« Recherche:La femme sans terre » : différence entre les versions

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Deleuze dit une chose intéressante à ce sujet : dans ''L’Anti-Œdipe'', il montre que l’homme – tout comme le personnage littéraire -, manifeste un changement de comportement quand il est tenu dans un étau de déterritorialisation et de reterritorialisation. Des deux néologismes que nous devons à Deleuze sont, par leur nature, difficiles à prononcer en dehors de toute prosodie à l’espagnole, c’est-à-dire sans accent tonique. De fait, la difficulté de lecture obscurcit la compréhension du concept : un nom plus simple sur le plan grammatical a été forgé un siècle plus tôt par Herman Melville : « outlandish », littéralement « le déterritorialisé ». Dans ''La Kahina'', on peut lire : « Nous pouvons tout perdre, il nous reste la terre », déclare la protagoniste aux paysans. La caractéristique des personnages de cette pièce par rapport aux deux autres, c’est qu’ils sont en déterritorialisation/reterritorialisation : en étant exilés de Paris, ils perdent leur territoire. C’est ce que dit Louise : « Nous sommes loin de la Commune ! » Le mystère est maintenant de savoir ce qui advient à des personnages de théâtre lorsqu’ils sont déterritorialisés. Au fond, le fait que ces personnages soient ''outlandish'' n’est pas une caractéristique spécifiquement littéraire. Les personnages historiques, aussi, étaient déterritorialisés. la vraie question, est Donc de savoir ce que Kateb va faire de ce changement d’agencement. On pourrait dire de cette question, c’est que Kateb va profiter de ce changement d’agencement, pour faire coller la reterritorialisation avec un basculement du caractère des personnages. Dans la science moderne, on appelle ce phénomène un « renversement du paradigme ». Comment Kateb amène-t-il ce renversement ? En parlant des hommes, et en développant les personnages masculins. Le protagoniste masculin, c’est Henri Rochefort. Il est marquis, il a écrit dans le Figaro, et donc, il bénéficie d’un statut quelque peu particulier dans la Commune. Le même que Mirabeau pendant la Révolution Française, c’est-à-dire celui d’un aristocrate de gauche : celui qui semble agir pour le bien du plus grand nombre contre sa propre nature. Les articles polémiques qu’il écrit sont très populaires, mais il tourne sa veste à plusieurs reprises dans sa carrière pour créer ses propres journaux, notamment La Lanterne et La Marseillaise. Dans le procès, il a un statut fictif, puisqu’il y apparait seulement dans la pièce. On y apprend qu’à côté du portrait de Garibaldi, le héros de l’indépendance italienne, il garde une dizaine de portraits de lui dans sa chambre : la pièce semble faire de lui une figure toute en égo. Il ment pendant son procès sous couvert d’un sens de l’humour douteux. Contrairement à Louise, il se pourvoit en appel de son procès. Quand il arrive sur l’île, il exige d’être traité en aristocrate ; il veut faire écraser la révolte des kanaks. Il n’est pas innocent, de faire de Rochefort un aristocrate qui s’accroche à ses privilèges. Cette image trahit l’idéal pour lequel les communards se battirent. Il y a une majorité d’hommes sur l’île, et ces hommes se sont majoritairement transformés avec la fréquentation de leur nouveau territoire. La reterritorialisation des hommes dans l’île a fait changer leur statut, leurs comportements, et même leurs discours, leurs pensées. Louise en parle avec mélancolie :
 
{{Citation bloc|Les Canaques se révoltent et je suis avec eux contre mes propres compatriotes. Ah, nous sommes loin de la Commune ! Aujourd’hui encore, nous avons bien failli nous battre entre anciens Communards : sur trente déportés, nous sommes seulement deux à soutenir l’insurrection.<ref>''LMNC'', p.132, l. 5, rééditionédition de 2004.</ref>}}
 
En somme, l’on pourrait dire que les Communards sont devenus versaillais. Dans cette pièce, le genre masculin est celui qui est muté, qui fluctue, en même temps qu’il se déplace dans les territoires. ''Nedjma'', c’est un récit d’hommes pour qui le voyage est tout un problème. La femme dans Nedjma, c’est un objet de délire ; c’est l’Arlésienne, celle que l’on ne voit jamais, qu’on rêve, dont on rêve. Et dans cette pièce, Kateb Yacine, sans la nommer forcément, sans la montrer forcément, tourne autour de la femme. Il montre que le masculin est une indigence ; que l’homme, tel qu’il est devenu reterritorialisé sur l’île, est presqu’une insulte à toutes les luttes pour lesquelles ils se sont battus ensemble. En devenant majoritaire sur l’île, les hommes se sont vidés de leurs combats passés et ont abandonné toute rage à la lutte. Au contraire, Louise Michel, elle, ne cesse jamais d’être au combat. Pendant son procès, elle manifeste de la sobriété et de la franchise, et non pas comme Rochefort, le fort-en-gueule et méprisant. Elle ne fait pas appel de son procès. Arrivée sur l’île, elle ne demande nulle faveur. Elle continue à être maitresse, avec les indigènes comme avec les enfants de Nouméa.
Kateb oppose clairement le caractère des hommes à celui de la Femme. Il va distinguer le comportement des hommes, tout-venant, à celui de la Femme, l’Idée de femme, comme chez Platon : quelque chose de clair, quelque chose de pur et de constant ; quelque chose qui, en contexte, lutte si fort pour le bien du plus grand nombre qu’il ne peut être que ce qu’il est : la chose en tant que pure.
 
== Sortie de piste ==