Problèmes de linguistique générale/Volume 1
Le premier tome, publié en 1966, rassemble vingt-huit articles classés en six parties thématiques. Dans son avant-propos, Benveniste déclare avoir sélectionné des études qui ne soient pas trop techniques et avoir choisi l'appellation « problèmes » car chaque étude, individuellement et par l'ensemble qu'elles forment, contribuent à la problématique du langage sous différents aspects.
Transformations de la linguistique
modifierLa première partie se compose de trois chapitres. Le premier, Tendances récentes en linguistique générale (1954), dresse un état des lieux de la méthode linguistique, sans rechercher une exhaustivité jugée impossible. La linguistique descriptive (rédaction de dictionnaires, linguistique de terrain en Afrique et en Océanie) est très développée dans les années 1950. Benveniste prévoit que la linguistique ne sera pas une science descriptive (« science des faits empiriques ») mais une science des relations et des déductions.
Le deuxième chapitre, Coup d'œil sur le développement de la linguistique, initialement publié en 1963, indique que la linguistique est à la fois science du langage et science des langues. Plusieurs distinctions, comme syntagme et paradigme, sont présentées. Au-delà de la forme, pour Benveniste, il faut chercher à analyser la fonction : le langage reproduit littéralement la réalité (la réalité se produit à nouveau à travers le langage). Selon Benveniste, son constat d'une grande abstraction chez les linguistes résulte d'une abstraction contenue dans la structure même du langage.
Le troisième chapitre, Saussure après un demi-siècle, est écrit en 1963, soit cinquante ans après la mort du linguiste Ferdinand de Saussure. Benveniste fait son éloge, écrivant qu'il a une seconde vie posthume par le rayonnement de ses idées. Saussure, préoccupé par des questions théoriques portant sur le langage, s'éloigne des approches plus historiques de son époque. Tout, chez Saussure, est « dualité oppositive » (par exemple, langue et parole, synchronie et diachronie).
La communication
modifierCette partie se compose de quatre chapitres.
Le chapitre quatre, Nature du signe linguistique (1939), revient sur la théorie saussurienne de l'arbitraire du signe. Ainsi, selon Benveniste, on ne peut dire que le signe est arbitraire car un même signifié a plusieurs signifiants selon la langue. Benveniste donne un exemple : ce raisonnement reviendrait à dire que la notion de deuil est arbitraire car elle est symbolisée par des vêtements noirs en Europe et des vêtements blancs en Chine. Dans la conscience du locuteur, le lien entre signifié et signifiant, loin d'être arbitraire, est nécessaire. Il y a nécessite, pour Benveniste, dans la structure de la langue. Pourtant, cette critique ne conduit pas Benveniste à rejeter Saussure : il affirme au contraire que c'est la fécondité de la pensée saussurienne qui permet cette contradiction.
Dans le cinquième chapitre, communication animale et langage humain (1952), Benveniste écrit qu'il n'est pas de langage animal. Il cite les travaux de l'éthologue Karl von Frisch au sujet de la danse des abeilles. Il dresse, à partir des observations du zoologue, une liste de différences « essentielles » entre communication animale et langage humain, par exemple la nature indécomposable de l'énoncé. En revanche, on peut établir que les abeilles vivent en société, or la société est une condition de la communication. Cette réflexion permet de délimiter le langage.
Le chapitre six, Catégories de pensée et catégories de langue, est paru en 1958 dans une revue philosophique. Tous les usages de la langue, nombreux, ont deux points communs : la langue est employée de manière inconsciente (sauf dans les énoncés métalinguistiques, et elle permet de tout dire de la manière que l'on veut. Benveniste demande si l'on peut penser sans langage. Il a, pour répondre, recours aux catégories de langue et de pensée, et pour ce faire traite des catégories d'Aristote. Les catégories de langage apparaissent comme « transpositions » des catégories de pensée. Le verbe être est alors analysé. Ainsi, en ewe, plusieurs verbes peuvent être traduits par être. L'un de ces verbes, qui exprime l'existence, forme un idiomatisme lorsqu'il est joint au mot main, et exprime alors la possession : en ewe, « l'argent est dans ma main » signifie « j'ai de l'argent ». Quand les philosophes grecs s'interrogent sur la nature de l'être, ils sont conditionnés par la structure de la langue grecque. Il conclut le chapitre en écrivant que « aucun type de langue ne peut par lui-même et à lui seul ni favoriser ni empêcher l'activité de l'esprit » et « penser, c'est manier les signes de la langue ».
