« Recherche:Recherche Responsable » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Ligne 353 :
 
<blockquote>
 
''Transcription en cours''
Lors du colloque du mois d'avril Sara Aguiton nous a rappelé qu'au début des années 2000 les pouvoirs publics annonçaient le grand projet d'institution d'une démocratie technique.
Les choix scientifiques et techniques seraient ouverts aux préoccupations et demandes du public.
Et elle a décrit pour ceux qui n'étaient pas là certaines des raisons de l'abandon de ce projet désormais considéré par ces mêmes pouvoirs publics comme un échec.
Et elle a souligné que de leur point de vue en fait, il s'agissait d'abord de désamorcer les mouvements de contestation, la méfiance publique envers certains développements technoscientifiques.
Il fallait d'abord éviter que se répète un événement comme celui de la résistance aux OGM.
 
Je voudrais maintenant souligner un autre aspect de cet échec.
Le fait que pour beaucoup de chercheurs mobilisés autour de thèmes porteurs d'innovation, ce genre d'ouverture est vu comme une demande encombrante imposée par des idéologues qui ne connaissent rien à la science.
Ainsi les chercheurs en sciences sociales qui furent embarqués, attachés à des groupes de recherche porteurs d'innovation afin de les sensibiliser aux questions touchant les conséquences de leur travail ont été le plus souvent accueillis avec indifférence.
Ils s'en sont plaint avec amertume.
Ils ont été accueillis parce qu'il le fallait bien.
"Faites comme chez vous. Voilà votre bureau. Mais ne nous faites pas perdre notre temps."
Pour beaucoup de chercheurs l'idée d'une science responsable, promue aujourd'hui par les pouvoirs publics, communique à nouveau avec une exigence de plus imposée par les politiques pour assurer un public heureux ou pour éviter qu'il se mêle de ce qui ne le regarde pas.
Et lorsque nous posons ici la question d'une recherche responsable nous devons savoir que les chercheurs, alors même qu'ils se sentent trahis par les pouvoirs publics, qu'ils en appellent au public pour sauver la recherche de sa marchandisation, ne seront pas davantage aujourd'hui qu'hier nos alliés.
Pour caractériser la tension prévisible entre la liberté de rechercher à laquelle tiennent les chercheurs et la responsabilité qui leur semblent hors propos, le manifeste proposé par Sciences Citoyennes a décrit la liberté obtenue par les communautés académiques comme un pacte faustien.
Le mot est dur. Faust vend son âme pour avoir accès aux secrets de l'univers.
Pouvons nous dire que pour conserver sa liberté, la science a elle aussi vendu et donc perdu son âme ?
Quelque chose frappe lorsque l'on entend bien des chercheurs défendre le droit d'une science libre et desintéressée, à ne pas avoir à rendre des comptes, à ne pas se poser de questions comme celle de la responsabilité de ce qu'elle rend possible.
C'est en fait la pauvreté stéréotypée de leurs arguments.
On entend "C'est à la société de décider." Mais c'est une pauvre abstraction.
Personne ne s'intéresse parmi ceux qui disent ça aux moyens pour cette décision au rapport de force qui éventuellement prévaudront etc.
Pauvre abstraction. La possibilité que les choix de recherche puissent constituer une question politique suscite une défense tout aussi et stéréotypée.
On entend encore parler de l'affaire lyssenko.
Toute mise en conséquence reconnu comme indésirable se verra régulièrement opposée, "Bah, celui qui a inventé la hache sera-t-il responsable de ce que frappe son voisin".
Et toute mise en cause plus générale du type de développement techno industrielle auquelle les sciences participent entraînera à, évidemment, l'argument "Vous voulez nous ramener à l'age des cavernes!" et ça encore aujourd'hui à l'époque où ce développement met en danger la terre.
Je ne parle pas ici des personnes avec ce problème de stéréotypie, mais plutôt de ce que l'institution fait aux personnes _
L'institution ou le collectif des chercheurs _.
J'honore le collectif des chercheurs parce que dans certaines sciences, il rend les personnes plus exigeantes qu'elles le seraient isolément.
Sauf que au niveau de la responsabilité il lors les personnes plus bêtes et plus muettes que ce qu'elle me serais usuellement.
Elles sont notamment tenues de ne pas protester lorsque l'un de leurs collègues produit au nom de tous ce genre d'arguments stéréotypes et ineptes.
