Voix/Typologie des voix
La tessiture et le timbre sont deux critères pour classer les voix. Un certain répertoire nécessitera un certain type de voix (par exemple, Wagner exige des voix très puissantes. Il est d'ailleurs déconseillé aux interprètes non expérimentés de chanter du Wagner). Un personnage d'opéra, un soliste ou un membre de chœur se caractérise ainsi par sa voix. Cependant, la voix d'un interprète peut évoluer avec l'âge, et il n'est pas rare qu'une artiste lyrique soprano puisse chanter des rôles de mezzo-soprano en vieillissant. C'est pourquoi cette typologie connaît des limites : elle "enferme dans des cases". Elle est pourtant pratique, et aide des interprètes à chanter des parties ou des rôles qui correspondent à leur voix : s'il est utile de sortir de sa zone de confort, il peut être vocalement dangereux de trop le faire.
Les différentes hauteurs sont (du plus aigu au plus grave) : soprano, mezzo-soprano, contralto (ou alto), ténor, baryton, basse. Notons que ces classifications ne valent que pour la musique classique européenne, et pas pour les autres styles (musiques du monde, jazz, pop…). Les classifications baroques et les voix masculines plus aigues que le ténor seront traitées plus tard.
Les timbres sont, du plus "léger" au plus "lourd" : colorature, léger, lyrique, dramatique, avec quelques subtilités (lyrico-spinto, entre lyrique et dramatique, "profond" ou "chantant" pour les basses). Timbre et hauteur peuvent être combinés, par exemple Chérubin, dans les noces de Figaro, est un rôle de mezzo-soprano léger.
Alain Perroux, dramaturge et directeur d'opéra, classifia les voix. Par convention, les noms de voix sont masculins (sauf basse), on dira donc un mezzo-soprano. Cependant, il n'est pas rare de lire "une mezzo-soprano", rentré dans l'usage. Le pluriel italien des voix de femmes se finit en i, ex. des soprani, mais le français admet "soprani" et "sopranos" (plus courant).
Voix de femme (ou d'enfant)
modifierSoprano
modifierLe mot "soprano" signifie "dessus" en italien (sopra = dessus) et, de fait, c'est la voix la plus aigue, qu'elle soit une voix de femme, d'enfant ou de castrat, dont l'un des plus connus était Farinelli. Le soprano n'utilise pas sa voix de poitrine, ou très peu.
Le soprano colorature (ou agile) est la voix la plus aigue, la plus légère, la plus agile dans les vocalises, elle a parfois recours à la voix de sifflet (évoquée dans le chapitre 1). Elle est très rare. Sa tessiture va du Do3 au Fa ou au Sol5. Attention au terme "colorature", souvent interprété comme synonyme d'aigu : il désigne en fait une agilité dans les vocalises, et peut désigner d'autres tessitures que le soprano (ex. mezzo-soprano). La Reine de la Nuit de la Flute Enchantée de Mozart, déjà mentionnée, est sans doute le plus célèbre rôle de soprano colorature, il atteint le Fa5 dans ses deux airs (dont le premier est, à tort, moins connu que le deuxième). Citons aussi, dans Lakmé de Delibes, le personnage éponyme, qui atteint aussi le Fa5 à la fin de l'air des Clochettes. La poupée-automate Olympia, dans les Contes d'Hoffmann, est un autre rôle de colorature. Au sujet de ce dernier rôle, Sabine Devieilhe (soprano colorature) commente qu’un préjugé sur les colorature est que leur chant est très technique et sans âme, ce qui est faux, sauf justement dans ce rôle où Offenbach joue avec l'aspect "mécanique" pour composer la rôle de cette poupée automate. Parmi les chanteuses, outre Sabine Devieilhe, on peut citer Diana Damrau, Natalie Dessay, ou Mado Robin, qui battit un record d'aigu. La voix de colorature est impressionnante, mais l’on peut réfléchir à la place de la performance dans l'opéra : vient-on pour être impressionné par la technique, ou pour entendre raconter une histoire et partager des sentiments ?
Le soprano léger vocalise bien et a un timbre clair, et ressemble au soprano colorature, en un peu moins aigu. Morgana dans Alcina de Haendel et Sophie dans l'air Du gai soleil de Werther constituent des rôles de soprano léger. Oreste dans la Belle Hélène, quand il est chanté par une femme, semble un rôle de soprano léger. Patricia Petitbon est un soprano léger français.
