marque collective en 2014. Cette marque est un générateur de connaissances, puisque les comités documentent les questions de coopération, de fixation des prix, mais aussi de transition car ces produits doivent respecter des critères de durabilité. Ensemble, la vingtaine de territoires qui utilisent Ici.C.local produisent des connaissances très encastrées dans les relations sociales locales, stimulant un ensemble de processus de transition fondés sur l’idée de co-responsabilité et de co-portage.

Concernant la dimension des nouveaux métiers et des nouveaux rôles : dans ce type de travaux, la chercheuse s’efforce d’être très au clair sur les positions relationnelles avec lesquelles elle travaille et avec lesquelles elle ne travaille pas, de s’appuyer sur les intermédiaires des réseaux qui font le lien entre des acteurs qui ne se parlent pas, et d’aller vers plutôt que de faire venir.

La façon dont les publics concernés se sont invités dans la recherche biomédicale et handicap

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Janine Barbot – Sociologue à l’INSERM

Janine Barbot a contribué à développer les recherches participatives au sein de l’Inserm d’un point de vue de sociologue. Les personnes associées aux recherches biomédicales étant souvent des malades, leurs temporalités et la nature de leur implication sont assez différentes par rapport à d’autres domaines de recherche. Dans ce contexte, les outils de la chercheuse sont les tensions, les conflits, les difficultés des acteurs à s’entendre.

Le désenclavement des institutions médicales en matière de recherche participative a connu trois grandes étapes. Le premier moment se situe dans les années 1990, avec la transformation de l’apport des associations de malades à la recherche biomédicale. Des travaux en sciences sociales ont été menés pour étudier « l’intrusion des malades » dans la construction des connaissances scientifiques. Il s’agissait de comprendre le sens que les malades et leurs proches donnaient aux problèmes auxquels ils étaient confrontés, et d’analyser leur manière d’y faire face. Deux cas ont été particulièrement documentés. En premier lieu, les maladies rares, pour lesquelles les travaux du Centre de Sociologie de l’Innovation ont mis en évidence des phénomènes d’accumulation primitive des connaissances par les familles. Ces travaux ont aussi montré comment l’Association française de lutte contre les myopathies avait pu, à travers le Téléthon, piloter de grands programmes de recherche impliquant une diversité d’acteurs publics et privés. En second lieu, l’épidémie de sida : Janine Barbot a étudié la confrontation des malades aux essais en double aveugle, perçus par les associations de lutte contre le sida comme incapables de répondre à l’urgence des malades et à la nécessité de leur donner une information claire et non biaisée. Dans ce cadre, la chercheuse a documenté les controverses opposant des associations à d’autres acteurs, mais aussi des associations entre elles. Chaque controverse suscitait en effet des alliances qui ne ressemblaient pas aux lignes de partage habituelles des sociologues dans leur manière d’appréhender un problème. L’enjeu pour la chercheuse était de décrypter l’élaboration d’un horizon d’action commun, et de saisir les modes d’intégration et d’exclusion des différents acteurs que l’entrée dans la « modernité thérapeutique participative » était en train de produire.

Le deuxième moment correspond aux années 2000 où, suite à la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, on a assisté à une institutionnalisation de la participation des usagers au système de santé. Depuis, la participation aux instances de régulation est devenue un nouveau cadre qui s’impose et qui est porté par tous les acteurs. Dans la recherche biomédicale, les sciences sociales ont activement contribué à construire l’horizon d’une science médicale désenclavée, où le modèle du patient passif enfermé dans sa maladie a laissé la place à un modèle fondé sur la coproduction des connaissances sur la maladie. En 2003, l’Inserm a adopté l’idée de renforcer la place des associations en son sein, à travers une approche très processuelle promue par le GRAM (Groupe de réflexion sur, puis pour, puis avec les associations de malades). Ce cadre a notamment permis l’élaboration de dispositifs de formation et la mise en place de comités de relecture des protocoles d’essai.

En 2014, une étude destinée à sonder les freins et les opportunités, pour les chercheurs de l’Inserm, d’une collaboration avec les associations, avait révélé qu’une petite minorité de chercheurs étaient engagés ou prêts à s’engager dans de tels processus, tandis qu’une courte majorité se disaient pas spécialement prêts à s’engager, voire inquiets à l’idée de le faire. Ces deux grands profils étaient généralement associés à des générations différentes, des statuts dans la recherche différents, des conditions de travail différentes. Aujourd’hui, on observe à l’Inserm une procéduralisation de la participation à la recherche, avec des dispositifs incitatifs voire très prescriptifs via des appels d’offres dédiés, induisant une multiplication des recherches participatives très protocolisées. Le débat autour de ces dispositifs s’est rouvert de façon aiguë, mobilisant des arguments pour soutenir ou pour critiquer cette modernité thérapeutique participative.

Myriam Winance – CERMES3

L’histoire des modèles de recherche dans le champ du handicap commence dans les années 1970 où, dans les pays anglo-saxons, des mouvements de personnes handicapées se construisent dans la lignée d’autres mouvements (ethniques, féministes, gays) pour promouvoir un modèle « émancipatoire » de la recherche, ancré dans le partage de l’expérience d’exclusion et de discrimination que vivent au quotidien les personnes handicapées. Ce modèle, qui est à la fois théorique et méthodologique, social et politique, s’inscrit dans une critique globale des politiques de handicap dans les pays occidentaux depuis le début du 20e siècle.

À l’opposé du modèle médical du handicap, qui considère ce dernier comme le résultat d’un problème individuel, le modèle social du handicap repose sur l’idée que le handicap est la conséquence d’obstacles à la participation mis en place par la société. Le concept de « recherche émancipatoire » renvoie à deux dimensions. D’une part, l’idée que toute recherche sur le handicap doit avoir pour objectifs de combattre l’exclusion et de rendre possible l’émancipation des personnes handicapées, et donc s’inscrire dans le modèle social du handicap. D’autre part, l’idée que les personnes handicapées doivent contrôler ces recherches et décider de la manière de mener. Ce modèle social se diffuse progressivement dans l’ensemble des pays occidentaux, et inspire la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées adoptée en 2006 par l’assemblée générale de l’ONU.

Dès le début des années 2000, la loi française définit le handicap comme une restriction de participation liée à des facteurs environnementaux et individuels. La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) adopte ce modèle et promeut une recherche participative, qu’elle définit en 2018 comme « un processus de production de connaissances partagées favorisant un espace de participation sociale, mobilisant une diversité d’expertises, relevant souvent de questions sociétales. Cette recherche, fondée sur le dialogue entre chercheurs et parties prenantes, répond à une double ambition, démocratique et cognitive : faire participer des citoyens à la science et accroître la participation sociale des personnes en situation de handicap d’une part, et d’autre part faire émerger de nouveaux savoirs – nouveaux parce que produits autrement, nouveaux parce que problématisés différemment. »

Dans le champ du handicap, la participation des personnes handicapées à la recherche croise d’emblée celle, beaucoup plus générale, de leur participation à la société. Or, ce modèle social de la recherche repose sur le modèle occidental du sujet autonome. Des chercheurs critiquent cette approche qui, selon eux, exclut les personnes les plus sévèrement handicapées. Il est également reproché aux institutions qui prônent la recherche participative de ne pas s’intéresser aux conditions et dispositifs nécessaires pour rendre effective la participation des personnes handicapées. En effet, la levée des obstacles à la participation est le plus souvent envisagée sous une approche universaliste : il suffirait qu’un espace physique ou social soit accessible pour que la participation des personnes handicapées soit rendue possible. En réalité, les obstacles sont beaucoup plus variés : ils peuvent être liés à la stigmatisation subie par les personnes, à la codification des relations sociales, aux modes de communication…

Il y a donc un important travail à mener pour rendre possible la participation des personnes handicapées. Ainsi, le dispositif CapDroits a été mis en place pour leur permettre de participer à la recherche à travers la mise en place de temps de discussion, d’espaces de discussion et de modalités de communication spécifiques, et la création d’un métier de facilitateur pour chaque petit groupe de participants.

