La matière et l'esprit/Réalité de l'esprit
La seule expérience de l'esprit que l’on puisse faire est celle de son propre esprit. En quoi cette conscience est-elle spirituelle ? Lorsqu'Aristote l'analyse, il nomme l'intelligence, la raison, la capacité d'abstraction. Il semblerait bien que ce soit le propre de l'humain d'extraire des formes universelles à partir de perceptions sensibles et singulières. Nos concepts sont universels, ils s'appliquent à toute une catégorie d'objets singuliers, parce qu’ils sont abstraits, ni singuliers ni sensibles. Si nos idées étaient matérielles, elles seraient singulières et sensibles. Si un concept unique se retrouve à l'identique dans une catégorie d'objet singulier, il est nécessaire qu’il ne soit pas singulier. Comment un être matériel comme l'être humain peut-il saisir ce qui ne l'est pas ? L'humain n’est pas qu'un être matériel.
Pour Descartes, l'essence de la conscience, c’est la pensée, la conscience doit toujours penser. Comment expliquer les intermittences (pertes de connaissance ou simplement le sommeil) dans la pensée ? Pour Descartes, cela met en évidence le « double pouvoir de la mémoire » (dont il parle dans ses correspondances). Pour qu’il y ait souvenir, il faut d’abord qu'une sensation laisse une trace dans notre cerveau. Cette mémoire appelée « mémoire du corps » est donc l'impression matérielle, que Descartes compare au pli d'une feuille. Ce pli ne donne pas lieu à un souvenir, mais seulement à une réminiscence : quand une sensation présente ressemble à celle déjà "pliée" dans notre cerveau, elle la réanime ainsi que toutes les pensées qui lui étaient associées. Deux faits le montrent : l'impression de déjà-vu et la résurgence des passions anciennes, comme l'amour de Descartes pour la petite fille louche. Mais cette mémoire-trace mécanique, ne suffit pas à expliquer la réalité du souvenir.
Dans la matière de notre cerveau, le passé ne peut exister que sous la forme de trace ou en tant que réalité présente. Cette mémoire mécanique du corps, la réminiscence, ne permet pas le souvenir car elle n’est pas la reconnaissance du passé. L'impression devient signe du passé, comme le mot est signe d'un sens. Le corps retient le passé mais ne le reconnait pas, avec le corps seules sont des réalités présentes. En plus d'une mémoire du corps, il existe une mémoire intellectuelle dont la fonction est d'interpréter les traces laissées par le passé; la reconnaissance du passé dans le présent suppose l’existence d'un esprit dans la matière, c'est-à-dire une faculté capable de se détacher du présent en se détachant de la matière.