Le soprano lyrique chante moins aigu (tout en restant soprano) et a un timbre plus chaleureux et un peu moins clair et moins agile. Il a de bons médiums. Il peut être, si l'on veut sous-catégoriser, lyrique-léger, lyrique ou lirico-spinto, commence au do3 et atteint le ré5. Le rôle de Marguerite, dans Faust (rôle fétiche de Bianca Castafiore) en constitue un exemple. Violeta Valéry, héroïne de la Traviata de Verdi, est un rôle de soprano lyrique, ainsi que Mimi dans la Bohème, peuvent être cités. Gilda dans Rigoletto est aussi un rôle de soprano lyrique. Renée Fleming, Montserrat Caballé et Anna Netrebko sont des sopranos lyriques.
Le soprano dramatique a un timbre plus sombre et de meilleurs médiums. De manière générale, le timbre dramatique, qui s'applique aussi aux autres tessitures, sied mal aux jeunes chanteurs. Norma de Bellini, Brunhilde dans la Walkyrie et Elektra de Strauss en constituent des exemples. Maria Callas est un soprano dramatique, sa voix, assez étrange ainsi que son jeu de comédienne la rendent si célèbre que son nom est synonyme de diva. Jessye Norman et Birgit Nilsson sont d'autres soprano dramatiques. Montant jusqu'au Ré5, le soprano dramatique peut descendre jusqu'au La2.
Mezzo-soprano
modifierL'étymologie de ce terme est "à moitié soprano". C'est une voix qui évoque le médium des femmes. Sa tessiture descend au Sol2 et monte jusqu'au La#4, elle n'atteint donc pas le contre-ut du soprano (du moins, pas toujours). La célèbre berceuse de Brahms est un chant de mezzo-soprano. Le personnage éponyme de la Belle Hélène d'Offenbach (quoi que parfois confié à un soprano) ou celui de Nicklausse dans les Contes d'Hoffman sont des mezzo-soprano, ainsi que Ruggiero dans Alcina.
Le mezzo-soprano léger (La2-Do5) a une tessiture semblable à celle d'un soprano. Le rôle de Chérubin dans Les Noces de Figaro de Mozart correspond au mezzo-soprano léger. Anne-Sofie von Otter est un mezzo-soprano léger.
Le mezzo-soprano lyrique désigne une voix riche et plutôt sombre, capable de medium, comme de graves et d'aigus. Dorabella dans Cosi Fan Tutte est un rôle de mezzo-soprano lyrique. Cecilia Bartoli, virtuose (notamment dans l'air Agitata da due venti, de Vivaldi, classé comme rôle de soprano mais descendant au Sol2) est un mezzo-soprano lyrique. Tereza Berganza et Elina Garanca sont des mezzo-soprano lyriques.
Le mezzo-soprano dramatique est une voix plus sombre, plus grave, plus chaude. Le rôle de Carmen (la Habanera, Près des remparts de Séville) est conçu pour un mezzo-soprano dramatique. Célestine Galli-Marié, créatrice du rôle de Carmen, est mezzo-soprano dramatique.
Dame Felicity Lott est un mezzo-soprano.
Alto/Contralto
modifierL'interprète soliste se nomme "contralto" et le pupitre de chœur "alto". Ce nom signifie "haut" (alto). C'est la voix la plus grave des voix féminines et enfantines, elle est rare et, de fait, peu d'œuvres pour contralto existent. Elle est qualifiée de "sépulcrale" par Alain Perroux : la plus basse, chaude et noire, qui recourt à la voix de tête comme à la voix de poitrine, a un timbre comme une hauteur assez étonnantes, car peu répandue. Comme le répertoire de contralto est limité, les chanteuses qui ont cette voix se tournent vers des rôles de mezzo ou de la musique vocale autre qu'opératique (dont il sera question au chapitre 3) : par exemple, Er Barme Dich, de la passion selon Saint Mathieu est un classique pour altos. Le personnage d'Erda dans l'Or du Rhin est aussi un rôle d'alto. Le viol de Lucrèce, opéra du vingtième siècle de Benjamin Britten, réserve aussi son premier rôle à un contralto. La Griselda, personnage éponyme de l’opéra de Vivaldi, est contralto. Des airs de Vivaldi et de Haendel sont adaptés aux contraltos. Isabella, dans l'Italienne à Alger (notamment l'air Cruda Sorte) est contralto, quoi que son rôle puisse être distribué à un mezzo-soprano.