ÉCHANGES

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Question

Dans l’étude menée auprès des chercheurs à l’Inserm, quelle était cette ségrégation entre ceux qui étaient engagés et ceux qui étaient inquiets ? Et peut-on voir une évolution sur les dix dernières années ? Est-ce toujours les mêmes personnes qui sont engagées et partantes, ou est-ce que ça change

Janine Barbot

Il s’agissait d’une pré-enquête. Ce qui était assez intéressant, c’est que certains éléments étaient très contre-intuitifs. Les plus engagés étaient plutôt dans le haut de la hiérarchie, c’est-à-dire ceux qui font moins de recherche, finalement. Ils étaient ceux qui luttaient contre la tradition clinique, qui avaient construit les grands essais d’objectivité et qui, comme une nouvelle marche vers le progrès, étaient prêts à intégrer la participation des patients. À l’inverse, les plus inquiets et les plus réticents étaient plutôt du côté des chevilles ouvrières des laboratoires, qui voyaient là une nouvelle contrainte dans une temporalité de la publication extrêmement pressée, et les plus jeunes, qui en bavent pour rentrer dans les institutions de recherche actuellement. Il faudrait refaire cette étude car elle ça date de presque dix ans.

Atelier 2 – L’affirmation du tiers secteur dans les co-recherches

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• Jules Desgouttes (domaine socio-culturel) – Co-coordinateur de Artfactories/autresparts, centre de ressources et plateforme de recherche et d’action pour la transformation des rapports art/territoires/populations

• Geneviève Fontaine (domaines des communs et des transitions) – SCIC TETRIS

• Claire Manfredi (domaine de l’énergie) – Enercoop Languedoc-Roussillon

• Juliette Peres (domaine agro-alimentaire) – Responsable développement de FAB’LIM, Le Labo des territoires alimentaires méditerranéens

Animation : Evelyne Lhoste et Ale Abdo (Lisis)

Positionnement général par rapport à la question du TSR dans les co-recherches

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•    Jules Desgouttes : « Artfactories/autresparts est à la fois un centre de ressources et une plateforme de recherche et d’action, qui vise à accompagner les espaces et les projets de transformation des rapports entre art, territoire et société. Il s’est constitué depuis des pratiques d’occupation d’espaces (squats artistiques, friches culturelles, nouveaux territoires de l’art…). Ça m’a amené à explorer d’autres manières de faire mon métier de musicien, que je situe dans des transformations très parallèles à ce que l’on a pu entendre dans la table ronde précédente, à propos des transformations d’un certain nombre de métiers du savoir. »

•    Geneviève Fontaine : « Je suis co-gérante de la SCIC Tetris (Transformation écologique territoriale par la recherche et l’innovation sociale). Mon parcours d’actrice des communs, des tiers-lieux, des transformations sociétales et en particulier de la transition écologique, m’a amenée à faire une thèse en sciences économiques et sociales sur l’opérationnalisation des communs au travers de la notion de capabilité. Je suis confrontée en permanence à cette question des temporalités différentes : le temps de l’action, le temps de la réflexion, le temps de la réflexivité qui est encore différent, le temps de la production théorique, le temps de l’opérationnalisation de la production théorique pour retourner sur le terrain. Mon parcours m’a amenée à aborder cette question avec un multi-positionnement permanent et tournant. »

•    Claire Manfredi : « Enercoop est un réseau coopératif d’énergies renouvelables. En tant que chargée de la vie coopérative à Enercoop Languedoc-Roussillon, j’ai en particulier un rôle d’animation du multi-sociétariat, puisque la SCIC est composée de plusieurs collèges (collectivités, partenaires, producteurs, salariés, fondateurs). J’ai ajouté la recherche à mes missions parce que ça correspond à ma sensibilité et mon parcours. J’ai un master professionnel et de recherche, ce qui me permet de comprendre les enjeux à la fois théoriques et les opérationnels liés à l’activité de la coopérative, et de jouer parfois un rôle d’intermédiaire de recherche. Enercoop participe à des programmes de recherche européens sur le développement des communautés énergétiques, sur la flexibilité énergétique et sur les questions de précarité énergétique. Localement, je suis en lien avec le projet de recherche Esadicas qui porte sur l’acculturation à la sobriété. Dans ce cadre, on travaille sur les organisations alternatives de la citoyenneté afin d’établir un diagnostic des pratiques des collectifs citoyens visant à répondre notamment aux crises sociales et environnementales. »

•    Juliette Peres : « FAB’LIM est à l’interface entre sciences et société. L’association accompagne la co-construction de projets de recherche sur la question de la transition écologique et alimentaire. On développe une sorte de méthodologie intuitive d’exploration pour essayer de détecter les signaux faibles qui amorcent un principe de transition. Notre action comporte trois étapes : l’appui à l’émergence des projets, la captation de financements pour conduire ces projets et la capitalisation. On a créé un réseau d’interconnaissance au niveau national, et là on est en train de travailler avec des Croates, des Grecs, etc., pour essayer de monter un projet Euromed sur ces sujets. On articule donc différentes échelles et temporalités, avec toujours la même finalité : montrer que le changement est possible, en travaillant ardemment avec nos collègues de terrain et de la recherche pour montrer quelles sont les conditions du changement et les différentes formes de changement. »

Positionnement par rapport à l’intermédiation

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•    Geneviève Fontaine : « Je me sens personnellement dans une position intermédiaire parce que j’ai appris le métier de chercheur et qu’en même temps je suis dans l’action. Au sein de la coopérative, d’un côté on joue le jeu de l’institutionnalisation et de la reconnaissance par le monde académique, puisqu’on est la seule jeune entreprise universitaire en dehors de l’université. C’est la reconnaissance du fait que nous avons un programme de recherche qui produit de la connaissance fondamentale. On est dans cette interface avec des chercheurs qui sont sociétaires de la coopérative, et des chercheurs qui sont salariés de la coopérative. Ça nous a amenés à avoir des réflexions sur les rôles que le monde académique avait tendance à nous assigner, et sur nos modes de communication pour sortir de ces rôles et être reconnus comme un espace dans lequel pouvait se faire de la coproduction de connaissances. Ce n’est pas si simple. C’est pour ça que l’on couple la coopérative avec une association d’éducation populaire qui a pour but de produire des intermédiations, au pluriel. Car le problème n’est pas seulement d’acculturer les gens à la démarche de recherche, il est aussi d’accompagner les chercheurs à faire des pas de côté dans leur posture. On accompagne donc ce questionnement épistémique de fond : est-il possible de participer à la transformation sans abandonner la mise à distance vis-à-vis d’un objet, et comment, en tant que chercheur, devient-on sujet des transformations ? Il y a autant de chemin à faire de la part des chercheurs que de la part des personnes soi-disant éloignées d’une culture scientifique. Dans ces espaces, les chercheurs vont pouvoir expérimenter d’autres postures, d’autres positionnements, d’autres questionnements, et sortir de la logique du projet pour entrer dans une logique de l’inachevé permanent. »

