Les Français et la République/Enracinement de la république
Problématique : comment s'enracine l’idée républicaine en France dans les années 1880-1890 ?
Débuts difficiles (années 1870)
modifierLa république est proclamée à Paris le 4 septembre 1870, suite à la déchéance du Second Empire et en pleine guerre contre les États allemands (guerre franco-allemande de 1870-1871). Si Paris est républicaine, les campagnes et les petites villes sont majoritairement anti‑républicaines, comme le montrent les élections législatives de 1871 qui donnent une Assemblée majoritairement royaliste[1].
L'organisation du nouveau régime pose donc un problème, l'emploi du mot « république » n'étant finalement accepté par l'Assemblée que de façon détournée[2]. Les institutions du régimes sont finalement instaurées en 1875 par trois lois[3], alors vues comme provisoires : il n'y a pas de constitution.
Les élections législatives de 1876 puis de 1877 (après une dissolution) changent la donne, rendant l'Assemblée majoritairement républicaine[4]. Celle-ci élit un président de la République républicain (Jules Grévy) et des gouvernements du même bord (dominés par Jules Ferry).
Lois républicaines
modifierUne fois au gouvernement, les républicains vont voter une série de lois correspondant à leurs idées libérales, progressistes et anti-religieuses :
- 1881, liberté de la presse ; école primaire publique gratuite ;
- 1882, école primaire publique obligatoire, laïcisation des programmes ;
- 1884, liberté de réunion et de syndicat ; service militaire pour tous ; interdiction de la révision de la forme républicaine du gouvernement ;
- 1886, laïcisation du personnel des écoles publiques ;
- 1901, associations avec autorisation administrative ;
- 1904, suppression de l'enseignement congréganiste ;
- 1905, séparation des Églises et de l'État.
Le premier devoir de la République est de faire des républicains.
Pour faire un républicain, il faut prendre l'être humain si petit et si humble qu’il soit, un enfant, un adolescent, une jeune fille ; il faut prendre l'homme le plus inculte, le travailleur le plus accablé par l'excès du travail, et lui donner l’idée qu’il faut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité, et non pas à la recevoir toute faite d'un maître, d'un directeur, d'un chef, quel qu’il soit, temporel ou spirituel.
Notre jeune École normale était le foyer de la vie laïque, de l'invention laïque dans le département. […] Sous la direction de notre directeur […], de jeune maîtres de l'École normale venaient chaque semaine nous faire l'école. Parlons bien : ils venaient nous faire la classe. Ils étaient comme les jeunes Bara de la République. Ils étaient toujours prêts à crier « Vive la République ! »
Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs, sveltes, sévères, sanglés, sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. Un long pantalon noir […]. Un gilet noir. Une longue redingote noire. […] Cette uniforme civil était une sorte d'uniforme militaire encore plus sévère, encore plus militaire, étant un uniforme civique. […] Porté par ces gamins qui étaient vraiment les enfants de la République. Par ces jeunes hussards de la République. Par ces hussards noirs de la sévérité. […] Ces instituteurs étaient sortis du peuple, fils d'ouvriers, mais surtout de paysans et de petits propriétaires.
→ http://fr.wikisource.org/ (Jules Ferry, Lettre aux instituteurs, 1883)
Titre 1er. Principes :
- ° La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
- ° La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes […].
- ° […] Dès la promulgation de la présente loi, il sera procédé par les agents de l'administration des domaines à l’inventaire descriptif et estimatif : 1. Des biens mobiliers et immobiliers desdits établissements. 2. Des biens de l'État, des départements et des communes dont les mêmes établissements ont la jouissance.
- ° Dans un délai d'un an […] ces biens mobiliers et immobiliers seront […] transférés aux associations […] se conformant aux règles d'organisation générales du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice […].
La république imprègne la culture politique en France, avec la pratique des élections municipales et législatives au suffrage universel (instauré en 1848, interdit aux femmes, mineurs de moins de 21 ans, militaires et domestiques) et avec la création de plusieurs partis (radical en 1901, SFIO en 1905).
Oppositions
modifierL'identité républicaine se développe, d’abord à travers l'école et la presse, la célébrations de grandes cérémonies (14‑Juillet), les symboles républicains (drapeau tricolore, Marseillaise, Marianne, Chant du départ, etc.) et un panthéon de héros (Victor Hugo, Léon Gambetta, Jules Ferry, Joseph Bara, etc.).