Ineptie, en fait on pourrait dire aussi caquètements.
Car la figure d'une poule qui caquettent sempiternellement la même ritournelle me semble s'imposer ici.
Et c'est, on y arrive, la figure de la célèbre poule aux oeufs d'or.
C'est une figure qui n'est pas récente.
Elle habite la science depuis les dernières décennies du 19e siècle.
Cette époque où ce qu'on appelle la technoscience prenait toute sa puissance avec la symbiose entre la recherche et les industries (Pensons à la chimie et à la physique aussi)
Et où des scientifiques se sont inquiétés de la possibilité que la symbiose deviennent capture.
C'est à dire que la recherche soit soumise directement aux intérêts du développement technico-industriel.
"Si elle l'était" ont-ils affirmé, "elle s'embourberait dans des questions mal posées et ne ferait plus avancer la connaissance".
La servir, la mettre au service d'intérêts socio économique, ce serait donc tuer la poule aux oeufs d'or.
Seule la libre avancée d'une science desintéressée peut créer les moyens du développement et assurer le progrès de l'humanité.
C'est ce qu'on a plaidé dès cette époque.
Et depuis près d'un siècle et demi, la même ritournelle est reprise, adressée à ceux pour qui les oeufs de la recherche libre 'peuvent valoir de l'or.
''"Dans votre intérêt ne tuez pas la poule aux oeufs d'or !''
Et elle est devenue aujourd'hui un gémissement.
''"Vous tuez la poule aux oeufs d'or !"''
Mais elle habite toujours l'imaginaire des scientifiques que je voudrais si dissocier radicalement de leur imagination.
L'imagination est active axée sur les possibles est réservée pour les chercheurs à la recherche proprement dite.
Alors que l'imaginaire est passif stéréotypé et fixé sur une image qui lui tient lieu de pensée.
C'est cet imaginaire que l'on peut associer à la perte d'âme, au déni aveugle des questions et des incertitudes qui nous animent, qui nous font hésiter, penser, imaginer, lutter.
La poule s'est retranché dans un rôle qui exige qu'elle dénie toute responsabilité.
Elle s'est engagée à ne pas se mêler de la manière dont ses oeufs seront transformés en or.
Elle doit se consacrer toute entière à l'avancé de la connaissance.
Le reste ne la regarde pas.
Pire c'est une tentation à laquelle elle doit résister, car cela lui ferait perdre son temps, c'est à dire trahir sa seule vraie mission.
Elle doit se désintéresser de tout ce qui n'est pas l'avancée de la connaissance.
Mais c'est le même imaginaire, c'est bien un imaginaire, mais qui fait que tout le reste est charge, contrainte, douleur et "fait n'importe comment", mais c'est le même imaginaire qui nourrit une relation de connivence avec ceux pour qui les oeufs scientifiques peuvent valoir de l'or.
Car ce sont eux qui ont le pouvoir d'articuler l'avancée du savoir, du produit cet imaginaire, du savoir auquel elle même se consacre et le progrès humain qui lui vaudra, à cette poule, le respect et la gratitude publique.
Toute possibilité de mise en communication d'une avancée scientifique avec un développement technico-industriel sera envisagée par les experts, disons "instruit à décharge" et envisagée comme une opportunité positives allant dans le sens du progrès.
Et les experts qui travaillent à ce transfert seront considérés par leurs collègues avec bienveillance et compréhension.
Même s'il est admis qu'ils ne font pas de la vraie science, ils se dévouent pour la science.
Leur rôle, indépendamment de tout conflit d'intérêt, est en effet d'abord d'examiner une innovation du point de vue de sa faisabilité ''et pas'' de sa désirabilité sociale et collective.
Ils étudieront les objections comme des obstacles et non avec la neutralité desintéressée à laquelle prétend la science. Quant, et c'est peut être plus grave, quant aux scientifiques qui travaillent dans le privé, aucune solidarité n'existera avec eux, aucune obligation commune, qui par exemple impliquerait un devoir de lancer des alertes, n'est reconnue.
Il est admis que ce sont des travailleurs comme les autres vendant leur force de travail au service des employeurs et que le vrai scientifique ne doit pas chercher noise aux feuseurs d'or.
Perdre son âme ce serait donc alors refuser de penser et d'imaginer, tenir à distance les questions posées de par le monde.
