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[[Catégorie:Recherche en littérature]]
{{Travail de recherche
| titre= Recherche en littérature
| titreparent = '''La femme sans terre. Proposition(s) de lecture du ''Louise Michel'' de Kateb Yacine : territoire, lutte, théâtralité.''' <br />
| parent = [[Recherche:Département:Littérature|Luc Vidal Davin, membre du Département de recherche en Littérature]]
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== Avant-propos ==
« La femme sans terre ». Proposition(s) de lecture du ''Louise Michel'' de Kateb Yacine : territoire, lutte, théâtralité. » est un article extrait de l'ouvrage ''Géographie de la littérature'', publié à la suite d'un travail de recherche par le jeune chercheur Luc Vidal Davin, dans le cadre du séminaire de recherche en littérature comparée consacré à Kateb Yacine dirigé par le Professeur Guy Dugas, doyen du département de littérature francophone de l'université de Montpellier III .
 
== Introduction ==
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{{Citation bloc|Ce que je réclame de vous, messieurs, de vous, vous qui vous donnez comme mes juges, c’est le champ de Satory où sont tombés nos frères […].||}}
 
Lorsque Victor Hugo apprend que Louise Michel risque la mort, il mobilise toute la presse anti-versaillaise, Jules Vallès en tête, aux côtés de Pétrus Borel, toujours révolté, tous les plus célèbres créateurs littéraires, comme EmileÉmile Zola, Guy de Maupassant ou Paul Verlaine ; même certains partisans du Parnasse, comme Banville, le vieux Théophile Gautier, et le jeune Arthur Rimbaud, se réveillent de leur neutralité, et tous d’une seule voix, appellent à sauver la tête de Louise Michel. Pendant les délibérations, en 1873, la salle est pleine, et comme aux premières heures du siècle, certains des anciens Gilets Rouges de la bataille d’Hernani entrent les uns derrière les autres dans le tribunal, Victor Hugo en proue. Les journalistes forcent l’entrée. Dehors, contre les grilles du Palais-Royal, la foule est massée, et réclame la relaxe. Elle échappe à la mort ; mais elle est condamnée à la déportation. Non pas parce que les charges eussent été abandonnées, mais uniquement parce que c’est une femme.
Louise Michel arrive sur l’île après quatre mois de voyage, où elle entame sa captivité : elle durera presque dix ans. Embarquée à bord du Virginie, elle fait la connaissance d’Henri, marquis de Rochefort, comte de Luçay, fils d’un aristocrate désargenté et vaudevilliste raté, sympathisant anarchiste et proche de Jules Vallès. Sur l’île, les indigènes de Nouvelle-Calédonie, les Kanaks, sont réduits en esclavage. Elle cherche à faire leur éducation. Contrairement à de nombreux anciens communards, elle assure leur défense après leur tentative de rébellion. Après sa libération, elle se rend à Nouméa, et reprend son métier d’enseignante.
Quand en 1880, elle rentre à Paris, elle est accueillie en triomphe. Elle reprend son infatigable activité de militante, donne de nombreuses conférences.
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== Le troisième pan du ''superobjectif'' ==
Il ne peut être tout à fait fortuit de répéter comme nous l’avons fait si nettement « parce que c’est une femme », et ce à plusieurs reprises : nous avons tenté de le faire sonner ainsi qu’une espèce de leitmotiv. Pourquoi ? Car, d’abord, c’est le titre général de l’ouvrage dans lequel Kateb Yacine pose sa pièce sur Louise Michel. Titre d’un ensemble de trois œuvres, toutes trois ayant des femmes pour protagoniste, et qui, nous semble-t-il, fait prendre une nouvelle lumière à son questionnement ; une pensée sur les femmes, qui se développe dans la même direction : c’est-à-dire une espèce de dessein suprême, de « superobjectif » <ref>Constantin Stanislavski, ''La formation de l’acteur'', chapitre « à propos d’Othello », I,2, Payot rééd. 2001. </ref>, manifesté par une formule tendant à résumer en quelques mots, quintessenciés, le vouloir de tout un ensemble. Mais il est quelque chose de singulier avec cette pièce-là, dans la production théâtrale de Kateb Yacine ; elle a également quelque chose de particulier dans l’économie du recueil. Avec elle, il approfondit plus encore une réflexion d’ores et déjà engagée avec les deux premiers versants, ''Dihya'' et ''Saout Ennissa''. Mais on peut sentir un tournant de la pensée. On peut entr’apercevoir, on peut sentir, comme le sang qui coule sous l’échine, que ce qui court juste sous la peau du texte est quelque chose de tout à fait neuf, tout à fait singulier. Quelle est cette spécificité dont on a le pressentiment ? Comment articuler cette singularité avec l’unité et la cohérence d’un ensemble plus grand (un recueil d’œuvres théâtrales) ? Les problèmes à explorer qui se dégagent de ce constat sont complexes.