•    Juliette Peres : « FAB’LIM a aussi été créée dans un positionnement à l’interface entre sciences et société. On a eu la chance d’obtenir un Fonjep-recherche qui nous a permis de croire que l’on avait une reconnaissance de ce positionnement un peu particulier. Ces fonds ne sont pas énormes mais ils sont importants. Nous avions besoin de pouvoir partager nos pratiques et de discuter, mais les publics agricoles n’ont pas beaucoup de temps pour s’impliquer. Les 14 000 euros du Fonjep-recherche nous ont permis de dédier du temps et de l’argent à ces fonctions support, qui nous permettent aussi d’affirmer une professionnalisation des fonctions d’interface. On a aussi la chance, via le réseau RAPPSO en Occitanie ou le Réseau ALLISS, de pouvoir rencontrer d’autres gens comme nous. On s’aperçoit que, quel que soit le secteur d’activité, ce qui compte c’est cette position d’interface. Ce qui est important aussi, c’est de pouvoir travailler avec des chercheurs passionnés, fidèles et impliqués. Ces chercheurs appartiennent à des institutions qui établissent avec nous des collaborations de projets. Je suis aussi très sollicitée pour participer à des jurys de recherche participative, par exemple, ce qui signifie que l’on trouve chez nous quelque chose d’intéressant. »

•    Jules Desgouttes : « Mon milieu est plutôt lié à la question de l’expérience esthétique. Comment sommes-nous venus à parler d’intermédiation ? En 2001, dans son rapport sur les nouvelles manières de faire espace pour transformer les rapports entre l’art et la société, Fabrice Lextrait reprenait un terme proposé par l’institution : les "lieux intermédiaires" parce que du point de vue des politiques culturelles, ces lieux sont un intermédiaire entre l’alternative et l’institution culturelle. Fabrice Lextrait va remplacer le terme de lieu intermédiaire par espace intermédiaire, inscrivant celui-ci dans un mouvement à la fois de résistance et de construction d’une porte de sortie. On est arrivé à l’intermédiation quelques années après. Par rapport au champ des sciences et techniques, l’objet est le même. La différence de ma famille par rapport à cette notion d’intermédiation, réside peut-être dans le fait que nous la travaillons depuis un rapport à l’espace. Ce ne sont pas des personnes, c’est une façon de constituer l’espace en tant qu’acteur, donc de le personnifier, de lui donner un pouvoir d’agir qui dépasse un peu celui des personnes humaines qui l’occupent. Ainsi, le processus d’auto-organisation de la friche RVI, à Lyon, relevait d’une capacité de se gouverner et de s’orienter qui échappait à l’ensemble des acteurs et qui était souvent même contraire à la volonté des uns et des autres. C’est un peu ça, agir en condition de multiplicité. »

•    Claire Manfredi : « J’ai fait des recherches sur le mot "intermédiation", et je me suis dit : O.K., c’est entre la recherche et la société civile, c’est quelque chose qui est un peu politique mais aussi conceptuel. Pour moi, le mot d’intermédiation est un moment d’introspection sur mes pratiques. Je me retrouve aussi dans le témoignage de Jules sur la question de l’esthétique. Nos sociétaires, par exemple, ont des langages différents, des codes différents, et je trouve que l’esthétique est un outil ultra-intéressant pour mettre autour de la table des gens qui n’ont pas le même langage et pour avoir quelque chose qui se rapproche de l’universalisme. Ensuite c’est aux chercheurs d’analyser ce travail-là. Finalement, l’intermédiation, c’est : comment est-ce que je communique avec des chercheurs d’autres disciplines, qui ont d’autres sensibilités et d’autres apports théoriques. Et je trouve que la place de l’art dans la science n’est pas encore suffisamment pensée, pas suffisamment mise en œuvre. Il me semble qu’il y a là des pistes à creuser. En ce moment, on est dans une phase de création d’un nouveau concept qui serait de mettre en lien l’agriculture, l’énergie et la culture au sein d’un festival co-créé, et c’est vraiment de recherche. Finalement, au sein de la coopérative, l’innovation et la recherche par l’expérimentation font partie de notre ADN. On voit si ça prend ou pas, et le retour théorique, parfois, n’a même pas le temps de se faire. Ce processus de recherche-action est hyper-rapide, même s’il y a toujours des temps où l’on réfléchit. La question des temporalités et des échelles se pose quotidiennement et revient continuellement dans ce rôle d’intermédiation que je suis en train de m’approprier. »

•    Juliette Peres : « On a beaucoup débattu sur la position des gens qui sont à l’interface entre société et acteurs de terrain. Aujourd’hui, je pense plus dans des termes de convergence des luttes, parce qu’au final, quand on travaille sur des projets dont l’ambition est de reconquérir la biodiversité ou de donner à manger demain à tout le monde tout en répartissant la valeur, ce qui nous motive, c’est la vision à long terme du changement qu’on veut impulser. »

•    Claire Manfredi : « Même si j’ai beaucoup de mal à définir ce qu’est l’intermédiation, il s’agit aussi de savoir comment se positionner soi-même dans le processus, d’entendre les demandes qui entrent pour savoir vers où aller, et d’arriver à se positionner, à se situer. Je pense que c’est ça, dans ma pratique, qui fait vraiment la différence. »

Une confiance et une ouverture qui se construisent

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•    Geneviève Fontaine : « La confiance, ça se construit. Ça me ramène à la question de la directionnalité de la recherche, de sa finalité, du pourquoi on le fait. Toi, chercheur, vas-tu suivre l’intention réciprocitaire que nous, acteurs de terrain, mettons dans la participation à cette recherche ? Vas-tu accepter de sortir de la logique de projet dans laquelle on refuse d’entrer, ou vas-tu nous y ramener ? Dans ce cas, la confiance ne peut pas se construire, parce que tu viens réaffirmer un imaginaire que l’on cherche à déconstruire. »

•    Marc Barbier : « Il ne faut pas oublier que si ces recherches peuvent exister et obtenir un certain succès institutionnel, c’est précisément parce qu’il y a des chercheurs qui sont prêts à s’exposer à cette critique, mais aussi à des critiques dans leurs propres institutions. Ces chercheurs sont en train de fabriquer une forme d’intermédiation, d’essayer de construire une profession, pourtant ils ne sont pas payés pour ça. Ce n’est évidemment pas pour rentrer dans un affrontement, c’est plutôt pour essayer de se dire : prenons en compte les questions d’inégalités dans le financement des activités qui seraient amenées à s’appeler intermédiation et, au-delà, ce qu’elles provoquent et les conditions qu’elles requièrent pour exister. »

•    Geneviève Fontaine : « Je parle depuis un espace dans lequel je vis moi-même un multi-positionnement permanent. Le chercheur, c’est moi à certains moments de la journée, de la semaine ou de l’année, et l’acteur, c’est moi à d’autres moments. C’est donc une critique que je me fais à moi-même, dans la manière dont le monde académique m’a appris cette profession de chercheur. Ces espaces dont nous parle Jules, qui permettent de bousculer, de changer nos rapports à la valeur, nos rapports au savoir, c’est exactement ce qu’on essaye de créer chez Tetris. Des espaces qui sont à la fois des lieux, des temps, qui permettent d’expérimenter ce multi-positionnement, c’est-à-dire de pouvoir se mettre à la place de l’autre pour encastrer l’expérience de l’autre dans sa propre expérience. Donc je suis complètement dans ces tensions permanentes. On essaye de construire des moments, des lieux qui permettent d’accueillir des résidences de recherche, pour offrir aux chercheurs des cadres d’expérimentation différents et leur donner la possibilité de sortir de la logique de projet. Ce sont des espaces d’intermédiation. »