Cette identité politique a deux oppositions, l'une à droite et l'autre à l'extrême-gauche.
L'extrême-gauche est composée à l'époque des socialistes et des anarchistes. Comme les républicains modérés et radicaux ne votent quasiment aucune loi sociale, l’opposition socialiste se renforce parmi les ouvriers (syndicalisme, grèves, élection de députés), tandis que des attentats anarchistes ont lieu (attentats de Ravachol en 1892, bombe à la Chambre en 1893, assassinat du président Sadi Carnot en 1894). Les républicains réagissent violemment : l'armée tire sur les manifestants, les terroristes anarchistes sont exécutés et les lois scélérates sont votées.
La droite conservatrice est la principale force d'opposition aux idées républicaines et laïques. Elle correspond, à l'époque, aux défenseurs des traditions sociales et de la morale chrétienne, une partie d'entre elle étant monarchiste et anti-parlementaire. L'Église catholique ne reconnaît la République française que tardivement (1892) et avec réserve, tandis que les minorités protestantes et juives se rallient immédiatement à la république. L'anticléricalisme (la lutte contre l'influence du clergé catholique) des républicains radicaux entraine la division de l’ensemble de la population, y compris au sein de l'armée, entre radicaux (« libre-penseurs », « hussards noirs », « franc-maçons », « athées », « laïcards », « révolutionnaires », « impies », « mécréants ») et pratiquants (« dévots », « cléricaux », « réactionnaires », « calottins », « culs-bénis », « bigots », « grenouilles de bénitier », « rats d'église »). Ces tensions s'exacerbent notamment lors de l'affaire Dreyfus (1894-1906) et lors de l’inventaire des biens du clergé (1906).
L'unité ne s'affiche que sur les thèmes nationalistes, contre les voisins britanniques (affaire de Fachoda) et surtout allemands (souhait d'une « Revanche » pour récupérer l'Alsace-Moselle ; coup de Tanger et d'Agadir).
Seuls les intéressés, les nigauds et les pauvres primaires ignorants pourront se soustraire à cette évidence :
La République est le gouvernement des Juifs, des Juifs traîtres comme Dreyfus, de Juifs voleurs comme le baron de Reinach, des Juifs corrupteurs du peuple et persécuteurs de la religion catholique, comme l'inventeur juif de la loi du divorce et le Juif inventeur de la loi de Séparation. […]
La République est le gouvernement des pédagogues protestants qui importent d'Allemagne, d'Angleterre et de Suisse un système d'éducation qui abrutit et dépayse le cerveau des jeunes Français.
La République est le gouvernement des francs-maçons qui n'ont qu'une haine : l'Église […].
La République est le gouvernement de ces étrangers plus ou moins naturalisés ou métèques, qui […] accaparent le sol de la France, disputent aux travailleurs de sang français leur juste salaire […].
Régime abominable… la République est décidément condamnée, et la seule inquiétude de la raison française tient à ce qu'on ignore qui l’on mettra à la place de ce qui est.
Le Roi : c'est-à-dire la France personnifiée par le descendant et l'héritier des quarante chefs qui l'ont faite, agrandie, maintenue et développée…
Notes et références
modifier- ↑ 214 députés orléanistes, 182 légitimistes, 112 républicains, 72 libéraux, 38 révolutionnaires et 20 bonapartistes.
- ↑ Par l'amendement Wallon voté le 30 janvier 1875, qui dispose d'un « président de la République ». Cet amendement forme l’article 2 de la loi du 25 février 1875.
- ↑ Lois du 24 février, du 25 février et du 16 juillet 1875.
- ↑ 313 députés de l'Union républicaine, 104 bonapartistes, 49 divers droite, 44 légitimistes et 11 orléanistes.
- ↑ Ferdinand Buisson, article « Laïcité », dans Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire, 1887.
- ↑ Charles Péguy, « L'argent », dans Cahiers de la quinzaine, éditions Gallimard, 1913.
- ↑ Loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l'État.
- ↑ Affiche de lancement du quotidien L'Action française, 21 mars 1908.