Les poules se donnent le droit de considérer ce monde qu'elles contribuent à transformer du seul point de vue du progrès que cette contribution devrait rendre possible. C'est aussi refuser de penser les questions gênantes.
Ainsi les scientifiques qui oeuvrent dans un domaine où l'art de la preuve demande effectivement de l'imagination et de la passion veulent ignorer qu'ailleurs _ Je reviens au problème du pluralisme soulevé par Coutellec _ veulent ignorer qu'ailleurs la preuve est définie comme exigible et n'a donc rien à voir avec une tête aventureuse neutre des intéressés.
Chacun sait que les approches fondées sur les faits donc exigible, privilégie le quantifiable, le reproductible, objectivable.
Mais ce qu'on oublie trop facilement est que ce privilège légitime le plus souvent les prétentions des industries qui fonctionnent le plus souvent sur le même mode et que ces approches font taire ceux qui voient détruits leurs mondes, leurs métiers, leurs attachements.
Les chercheurs aujourd'hui en savent quelque chose, puisque la machine à évaluer et prouver c'est désormais retourner contre eux.
Oh, qu'est-ce qu'ils se plaignent.
Aujourd'hui les chercheurs se sont effectivement trahis.
Et de fait tout se passe comme si leurs anciens alliés avaient découvert qu'ils n'avaient plus besoin des oeufs de la recherche.
Les premières innovations les plus mirobolantes suffisent à nourrir la machine économique, à attirer les investisseurs et à séduire les pouvoirs publics.
Tout ce qui brille ''peut'' désormais valoir de l'or.
Mais les scientifiques préfèrent trop souvent dénoncer une société qui ne les comprendrait pas, ou alors s'adapter à la demande de manière cynique et pleines de ressentiment.
Abdiquer de toute responsabilité y compris quant à l'avancée des savoirs qu'ils avaient défendu comme leur mission exclusive.
"Si c'est de la merde que vous voulez, vous allez en avoir."
Dans ce contexte la question de la responsabilité risque bien d'être assimilée par les chercheurs à une contrainte de plus imposée par des politiques qui ne comprennent rien à la science et à laquelle il faut se plier avec résignation mais a minima et en ricanant entre collègues.
Si nous voulons que les chercheurs s'intéressent véritablement aux conséquences une attention aiguisée me semble devoir être portée à tout ce qui traduit l'emprise de l'imaginaire qui leur enjoint de ne pas poser ce genre de questions.
Et notamment faire attention, ne pas laisser passer sans s'arrêter, ralentir, des termes comme "avancé de la connaissance", "recherche libre et désintéressée", "objectivité", qui fonctionnent comme des mots d'ordre demandant un consensus immédiat comme un réflexe et qui bloque la pensée.
Cela ne signifie pas qu'il faut les dénoncer.
Si j'insiste sur l'imaginaire pauvre et stéréotypé auquel se heurte ceux qui demandent des sciences plus inclusives, qui plaident notamment pour ce que Florence Piron appelait une justice cognitive, c'est pour souligner que l'imaginaire ne se dénonce pas.
Les dénonciations rebondissent sur la carapace qu'il constitue.
Vaincre cette imaginaire c'est plutôt s'attacher à repeupler l'imagination des chercheurs, une imagination dévastée par leur mode de formation et d'évaluation.
Affaiblir un mot d'ordre c'est le faire bégayer, lui faire perdre son évidence, c'est faire penser ce qu'il définit comme allant de soi.
C'est par exemple demander aux chercheurs _ Ici je rêve. Mais je me demande si, on a parlé de la nouvelle génération qui préfèrent aller dans le privé. J'en connais aussi beaucoup qui préfère ne pas faire les sciences pour ne pas entrer dans un monastère asséché. Donc les jeunes générations sont une inconnue de nos questions.
_ demandez aux chercheurs qu'il se rende capable de discuter avec précision et lucidité de ce qui dans leur champ, celui auquel ils se préparent, où le travail, et pas ''surtout pas en général'', donc de ce s'entend par savoir desintéressé, ou par avancé, ou de ce que l'objectivité dont ils se prévalent leur demande d'ignorer.
Car rien ne va de soi lorsqu'il est question par exemple d'intérêt.