•    Une participante : « Dans mes expériences de recherche collaborative, ce sont plutôt les acteurs associatifs qui nous ramènent à une logique par projet, ne serait-ce que parce qu’ils ont un modèle économique très précaire qui fait que les salaires sont en partie payés sur les projets. En tant que chercheurs fonctionnaires, en sciences sociales en particulier, on a besoin de très peu d’argent. Ça nous permet de tisser des partenariats au long cours sans dépendre de commandes ou de la façon dont les appels sont formulés. »

•    Jules Desgouttes : « Ces espaces ouverts peuvent être l’objet de prédations qui ne sont pas a priori vertueuses. C’est une vraie problématique dans les friches culturelles. On a donné naissance à un monstre qui s’appelle l’"urbanisme transitoire". J’ai des réserves avec le terme "culturel", parce qu’il est très approprié depuis ce genre de lieux qui ont fait de la culture un objet de marketing territorial, qui n’ont plus aucun intérêt sur le plan artistique et encore moins sur le plan de la transformation sociale, et qui en plus font semblant, c’est-à-dire qu’ils mentent en permanence à propos de ce qu’ils font. Ça ne trompe pas grand monde, mais là où ça fait du mal, comme tous les mensonges, ce n’est pas le fait que les gens y croient, c’est le fait que les gens, après, ne croient plus rien. »

•    Juliette Peres : « On ne peut pas réduire le chercheur à un fonctionnaire à 35 heures, ça ne serait pas la réalité de nos collaborations. En général, les chercheurs que l’on amène dans des recherches participatives sont à la base des chercheurs engagés qui ont parfois de grosses difficultés dans leur propre institution. Il faut aussi être critique par rapport à notre propre façon de fonctionner avec les acteurs de nos projets – quand par exemple je vais travailler avec des agriculteurs qui sont sur des modes de production très alternatifs, qui sont à 70 heures et qui gagnent un smic, alors que j’ai un salaire, même si je suis allée le chercher à coups de projets européens. Autre exemple : on s’est adossé aux semences paysannes pour essayer de monter un collectif autour de la collecte de données en open data, mais on a très vite été confrontés à cette question, qui me ramène à la confiance : pourquoi un militant contribuerait, si demain sa donnée peut être récupérée par des gens qui n’ont pas les mêmes valeurs ? »

•    Claire Manfredi : « Au-delà de la confiance entre les différents acteurs, il y a aussi la question de la confiance en soi. »

De l’expérience aux savoirs

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•    Jules Desgouttes : « D’un point de vue matérialiste, il est assez difficile de concevoir solidement un savoir qui ne serait pas situé. On revient à une question épistémologique – cette obligation de se situer qui nous est faite depuis la prise de conscience d’appartenir à des mondes éventuellement différents, et de ne pas échapper à sa détermination géographique et historique. Pour moi, c’est depuis là que l’on peut comprendre cette définition du travail de production, de construction du savoir. Et l’obligation de faire avec ces enjeux d’intermédiation est très liée à ça, car si on est situé, une bonne partie de nos efforts doit porter sur la compréhension de la situation, et donc de mes relations avec ce qui m’entoure et de la façon dont cela me détermine à savoir ce que je sais. »

•    Claire Manfredi : « Sur la question de la formalisation du retour de savoirs, un livre m’a beaucoup inspirée : « Micropolitique des groupes – Pour une écologie des pratiques collectives », de David Vercauteren, un militant belge du Collectif sans ticket, qui trouvait que peu de savoirs se matérialisaient au sein des mouvements alternatifs. Il a donc eu l’idée de réaliser un retour d’expériences à partir de choses qui auraient pu lui poser problème et qui ont finalement été des leviers. Son ouvrage propose plusieurs parcours en fonction des problématiques que l’on rencontre. Il y a donc déjà des choses qui sont à l’œuvre, en termes à la fois de conceptualisation et d’utilité pratique. »

•    Jules Desgouttes : « La donnée, c’est une production de savoir extractiviste. Ça n’existe pas autrement qu’à travers ce processus de purification qui passe par plusieurs étapes. Cette conception extractiviste suppose un partage entre le contenu et le contenant qui, du point de vue de toutes les productions de savoirs – en linguistique, en sociologie, en anthropologie – est un artifice, mais un artifice qui a des effets économiques puissants, et qui a complètement reconfiguré nos métiers de production de savoirs depuis les techniques informatiques et l’économie qui lui est a adossée. »

•    Juliette Peres : « Les enjeux de la donnée sont très importants, et ce n’est pas évident parce que ce n’est pas qu’une question informatique, c’est aussi se demander comment créer une communauté d’adhésion à un projet collectif qui a du sens, qui va faire que je vais y passer du temps et que je vais profiter des retours d’expérience. Tout ça pour dire que l’on est en questionnement permanent sur nos pratiques, et que si l’on a des intuitions, des convictions, il ne faut pas oublier aussi de se demander pourquoi on l’a fait, si on l’a bien fait, si on aurait pu faire autrement… L’analyse de la pratique est au cœur de mon métier, tel que je le vis. »

•    Geneviève Fontaine : « Les données sont-elles des communs ? Est-ce que je peux participer à la gouvernance des serveurs sur lesquels sont stockées les données ? »

•    Juliette Peres : « Doit-on conditionner l’accès à ces données au fait de respecter des engagements stricts ? Et si oui, comment ? On n’a pas encore trouvé la réponse. Cela peut amener à de l’entre soi, or il n’y a peut-être pas de meilleur moyen de prouver l’utilité de ce qu’on fait qu’en étant récupéré – tant que cette récupération se fait à bon escient. »

Les écueils et inégalités liés aux financements

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•    Juliette Peres : « Je vois émerger des financements publics-privés qui s’intéressent aux questions de recherche participative et qui, avec la meilleure volonté du monde, créent des rapports de domination bizarres. On nous dit : la recherche participative, c’est ça, c’est comme ça que tu que tu dois conduire ton projet, etc. La bonne volonté ne doit pas se transformer en cadre descendant. Le financement doit être le reflet des multiples formes de la recherche participative, et non pas la répétition d’un dispositif qui nous amène non seulement dans un mode projet, mais dans un mode de projet très aliénant. »

•    Geneviève Fontaine : « Quand un chercheur me dit "viens participer, citoyenne engagée", alors qu’il est sûr d’avoir sa paye à la fin du mois et pas moi, c’est une inégalité de base. Militons pour le fait que participer à des programmes de recherche ou à des dynamiques citoyennes sur des territoires fasse partie du droit inconditionnel à la formation tout au long de la vie. Sinon on parle d’injonction, dans un rapport totalement inégalitaire entre un chercheur dont c’est la profession, et quelqu’un qui ressent tout le temps cette injonction à participer en tant que citoyen engagé. »

•    Juliette Peres : « Dans le cadre du projet Filières en commun, autour de la création de communs pour accompagner la territorialisation de filières alimentaires, j’ai accompagné la mise en place d’une communauté de contribution sur les enjeux de la logistique des circuits courts et de proximité. On a essayé de partir du terrain pour voir quelles étaient les connaissances empiriques qui existaient. Pour faire ce travail, on a commencé par créer un site internet participatif, puis l’on a organisé des webinaires, des entretiens etc., pour contourner la barrière de l’écriture. Mais on s’est confronté au fait que si la contribution des professionnels leur permettait de bénéficier en retour de celles des autres, et que ça nourrissait éventuellement leur business model, en attendant ils n’étaient pas payés, pendant que nous touchions notre salaire. Et l’on avait fait le choix, au démarrage du projet, de financer des structures de développement local qui se sont révélées complètement en décalage, alors que de l’autre côté on avait des acteurs au RSA auxquels on disait qu’on n’avait plus de budget. Ça questionne nos pratiques et c’est important à prendre en compte. »

Atelier 3 – Les agents intermédiaires dans les transitions environnementales et sociales

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Intervenant-e-s :

• Christophe Besson-Léaud – Alliance sens et économie, communauté des (co)producteurs d’une économie responsable et de territoires résilients

• Isabelle Richard – Bureau de recherche en psychologie environnementale

• Ewa Zlotek-Zlotkiewicz – KLASK, docteurs au service de l’innovation sociale »

Animation : Hajar El Karmouni – Institut de Recherche en Gestion, Université Gustave Eiffel

Pourquoi et comment sont nés les projets ?

