« Fondements des mathématiques/Les expressions formelles, les ensembles et les fonctions » : différence entre les versions

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Ce chapitre expose les problèmes de l’existence des êtres mathématiques. Qu’est-ce qui existe au sens mathématique ?
 
== L’ontologie mathématique ==
 
La question de l’existence est aussi nommée la question ontologique. L’ontologie d’une théorie, c’est l’ensemble de tous les énoncés d’existence des objets qu’elle étudie.
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Si on définit les mathématiques comme la science des formes de déduction, la question ontologique ne se pose pas. On suppose que les prémisses sont vraies. Tous les énoncés d’existence qu’elles contiennent sont des hypothèses dont la vérité dépend des objets (non-mathématiques) auxquels elles sont appliquées. Autrement dit tous les énoncés d’existence mathématique auraient un caractère hypothétique. Mais cette approche ne rend pas complètement compte des questions qui se posent aux mathématiciens.
 
Quand on a prouvé par exemple qu’il existe un corps ordonné, archimédien et complet, à savoir l’ensemble des nombres réels, on interprète en général ce théorème comme une vérité absolue, qui ne dépend pas d’hypothèses sur l’existence des êtres non-mathématiques. Cela revient à croire d’une certaine façon en l’existence d’un monde idéal, platonicien, où les êtres mathématiques existent vraiment et où ils sont comme nous disons qu’ils sont. Mais comment savoir que ce monde idéal existe vraiment ?
 
La théorie des modèles apporte une réponse plus prudente. Elle ne dit pas qu’il existe un monde idéal mais seulement qu’on peut l’imaginer. On interprète alors le théorème d’existence de l’ensemble des nombres réels, non comme une affirmation sur un mystérieux au-delà, mais seulement comme l’affirmation qu’il est possible de développer une théorie cohérente à propos d’un corps (au sens de l’algèbre), ordonné, archimédien et complet.
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Les théories des ensembles apportent donc un point de vue très général. En fait, tous les théorèmes mathématiques peuvent être démontrés à l’intérieur d’une théorie des ensembles. Mais la puissance de ces théories posent des difficultés. Nous allons voir qu’il n’est pas facile de les formuler d’une façon cohérente.
 
== L’existence des extensions conceptuelles, Frege et le paradoxe de Russell ==
Frege est l’un des premiers à avoir proposé une liste explicite des principes d’existence des ensembles. Il l’avait incorporée à une oeuvre destinée à fonder l’ensemble des mathématiques sur des méthodes complètement formalisées. Son principal axiome dit que pour tout concept C il existe un ensemble, l’ensemble E des êtres pour lesquels ce concept est vrai. E est l’extension conceptuelle de C.
 
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De l’examen des réponses il faut conclure qu’un tel barbier ne peut pas exister. De la même façon un ensemble qui contiendrait tous les ensembles qui ne sont pas dans eux-mêmes ne peut pas exister. Autrement dit, toute ontologie des extensions conceptuelles ne peut pas donner l’existence à l’extension du concept de ne pas être élément de soi-même sous peine d’être contradictoire.
 
On peut noter ici une différence entre l’exemple du barbier et BR. Le concept d’un tel barbier dans un tel village existe, mais c’est un concept vide. De même, le concept d’un univers d’ensembles et d’un ensemble qui contiendrait tous les ensembles qui ne sont pas dans eux-mêmes existe. Russell a prouvé que c’est un concept vide. Mais que faut-il dire du concept “ne pas être élément de soi-même” ? Est-ce qu’il existe ?
 
Un concept existe dès qu’il fait partie d’une théorie sensée. L’ensemble des nombres entiers n’est pas un nombre entier et n’est donc pas élément de lui-même. C’est sensé. Le concept de ne pas être élément de soi-même existe donc. Seule son extension conceptuelle ne peut pas exister. Le concept du barbier ci-dessus existe et a une extension conceptuelle. Elle est tout simplement vide. Le concept de ne pas être élément de soi-même existe mais n’a pas d’extension conceptuelle. S’il en avait une, elle ne pourrait pas être vide, puisqu’il y a des ensembles qui ne sont pas éléments d’eux-mêmes. Appelons concepts extensionnels les concepts qui ont une extension. Russell a prouvé qu’une théorie générale des concepts ne peut pas se limiter aux concepts extensionnels.
 
