Identités troubles au théâtre classique/Molière, Amphitryon, acte II scène 1, 1668

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Il s’agit d’une entreprise de justification : Sosie explique à son maître pourquoi il n’a pas mené à bien sa mission en lui racontant ses mésaventures face à Mercure/son double.

Molière, Amphitryon, acte II scène 1, 1668
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Chapitre no 1
Leçon : Identités troubles au théâtre classique
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Molière, Amphitryon, acte II scène 1, 1668

Sosie.

On m’est venu troubler et mettre en peine.


Amphitryon.

Et qui ?


Sosie.

Sosie, un moi, de vos ordres jaloux,
Que vous avez du port envoyé vers Alcmène,
Et qui de nos secrets a connaissance pleine,
Comme le moi qui parle à vous.


Amphitryon.

Quels contes !


Sosie.

Non, Monsieur, c’est la vérité pure.
Ce moi plus tôt que moi s’est au logis trouvé ;
Et j’étais venu, je vous jure,
Avant que je fusse arrivé.


Amphitryon.

D’où peut procéder, je te prie,
Ce galimatias maudit ?
Est-ce songe ? Est-ce ivrognerie ?
Aliénation d’esprit ?
Ou méchante plaisanterie ?


Sosie.

Non : c’est la chose comme elle est,
Et point du tout conte frivole.
Je suis homme d’honneur, j’en donne ma parole,
Et vous m’en croirez, s’il vous plaît.
Je vous dis que, croyant n’être qu’un seul Sosie,
Je me suis trouvé deux chez nous ;
Et que de ces deux moi, piqués de jalousie,
L’un est à la maison, et l’autre est avec vous ;
Que le moi que voici, chargé de lassitude,
A trouvé l’autre moi frais, gaillard et dispos,
Et n’ayant d’autre inquiétude
Que de battre, et casser des os.


Amphitryon.

Il faut être, je le confesse,
D’un esprit bien posé, bien tranquille, bien doux,
Pour souffrir qu’un valet de chansons me repaisse.


Sosie.

Si vous vous mettez en courroux,
Plus de conférence entre nous :
Vous savez que d’abord tout cesse.


Amphitryon.

Non : sans emportement je te veux écouter ;
Je l’ai promis. Mais dis, en bonne conscience,
Au mystère nouveau que tu me viens conter
Est-il quelque ombre d’apparence ?


Sosie.

Non : vous avez raison, et la chose à chacun
Hors de créance doit paraître.
C’est un fait à n’y rien connaître,
Un conte extravagant, ridicule, importun :
Cela choque le sens commun ;
Mais cela ne laisse pas d’être.


Amphitryon.

Le moyen d’en rien croire, à moins qu’être insensé ?


Sosie.

Je ne l’ai pas cru, moi, sans une peine extrême :
Je me suis d’être deux senti l’esprit blessé,
Et longtemps d’imposteur j’ai traité ce moi-même.
Mais à me reconnaître enfin il m’a forcé :
J’ai vu que c’était moi, sans aucun stratagème ;
Des pieds jusqu’à la tête, il est comme moi fait,
Beau, l’air noble, bien pris, les manières charmantes ;
Enfin deux gouttes de lait
Ne sont pas plus ressemblantes ;
Et n’était que ses mains sont un peu trop pesantes,
J’en serais fort satisfait.


Amphitryon.

À quelle patience il faut que je m’exhorte !
Mais enfin n’es-tu pas entré dans la maison ?


Sosie.

Bon, entré ! Hé ! de quelle sorte ?
Ai-je voulu jamais entendre de raison ?
Et ne me suis-je pas interdit notre porte ?


Amphitryon.

Comment donc ?


Sosie.

Avec un bâton :
Dont mon dos sent encore une douleur très forte.


Amphitryon.

On t’a battu ?


Sosie.

Vraiment.


Amphitryon.

Et qui ?


Sosie.

Moi.


Amphitryon.

Toi, te battre ?


Sosie.

Oui, moi : non pas le moi d’ici,
Mais le moi du logis, qui frappe comme quatre.


Amphitryon.

Te confonde le Ciel de me parler ainsi !


Sosie.

Ce ne sont point des badinages.
Le moi que j’ai trouvé tantôt
Sur le moi qui vous parle a de grands avantages :
Il a le bras fort, le cœur haut ;
J’en ai reçu des témoignages,
Et ce diable de moi m’a rossé comme il faut ;
C’est un drôle qui fait des rages.


Amphitryon.

Achevons. As-tu vu ma femme ?


Sosie.

Non.


Amphitryon.

Pourquoi ?


Sosie.

Par une raison assez forte.


Amphitryon.

Qui t’a fait y manquer, maraud ? explique-toi.


Sosie.

Faut-il le répéter vingt fois de même sorte ?
Moi, vous dis-je, ce moi plus robuste que moi,
Ce moi qui s’est de force emparé de la porte,
Ce moi qui m’a fait filer doux,
Ce moi qui le seul moi veut être,
Ce moi de moi-même jaloux,
Ce moi vaillant, dont le courroux
Au moi poltron s’est fait connaître,
Enfin ce moi qui suis chez nous,
Ce moi qui s’est montré mon maître,
Ce moi qui m’a roué de coups.

  • situation :
    • stratagème de Jupiter + expériences perturbantes de Sosie face à son double
    • Jupiter a pris l’apparence d'Amphitryon afin de séduire Alcmène
  • lecture + vocabulaire
    • mots inconnus, mots polysémiques (actuel + historique)
    • les expressions
    • les noms propres
  • analyse

De quoi parle le texte ? Caractérisez précisément chacun des personnages, afin de définir le rapport de force entre les personnages, avec des caractérisations opposés.

