Le Rapport de Brodeck/Incipit, commentaire no 1
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Introduction
modifierEn 2007, Phillipe Claudel publie l'autobiographie fictive Le Rapport de Brodeck. Brodeck, l'homonyme de l'œuvre, s'enfuit d'un régime causé par une guerre, dont le nom n'est pas mentionné dans l'œuvre. Dans l'incipit, le personnage principal nous introduit l’histoire et le personnage mystérieux de l'Ereigniës.
Questions possibles
modifier- En quoi Brodeck a-t-il dans ce texte un rapport paradoxal à l'écriture ?
La volonté de témoigner
modifierRapporter des faits ?
modifierPremièrement, le rapport des faits contient un enchainement logique mais est largement vague par le point de vue neutral du narrateur. L'explication est racontée à l'imparfait à passé proche, accentuant sa fidélité et son urgence. Par exemple, « ce qui venait de passer ». Sa neutralité le renforce davantage avec la forme négative « je n’ai rien fait ». L'enchainement logique des faits est largement incomplet, Brodeck établit des constats en utilisant des pronoms comme « y » et « le », en évitant des précisions comme une absence de complément d'objet dans « tu diras ». En effet, il n'y a aucune définition de ces « faits », les faisant inconnus et indéfinis.
De plus, le changement brutal du sujet du récit au personnage est prononcé dans ce texte, où le dernier terme du quatrième paragraphe est « l'Anderer ». Ce qu'il est intéressant de noter, c'est que le milieu des expressions « ne me demandez pas son nom » et « son […] nom [n'a] jamais [été] démandé » est fonctionnellement inutile car il n'offre aucune nouvelle information vérifiable créant un effet d'incertitude et de mystère autour de ce personnage.
En outre, les éléments de ce contexte sont très vagues, ce qui renforce cette aura obscure qui enveloppe l'histoire comme « la guerre » indéfinie et « cet homme » inconnu. Même le cadre temporel est ambigu, grâce à l'usage fréquent de compléments circonstanciels de temps relatifs comme « il y a environ trois mois » et « juste après ». Le narrateur n'est pas capable de définir cet événement donc en utilisant la conjonction de coordination « ou » pour proposer des altneratives, autrement dit des approximations, soutenu par le fait que le nom finale de ce personnage indéfinisable « Erengiës » est un mot approximatif.
Exprimer un point de vue
modifierDeuxièmement, sa capacité d'exprimer son point de vue souligne sa dévouement et sa certitude. En effet, il constate qu'il nécessite de témoigner en employant les expressions qui indiquent l’obligation comme « il faut » aux premières lignes du texte et « oui » près de la fin pour récapituler sa détermination.
D'ailleurs, il se distingue des autres et prend une position subjective en employant plusieurs formes de pronoms et de déterminants personnels de la première personne du singulier. Par exemple, le pronom personnel tonique « moi », en tant que sujet « je » et en tant que complément d'objet « me ». Il utilise le pronom personnel tonique de la deuxième personne « toi » conjointement à l'outil d'opposition « mais » pour créer une division entre lui-même et les autres.
En outre, Brodeck tente d'exprimer son jugement en utilisant des outils de jugement nombreux afin de souligner sa perception de la situation comme « j'avais l'impression », « je suis certain », « pour moi » et « je crois ». Il postule en effet ses arguments avec des marqueurs de certitude comme « sans doute » et « si parfaitement ». Il emploie aussi la question rhétorique « pourquoi avoir choisi notre village ? » pour soldifier ses arguments et proposer qu'il n'y a aucune réfutation contre lui. Il établit que le village est « perdu », à la fois éloigné et damné à travers l'usage d'une polysémie.
Par ailleurs, il y a une dimension d'assurance aux premières lignes du texte, marquée par les verbes du rôle impératif comme « dire » et « il faut » dans quatre phrases déclaratives courtes pour représenter la gravité de sa parole.
Par contre, malgré la dévouement de Brodeck, il existe des contradictions dans ses arguments et des obstacles à sa parole libre.
Les obstacles à une parole libre
modifierLes menaces qui pèsent sur le narrateur
modifierEn premier temps, il y a des menaces qui pèsent sur le narrateur. L'une est un défaut de personnalité : son attitude paradoxal. En effet, il dit « ne me demandez pas son nom » et à la fois constate qu'« [il] [dira] l'Ereingiës ». Cette contradiction provoquera la doute chez le lecteur sur la fidélité des arguments de Brodeck. Encore plus avec l'antithèse « qualifier l'inqualifiable » et « ligoter ma mémoire ».
