De la propriété au commandement/Les origines de l'État
Dans la conclusion de son livre La société contre l'État, Pierre Clastre anthropologue et anarchiste, se posait la question de savoir :
« Quel est le moteur de cette transformation majeure qui culminerait dans l’installation de l’État ? Son émergence sanctionnerait la légitimité d’une propriété privée préalablement apparue, l’État serait le représentant et le protecteur des propriétaires. Fort bien. Mais pourquoi y aurait-il apparition de la propriété privée en un type de société qui ignore, parce qu’il la refuse, la propriété ? Pourquoi quelques-uns désirèrent-ils proclamer un jour : ceci est à moi, et comment les autres laissèrent-ils ainsi s’établir le germe de ce que la société primitive ignore, l’autorité, l’oppression, l’État ? »[1].
Voici une question à laquelle Alain Testart a tenté de répondre. Tout d'abord en affirmant qu'à la sortie de l'état de nature, ce sont les techniques de conservation de la nourriture qui permirent le développement des premières inégalités sociales. Suite à quoi l'appropriation des moyens de subsistance par certains permis le développement du péonage, de l'esclavage puis d'autres formes d'aliénation des êtres humains au travers du prolétariat et du marché de l'emploi.
Testart précisa ensuite que « Sous un régime d'égalité, toute épargne qui n'a pas pour objet une reproduction ultérieure ou une jouissance est impossible : Pourquoi ? parce que cette épargne ne pouvant être capitalisée, se trouve dès ce moment sans but et n'a plus de cause finale. »[2]. Selon cette logique, la conservation de la nourriture peut en conséquence être perçue comme une première expression originelle d'un capitalisme reposant sur la privatisation et le stockage d'un travail produit au sein de la nature pour permettre ensuite, lorsque la société l'autorise, d'asservir le démunis par la pratique du don et de l'endettement.
Les esclaves réputés plus fidèles et fiables que les personnes de sa propre famille ou de son propre groupe social en raison du droit de vie et de mort exercé par le maitre ainsi que par la pratique du mort d'accompagnement, deviennent ainsi les plus grands protecteurs de leur maitre. Parmi ces esclaves, prêts à sacrifier leur vie pour leur maitre et d'autant plus nombreux que ce dernier est riche, se trouveront ainsi les meilleurs guerriers, qui auront tôt fait de constituer des milices, puis des armées propices à l'instauration des premières forme d'organisation étatique, grâce à leur monopole exercé sur la violence.
Selon la thèse de l'anthropologue anarchiste James C. Scott publiée dans le livre intitulé Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États[3], la culture céréalière fut promue ou imposée pour en faciliter le prélèvement d'impôt. Ceci alors que parallèlement, David Graeber nous explique comment l'usage de la monnaie permettra aux armées de s'approvisionner lors de campagnes qui permettront de repousser toujours un peu plus loin des frontières d'un état ou d'un empire.
Notes et références
modifier- ↑ Pierre Clastres, La Société contre l'Etat, Minuit, 2011-10-06 (ISBN 978-2-7073-2231-9) [lire en ligne]
- ↑ Ibid. p. 159
- ↑ James C. Scott, Homo Domesticus: Une histoire profonde des premiers États, La Découverte, 2021-01-07 (ISBN 978-2-348-06751-8)