Cendrillon, en entrant dans la cuisine, y aperçut sa marraine qui l'attendait.
« Enfin te voilà ! lui dit la fée. J'étais inquiète pour toi. Je croyais que tu avais oublié ta promesse, ce qui aurait été un grand malheur. T'es-tu bien amusée au bal ?
– Oh ! Marraine, s'écria Cendrillon dont les yeux brillaient, c'était magnifique et je m'en souviendrai toute ma vie. Le Prince royal a été aussi aimable avec moi et m'a fait autant d'honneur que si j'avais été la plus grande princesse du royaume. Il y a un autre bal demain et le Prince m'a invitée. Je voudrais bien y assister.
– Bien, nous verrons cela, dit la marraine ; mais fais bien attention à ce que tu diras à tes sœurs. Ne leur montre pas ta joie ou tu gâterais tout. »
Juste à ce moment, on frappa rudement à la porte. C'étaient les deux sœurs qui revenaient. La vieille femme disparut dans la cheminée tandis que Cendrillon allait leur ouvrir.
« Oh ! Que vous rentrez tard ! leur dit-elle en se frottant les yeux et en s'étirant comme si elle venait de s'éveiller. Vous devez être bien fatiguées.
– Fatiguées, dis-tu ? s'écria Euphrasie ; si tu avais été au bal, mon enfant, je te garantis que tu serais moins endormie que tu sembles l'être. Il y avait… mais, continua-t-elle avec un sourire méprisant, qu'importe à une fille de cuisine de savoir ce qui se fait dans le monde !
– Je pense que cela devait être merveilleux, dit Cendrillon modestement.
– Oh ! Oui, dit Charlotte. Il est venu au bal la plus belle princesse que l'on puisse voir ; elle nous a fait mille politesses. Je puis te le dire, elle nous a longuement parlé ; elle était assise en face de nous au souper et elle nous a donné des oranges et des citrons.
– Comment se nommait-elle ? demanda Cendrillon ravie, et comment était-elle habillée ?
– C'est une chose étrange, dit Charlotte. Personne ne sait qui elle est, ni d'où elle vient, quoiqu'on soit assuré qu'elle est une très grande princesse. Le fils du roi était fort en peine du mystère et nous l'avons entendu dire qu'il donnerait tout ce qu'il possède au monde pour connaître son nom. Quant à sa robe, je ne peux pas même te la décrire. Elle était trop simple et trop sobre de couleur à mon goût, mais elle avait dû coûter très cher, car elle était à la dernière mode.
– Oh ! soupira Cendrillon, comme je voudrais la voir ! Ne voulez-vous pas m'emmener avec vous demain ? Euphrasie pourrait me prêter sa robe jaune.
– Vraiment ! s'écria Euphrasie. Je n'ai jamais vu pareille impudence ! Lui prêter ma robe jaune ! Non, voyez-vous cela ! Mener dans une si belle compagnie une misérable Cendrillon comme toi ! La Princesse ne voudrait jamais plus nous parler. »
Cendrillon ne répondit rien, et à la vérité, elle était bien aise du refus d'Euphrasie, car cette complaisance l'eût grandement embarrassée.
Le lendemain, les deux sœurs se levèrent très tard et Cendrillon elle-même fut moins matinale que d'habitude.
Après le déjeuner, Euphrasie et Charlotte recommencèrent leurs préparatifs en vue du second bal, et il se passa des scènes inénarrables, car les deux sœurs voulaient modifier leur toilette afin qu'elle ressemblât à celle de la princesse mystérieuse. Mieux que personne, Cendrillon savait mieux que chacune d'elles ce qui faisait le charme de cette toilette, mais rien de ce qu'elle essayait ne paraissait bien à ses sœurs et elle fut bien heureuse quand arriva l'heure du départ qui lui permettait de rester seule à la maison.
Il était déjà sept heures un quart, et la fée n'arrivait pas. Anxieusement, Cendrillon regardait la pendule dont les aiguilles semblaient aller si lentement, et elle commençait à se désespérer ; lorsque, tout à coup, elle entendit un léger bruit qui la fit se retourner : elle aperçut la vieille femme qui se tenait sur le seuil de la porte.
« Ah ! Ah ! dit la fée en souriant ; tu es impatiente, je vois cela, ma foi ! Bien, bien, je ne te gronderai pas. As-tu la citrouille, les souris, le rat et les lézards ?
– Oui, oui ! s'écria Cendrillon, tout est là, excepté les lézards, mais je vais aller les attraper. Il y a six souris dans la souricière et un rat qui fera le plus magnifique cocher. Oh ! Marraine, comme vous êtes bonne ! »
Elle dansait de joie, tandis que la vieille femme, à l'aide de sa baguette, changeait de nouveau la citrouille en carrosse, les souris en chevaux, le rat en cocher, les lézards en laquais.