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•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « Sur Nantes, il y a 800 docteurs et doctrices chez Pôle Emploi. Il n’y a pas vraiment d’emplois pour nous. Il nous revient d’être forces de proposition. Je représente un collectif qui réunit des docteurs et doctrices de toutes disciplines scientifiques, qui a été formé par la recherche et pas forcément pour la recherche parce qu’on ne se retrouve pas dans les carrières qui nous sont proposées au sein du monde académique. On travaille l’insertion professionnelle des docteurs, parce qu’on estime que la société a payé pour leur formation et qu’elle devrait pouvoir récupérer les compétences pour lesquelles elle a payé. Il y a vraiment une réalité professionnelle à créer pour ces personnes-là, et pour les associations et les entreprises du territoire. On a fait le pari de développer un réseau local, "Docteurs au service de l’innovation sociale". On essaye de mettre en place des démarches de recherche-action où l’on valorise nos compétences. J’ai un doctorat en biophysique cellulaire et je me retrouve à vouloir travailler dans des associations où mes connaissances et mon expertise n’intéressent pas grand monde, mais où je vais pousser le fait que j’ai des compétences transverses qui sont intéressantes. »

•    Isabelle Richard : « J’ai fait une thèse en psychologie sociale, avec cette idée de comprendre les facteurs qui incitent aux changements de comportements environnementaux. Après ma thèse, je n’avais pas tellement envie de rejoindre le monde académique. J’avais déjà en tête l’idée de créer ma propre structure, mais j’ai d’abord fait quelques post-doc pour me faire du réseau. En tant que psychologue environnementale, on est transactionnel, on ne peut pas travailler tout seul. J’ai travaillé sur des projets de recherche très académiques, mais toujours dans des labos très transdisciplinaires. J’avais un directeur de labo qui était génial, mais qui me disait que ce n’était pas notre rôle de penser à l’après, à l’utilité de ce qu’on fait. Ça m’a gênée parce que pour moi, un chercheur est quelqu’un qui est profondément ancré dans la société et qui se remet en question en permanence. J’ai créé Environnons, un bureau de recherche en psychologie environnementale qui travaille à l’interface entre l’opérationnel et la recherche, par besoin d’avoir une utilité sociale plus forte que ce que j’avais pu faire jusqu’alors. Après avoir sondé l’ensemble des acteurs, j’ai construit mon offre. »

•    Christophe Besson-Léaud : « La SCIC Alliance sens & économie est née du constat que l’on a fait, avec des élus, des acteurs de l’entreprise, de la recherche et beaucoup d’acteurs économiques petits et indépendants, que pour aller vers des modèles plus vertueux qui créent de la valeur économique sociale et environnementale, on fait face à un vrai obstacle qui est le passage à l’échelle. Cela ne se fera pas sans un certain nombre de communs économiques. On s’est créé en SCIC car on a très vite considéré que notre activité en tant que telle devait être un commun, qu’elle n’avait pas un but lucratif mais qu’elle était là pour permettre d’accélérer la co-construction d’activités économiques qui contribuent à cette mission, et pour être dans un process de co-construction permanent dans notre propre développement d’activités. »

Quelles sont les actions mises en œuvre ?

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•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « On organise des ateliers, des rencontres, des apéros, des moments de convivialité, pour que les docteurs et doctrices se retrouvent entre eux. Mais l’une de nos grosses actions, ce sont des "expé" où l’on propose de réunir des docteurs et doctrices, peu importe leur discipline, pendant trois semaines. La moitié du temps est dédiée à leur recherche d’emploi, avec quelques ateliers spécifiques, et l’autre moitié est consacrée à un travail bénévole pour une association avec laquelle on a co-construit la thématique. On voit d’abord avec l’association sur quoi les docteurs et doctrices pourraient travailler, en sachant qu’ils ne sont pas experts de la thématique, puis on valide ce choix avec eux parce qu’ils vont bosser gratuitement et qu’il faut que ça les intéresse. Il y a toujours un truc différent qui en sort, mais tout le monde est prévenu. »

•    Isabelle Richard : « J’ai voulu monter un projet de recherche inclusive, qui intègre dès le départ des chercheurs de différentes disciplines et des collectivités territoriales. J’ai proposé à la ville de Montpellier un projet test autour de la biodiversité, Econnaissance. Il s’agit de désimperméabiliser une zone urbaine dense en tant que solution d’adaptation fondée sur la nature. On a commencé par réfléchir ensemble à la zone à désimperméabiliser et désartificialiser et aux continuités écologiques à créer. Ensuite, on a fait un diagnostic psychosocial, en interrogeant les habitants dans la rue et en organisant des focus groups avec les enfants, pour avoir leurs représentations de la nature. À partir de ces représentations, on a identifié des besoins de nature, puis on a travaillé avec des experts du CEFE [Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive] pour transformer ces données en scénario écosystémique, c’est-à-dire choisir une palette végétale qui réponde aux besoins à la fois des habitants, des pollinisateurs, etc. Enfin, on a travaillé avec une paysagiste pour réaliser une esquisse, puis les différents services municipaux concernés ont validé le projet. On vient juste de terminer des ateliers de co-construction avec les adultes et les enfants, et on va lancer les travaux de désartificialisation. »

•    Christophe Besson-Léaud : « À côté de Reims, dans le cadre d’un processus de construction qui a duré quatre ans, on a incubé la conception d’un projet qui a abouti à un modèle de coopérative foncière sous forme de SCIC. L’objectif est de co-construire le territoire de demain, que l’on qualifie à la fois de décarboné, d’intelligent, de productif, d’inclusif et de durable. Cette coopérative foncière, Microville 112, est aujourd’hui propriétaire d’un terrain situé sur l’ancienne base aérienne 112 où vivaient 3 500 militaires. C’est une petite ville, et sur cette petite ville, on applique cette démarche de construction. C’est-à-dire qu’à l’inverse d’un opérateur immobilier classique, on a adopté une démarche de co-recherche de solutions pour l’éco-rénovation du site. On va travailler avec l’ensemble des acteurs sur les infrastructures d’énergie, avec un objectif d’autonomie énergétique à l’échelle du site, et sur l’éco-rénovation des 40 bâtiments, avec des porteurs de projets auxquels on va imposer la charte Microville Durable. Il s’agit de permettre aux acteurs de faire ensemble et d’être force de proposition plutôt que de les enfermer dans un label dont les règles brideraient la créativité. On a fini l’étape de préparation, on rentre maintenant dans la phase de production où on lance des programmes de recherche-action pour lesquels on appelle l’ensemble des chercheurs à nous rejoindre pour faire des démonstrations sur l’énergie, sur l’eau, sur l’éco-rénovation, et sur la manière dont on peut construire en impliquant l’ensemble des acteurs, y compris les habitants. On va avoir besoin des uns et des autres en termes de recherche pour pouvoir tirer les enseignements de chacun. »

Quels sont les positionnements et principes de ces projets ?

