Introduction à la mécanique quantique/L'équation de Schrödinger
L'apport de Louis de Broglie
modifierEn 1924, dans sa thèse, Louis de Broglie émet l'hypothèse que, non seulement la lumière, mais en fait toutes les particules peuvent être vues comme des ondes, liées - comme le photon - à la particule, par les deux relations suivantes :
On peut ainsi, pour toute particule d'énergie et de quantité de mouvement donnée, associer une onde de fréquence et de longueur d'onde données, appelée fonction d'onde. Cela détermine la célérité de l'onde, et de Broglie montra que ces relations sont compatibles avec la théorie de la relativité restreinte.
Dans la suite, il sera plus intéressant de considérer la pulsation ω et le nombre d'onde k (et même, au vecteur d'onde k), qui d’après les postulats ci-dessus, sont liés à la particule classique par :
en ayant posé la constante de Planck réduite, ou constante de Dirac.
Par suite, les particules ne sont ni des ondes, ni des masses ponctuelles — ce sont des objets différents dont la description la plus adaptée est tantôt en termes ondulatoires (diffraction, interférences...) et tantôt en terme particulaires (impulsion, localisation...). Cet aspect, déroutant pour beaucoup de scientifiques de l'époque, a cependant été confirmé très tôt par des expériences rigoureuses.
L'une des conséquences les plus frappantes de cette dualité onde-corpuscule est que chaque particule peut interférer avec elle-même, dans une expérience de Young par exemple. Cela n’est pas seulement vrai pour les particules « élémentaires », comme le proton et l'électron, cela est aussi vrai pour des atomes et des molécules[1].
L'équation de Schrödinger
modifierLe physicien autrichien Erwin Schrödinger utilisa ces résultats pour établir une équation régissant l'évolution spatiale et temporelle de la fonction d'onde. Cette équation est un postulat de la mécanique quantique : elle ne se démontre pas.
Cependant, nous montrons ici comment Schrödinger a abouti à cette relation.
L'équation originelle
modifierTout d’abord, il considéra le cas particulier d'une onde harmonique (localement) plane, ce qui s'écrit en notations complexes :
Puis, utilisant les relations proposées par de Broglie :
Il remarqua alors qu'en dérivant l'onde par rapport au temps, il vient :
De même, le gradient de cette fonction d'onde donne :
Nous avons donc, pour toute onde de cette forme, en tout point et à tout instant :
Pour une particule donnée, d’après la mécanique classique, l'énergie mécanique est donnée par :
Cette quantité apparaît en fait plus naturellement dans la formulation hamiltonienne de la mécanique classique : la somme de l'énergie potentielle et de l'énergie cinétique est appelée hamiltonien, qui s'identifie ici à l'énergie mécanique totale. En multipliant par la fonction d'onde :
Et enfin en utilisant les résultats précédents, nous avons :
Ce que l’on peut écrire sous l'une ou l'autre des deux formulations suivantes[2] :
Toute fonction d'onde Ψ vérifie, à tout instant et en tout point :
c'est-à-dire :
où la quantité est appelée opérateur hamiltonien ou plus souvent hamiltonien.
Équation indépendante du temps
modifierDans certains problèmes, il est possible de considérer des phénomènes indépendants du temps. L'énergie n'est alors plus une dérivée de la fonction d'onde, mais une constante. On a alors :
Ce que l’on écrit de manière plus condensée comme suit :
ou encore :
gardant à l'esprit que E est un nombre, et pas un opérateur comme dans la formulation générale de l'équation.
Interprétations
modifierDès que Schrödinger eut abouti à ce résultat, il se posa la question du problème inverse : puisque toute particule, peut être traitée comme une onde — peut-on retrouver la particule à partir d'une fonction d'onde solution de son équation ? Cela amène à se demander : qu'est ce qu'est la fonction d'onde ? Est-ce un objet physique, ou bien un simple intermédiaire de calcul ?