Vocalement, elle descend jusqu'au Fa2 voire au Mi2. En fait, elle peut théoriquement atteindre des notes plus basses mais on ne lui demandera pas de les chanter dans des airs. Elle monte tout de même jusqu'au Fa4 voire au Sol4, ce qui reste assez aigu (en musique autre que classique, une chanteuse atteignant ces notes est considérée comme ayant une voix aigue !). La chef d'orchestre Nathalie Stutzmann est contralto et évoque le fait qu'elle veut revaloriser le grave. Elle sort d'ailleurs un disque intitulé Contralto. Marie-Nicole Lemieux, et, chez les chanteuses plus anciennes, Kathleen Ferrier, sont contralto. Dans Emaux et Camées, Théophile Gauthier intitule un de ses poèmes Contralto.
Voix d'homme
modifierVoix au-dessus du ténor
modifierPouvant être considérées comme hors-classification, ces voix sont celles d'hommes adultes capables de monter dans l'aigu, aussi haut que certaines voix de femmes. Il ne s'agit pas de castrats ! Le contre-ténor est la plus aigue de toutes. Un tel chanteur (citons Philippe Jaroussky) utilise ses résonnateurs de tête. Si sa tessiture est semblable à celle d'un soprano, on parlera de sopraniste, pour un contralto, de contraltiste. La haute-contre est une voix de ténor particulièrement aigue (quoi que moins aigue que le contre-ténor), utilisant la voix de tête dans le registre aigu (ex. air sur les stances du Cid, de Charpentier). Ces voix relèvent plutôt du répertoire baroque ou contemporain, elles disparaissent entre les deux périodes. C'est une des raisons pour lesquelles ces voix peuvent sembler extérieures à la classification.
Ténor
modifierExcepté le contre-ténor et la haute-contre, le ténor est la voix masculine la plus aigue. Son nom vient de l'italien "teneur", dans la mesure où dans un chœur, il tient le plain-chant. On parle aussi de ténor pour désigner un expert de quelque chose, ténor du barreau par exemple, ou du ténor de la basse-cour pour le coq (quoi que le coq serait plutôt soprano). Les rôles de ténors correspondent souvent à l'archétype du jeune premier, héros vaillant et amoureux (du soprano, évidemment), alors que le baryton ou la basse jouero,nt des rôles d'antagonistes ou de maniganceurs. Ce schéma se retrouve dans une version très simple dans Bastien et Bastienne de Mozart, respectivement ténor et soprano (là où Colas, la basse, aidera le couple avec des ruses). Ce n'est cependant pas systématique.
Le ténor léger est l'équivalent masculin de la soprano léger. Almaviva dans le Barbier de Séville et Lindoro dans l'Italienne à Alger constituent des rôles de ténor léger. Le tenorino (petit ténor) est un synonyme de ténor léger. Sa tessiture va du do2 au ré4, plus rarement jusqu'au fa4. Luigi Alva et Juan Diego Flórez sont des chanteurs ténor léger. On le retrouve dans l'opérette ou l'opéra-bouffe.
Le ténor lyrique (il existe aussi un intermédiaire entre lyrique et léger, le ténor lyrique-léger) a une voix moins aigue (tessiture : do2-do#4) et un timbre plus chaud. Tamino dans la Flute Enchantée et le Duc dans Rigoletto (qui interprète la Donna e mobile) sont des rôles de ténor lyrique. L'air une furtiva lagrima est aussi un air de ténor lyrique. Le célèbre chanteur Pavarotti, ainsi que José Carreras ou encore Roberto Alagna sont des ténors lyriques. Le ténor lirico spinto (ex. Don José dans Carmen) est un ténor lyrique qui tend vers un timbre dramatique. Placido Domingo a ce type de voix.
Le ténor dramatique (tessiture : do2-do4), dit ténor héroïque ou ténor noble, est le rôle de Siegfred de Wagner. Doté d'une voix très puissante (mais moins souple), chaleureuse, c'est l'équivalent masculin du soprano dramatique. Comme dit plus haut, un timbre dramatique convient rarement aux jeunes chanteurs et demande une certaine expérience. Lauritz Melchior est un ténor dramatique.