Le chapitre sept, Remarques sur la fonction du langage dans la découverte freudienne, est publié en 1956 dans une revue de psychanalyse. La psychanalyse l'intéresse en tant qu'elle se fonde sur ce que le sujet dit. Elle se fonde aussi sur des symboles et des procédés rhétoriques, comme l'euphémisme.
Structures et analyses
modifierCette partie se compose de cinq chapitres.
Le chapitre huit, « structure » en linguistique, est publié en 1962. La notion de structure, qui donne le terme structuralisme, inspire d'autres disciplines que la linguistique (par exemple, Claude Lévi-Strauss en anthropologie). Benveniste cite Saussure et Louis Hjelmslev. Dans la linguistique en langue française, le terme structuralisme renvoie à la priorité donnée à la structure ou au système, dont les parties, solidaires, dépendent les unes des autres.
Le chapitre neuf, la classification des langues (conférence de 1952-1953), traite des problèmes posés par une telle classification, la première étant la classification génétique. La linguistique quantitative, par exemple la statistique permet parfois d'établir un degré de parenté entre plusieurs langues. Benveniste réfute les six critères établis par Nikolaï Sergueïevitch Troubetskoï, en se fondant sur une description du takelma par Edward Sapir, cette langue autochtone d'Amérique respectant ces critères sans être indo-européenne. Benveniste prédit, concernant les méthodes de classification, que les linguistes se fonderont davantage sur une structure dérivée que sur la forme matérielle des mots.
Dans le dixième chapitre, les niveaux de l'analyse linguistique (1964), l'objet de la science linguistique détermine sa méthode, ce qui rend « indispensable » la notion de niveau. Ainsi, les niveaux sont déterminés par la segmentation d'une part, et la substitution d'autres part (au niveau phonologique, la paire minimale en est une illustration. Big et Pig, par exemple, montre que /b/ et /p/ sont des phonèmes). Benveniste appelle les traits distinctifs mérismes, terme qu'il introduit. Forme et sens sont conjoints pour Benveniste. Le niveau de la phrase, définie par Benveniste comme unité du discours, est le dernier en linguistique.
Le onzième chapitre (1949), le système sublogique des prépositions en latin (1949), se fonde sur la notion de système sublogique telle qu'on la rencontre chez Hjelmslev. Benveniste analyse les prépositions pro et prae, qui signifient devant, en s'aidant d'exemples d'auteurs comme Plaute. Au-delà de l'exemple, Benveniste espère aboutir à un changement général d'ordre méthodologique.
Le chapitre douze (1962), pour l'analyse des fonctions casuelles : le génitif latin (1962), évoque les travaux du linguiste Albert Wilhem de Groot, qui opère une classification novatrice des emplois du génitif latin. Benveniste revient sur cette classification en définissant le cas génitif en latin comme résultant d'une subordination syntaxique.
Fonctions syntaxiques
modifierCette partie compte cinq chapitres.
Le chapitre treize, la phrase nominale (1950), évoque le caractère général de la phrase nominale, présente dans une majorité de langues. Benveniste participe au débat en linguistique, déjà commencé avant lui, sur la distinction entre nom et verbe.
Le quatorzième chapitre, actif et moyen dans le verbe (1950), constitue une analyse des trois voix que l'on rencontre dans certaines langues, comme le grec ancien : actif, passif et moyen, voix établies par les grammairiens grecs. La conclusion du chapitre est que la langue comme la parole se constituent d'unités distinctives, et seule la distinction a un sens.
Le quinzième chapitre, la construction passive du parfait transitif (1952) est une analyse de ce problème en indo-européen. Benveniste analyse le parfait transitif en vieux-perse et en iranien.
Le seizième chapitre (1960), être et avoir dans leurs fonctions linguistiques, commence par analyser le verbe être, en demandant s'il s'agit d'un verbe, et en distinguant le verbe-copule du verbe à proprement parler. Selon Benveniste, la question à poser n'est pas celle de l'omission du verbe être (ce qui est le cas dans des langues comme le sémitique ancien), mais au contraire celle de l'existence d'un tel verbe. Benveniste s'étonne aussi que le verbe avoir ait le statut d'auxiliaire au même titre qu'être. Le verbe avoir, apparu tardivement, se traduit dans certaines langues par être, comme dans les langues altaïques, ou en langue ewe (cas cité plus haut) avec l'exemple « l'argent est dans ma main ». Cependant, être à se distingue de l'expression en français « ce livre est à moi ».