Le fait est, que la fonction d'onde est une fonction complexe. Schrödinger proposa une explication, rapidement montrée incorrecte. C’est finalement Max Born[3] qui fournit en 1926 l'interprétation aujourd’hui majoritairement acceptée : la fonction d'onde elle-même n'a pas de réalité physique, mais le module de son carré[4],
est une densité de probabilité, sous-entendu une densité de probabilité de trouver la particule. On dit aussi une densité de probabilité de présence, mais cela pourrait induire en erreur.
Cela signifie que la probabilité de trouver la particule dans un petit volume d³τ est donnée par :
Si on considère une particule, elle se trouve nécessairement quelque part, donc la probabilité de la trouver sur tout l'espace est 100%. Cela impose que la densité de probabilité vérifie une relation dite de normalisation :
Erwin Schrödinger ne se réconcilia jamais avec cette interprétation statistique. Beaucoup de scientifiques d'alors réagirent de même, convaincus comme on est en droit de l'être que la description en termes de probabilités ne reflète que notre méconnaissance des véritables mécanismes, encore à découvrir. Cette dernière vision, appelée théorie à variables cachées, a été montrée fausse par des travaux ultérieurs et la célèbre expérience d'Alain Aspect. La conséquence en est que la nature est probabiliste — ce qui ne viole en aucun cas le déterminisme de la physique.
Pire encore, on ne peut pas calculer la densité de probabilité sans passer par la fonction d'onde — on peut alors qualifier Ψ d’amplitude de probabilité (par analogie avec l'amplitude de la lumière).
Les développements ultérieurs de la théorie révèleront encore de nombreux « paradoxes » aujourd’hui vérifiés par l'expérience.
Résolution de l'équation
modifierL'équation de Schrödinger décrit l'évolution des ondes-particules, on peut donc répondre à un problème en la résolvant. Seulement voilà, ce n’est pas une tâche aisée, lorsqu'elle est seulement possible. En effet, il n'existe pas tellement de solutions exactes — on dit analytiques — à cette équation.
Cela ne veut pas dire que tout autre problème est inaccessible ! Seulement, ils ne sont pas solubles exactement. Bien souvent, une approximation, même mauvaise, est amplement suffisante pour les applications considérées. Obtenir une telle approximation peut se faire par différentes approches, comme la théorie des perturbations.
Il est à noter que ces cas non-analytiques ne sont pas résolubles exactement, et que cela est démontré : il ne s'agit pas d'une difficulté mathématique, ou d'un travail à effectuer. On trouve des problèmes analogues sur le plan mathématique (mais de nature bien différente) en cherchant le mouvement de trois corps célestes en attraction mutuelle.
Cas analytiques
modifierIl existe un ensemble, relativement restreint, de situations physiques (quoiqu'idéalisées) solubles analytiquement pour l'équation de Schrödinger. Historiquement, la première concerne l'atome d'hydrogène, qui fit le succès de l'équation. Les problèmes exactement solubles sont :
- l'atome d'hydrogène ;
- les ions hydrogénoïdes ;
- une particule libre ;
- une particule dans un puits de potentiel ;
- une particule dans une boîte ;
- une particule dans un anneau ;
- une particule dans un potentiel à symétrie sphérique ;
- l'oscillateur harmonique quantique ;
- une particule dans un potentiel périodique à une dimension ;
- une particule dans le potentiel de Morse ;
- une particule dans un potentiel échelon ;
- deux particules en couple rigide ;
- une toupie symétrique quantique.
Derrière ces noms parfois imagés, il faut comprendre que pour l'essentiel, on joue sur le potentiel (pour les particules seules au moins). Une « boîte », c’est un potentiel tel que la particule ne peut quitter une certaine zone de l'espace. Un « oscillateur harmonique », c’est un potentiel analogue à celui d'un ressort, en carré de la distance à l'origine.
Pour l'essentiel, ces problèmes furent résolus quelques années après la publication des travaux de Schrödinger.