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•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « On n’a pas un projet très défini, très clair. On est en mouvement et on s’observe en étant en mouvement. C’est en voyant nos compétences par rapport aux compétences de personnes d’autres milieux socio-professionnels, qu’on se rend compte qu’elles sont chouettes et qu’on prend conscience que dans notre milieu académique, elles étaient complètement normalisées : ça nous paraît banal de poser une question bien structurée, mais ce n’est pas si évident pour d’autres professionnels qui par ailleurs sont experts et tout à fait intéressants. »

•    Isabelle Richard : « L’idée derrière ça, en tant que psychologue, c’était de me dire : faire ce projet c’est bien, mais s’il n’est pas approprié, il se dégrade vite. Il y a donc une nécessité de le faire s’approprier par les parties prenantes – les enfants, les enseignants et les habitants. Il faut leur demander : qu’est-ce que vous en faites dans vos métiers, dans vos fonctions, en tant qu’habitants, en tant que professionnels ? Comment est-ce qu’on peut le faire vivre ? »

•    Christophe Besson-Léaud : « La co-construction implique de faire travailler ensemble des acteurs qui viennent d’horizons différents : les acteurs économiques à but lucratif, les collectivités locales, les acteurs publics, les acteurs associatif et de l’économie sociale et solidaire, des acteurs de l’innovation, de la recherche de la formation, avec au centre les habitants, et tout ça au milieu d’un écosystème naturel »

•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « On s’efforce de dire qu’il y a des docteurs sur le territoire et que ça serait intéressant de les faire bosser sur des projets là où ils habitent. »

•    Christophe Besson-Léaud : « La manière dont on a mis en pratique l’Alliance, c’est de travailler sur ce qui nous a semblé être des domaines transversaux : l’immobilier parce que les lieux incarnent la manière dont on voit la société de demain, la finance parce qu’il faut financer les activités qui contribuent au passage à l’échelle, le numérique parce que c’est un outil qui peut rendre possible des choses extraordinaires, et la formation parce qu’on a besoin de former les gens à des compétences qui aujourd’hui sont mal diffusées. »

•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « On a un intérêt pour la transdisciplinarité. Là où ça frotte, c’est là où on apprend le plus sur nous, sur ce qu’on peut apporter aux autres et sur ce que les autres nous apportent. »

•    Christophe Besson-Léaud : « On n’est pas des chercheurs. On assume le fait d’être des acteurs économiques qui ont choisi ce mode de fonctionnement, avec la recherche. »

•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « On participe à des réseaux nationaux pour s’outiller parce qu’on n’a pas tous fait une thèse sur la recherche participative. »

Quels freins ont été rencontrés ?

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Freins structurels :

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•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « Quand on s’est présentés aux acteurs et actrices de l’économie solidaire, on nous a regardés comme des ovnis. On s’est un peu pris dans la face la méconnaissance de nos métiers et de nos compétences. On s’est aussi rendu compte à quel point on était isolés, et qu’on avait une situation professionnelle qui était vraiment compliquée, et que c’était pas forcément évident d’avoir des projections. »

•    Isabelle Richard : « Le temps nous fait défaut. Du coup, trouver du temps pour réfléchir ensemble sur l’ancrage de la recherche dans l’action publique fait aussi partie de la posture du chercheur. »

•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « D’une certaine manière, on est dans l’insécurité. Être adaptable flexible, faire avec ce qui vient, c’est intéressant et je pense que c’est comme ça que ça se passe dans le monde, mais ce n’est pas très sécurisant. Ça demande de l’énergie pour se maintenir à flot mais on ne peut pas vraiment faire autrement quand on n’a pas de modèle défini à l’avance. »

Freins institutionnels :

•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « La SCIC, c’était trop lourd à monter, et sans soutien fort et engagé des partenaires dès le départ, ça nous paraissait difficile à faire. On a aussi pensé à un moment donné créer une coopérative d’activité et d’emploi autour de ces questions, mais soit il faut avoir des personnes qui ont déjà l’expertise sur la façon de créer une structure pareille et qui peuvent la partager, soit il faut se former et avoir trois ou quatre personnes qui pourraient consacrer un plein temps pendant un ou deux ans. »

•    Isabelle Richard : « Il y a une réalité qui est la difficulté des agents territoriaux à s’intégrer dans les procédures de recherche. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas envie, c’est qu’ils ont la tête sous l’eau. Je leur parle de systèmes de financement pour les alléger sur ces procédures, pour construire la recherche, et à chaque fois ils me disent : j’aimerais construire des projets mais je n’ai pas le temps. Et ce manque de temps, cette urgence permanente, ça entraîne un découragement des agents. Il faut apprendre à gérer ça et à redonner de la motivation à des agents qui sont compressés entre un élu qui a une vision et une réalité de terrain qui est compliquée. »

•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « Au départ, on devait être une association de préfiguration pour très vite proposer des prestations à l’ensemble des acteurs de l’ESS sur le territoire, mais il y a un gap culturel par rapport à nos parcours de chercheurs et chercheuses. Et les collectivités territoriales ne voyaient pas trop de quoi on parle. »

•    Christophe Besson-Léaud : « Très vite, on s’est rendu compte que pour construire ce projet de long terme, on avait l’obstacle des élections municipales, tous les six ans. Et la règle que nous constatons dans tous les territoires, c’est que dès lors qu’il y a un changement d’équipe, la nouvelle équipe ne peut pas continuer les projets de l’ancienne équipe. On l’a constaté sur la quasi-totalité de nos initiatives. »

Freins financiers :

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•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « On a des actions relativement simples parce qu’on n’a quasiment pas de budget. L’asso a trois ans et on a un peu de mal à serrer les bonnes pinces, donc on fait avec ce qu’on a. J’ai passé presque trois ans de bénévolat à plein temps pour monter le projet et je suis Fonjep-recherche depuis janvier dernier. C’est compliqué pour un projet comme le nôtre de trouver des subventions. La mairie de Nantes nous aide de manière ponctuelle et assez anecdotique. Et monter un consortium pour réussir à répondre à des appels à projet est un effort qu’on ne peut pas déployer, donc on se dépatouille comme on peut. C’est de la recherche-action très frugale. »

•    Isabelle Richard : « La principale difficulté, c’est le financement car c’est entièrement la collectivité qui finance. On a cherché des cofinancements auprès de l’OFB, de l’Ademe, de l’ANR… Mais pour l’Ademe, on est trop opérationnel, et pour l’ANR, on est trop financeur de ville. Le problème des financements européens Horizon 2020, c’est le portage. Je ne peux pas gérer une enveloppe financière aussi grosse. Quant aux labos de recherche avec lesquels je travaille, ce n’est pas qu’ils ne veulent pas travailler sur le projet, c’est qu’ils ont déjà un, deux ou trois projets européens et qu’ils ne peuvent pas s’engager plus que ça.