Pour ce qui est de la spécificité de la pièce en question, il semble que ce soit des deux sujets le plus net. Plus net en raison du sujet historique. Dans les deux première pièces, l’argument du schéma actanciel est fictif pour ''Saout Ennissa'', et légendaire – ou bien mythologique – pour ''Dihya''. Faire cette distinction, c’est déjà former, dessiner un cercle d’isolation. Deleuze, dont nous avons cité quelques lignes en introduction, affirme dans ''Critique et clinique''<ref>''Critique et clinique'', EditionsÉditions de Minuit (coll. « paradoxe »), Paris, 1993.</ref>, que comme le peintre, l’auteur, dans la jeunesse de sa pensée, peine et s’effraie à traiter la couleur, et n’ose pas l’aborder tout de suite. La « couleur » de ce recueil de théâtre, la couleur secrète, désirée et seulement effleurée d’abord, c’est la notion de femme, et plus encore la femme sous le prisme de l’historicité. Dihya et Saout Ennissa sont la jeunesse de cette pensée. Kateb se garde d’en parler dans ce premier temps : il n’aborde vraiment de façon concrète le sujet historique qu’avec la troisième pièce. C’est une importante forme de singularité. Et toute la spécificité à-venir semble découler de ce premier traitement.
 
== La sécession de l’historique ==
Si l’on pousse plus avant, que l’on regarde le texte de plus près, on voit que Kateb Yacine commence à « pousser » le fait historique vers la littérature. Et la conséquence de ce phénomène, c’est la prise de liberté avec l’historicité de l’événement. Il est des moments entiers de la pièce qui sont littéralement des mensonges historiques. Un exemple : la scène du procès, scène qui raconte le procès qu’on a fait à Louise Michel en raison de ses activités pendant la Commune. Cette scène est relativement fidèle : elle reprend même des expressions in texto qui sont entrées dans la légende : « Ce que je réclame de vous, messieurs, de vous, vous qui vous donnez comme mes juges, c’est le champ de Satory où sont tombés nos frères… ». Ceci est recopié, retranscrit brut, sans épuration. Mais le seul cas faisant vraiment allusion à des actes d’accusations fidèles à l’histoire, n’est pas passé sous le prisme d’un traitement littéraire. L’on pourrait d’abord parler du pourtour de la scène : Sartre parle d’un « théâtre de situations ». On pourrait vérifier cette hypothèse en parlant de la situation de la scène. Un contexte judiciaire, un tribunal, le « conseil de guerre », composé à moitié de militaires, dont le Capitaine Dailly, commissaire de la République, et à moitié de magistrats, les fameux juges dont parle Louise Michel dans sa réplique. On trouve dans ces échanges stichomythiques des choses étonnantes. Des phrases prononcées par des magistrats comme : « Y parait que vous portiez des costumes ? »<ref>Cette formulation a été supprimée à l’occasion de la dernière réédition de 2004.</ref> avec cette élision très familière « Y parait ». Ce personnage du magistrat supprime l’inversion verbe-sujet du tour interrogatif au fur et à mesure qu’il interroge Louise. Ce qui, à l’époque, est très incorrect. Ceci est très étonnant de la part d’un haut fonctionnaire. Pascal Créhange<ref>Professeur à l’Ecolel’École d’Avocat de Strasbourg, ancien membre du Conseil de l’Ordre, auteur de ''Introduction à l’art de la plaidoirie'', collection « Guide pratique », éd. Lextenso et La Gazette du Palais, Paris, 2012.</ref> prétend que, contrairement au XXIème siècle, où il est beaucoup plus relâché, l’art de plaider au XIXème siècle était extrêmement codé, subordonné à des formes attendues, et que des écarts envers cette forme pouvaient entraîner des sanctions administratives, – et c’est là que cela nous arrête –, notamment en matière d’écarts ou des abus de langue, en particulier au Conseil d’Etatd’État, et dans les cessions des tribunaux extraordinaires. Or, il se trouve que le Conseil de guerre est un tribunal extraordinaire. Il est donc très étonnant qu’un magistrat, ayant de telles responsabilités, se permît un tel relâchement dans la langue dans un tel contexte. Ce qui, plus encore, est sujet d’étonnement, c’est de lire le rapport de greffe : selon les écritures établies pendant le procès de Louise Michel par monsieur Duplan, premier greffier de la cour, toutes les déclarations sont parfaitement conformes aux règles évoquées par Créhange. Qu’est-ce alors que ce hiatus ?