De plus, il est sous pression de l’entourage, marqué par des indicateurs de totalité comme « trop », « très » et « tellement » afin de souligner l'intensité de la situation et le fait qu'il est accablé. Cette pression est renforcée par les verbes conjugués au futur à valeur injonctive au discours direct ce qui enlève toute ambiguïté de la phrase et focalise sur de l'intensité du verbe, par exemple « tu diras », « ils te croiront » et « ça suffira ». Ces expressions se trouvent dans des phrases courtes avec le personnage en position de complément ce qui accentue sa centralité et la pression qui vient avec.
D'ailleurs, l'histoire de Brodeck est inconnu et un mystère ce qui empêche le lecteur de comprendre pleinement ses arguments. Le seul indice presenté dans le texte est le nom « Brodeck » ce qui est formé du verbe « broder » signifiant d'ajouter à un récit des détails faux, mais qui sont propres à le rendre plus piquant. Ceci postule que le narrateur correspond à la description de ce verbe, indiquant qu'il a une histoire infidèle. Un aspect qui n’a pas encore été dévéloppé est son lien avec l'Anderer par la comparaison « comme l'Anderer », ce qui suscite l'inquiétude chez le lecteur, renforcé par l'expression « c'était un peu moi ».
Le risque d'un récit inexact
modifierEn deuxième temps, l'obstacle du risque d'un récit inexact est présent, notamment les faits sont mal établis avec des imprécisions sur les acteurs et les choses. En effet, le narrateur privilégie les pronoms au lieu de les nommer comme « cela » et « ça » ce qui rend le récit vague. Les marqueurs de groupes indéfinies sont aussi utilisées comme « ils » et « les gens », reforçant l'ambiguïté du texte en brouillant les identités des personnages, ainsi qu'en utilisant le pronom indéfini « on ».
De plus, l'analyse de Brodeck est incertaine ce qui indique l'hésistation de sa part. Les points de suspension se présentent dans le texte effectivement pour souligner cette hésisation comme « juste après… juste après le… », où des questions servent aussi au même rôle comme « pourquoi avoir choisi notre village ? », ce qui suggèrent des irrégularités dans l'histoire. L'hésistation est encore renforcée par les adverbes qui l'indiquent comme « à peu près » et « peut-être ».
D'ailleurs, le propos risque d'être manipulé car le narrateur se présente comme la seule source de l'histoire ce qui ménace sa fidélité. En effet, le champ lexical du verbe « savoir » est utilisé fréquemment pour accentuer la centralisation du savoir comme « sache », « sais » et « a […] su ». Ce verbe s'agit aussi comme un polyptote où l'intention se diffère. Le subjonctif « sache » indique la possibilité de savoir, le présent de l'indicatif « sais » l'affirme et le négatif « on ne l’a jamais su » constate le contraire.
La trahison du langage : comment dire l'indicible ?
modifierEn troisième temps, il existe une trahison du langage ce qui pose la question suivante : comment dire l'indicible ? en effet, le vocabulaire de parole conjointement aux tournures négatives est employé par le narrateur ce qui soumet le lecteur au doute. Par exemple, « ne me demandez pas », « signifie à peu près » et « qualifier l'inqualifiable ».
De plus, l'absence de nom pour l'Anderer mais l'utilisation du nom « De Anderer » forme un antithèse ce qui souligne le manque de consistence du langage.
D'ailleurs, l'ambiguïté des noms propres, utilisés pour rendre l'histoire plus exotique au lecteur donc plus intéressant, souligne la nécessité du narrateur d'attirer le lecteur plutôt que raconter la vérité.
En outre, le langage choisi est souvent mal adapté à la situation. En effet, la réticence « juste après… juste après… » indique l'incapacité du narrateur à racontre l'histoire de façon claire et efficace. Aux lignes 36-37, le lecteur est raconté que la langue que la « machine » souhaite parler est cassée et « sans en être une », donc on peut hypothétiser que la machine a envie de dysfonctionner avec des « touches […] cassées » et un âge « très vieille ». Conséquemment, l'implicite révèle ce qui est impossible à dire. Le texte forme contextuellement un syllogisme incomplet. Le narrateur raconte effectivement l’histoire sans le conclure définitivement.
Conclusion
modifierEn conclusion, Brodeck a un rapport paradoxal dans le texte à cause de son avidité de témoigner malgré les obstacles qui émpêchent la vérité d'être racontée efficacement. Cependant, le devoir de mémoire oblige le narrateur de retracer ses expériences de vie, indépendantes de sa consistance, créant le rapport contre-intuitif qu'on trouve dans le texte.