== Qu’est-ce qu’un ensemble ? ==
Pour faire un ensemble il suffit d’avoir des objets et de donner un critère d’appartenance à l’ensemble que l’on définit. Le critère d’appartenance est en général un prédicat unaire, c’est à dire une formule qui contient une seule variable libre. Un prédicat unaire est un concept qualitatif. C’est pourquoi toute ontologie des ensembles incorpore sous une forme plus ou moins restreinte l’axiome de Frege. Il y a des concepts qui ont une extension. Plus il y en a, plus l’ontologie est tolérante. Mais si elle est trop tolérante, elle tombe dans l’absurdité.
 
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L’extension d’un prédicat, c’est l’ensemble de tous les êtres pour lesquels ce prédicat est vrai. L’axiome d’extensionnalité ne fait qu’énoncer la propriété essentielle des extensions, c’est à dire des ensembles.
 
== Les ensembles indicibles ==
La fin de cette section prouvera qu’une théorie ne peut pas donner l’existence à tous les ensembles. Elle ne contient pas assez de noms. Quel que soit l’ensemble infini des ensembles nommés dans une théorie, il est toujours incomplet. Qu’on puisse prouver que l’incomplétude ontologique est une propriété nécessaire de toutes les théories montre que la raison est capable de connaître ses propres limites.
Il n’y a pas de théorie qui contienne assez de noms pour tous les ensembles. Cela ne veut pas dire forcément que le concept d’ensemble n’a pas d’extension, parce qu’on peut parler de l’ensemble de tous les ensembles . Mais cela veut quand même dire que cette extension ne peut jamais être bien définie, qu’on ne peut jamais donner un nom à tous ses éléments. Tant qu’on peut donner un nom à tous ses éléments, l’ensemble est dicible, sinon il est indicible.
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En général, on n’a pas besoin d’ensembles aussi grands que l’ensemble de tous les ensembles, parce qu’on se contente des ensembles de nombres et de ceux que l’on peut définir à partir d’eux. On pourrait donc songer à limiter les mathématiques à des ensembles dicibles tels que celui des entiers. On pourrait vouloir exclure de notre ontologie tous les ensembles indicibles, sous prétexte qu’ils sont problématiques. Mais ce serait une erreur aussi grave que de vouloir arranger nos vies pour ne plus jamais avoir de problèmes. Les êtres rationnels sont assez forts pour résoudre des problèmes. Il ne faut pas nous prendre pour des incapables.
 
La théorie cantorienne des nombres infinis montre que même des ensembles beaucoup plus petits que l’ensemble de tous les ensembles sont également indicibles. Deux des plus petits sont l’ensemble des nombres réels et l’ensemble P(N) de tous les ensembles de nombres entiers positifs, ou ensemble des parties de N. Les parties sont ici les sous-ensembles. N est l’ensemble des entiers naturels, ou positifs. L’ensemble P(N) est très important. Il est fondamental pour définir l’ensemble des nombres réels.
 
A priori l’existence de l’ensemble de tous les ensembles n’est pas interdite. On peut accepter n’importe quelle théorie des ensembles pourvu qu’elle n’ait pas de conséquences contradictoires et qu’elle respecte les significations usuelles que l’on attribue à la notion d’ensemble. La théorie du zig-zag interdit de Quine donne l’existence à l’ensemble de tous les ensembles et elle respecte les significations usuelles de la notion d’ensemble.
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La stratégie ontologique de cette encyclopédie est progressive. On commencera par les ensembles dicibles. Les ensembles dicibles fondamentaux sont les systèmes formels, ou ensembles d’expressions formelles. Les autres ensembles sont définis à partir des systèmes formels avec des règles de construction.
 