Il semble alors que Kateb Yacine utilise la langue comme un Cheval de Troie, afin de faire pénétrer de manière subtile et discrète l’historique dans la théâtralité, pour l’inscrire dans une entreprise littéraire, tout en conservant un fondement plus croyable ; ce fondement est alors à considérer comme une partie prenante d’une tentative d’accréditation ou de justification du traitement administré au fait historique.
Cette piste, simple hypothèse, peut assez aisément être corroborée, et se vérifie car l’auteur recommence : il récidive. Désormais que le langage a percé les murailles troyennes de la théâtralité, on peut se permettre de modifier l’histoire à sa guise. Et c’est ce que Kateb va faire. Dans la pièce, Louise prétend s’être habillée en homme, précisément en uniforme de soldat de la Garde nationale, afin de se protéger des combats. En réalité, selon le rapport de Duplan, elle a revêtu un habit de Garde national pour pouvoir faire feu sur l’Hôtel-de-Ville sans être vue, et tuer plus d’ennemis. Enfin, le troisième détail qui interroge cette montée du littéraire dans l’historique est la présence incongrue du personnage d’Henri Rochefort au procès. Cela, aussi, est inventé. Leurs procès furent distincts l’un de l’autre<ref>Joël Dauphiné, ''Henri Rochefort : déportation et évasion d’un polémiste'', éd. L’Harmattan, Paris, 2004.</ref> . C’est aussi une invention que Rochefort et Louise se reconnaissent sur le bateau et qu’ils se tombent dans les bras comme des amis qui se retrouvent. Ils ont en réalité fait connaissance sur le bateau. Ces divergences entre le fait historique et le fait poétique ne sont pas une fioriture, ou le fruit d’un caprice : ce n’est pas une « confusion sans dessein », comme le dit Pascal<ref>''Pensées'', V, 1, éd. Lahure, 1860.</ref> . Forger une amitié antérieure entre ces deux personnages, c’est donner un liant, donner un ciment au traitement littéraire que Kateb Yacine impulse. Faisant cela, il entre définitivement dans la théâtralité. Et le premier grand acte complètement théâtral, complètement autonome, autarcique par rapport à la condition historique, c’est l’apparition des stances rimées psalmodiées par les personnages :
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S’estompent doucement, et l’Île Nou plus sombre
<br />
Baigne son ombre dans les flots.}}<ref>''LMNC'', p.124, l. 10, réédition de 2004.</ref>}}
 
On retrouve ici des rimes suffisantes, en apposition finale et interne, des alexandrins, et des hexamètres ; mais aussi plus tard dans la pièce, on notera une alternance d’octosyllabes rompus d’iambiques, d’heptasyllabes, bref : un florilège métrique d’une grande riche. A y regarder de plus près, ce ne sont pas des stances rimées, régulières, comme par exemple chez Corneille. Ce sont plutôt des chansons. Ou plus exactement, ce sont des ariettes, au même sens que les ariettes de Verlaine dans Romances sans paroles. C’est bien là à peu près la même couleur, le même ton. Citant un poète, pourquoi dire alors que ces ariettes sont une référence théâtrale ? D’abord, parce qu’il n’y nulle trace de ces chansons dans le fait historique ; par déduction, elles relèvent donc de l’acte poïétique, de la « construction » littéraire. Et ensuite parce que ces ariettes, ces chansons qui ponctuent le texte sont un héritage très direct du théâtre de la fin du XVIIIème et du XIXème siècle, dont les plus grands exemples sont Beaumarchais, avec les passages en vers à la fin de l’acte V, et plus encore avec Labiche, qui sème dans ses pièce, de fait à la fin de chaque acte, des stances rimées en vers mêlés, qui commentent l’action. Il n’est pas d’héritage théâtral plus direct : c’est une tradition venant du Coryphée des tragédies grecques qui, au centre de l’orchestra, commente l’action. Ce commentaire hautement poétique, donc extrêmement construit, est proprement théâtral. Dans le fond d’archive de l’Institut National de l’Audiovisuel, l’on peut retrouver la captation d’une représentation de Louise Michel et la Nouvelle-Calédonie montée dans les années 1970 par l’un des principaux metteur-en-scènes de la fin du XXème siècle, Antoine Vitez, ancien administrateur de la Comédie-Française, où il fait « psalmodier » ces extraits en vers : il demandait à son actrice de les dire dans une espèce de sprechgesang. Un parlé-chanté, qui est précisément celui par lequel le Coryphée, qui commentait et annonçait l’action, psalmodiait son texte. Vitez disait de l’écriture de Kateb qu’elle était une écriture prophétique. Le prophétique est étroitement lié au théâtral : le personnage prométhée, celui qui voit avant, est tout à fait récurrent dans le répertoire dramatique. Certains exemples se lient d’ailleurs avec Kateb : deux exemples nous viennent en tête : c’est d’abord avec Shakespeare celui de Lady Macbeth, sorte de panorama d’une psychè névrotique, et dans le théâtre grec, Cassandre, l’esclave sexuelle d’Agamemnon dans la pièce éponyme d’Eschyle, qui plus que Lady Macbeth est proprement oracle. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les personnages prophétiques sont presque toujours des femmes. Et pour Louise Michel, c’est à peu près la même chose : c’est l’idée de femme comme prophétique, dans ses paroles et son comportement.