Lorsqu'un écotoxicologue _ nous avons entendu parler Tarradellas il y a un mois _ examine les effets éventuellement redoutables du cocktail de molécules qui nous contamine tous, est-il intéressé ou désintéressé ?
Et lorsqu'un agronomme passe des années sur le terrain à tenter de comprendre si et comment ses recherches peuvent rencontrer l'intérêt des agriculteurs, participe-t-elle à l'avancé de la connaissance ?
De même pour les sciences qui sont attachées à un terrain et apprennent à reconnaître les interdépendances multiples et toujours singulières entre ceux qui le peuplent, (sont-ils) participent-ils à cette avancée vers une connaissance toujours plus puissantes ?
À l'inverse, Comment évaluer l'objectivité à laquelle prétendent les sciences qui procèdent par extraction de leur objet de telle sorte que leur définition puisse prétendre valoir quelles que soient les circonstances ?
Ce sont le genre de questions qui peuvent déranger les chercheurs, mais qui peuvent intéresser le public et peut être les jeunes générations.
Lorsque ces questions peuvent intéresser le public, parce qu'elles le font sortir de leur rôle de consommateur bénéficiaire confiant dans le progrès rendue possible par les sciences.
C'est à dire le fait sortir du rôle que lui assigne l'imaginaire de la figure de la poule aux oeufs d'or.
Cela a été notamment le cas, cette sortie de rôle, avec la sphère des OGM.
Lorsque le degré d'ignorance des biologistes les plus prestigieux, quant à la différence entre un OGM étudié dans les conditions abstraites du laboratoire et un OGM dans les champs, est devenu une affaire publique.
La contestation a gagné en efficacité lorsqu'il est devenu apparent que les OGM dans les champs impliquaient des questions que les chercheurs faisant autorité ne posaient pas, qu'ils considéraient comme ne les regardant pas, car elle ne faisait pas avancer la connaissance.
 
Je dirais donc, pour finir, qu'une recherche responsable me semble demander une formation qui activent l'imagination là précisément où elle est asséchée par les mots d'ordre.
Et cela ne peut se faire par des cours généraux d'éthique ou d'épistémologie.
Les étudiants, on le sait, savent qu'ils doivent apprendre et restitués puis sont autoriser à oublier de tels cours.
Nous avons besoin que les étudiants et chercheurs soient activement sensibiliser à la pauvreté et à la partialité des arguments, de ceux qui ont défendu ou défendent une innovation comme solution enfin rationnelle à un problème d'intérêt commun.
Nous devons ou pouvoir exiger d'eux _ Je rêve, mais la responsabilité est également un rêve. Donc autant faire des rêves qui mordent. _
Nous le devons pouvoir exiger d'eux qu'ils apprennent à percevoir et caractériser sans indulgence les manières dont un argument peut devenir psuedo-scientifique, lorsqu'il définit les contestations comme des obstacles au progrès.
Nous avons besoin d'épreuves évaluatives, portant sur leur lucidité à propos de l'environnement social économique qui sera concerné par leurs recherches.
Nous avons besoin d'une véritable culture normative demandant que les experts réclament les contres experts susceptibles de témoigner de ce qu'eux mêmes ignorent.
Et nous avons besoin donc aussi d'une communauté scientifique qui dénoncent publiquement les simplifications abusives et les arguments d'autorité avec lesquels certains de leurs collègues défendent une innovation.
Une telle culture ne s'obtiendra évidemment pas sans lutte.
Mais je voudrais le souligner elle ne se fera pas contre les sciences, mais contre une institution pour laquelle ces sciences doivent être protégés d'un public défini tout à la fois comme bénéficiaire, comme devant être tenus à distance et comme devant être rassurés.
Une telle culture demande une institution scientifique qui favorise et active des dispositifs ou les chercheurs seraient tenus de rencontrer, écouter, négocier avec ceux que leurs propositions concernent, comme ils savent le faire avec ceux dont ils dépendent collègues et commanditaires.
Elle demande une institution à laquelle les leçons que ces chercheurs tirent de telles rencontres importent autant que les autres collaborations qu'ils engagent, une institution qui définirait la fiabilité des propositions, l'esprit critique et l'indépendance des chercheurs, comme des valeurs qui doivent être prolongées partout où ces chercheurs s'expriment en tant que tels.
Je vous remercie.
 
[Applaudissements]
</blockquote>