États propres
modifierL'équation de Schrödinger est une équation linéaire. Par conséquent, si on sait trouver un jeu de solutions, toute combinaison linéaire de ces équations sera encore solution. On préfère étudier cela dans le cas où l'équation ne dépend pas du temps, c'est-à-dire :
On cherche des fonctions d'ondes solutions de :
C'est-à-dire qu'on cherche les « états propres » (les fonctions d'onde), et les valeurs propres (les énergies), de l'équation de Schrödinger : pour être exact, on cherche à diagonaliser l'hamiltonien. Les valeurs propres de l'hamiltonien peuvent être discrètes, comme c’est le cas pour l'atome d'hydrogène — l'énergie ne peut alors prendre que certaines valeurs, d'où l'observation des raies. Mais les valeurs propres peuvent également former un ensemble continu, on dit que le spectre de l'hamiltonien est continu : il n'y a alors pas de discrétisation de l'énergie. C’est par exemple le cas d'une particule libre.
On observe, dans certains cas, qu’à un même niveau d'énergie En peuvent correspondre plusieurs fonctions d'ondes : ce sont les niveaux d'énergie dégénérés, qui peuvent être distingués en présence par exemple d'un champ magnétique intense — c’est l'effet Zeeman.
La recherche des états propres est dans le cas général infaisable analytiquement — on peut toutefois en faire des approximations (au moyen de puissants ordinateurs exploitant les développements mathématiques de l'analyse numérique).
Extensions et développements
modifierL'équation de Schrödinger, bien que précise et cohérente, ne l'est en toute rigueur que dans les cas non-relativistes. Cela pose problème, car l'électromagnétisme est en toute rigueur incompatible avec la mécanique classique. Il a donc fallu réconcilier théorie de la relativité restreinte (cadre naturel de l'électromagnétisme) et théorie quantique, ce qui fut fait :
- au travers de l'équation de Klein-Gordon, qui implique la non-localité de la mécanique quantique ;
- au travers de l'équation de Dirac, qui amena à considérer le « spin » de l'électron et qui a pour conséquence l’existence de particules identiques mais de charge opposée : le positron, premier élément d'antimatière.
Les conséquences de l'une comme de l'autre ont été vérifiées expérimentalement. La découverte expérimentale de l'antimatière suit de peu l'affirmation par Dirac de son existence théorique. Le spin, qu’il est abusif mais simple de rapprocher du « moment cinétique intrinsèque » (bien que l'électron, supposé ponctuel, ne tourne pas…), est une quantité relative entière (-1, 0, 1, 2) ou demi-entière (-½, ½).
L'interprétation de ces résultats comme une théorie décrivant une seule particule s'est révélée incohérente. Pire, toute théorie quantique prenant en compte les effets de la relativité affirme ce caractère non-local. En réponse, la théorie quantique des champs, initiée par Dirac lui-même et développée par la suite fournit un cadre conceptuel au cœur de la physique des particules. L'électrodynamique quantique, célèbre pour avoir fourni le résultat théorique le plus précis de l'histoire de la physique (le facteur de Landé de l'électron) ayant été vérifié expérimentalement.
Les champs considérés ne sont pas en rapport avec la dualité onde-corpuscule, mais concernent plutôt la capacité en un point que des particules apparaissent par paires ou s'annihilent deux à deux.
En remarquant que l'équation de Schrödinger peut se comprendre comme une équation de diffusion, dont la constante de diffusion est complexe, le physicien américain Richard Feynman a développé la théorie des intégrales de chemin qui reconnecte la notion classique d'action au monde quantique.
Notes et références
modifier- ↑ Des figures d'interférence ont été obtenues en bombardant deux noyaux de fullerènes C60 en 1999, voir : (en) « Wave-particle duality of C60 », M. Arndt , O. Nairz, J. Voss-Andreae, C. Keller, G. van der Zouw, A. Zeilinger, Nature 401, 680-682, 14 octobre 1999.
- ↑ Nous avons noté le laplacien .
- ↑ (de) Max Born : « Zur Quantenmechanik der Stoßvorgänge », Zeitschrift für Physik 37 863-867 (1926). Reçu le 25 juin 1926. Publié le 10 juillet 1926.
- ↑ On a noté le conjugué d'un nombre complexe a par une étoile : a*.