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Deleuze dit une chose intéressante à ce sujet : dans ''L’Anti-Œdipe'', il montre que l’homme – tout comme le personnage littéraire -, manifeste un changement de comportement quand il est tenu dans un étau de déterritorialisation et de reterritorialisation. Des deux néologismes que nous devons à Deleuze sont, par leur nature, difficiles à prononcer en dehors de toute prosodie à l’espagnole, c’est-à-dire sans accent tonique. De fait, la difficulté de lecture obscurcit la compréhension du concept : un nom plus simple sur le plan grammatical a été forgé un siècle plus tôt par Herman Melville : « outlandish », littéralement « le déterritorialisé ». Dans ''La Kahina'', on peut lire : « Nous pouvons tout perdre, il nous reste la terre », déclare la protagoniste aux paysans. La caractéristique des personnages de cette pièce par rapport aux deux autres, c’est qu’ils sont en déterritorialisation/reterritorialisation : en étant exilés de Paris, ils perdent leur territoire. C’est ce que dit Louise : « Nous sommes loin de la Commune ! » Le mystère est maintenant de savoir ce qui advient à des personnages de théâtre lorsqu’ils sont déterritorialisés. Au fond, le fait que ces personnages soient ''outlandish'' n’est pas une caractéristique spécifiquement littéraire. Les personnages historiques, aussi, étaient déterritorialisés. la vraie question, est Donc de savoir ce que Kateb va faire de ce changement d’agencement. On pourrait dire de cette question, c’est que Kateb va profiter de ce changement d’agencement, pour faire coller la reterritorialisation avec un basculement du caractère des personnages. Dans la science moderne, on appelle ce phénomène un « renversement du paradigme ». Comment Kateb amène-t-il ce renversement ? En parlant des hommes, et en développant les personnages masculins. Le protagoniste masculin, c’est Henri Rochefort. Il est marquis, il a écrit dans le Figaro, et donc, il bénéficie d’un statut quelque peu particulier dans la Commune. Le même que Mirabeau pendant la Révolution Française, c’est-à-dire celui d’un aristocrate de gauche : celui qui semble agir pour le bien du plus grand nombre contre sa propre nature. Les articles polémiques qu’il écrit sont très populaires, mais il tourne sa veste à plusieurs reprises dans sa carrière pour créer ses propres journaux, notamment La Lanterne et La Marseillaise. Dans le procès, il a un statut fictif, puisqu’il y apparait seulement dans la pièce. On y apprend qu’à côté du portrait de Garibaldi, le héros de l’indépendance italienne, il garde une dizaine de portraits de lui dans sa chambre : la pièce semble faire de lui une figure toute en égo. Il ment pendant son procès sous couvert d’un sens de l’humour douteux. Contrairement à Louise, il se pourvoit en appel de son procès. Quand il arrive sur l’île, il exige d’être traité en aristocrate ; il veut faire écraser la révolte des kanaks. Il n’est pas innocent, de faire de Rochefort un aristocrate qui s’accroche à ses privilèges. Cette image trahit l’idéal pour lequel les communards se battirent. Il y a une majorité d’hommes sur l’île, et ces hommes se sont majoritairement transformés avec la fréquentation de leur nouveau territoire. La reterritorialisation des hommes dans l’île a fait changer leur statut, leurs comportements, et même leurs discours, leurs pensées. Louise en parle avec mélancolie :
 
{{Citation bloc|Les Canaques se révoltent et je suis avec eux contre mes propres compatriotes. Ah, nous sommes loin de la Commune ! Aujourd’hui encore, nous avons bien failli nous battre entre anciens Communards : sur trente déportés, nous sommes seulement deux à soutenir l’insurrection.}}<ref>''LMNC'', p.132, l. 5, réédition de 2004.</ref>}}
 