  • Amphitryon : autoritaire, orgueilleux, incrédule (dur à convaincre), maître de lui, fiable (tient sa parole), hautain/condescendant/méprisant
  • Sosie : impuissant, maître de lui, orgueilleux/vaniteux, honnête, confus (pas clair)

2 phrases rédigés :

  • élément de réponse explicite
  • justification (procédé + citation)
  • connecteurs/syntaxe correcte

Le vers 29 démontre que Amphitryon est condescendant puisqu’il n’aime pas entendre l’histoire de son propre valet en utilisant le verbe « souffrir » pour l’action, avec des connotations péjoratives, il fait une comparaison entre le discours de Sosie et la douleur.

Sosie est un personnage qui s’exprime de manière confus. En effet, l’antithèse entre les adverbes « oui » et « non » au vers 13 souligne sa déstabilisation. De plus, l’accumulation au vers 40 « extravagant, ridicule, importun » renforce cette idée en montrant son incapacité à choisir le texte exact pour définir la situation.

Identifiez le registre du passage (et justifiez votre réponse à l’ordre d’au moins deux procédés expliqués)

Le passage produit le registre comique en utilisant plusieurs techniques. Les vers 63 et 64 montrent la confusion des deux personnages quand Sosie ne parvient pas à décrire la situation avec précision ; la succession rapide du pronom personnel « moi » est une forme de comique de répétition. En addition, sa description de soi au vers 50 démontre son capacité d’être orgueilleux, sous la gravité du contexte et se qualifie comme une comique de caractère.

Plan du commentaire modifier

Toujours expliquer le lien entre les repérages et l’idée/l’interprétation.

Problématique : Où réside l’intérêt de ce dialogue entre maître et valet ? (les axes sont des étapes de réponse à la question)

  1. Une relation traditionnelle
    1. Des types comiques bien identifiées
      • un maître autoritaire :
        • phrases expressives (exclamatif + interrogatif) et courtes (condense sa pensée) : v. 7, 60, 62, 10, 14, 55
        • impératifs : v. 72, 34
        • injonction au subjonctif : v. 65
        • vocabulaire péjoratif : v. 75, 29, 11, 6
      • un valet poltron et souffre-douleur :
        • champ lexical du bastonnade : v. 62, 61
        • polyptote sur le verbe « battre » : v. 44, 45 (polysémie)
      • un rapport de force a priori sans surprise (les deux personnages s’opposent)
        • « non » : v. 15, 33, 37 + antithèse
      • sub-hypothétique (chantage) : v. 65 (exclamation + confondre = espère une conclusion irréfutable)
    2. La domination du valet
      • répartie (être capable à répondre effectivement) :
        • reprises lexicales : v. 43-44, 56-57
      • répliques brèves (maître-de-lui, déterminé)
      • référence au réel :
        • présent d'énonciation + verbe être
        • présentatifs (« c’est », « il y a »)
      • insolence :
        • « s’il vous plaît » : v. 18
        • question rhétorique + hyperbole (renforce sa domination) : v. 76
        • langage familier : v. 57
  2. Une situation exceptionnelle
    1. Des faits incroyables : le dédoublement
      • variation sur la construction du mot « moi » :
        • pronom de la 1e prs
        • nom commun au 3e prs (plusieurs suggestions) : v. 7, 21, 63-64
        • outils du dénombrement : v. 45
      • décalage apparence/vérités univoques/équivoque ou ambiguë
        • « mais » (opposition) : v. 34, 40, 47, 64
        • antithèses : v. 4, 46+48, 38-39, 40-41
        • négations/affirmations : v. 15-16, 63
        • polyptote sur « croire » (penser sans preuve, note les limites de la connaissance)
    2. La confusion du discours de Sosie
      • temporalité ambiguë (narration difficile) : v. 8-9, 19-20
      • regard porté sur son discours (mise-en-doute), « fort » conditionnel : v. 54
      • utilisation complexe du « je » et du « il » (mettre à distance le double) : v. 8-9, 58-59
      • admiration et réputation pour le double
        • « comme » (comparaison), proximité : v. 5, 49, 51-52
        • supériorité de l’autre : v. 7-9, 50-54, 23-24, 69
        • « plus […] que » (comparatif), une version améliorée de Sosie double : v. 77
        • un doublé négatif (jalousie + violence) : v. 2+21, 47, 26 (négation exceptive/restrictive), 72 (provoque la rage)
    3. Le surnaturel (magique fantastique != surnaturel fantastique) prend le pouvoir
      • scène sous le signe de la déraison/folie
        • champ lexical :
          • « troubler » (v. 1),
          • « contes » (v. 6),
          • « songe » (v. 12),
          • « galimatias » (v. 11),
          • « aliéner » (v. 13)
          • « mystère » (v. 35)
          • « extravagant » (v. 40)
          • « insensé » (v. 42), pas de sens (raison)
      • Amphitryon (déni et aveu d’impuissance)
        • demande des « moyens » de croire mais détourne le sujet (v. 56) « mais enfin », + pronoms, « je m’exhorte », idim v. 72 « as-tu vu ma femme »
        • vacillement de l’identité humaine
          • redéfinition de la hiérarchie sociale (il s’est présenté comme son maître) : v. 85
          • à la fin, Mercure remplace le rôle d’Amphitryon (inhumain, cruel, méchant)
          • cruauté = ôte sa dignité à Sosie
            • « jamais », « interdit » : v. 58-59
            • hyperbole : v. 64
        • confiscation de l’identité de Sosie : v. 48 « lui » (Sosie), 80 « seul » n’est plus rien