Enfin, lorsqu'elle eut frappé l’épaule de Cendrillon, celle-ci apparut dans une robe encore plus magnifique que celle qu'elle portait pendant la précédente nuit. Elle était en soie jaune pâle avec des rayures rose-thé et les pantoufles de vair à ses pieds étaient délicieusement moirées d'or.
Encore une fois, la fée lui recommanda de ne pas quitter le Palais après minuit, car, au dernier coup de l'horloge, toutes les belles choses qu'elle possédait reprendraient leurs formes naturelles et elle-même redeviendrait une pauvre servante en guenilles.
Cendrillon renouvela sa promesse et partit dans son carrosse.
Lorsqu'elle arriva au Palais, le Prince l'attendait avec impatience et commençait à craindre qu'elle ne vînt pas. Il offrit encore le bras à Cendrillon, la conduisit dans la salle de bal et la fit asseoir à une des places d'honneur parmi les invités de marque. Il ne la quitta pas de toute la soirée, murmura mille choses aimables à son oreille.
« Vous êtes la dame de mon cœur, disait-il, pourquoi êtes-vous assez cruelle pour me cacher votre nom ? »
Cendrillon garda le silence, car elle s'effrayait à la pensée de ce que dirait le Prince s'il la voyait dans sa cuisine sombre, lavant les casseroles graisseuses ou frottant le parquet.
Le temps passait délicieusement et Cendrillon oublia totalement la promesse qu'elle avait faite à sa marraine.
Soudain, elle fut terrifiée en entendant sonner le premier coup de minuit. Elle poussa un cri d'effroi, se leva précipitamment sans même saluer la compagnie, courut à travers la salle de bal, descendit quatre à quatre les marches de l'escalier et traversa à toutes jambes les jardins du Palais. Elle allait tellement vite qu'une de ses petites pantoufles de vair se détacha et, dans son trouble, elle ne s'arrêta même pas pour la ramasser.
« Quatre ! Cinq ! Six ! » sonnait l'horloge, et Cendrillon courait toujours, éperdue, son cœur battant à grands coups. Elle s'égara dans les bosquets, retrouva à grand-peine son chemin, se lança à travers les plantes-bandes des parterres, accrochant et déchirant sa belle robe aux épines des roses.
« Sept ! Huit ! Neuf ! »
Elle précipita sa fuite, se hasarda dans l'herbe d'une pelouse et se trouva enfin dans une allée ombragée par de grands arbres, qui conduisait à une porte.
« Dix ! Onze ! Douze ! »
Au douzième coup, sa magnifique toilette s’évanouit brusquement et elle n'eut plus sur elle que sa misérable robe rapiécée... Il ne lui restait plus rien de toutes ses splendeurs qu'une petite pantoufle de vair qu'elle ramassa et serra sur son cœur.
Quelques minutes plus tard, les gardes du palais voyaient passer une pauvre fille en haillons. Ils s'interrogèrent sur sa présence en ce lieu et à cette heure, puis ils jugèrent que la chose était sans importance et ne songèrent pas à se mettre à sa poursuite.
Cendrillon courut de toutes ses forces jusqu'à la demeure paternelle et arriva, haletante et essoufflée, juste à temps pour ouvrir la porte à ses sœurs. Elle leur demanda si elles s'étaient encore bien diverties et si la belle princesse assistait au bal. Euphrasie et Charlotte, que l'animation de la soirée avait mises de bonne humeur, ne se firent pas prier et racontèrent avec force détails tout ce qui s'était passé.
« Pense donc, dit Charlotte après qu'Euphrasie eut narré la fuite de la princesse, le Prince royal a pris la pantoufle qu'elle avait abandonnée et n'a cessé de la tenir à la main pendant toute la soirée. De temps en temps, quand personne ne le regardait, il y déposait de furtifs baisers.
– Il est fou ! s'écria Euphrasie en hochant la tête.
– Peut-être, répliqua Charlotte ; en tout cas il est triste de penser que le Prince est tombé amoureux de cette merveilleuse princesse et qu'il restera malheureux tant qu'il ne l'aura pas retrouvée. »
À ces mots, les yeux de Cendrillon se remplirent de larmes et elle se détourna vivement afin que ses sœurs ne pussent voir son émotion.
« C'est la Princesse qu'il aime, songeait-elle avec mélancolie. S'il me voyait maintenant dans mes haillons ou me trouvait au milieu de mes travaux de cuisine, me reconnaitrait-il ? Et même s'il me reconnaissait, ne serait-il pas horrifié d'avoir dansé avec une fille de cuisine ? »
Et elle pensa qu'au demeurant, tout s'était bien passé. Le Prince ne la verrait plus jamais et, peu à peu, l'oublierait. Mais elle, Cendrillon, ne l'oublierait jamais. Durant toute sa vie, elle se souviendrait des deux heureuses soirées qui resteraient pour elle des rêves merveilleux.