•    Christophe Besson-Léaud : « Les financements européens, c’est lourd. On est dans une démarche de recherche mutualisée, donc on teste des choses, on voit ce qui marche, et si ça marche on se dit : pourquoi ne pas le faire à plus grande échelle et y dédier des équipes avec un modèle qui peut être financé par l’économie, par les filières. Les programmes de recherche-action, notre démarche va être de les faire financer par sponsoring des acteurs de ces filières. »

•    Isabelle Richard : « On est en train de créer un plus gros projet de recherche sur ces continuités de micro-projets de renaturation et leur capacité de retrouver les mêmes critères écosystémiques qu’un grand projet d’infrastructure verte urbaine. C’est très compliqué de financer un tel projet, parce qu’il y a un balancement entre des financements fichés académiques, même s’ils s’ouvrent vers la participation, et la collectivité – qui aujourd’hui est partie prenante et n’est pas juste un terrain de jeu pour des chercheurs. Les financements pour ce type de recherche n’existent pas ou pas beaucoup. »

Solutions imaginées et avancées observées

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•    Christophe Besson-Léaud : « On est tombés sur un petit village de 1 200 habitants, Courcy, qui fait de la démocratie participative mais qui n’a aucune capacité financière. On s’est donc retrouvés dans une situation où l’on ne pouvait compter que sur l’engagement des acteurs socio-économiques. La solution qu’on a trouvée pour financer cette intervention, c’était de l’adosser à une activité immobilière. La vocation de la foncière Microville 112 est de générer, grâce à l’exploitation de ces 55 000 m2, un chiffre d’affaires qui va par exemple permettre de faciliter l’intervention des acteurs dans la co-recherche. Le montage juridique a été une innovation en tant que telle. Le projet a été co-construit avec l’Armée et la Direction générale des finances, pour valider le fait que l’on puisse, à travers la foncière, sécuriser et mettre dans une structure de droit privé un bien qui appartient à un acteur public, sans frais d’enregistrement de transactions. Il y a sur tous les volets, y compris ce volet juridique, un vrai travail de co-construction. La SCIC est un très bel outil pour être capable de capter la crédibilité, la puissance financière d’acteurs économiques de premier poids sans perdre de pouvoir. On a trouvé une manière de permettre à n’importe quelle collectivité de faire porter un projet collectif par une structure de droit privé sans aucune démarche administrative et sans aucun frais. »

•    Isabelle Richard : « Tout au long du projet, qui a duré à peu près deux ans, j’ai constaté que dans la recherche participative, si l’on ne travaille pas avec des gens qui font un pas de côté, ça ne fonctionne pas. On a parfois été obligés de détourner certaines réglementations. C’est aussi riche parce que finalement, c’est dans l’expérimentation sur le terrain qu’on est venu se poser des questions. On est partis avec une idée de projet, puis au fur et à mesure, en discutant avec la mairie, les différents services, etc., on a reformulé notre question et notre procédure systématiquement. Ça nous a vraiment amenés à nous poser des questions de terrain. »

•    Ewa Zlotek-Zlotkiewicz : « Ça fait du soutien mutuel. Ça fait du bien aux docteurs et doctrices qui participent, parce qu’ils mettent leurs compétences au service d’un projet qui est très intéressant et qu’ils voient à quoi ils peuvent servir. Quant aux associations, ça les légitime en tant qu’expertes, elles se rendent compte à quel point elles détiennent des connaissances importantes, et en même temps ça leur donne des idées sur ce que le fait d’aller chercher un peu plus loin, de creuser les thématiques, pourrait leur apporter. On est vraiment égaux. Ça crée des liens très diversifiés et ça permet de tisser un réseau d’une manière super intéressante. On peut se rencontrer de manière très amicale mais quand même réflexive et créative, et ça peut donner envie d’aller plus loin, de construire des projets de recherche ensemble. »

GRAND TÉMOIN

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Rachid Cherfaoui – Président de l’Institut Godin

Je vais témoigner comment, sur un chemin de plus de 30 ans, j’ai rencontré la recherche et comment c’est devenu une ressource indispensable pour développer ce que l’on a fait.

De l’insertion à l’économie sociale et solidaire et à la recherche

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Je crée une première entreprise d’insertion en 1989, puis une deuxième en 1992. Autour des années 2000, la loi met de la clarté dans l’insertion par l’activité économique et institutionnalise cette démarche, mais lui enlève peut-être son caractère innovant. À cette époque, on a environ 120 salariés et on se demande comment faire perdurer ce qu’on a initié sur ce territoire et le développer.

Le premier changement de paradigme arrive quand on demande aux collectivités publiques du territoire de construire avec nous un outil qui porte cette dimension d’insertion. On crée une Maison de l’économie solidaire en 2004, sous la forme d’une SCIC avec cinq collèges : les usagers, les salariés, les entreprises de l’économie classique, les collectivités publiques, les militants de l’économie solidaire. À ce moment-là, on se dit qu’on va mettre tout le monde autour de la table et créer de l’activité économique grâce à de nouvelles entreprises accessibles à des publics prioritaires.

Cette SCIC est la première du Nord de la France, et le parti des Verts ainsi qu’une association demandent à rentrer dans le collège des militants de l’économie solidaire. On s’interroge, et on se dit qu’il faut qu’on partage deux-trois choses sur le plan conceptuel. On se demande comment faire. Je frappe à la porte de l’Université de Picardie, où l’on me dit qu’on ne doit pas faire de l’économie sociale mais qu’il faut qu’on fasse comme ci, comme ça.

On est encore plus paumés, alors on se dit qu’on va se réunir avec une dizaine de chefs d’entreprise qui ont envie d’agir, et qu’on va essayer de faire venir deux-trois chercheurs que l’on a identifiés à la fac. On leur propose de travailler sur la question de la pratique solidaire dans l’économie : ça répond peut-être à une partie des besoins de concepts et de méthodes dont on a besoin pour agir, et ça laisse aussi une place aux chercheurs.

Pour porter ça, on se dit qu’il faut créer un institut de recherche qui se mette au service de notre propre recherche. C’est comme ça que naît l’institut Godin, qui est à la fois « dedans » et « dehors » – ce qui est en résonance avec la question de l’institutionnalisation. Mais on ne veut pas être intermédiaire : on veut encastrer ces connaissances à ce que l’on fait au quotidien.

Premiers pas dans la recherche

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À partir de ce moment-là, on met au clair beaucoup de choses, notamment cette question du rapport entre citoyens et experts. Chez nous, il n’y a pas véritablement d’experts, ou alors des experts citoyens : par rapport à un problème donné, il y a probablement de l’expertise dans chacun. Mais il faut pouvoir l’adresser de la bonne manière pour pouvoir sortir l’objet que l’on souhaite sortir.

Au lancement du projet, on organise un atelier pour expliquer ce qu’est qu’une pratique solidaire de l’économie. On invite tout le monde pour parler de concepts de recherche à des gens qui en sont a priori très éloignés. C’est au mois de novembre, il fait froid, mais 150 personnes sont là pour réfléchir à ce qu’est une pratique solidaire.

L’institut Godin n’est pas une institution de recherche en tant que telle, mais il y a aujourd’hui cinq ou six chercheurs, qui sont en même temps affiliés à un laboratoire recherche. Nous leur disons : on a besoin de travailler les questions des pratiques solidaires dans l’économie, de l’innovation sociale, des communs, du développement durable, des mécaniques de coopération, et peut-être que toi, labo, tu peux venir travailler dessus ponctuellement à travers une ressource qu’on participe à payer.

Vous voyez comment, sans la recherche, nous n’aurions pas pu avancer. En conséquence, on s’est dit qu’il fallait pouvoir payer durablement cette chose-là dans notre espace collectif. C’est pour ça que tous les ans, sur l’argent produit par la Maison de l’économie solidaire et la douzaine de structures qui sont affiliées, entre 80 et 100 000 euros sont redistribués dans une recherche dont je ne peux pas vous dire aujourd’hui ce qu’elle sera dans un an.

On s’inscrit dans le périmètre de la Maison de l’économie solidaire pour porter des expérimentations qui tendent à atteindre le souhaitable. C’est aussi pour ça qu’on a repris la méthode assez classique de la R&D. D’abord on a une aspiration, on conceptualise ce qu’on cherche à voir et comment on peut le faire. Ensuite, on voit ce que cet idéal nous pose comme problème, et comment arriver à lever les freins. Et la recherche est au cœur de cette histoire : dans l’explicitation du concept, dans sa volonté d’aller vérifier le réel, dans sa capacité de récurrence, sur sa possibilité de méthode, et sur l’auto-réflexion sur elle-même, d’une certaine manière.