== Les systèmes formels ==
Un système formel est un ensemble de formules, ou expressions formelles, que l’on peut interpréter comme des noms, des phrases, ou de toute autre façon.
 
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Les systèmes formels de base sont des ensembles énumérables. Intuitivement, ce sont tous les ensembles pour lesquels on peut donner un procédé mécanique d’énumération de tous leurs éléments. Le chapitre suivant (l’incomplétude) donnera deux définitions équivalentes de cette notion fondamentale d’énumérabilité.
 
== L’existence des non-ensembles ==
Une méthode couramment acceptée en mathématiques fondamentales consiste à limiter l’ontologie aux ensembles. Les seuls êtres méthématiques sont des ensembles. La raison de cette méthode, c’est qu’il semble qu’on ne gagne rien à accueillir les non-ensembles. Tous les non- ensembles peuvent être représentés fidèlement dans une théorie des ensembles. Cela peut surprendre le débutant, parce que les non-ensembles, les nombres et la plupart des objets sont premiers par rapport aux ensembles. Les ensembles ne font que réunir des êtres qui existent dèjà. Cependant, si l’on part de l’ensemble vide, et que l’on forme d’autres ensembles, tels que l’ensemble qui contient l’ensemble vide comme unique élément, l’ensemble qui contient les deux précédents, l’ensemble qui contient les trois précédents et ainsi de suite, on obtient une ontologie réduite aux ensembles et cependant assez riche pour définir des représentations de tous les êtres mathématiques. L’économie des moyens justifie donc cette réduction ontologique. Mais cette méthode de réduction ne sera pas suivie dans les pages qui suivent pour plusieurs raisons.
 
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Quand on adopte une démarche ontologique progressive, les fonctions sont parfois plus fondamentales que les ensembles. Il n’y a aucune difficulté à considérer “Singleton de...” comme une fonction. En revanche, il y a beaucoup de difficultés à considérer son domaine comme un ensemble. Dans certaines théories, on veut que tous les êtres soient définis à partir d’objets déjà définis. Comme les fonctions jouent un rôle de premier plan dans la construction, ou définition, des ensembles, leur existence est établie de façon prioritaire.
 
== La théorie cantorienne des nombres infinis ==
Les nombres entiers positifs suffisent pour se faire une idée de l’infini. On peut écrire des nombres aussi grands que l’on veut. Il n’y a pas de nombre qui soit plus grand que tous les autres. On peut le démontrer par l’absurde. Supposons qu’il y ait un nombre plus grand que tous les autres. Appelons-le N. N+1 est plus grand que N contrairement à l’hypothèse, qui doit donc être rejetée, ce qu’il fallait démontrer. Montrons que l’on peut formaliser cette démonstration avec les règles de la déduction naturelle.
 
1 pour tout x, x est plus petit que x+1 (Axiome)
 
2 pour tout x et tout y, si x est plus petit que y alors y n’est pas plus petit que x (Axiome)
 
3 z est plus petit que z+1
 
4 si z est plus petit que z+1 alors z+1 n’est pas plus petit que z
 
5 z+1 n’est pas plus petit que z
 
6 pour tout w, w+1 n’est pas plus petit que w
7 °°°°° pour tout x, x est plus petit que N (Hypothèse)
 
8 °°°°° n’est pas plus petit que N
 
9 °°°°° N+1 est plus petit que N
 
10 °°°°° N+1 est plus petit que N et N+1 n’est pas plus petit que N
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On appelle le nombre des nombres réels la puissance du continu. Le théorème précédent affirme que la puissance du continu est plus grande (strictement) que l’infini dénombrable, qu’elle est indénombrable.
 
== Le théorème de l’incomplétude ontologique : il existe des ensembles indicibles ==
Si un ensemble n’est ni fini, ni dénombrable, on dit qu’il est indénombrable. Le théorème de l’incomplétude ontologique est une conséquence des théorèmes de Cantor, parce qu’un ensemble indénombrable est indicible. Pour le prouver, il suffit de montrer que l’ensemble de tous les noms dans une théorie est toujours au plus dénombrable. La définition d’une théorie respecte deux conditions.