En somme, l’on pourrait dire que les Communards sont devenus versaillais. Dans cette pièce, le genre masculin est celui qui est muté, qui fluctue, en même temps qu’il se déplace dans les territoires. ''Nedjma'', c’est un récit d’hommes pour qui le voyage est tout un problème. La femme dans Nedjma, c’est un objet de délire ; c’est l’Arlésienne, celle que l’on ne voit jamais, qu’on rêve, dont on rêve. Et dans cette pièce, Kateb Yacine, sans la nommer forcément, sans la montrer forcément, tourne autour de la femme. Il montre que le masculin est une indigence ; que l’homme, tel qu’il est devenu reterritorialisé sur l’île, est presqu’une insulte à toutes les luttes pour lesquelles ils se sont battus ensemble. En devenant majoritaire sur l’île, les hommes se sont vidés de leurs combats passés et ont abandonné toute rage à la lutte. Au contraire, Louise Michel, elle, ne cesse jamais d’être au combat. Pendant son procès, elle manifeste de la sobriété et de la franchise, et non pas comme Rochefort, le fort-en-gueule et méprisant. Elle ne fait pas appel de son procès. Arrivée sur l’île, elle ne demande nulle faveur. Elle continue à être maitresse, avec les indigènes comme avec les enfants de Nouméa.
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On aurait pu penser, de prime abord, que prenant Louise Michel comme sujet, Kateb Yacine aurait comme dessein, comme le dit Albert Memmi, de faire « le portrait du colonisateur ». Mais Kateb Yacine pose une réflexion qui dépasse largement en profondeur ces bornes et ce clivage. Certes, il parle du rapport colon-colonisé, il parle de l’Algérie : Louise Michel côtoya des kabyles dans son camp calédonien. Apprenant de leurs bouches le sort terrible qu’avait subi leur peuple, elle promit de leur rendre visite et de s’associer à leur combat. Des années après son retour en France, elle honora sa promesse et se rendit à Alger, puis partout dans le pays. Elle dénonçait déjà le militarisme, l’oppression et l’exploitation coloniale, et appelait à la révolution. Elle parla des abus de l'armée, de la misère de la population, de l’intolérable comportement de la colonisation française en Algérie. Certes, les deux autres personnages des deux autres pièces sont des Kahéna ; mais seulement des guerrières, et elles ne résolvent pas la question de la déterritorialisation : quand elles n’ont plus la terre, leur combat est fini. Et comme les figure diaphanes à la désespérance tragiques, il ne leur reste plus qu’à mourir. Mais ce qu’il dit sur la femme avec Louise Michel dépasse le seul territoire et la seule Algérie. Le ton du personnage de l’Algérien sur la révolution manquée, est très proche de celui du Kanak, ou des Communards racontant leurs injustes accusations. En se détachant de l’historique, en passant l’histoire par le prisme du traitement littéraire, il forge une Idée de la Femme, prophétique, une ''firmitas animi'', aux actes forts et courageux, surpassant les problèmes de territoires, en les résolvant même, et nous reprenons encore la formule d’Houellebecq, en étendant les domaines de sa lutte aux opprimés et aux injustices du monde entier.
 
=== Références ===
<references/>
 
[1] Constantin Stanislavski, ''La formation de l’acteur'', chapitre « à propos d’Othello », I,2, Payot rééd. 2001.
<br />
[2] ''Critique et clinique'', Editions de Minuit (coll. « paradoxe »), Paris, 1993.
<br />
[3] Cette formulation a été supprimée à l’occasion de la dernière réédition de 2004.
<br />
[4] Professeur à l’Ecole d’Avocat de Strasbourg, ancien membre du Conseil de l’Ordre, auteur de ''Introduction à l’art de la plaidoirie'', collection « Guide pratique », éd. Lextenso et La Gazette du Palais, Paris, 2012.
<br />
[5] Joël Dauphiné, ''Henri Rochefort : déportation et évasion d’un polémiste'', éd. L’Harmattan, Paris, 2004.
<br />
[6] ''Pensées'', V, 1, éd. Lahure, 1860.
<br />
[7] ''LMNC'', p.124, l. 10, réédition de 2004.
<br />
[8] ''LMNC'', p.132, l. 5, réédition de 2004.