Les pôles territoriaux de coopération économique, une opportunité pour la recherche

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En 2010, on réfléchit au coup d’après et on s’aperçoit que les pôles territoriaux de coopération économique ressemblent beaucoup à ce qu’on fait. Ces nouveaux objets de développement économique endogène ont une collusion d’intérêts avec les communautés de communes, puisqu’avec la loi NOTRe ils se retrouvent détenteurs de la responsabilité du développement économique. Ils ont donc un intérêt à trouver avec nous des espaces pour expérimenter les nouveaux développements économiques endogènes à venir.

Comme les choses semblent aller en convergeant, on se dit qu’il faut peut-être en faire la promotion. En 2014, on lance un appel à manifestation d’intérêt auquel répondent 160 territoires organisés, comme nous, en mode expérimentation avec des parties prenantes différentes. On est une quinzaine à se rencontrer, on apprend à se connaître et presque tous évoquent la question de la recherche. Dans la loi ESS de 2014, on obtient que la recherche soit un élément du PTCE, mais aucun financement n’est prévu. En août 2015, on lance un deuxième appel à manifestation d’intérêt, et 140 territoires répondent. On est 16 au moins à faire un peu la même chose, et tous disent : je fais un truc nouveau, comment est-ce que je peux aller chercher la recherche, etc.

Ma surprise, c’est qu’entre entre 2015 et 2021 il ne se passe plus rien dans les lignes de la R&D, de la recherche, du ministère… On va à l’Assemblée nationale en amont de la loi de programmation de la recherche, on a l’impression que tout le monde est séduit, et quand sort la loi, il n’y a rien. La question, c’est : si c’est utile et si c’est une tendance sociétale, comment le faire financer ? On se dit qu’il n’y a qu’une solution : produire des capitaux propres. La Maison de l’économie solidaire fait des excédents d’exploitation et on décide ensemble ce qu’on en fait à l’échéance de six ou huit mois. On cherche aussi à co-construire des politiques publiques qui nous donnent des moyens, de la souplesse pour incuber des projets sans qu’on nous dise à l’avance ce que nous devons faire.

Les acteurs qui nous rejoignent au capital de la Maison de l’économie solidaire, viennent pour notre capacité de recherche-expérimentation-innovation. Le département du Pas-de-Calais a pris la décision d’entrer au capital de chaque SCIC travaillant avec des parties prenantes différentes, dont des collectivités publiques, et de leur faire confiance dans la façon dont elles mobilisent leurs capitaux propres. La Région Hauts-de-France est aussi en train de réfléchir dans ce sens.

Je pense que l’on n’a jamais été aussi près de faire converger quelque chose, et que l’on a presque des éléments de preuve systémiques qu’un autre développement économique est possible, porté par les citoyens, sur leur territoire, de manière endogène. On y est presque, mais hormis la convergence un peu rare de personnes qui arrivent à comprendre qu’il faut être au cœur de l’économie pour la remettre au service des besoins de la société, et qu’il faut être aussi au cœur de la science et de l’institution de la recherche pour la remettre au cœur des besoins de ces micro-projets territoriaux, il n’y a rien au plan institutionnel qui le rend possible.

CLÔTURE

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Allison Loconto – INRAE – Directrice adjointe du LISIS

Je vois trois concepts entremêlés, à la base de ce dont nous avons discuté aujourd’hui.

• Nous avons eu des réflexions autour de ce concept de l’intermédiation, des acteurs qui font de l’intermédiation mais aussi des processus d’intermédiation, c’est-à-dire la médiation entre différents acteurs, différents écosystèmes, différentes matérialités autour de la question des connaissances qu’il faut mobiliser pour pouvoir résoudre des problèmes.

• Nous avons aussi parlé de la question très matérielle des infrastructures de recherche, c’est-à-dire les moyens financiers et les espaces physiques pour pouvoir se rencontrer, ainsi que la question réglementaire qui nous permet de pouvoir collaborer et travailler.

• Enfin, il a été question de la valeur et des valeurs, et pas uniquement de la production de valeur économique, mais de différents types de valeurs qui doivent être inter-reliés pour pouvoir engager les personnes dans un même projet, dans une même démarche vers une approche innovante.

Ces différents éléments reflètent ce que nous pouvons comprendre des besoins et des activités d’intermédiation dans l’actualité d’aujourd’hui, surtout dans les tiers-lieux et dans le cadre des co-recherches, qui étaient vraiment les autres sujets de la journée.

À partir de ces trois mots, je veux souligner un certain nombre de réflexions autour notamment de ce « co » qui a beaucoup été utilisé aujourd’hui : co-recherche, co-création, co-construction, coopérative, coproduction, etc. Cela veut dire, et c’était très évident dans toutes les discussions, que nous ne sommes pas dans des démarches individualistes mais que nous agissons ensemble, en partenariat et dans des conditions de multiplicité. Cela me ramène au concept d’intermédiation et sur le fait qu’à la base, nous sommes dans des ontologies relationnelles, c’est-à-dire que l’on comprend que les sociétés sont créées en interaction. C’est pour cela que c’est parfois éphémère. En revanche, on est toujours situé. Et lors des situations, on a la possibilité d’échec comme de réussite. Comme je suis optimiste, je propose de travailler un peu plus sur cette question de comment réussir, même si les échecs sont aussi importants dans l’apprentissage.

Nous avons beaucoup parlé des expérimentations, ce qui, en lien avec la présentation de Matthias Weber sur les futurs, me fait poser la question : est-ce que nous sommes toujours dans une phase d’expérimentation continue, et que faudrait-il pour sortir de l’expérimentation ? Ce n’est pas une question à laquelle nous avons trouvé des réponses aujourd’hui, ni à laquelle il faut forcément répondre, mais pour moi c’est une question qui se pose, autour de cette approche que l’on propose par rapport à la co-recherche. Si l’on se met dans la posture de faire des co-recherches avec des acteurs qui ont leur propre multiplicité, nous sommes toujours dans des rencontres où l’on essaie certaines choses, ce qui est une posture de recherche. Si l’on sort de ça, que va-t-on faire et comment va-t-on l’appeler ? Est-ce cela l’innovation ? Est-ce ce qu’on appelle la généralisation, cette possibilité de passer à l’échelle ou de mettre ensemble les différents secteurs de la société pour amener des changements ?

Je reviens sur un dernier point que je trouve fondamental, qui a été mentionné plusieurs fois aujourd’hui : l’intérêt. Nous sommes dans une démarche d’intermédiation d’acteurs qui sont dans des situations multiples, mais dont l’intérêt commun est de réussir dans une transformation de la société. Je crois que cet intérêt est fondamental. Si l’on perd cela, on perd un peu la démarche. Je vous laisse avec la chanson d’une femme colombienne (Katie James) qui est multiple – productrice en agriculture biologique, chanteuse, engagée dans l’innovation sociale – et qui nous dit qu’il faut abattre les murs afin d’innover et trouver une place pour nous tous dans cette planète. C’est un peu le message que je veux laisser ce soir.

  1. Aymeric Luneau, Élise Demeulenaere, Stéphanie Duvail et Frédérique Chlous, « Le tournant démocratique de la citizen science : sociologie des transformations d’un programme de sciences participatives: », Participations, vol. N° 31, no  3, 2022-03-17, p. 199–240 (ISSN 2034-7650) [texte intégral lien DOI]