Le dix-septième chapitre (1957-1958), la phrase relative, problème de syntaxe générale, vise à comparer la phrase relative dans des langues issues de familles différentes. L'ewe, le navajo, l'arabe et l'indo-européen sont ainsi analysés. Les fonctions et relations entre fonctions sont comparables même entre des langues différentes entre elles.
L'Homme dans la langue
modifierCette partie compte six chapitres.
Le chapitre dix-huit, Structure des relations de personne dans le verbe (1946), évoque les personnes verbales, au nombre de trois (trois au singulier, trois au pluriel et parfois trois au duel). La forme de citation varie (troisième personne en Inde, première personne en Grèce). Se pose la question de l'existence d'un verbe sans personne (Benveniste analyse l'exemple du coréen). Il qualifie la troisième personne de non-personne, « l'absent » chez les grammairiens arabes. Sont aussi analysés les pluriels inclusifs et exclusifs (nous et vous). Pour Benveniste, nous n'est pas je multiplié, mais dilaté. La seule personne à admettre un véritable pluriel est la troisième, non-personne.
Le chapitre dix-neuf, les relations de temps dans le verbe français (1959), distingue le plan d'énonciation de l'histoire et celui du discours et analyse les oppositions entre temps verbaux en français.
Le chapitre vingt, la nature des pronoms (1956), traite aussi de la non-personne, dans la mesure où les personnes je et tu décrivent une réalité du discours. Benveniste analyse ensuite la relation entre démonstratifs et déixis.
Le chapitre vingt-et-un, De la subjectivité dans le langage (1958), est publié dans un journal de psychologie. Il y est dit : « Le langage est dans la nature de l'Homme, qui ne l'a pas fabriqué. » et « est ego qui dit ego ». Benveniste évoque les actes qui se confondent avec la parole, comme je jure. (En pragmatique, il s'agit d'énoncés performatifs, même si le terme performatif n'apparaît pas dans ce chapitre).
Le chapitre vingt-deux, la philosophie analytique et le langage (1963), paraît dans une revue de philosophie. Benveniste commence par rappeler que les linguistes se méfient de la philosophie du langage, et que ces deux disciplines semblent être bien distinguées, du fait du manque de préoccupation pour des faits particuliers de la langue chez le philosophe. La notion d'énoncé performatif apparaît (ex. Je vous souhaite la bienvenue), par opposition aux énoncés constatifs, distinction que Benveniste juge nécessaire.
Le chapitre vingt-trois, les verbes délocutifs (1958), introduit une classe de verbe issus d'une locution, comme le latin salutare, qui signifie littéralement dire salut. Il s'agit d'une relation formelle, la question de l'intention (par exemple, dans Welcome ! (souhait de bienvenue)) étant étrangère au problème.
Lexique et culture
modifierCette partie compte cinq chapitres.
Dans le chapitre vingt-quatre, problèmes sémantiques de la reconstruction (1954), Benveniste analyse notamment les étymologies de story (récit et étage) et de vol (larcin et déplacement aérien). Il s'agit, dans tous les exemples donnés par l'auteur, d'identifier les variantes et les traits distinctifs.
Dans le chapitre vingt-cinq, euphémismes anciens et modernes (1949), Benveniste relève un paradoxe quant aux sens du mot grec à l'origine du mot euphémisme : il signifie à la fois garder le silence et crier. Le sens de garder le silence reflète une tendance inscrite dans la culture, et est lié au fait de ne pas dire de paroles de mauvaise augure (par exemple, l'expression en français « ne parlez pas de malheur », correspond à cette tendance). Les croyances culturelles concernant des périodes (jour faste et néfaste en Rome antique, croyances liées au matin chez les Berbères) traduisent aussi des craintes relevant du sacré. Benveniste analyse ensuite les mots signifiant tuer en grec, notamment employés chez Hérodote.
Le chapitre vingt-six, don et échange dans le vocabulaire indo-européen (1951), est publié dans une revue de sociologie. Marcel Mauss est mentionné. Prendre et donner semble, en indoeuropéen, des polarités. Le terme « échange » est aussi analysé. La valeur a pour origine la valeur d'échange, y compris dans le cas de la vente d'esclaves.
Le chapitre vingt-sept, la notion de rythme dans son expression linguistique, est publié en 1951 dans un journal de psychologie. En grec ancien, les philosophes atomistes font du mot à l'origine de rythme un terme technique. La sémantique du mot rythme est une construction lente.
Le chapitre vingt-huit, dernier de l'ouvrage, est publié en 1954 et s'intitule Civilisation, contribution à l'histoire du mot. Il retrace l'analyse du mot civilisation par Lucien Febvre dans une publication en hommage à cet historien.