Baryton
modifierLe terme baryton vient du grec et signifie à la voix grave. C'est le médium des hommes, plus aigu que la basse mais plus grave que le ténor. L'air pour baryton de Figaro dans le Barbier de Séville est un classique qui demande une certaine agilité (notamment le "la la la" final, chanté rapidement). Généralement, sa voix va du Sol1 au Sol3.
Le baryton léger (Si1-La3) a, comme vous pourrez le constater, une tessiture plus aigue que le baryton "moyen", et également un timbre plus lumineux. Le chanteur Jean-Blaise Martin (dix-huitième siècle), donne son nom au type du baryton-martin (dans le répertoire français). Orfeo dans l'Orfeo de Monteverdi (considéré comme le premier grand opéra) et Pélleas dans Pelleas et Mélissandre de Debussy constituent des rôles de baryton léger. Les barytons les plus aigus (ou les ténors les plus graves) sont parfois appelés baryténors.
Le baryton lyrique, représenté par Marcello dans la Bohême, ou par Figaro dans le barbier de Séville (traité plus haut), a une tessiture de La1-Sol3. Dans le répertoire mozartien, Papageno (l'oiseleur de la Flûte Enchantée) constitue un autre célèbre rôle de baryton.
Le baryton dramatique (sol1-sol3) a une tessiture plus basse et un timbre plus sombre et plus riche. Scarpia dans Tosca, Wotan dans Tétralogie de Wagner, ou encore Escamillo dans Carmen (le toréador) sont des rôles de barytons dramatiques. Germont dans la Traviata ou le personnage éponyme de Rigoletto peuvent aussi être cités. Enfin, le bayton-basse, comme son nom l'indique, se situe entre le baryton et la basse. Le héros de Boris Godounov de Moussorgski, Méphistophélès de Faust, ou encore Don Alfonso dans Cosi Fan Tutte appartiennent à cette dernière catégorie.
Parmi les barytons célèbres, citons Dietrich Fischer-Dieskau, qui interpréta notamment des lieder de Schubert.
Basse
modifierC'est la plus grave des voix des hommes, et donc des voix humaines. Elle monte jusqu'au Mi3 (ce qui est à peu près une octave en dessous de la plus haute note d'un contralto). Elle peut descendre jusqu'au Mi1, ce qui en fait une voix très grave. Elle peut être chantante ou profonde. Une basse chantante reste plus agile qu'une basse profonde, Alain Perroux qualifie sa couleur de "sombre mais élégiaque". Il classe Méphistophélès dans cette catégorie, bien que ce rôle puisse aussi être donné à un baryton-basse : cette confusion montre que la typologie vocale n'est pas une science exacte. Philippe II, dans Don Carlos de Verdi, est un autre rôle de basse chantante. Féodor Chaliapine est un exemple de basse chantante. Quant à la basse profonde (dite basse noble ou basse Nivette), c’est la voix la plus sombre et la plus grave qui puisse exister. De grands rôles mozartiens sont réservés aux basses : pensons à Sarastro de la Flute Enchantée, le chef des prêtres, personnage incarnant la sagesse. Dans Don Giovanni, un autre personnage démesuré et impressionnant, le Commandeur (ou plutôt sa statue), précipite notre anti-héros en Enfer. Ce sont ces personnages, incarnations autoritaires du Bien, qui siéent à la basse profonde (dans le chœur introductif de Sarastro, il est traité en idole, le mot idole apparait même). En revanche, Osmin de l'Enlèvement au sérail est un antagoniste. Kurt Moll est une célèbre basse profonde.
Typologie baroque
modifierLa typologie baroque emploie un vocabulaire différent : on parlera de dessus, de bas-dessus, de haute-contre, de taille, de basse-taille et de basse-contre.
Spécificité du chant
modifierPar rapport aux instruments externes, notre voix, c’est nous. Il en résulte que l'interprète s'expose plus à la critique et au public, très exigeant. Philippe Jordan écrit dans le Que sais-je sur l'opéra que si le violon a un problème, on cherche le luthier, si c’est le cas du piano, on cherche l’accordeur, mais le chanteur est seul avec sa voix. Le fait que la voix évolue avec le temps, conséquence du fait que notre voix, c'est nous, est qu'une carrière de chant d'opéra (bien qu'il existe des enfants chanteurs) commence vers l'âge de vingt ans (pour un instrument externe, ce sera beaucoup plus jeune).