« Recherche:L'ambiguité misanthrope : essai de réflexion sur Héraclite et l'amour » : différence entre les versions

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La pensée grecque ancienne, au-delà du tournant de l’« avant » et de l’« après Socrate », s’inscrit dans une perspective propre à la philosophie méditerranéenne. On pourrait parler d’une littérature du soleil, qui cours de la Babylonie ou de l’Egypte des théogonies premières, jusqu’au théâtre de Kateb Yacine, en passant par les grecs archaïques et hellénistiques (Homère, Sophocle, Euripide, Platon…) les latins (Sénèque, Plaute, Marc-Aurèle…) les modernes (Camus, Chraïbi, Giono, Roblès, Yacine…) en passant par la métaphysique d’Augustin d’Hippone, l’illuminatisme avicennien, ou les commentaires d’Averroès. Mais depuis les invectives actuelles des milieux parisiens que nous avons pu lire sur Anaximandre, Anaxagore, ou sur les à-peu-près d’Aristote vis-à-vis du regard contemporain, et, surtout, ces invectives provoquant pour nous de plus en plus de méfiance, nous avons fait un pari contre nous-mêmes. « Je veux te sauver, Antigone », fait dire Anouilh à son Créon. Oui, belle pensée ensoleillée : nous voulons te sauver. Nous voudrions t’exhumer. On lit par exemple les monologues de la prophétesse d’Eschyle : cela, sans mentir, est brillant. L’on tombe raide devant Cassandre, diaphane, le regard large et le teint sensuel, noblesse au front. Adaptations contemporaines oblige, la pièce tourne parfois vinaigre. Des insultes…, des horreurs dans la bouche de figures immortelles ? Ah ! L’admirable dessein ! Voilà la belle âme ! Le Syndrome-Jean-Vilar, lutte intempestive contre l’incommunicabilité de la culture, aurait-elle fait des émules ? Mais nous voilà plaisantant à tort : l’affaire est trop grave ici, elle nous touche au cœur. C’est sacrilège, c’est du viol, et pas pour faire de beaux enfants, comme avec Dumas. Certaines mise-en-scènes de textes anciens, certain commentaires de ceux-ci, sont gorgés d’idées brillantes, de traits de lumière sur le texte. Pourquoi les assassiner ? Ce qui est fascinant dans le théâtre et la littérature grecs, c’est justement qu’ils sont le berceau de tout le reste. Plus que fascination, cela est beau. Réaliser, en lisant ''L’Œdipe à Colone'' de Sophocle que tant de chose ont été, si tôt dans l’histoire humaine, découverte avec tant de lucidité et de grâce… Comprendre qu’Anouilh eût beau transformer Créon en bonhomme, la force et l’instinct du tyran restent latents, comme pour les enfants la fascination pour le feu : l’on ne peut se retenir, et l’on se brule aux chairs à posséder de la gloire. Nous aimons l’Antiquité, cela est vrai. Mais nous avons raison de l’aimer. Quelle pouliche ! Ce que l’on trouve dans ''L’Iliade'', quand le Roi Priam vient supplier Achille de lui rendre le corps de son fils…, une si déchirante plainte, une telle fragilité dans sa bouche, lui, l’homme le plus fier et le plus puissant de l’Orient proche… Qu’ajouter ? Nous aimons l’Antiquité, car elle est la Mer ; car elle est la pierre et la Couleur, car elle est le Soleil ; nous l’aimons comme nous aimons Catalogne, Provence et Italie ; comme l’on aime le fado d’Amalia ; comme l’on aime Camus, Giono, Kateb Yacine, Mauriac, Camões, et tous les autres que la mémoire des hommes et son ingratitude réduisent à la nuit. Car lorsque nous lisons ''L’Iliade'' – surtout lorsque c’est Mario Meunier qui traduit –, cela est comme assister à la naissance du Soleil. Car lorsque nous entendons la Canção do mar, nous pensons entendre la chanson qui court sur l’horizon des mers. Le chant de la terre. Au-delà de la littérature proprement méditerranéenne, des œuvres plus continentales, plus septentrionales, s’y posent : un grand nombre d’œuvres de Shakespeare se déroule dans l’Europe méridionale et sur les côtes de la Mare nostrum : Rome (''César et Cléopâtre'', ''Titus Andronicus''), Vérone (''Roméo et Juliette''), Milan (''Les Deux gentilshommes de Vérone''), Padoue, Pise (''La mégère apprivoisée''), et des îles inspirées de la Grèce, de la Sicile et des Baléares. De plus, la plus célèbre de ses comédies, Le songe d’une nuit d’été, popularisée par Mendelssohn, se passe chez le duc d’Athènes (Thésée), et Hermia a pour père celui qui donné son nom à la mer grecque : Egée. Il se place ainsi, non pas sous l’égide de Zeus, mais dans la trace de la littérature antique, et prend cette dernière comme sujet, ou du moins, la prend comme un vieil écho à la sienne. Comme on prendrait un vieillard a témoin, venu assister, dans son théâtre, à la résurrection de vieux pantins fantômes. Shakespeare a bien un lien avec cette Europe-là, cette Europe-là de la lenteur et d’une mer sans marée. Celle de Machiavel, de la maison de Médicis, des farces italiennes, errant de foires en foires, ces foires londoniennes du XVIIe siècle bellement évoquées dans ''L’homme qui rit'' d’Hugo, dont il se rapproche un peu avec ''Les deux Gentilshommes'' et ''La Comédie des erreurs''. Rien plus loin. Aurait-on, comme le dit Kateb dans ''Nedjma'', perdu le sommeil à cause de la fantasmatique présence de Shakespeare au dessus de nous ? Rien d’extérieur n’a pas sa place dans Euripide, dans Corneille et son ''Andromède'' ; et les modernités, que nous apprécions par ailleurs, ne doivent pas espérer apporter quoi que ce soit aux Phéniciennes de Sénèque, quelque penseur qu’en fût le metteur en scène. Ulysse est une figure aux actes et aux discours autonomes ; cette figure n’a pas besoin qu’on l’on crût devoir mette ses paroles en lumière crue pour tracer un chemin plus clair pour la pensée : Ulysse a son propre langage, et sa musique est comme une langue dans la langue, qui fait que l’écouter, c’est se dire : « Voici Ulysse, fils de Laërte, souverain d’Ithaque. Il a trouvé le secret de la joie. Et il est grand. » Il ne nous reste plus qu’à espérer prétentieusement de tenter de gagner notre pari, croire au soleil chez Héraclite parfois contre lui-même, et que nous pussions ajouter la composante du soleil à notre entreprise, et qu’en face de Shakespeare, prince des dramaturges comme Socrate est prince de philosophes, l’on fera preuve de bienveillance et de compréhension.
 
 
 
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