Psychologie positive/Santé physique
Les émotions positives améliorent la santé physique et le bien-être
modifierDe nombreuses études montrent aujourd’hui qu’il existe des liens importants entre les émotions positives et le bien-être physique (Yen Tal et al., 2021)[1]. Les recherches établissant ces liens rapportent par exemple que les émotions positives sont associées à des taux de mortalité plus faibles (Chida et steptoe, 2008)[2] , à une probabilité moindre de maladies cardiovasculaires et à une plus grande résistance immunitaire au rhume (Cohen, Alper, Doyle, Treanor et Turner, 2006)[3] .
La théorie de l’élargissement et de la construction des émotions positives (Fredrickson, 2001)[4] permet de comprendre par quels mécanismes les émotions positives contribuent à la santé. Cette théorie stipule que les émotions positives telles que la joie et la gratitude aident à susciter des pensées, des actions et des comportements plus expansifs (effet «d’élargissement»), augmentant ainsi les ressources personnelles, sociales et adaptatives (coping) des individus (effet de «construction»). À l’opposé, les émotions négatives incitent l’individu à restreindre son répertoire particulier de pensées et d’actions.
La réduction du répertoire de pensées et d’actions provoqué par les émotions négatives favorise une adaptation immédiate dans les situations qui menacent la survie, tandis que l’élargissement du répertoire de pensées et d’actions suscités par les émotions positives confère des avantages plus indirects et à plus long terme, comme la constitution de ressources sociales et intellectuelles. Ainsi, le fait de cultiver des émotions positives conduit à une augmentation des ressources psychologiques de l’individu. Par exemple, les émotions positives autotranscendantes comme la compassion favorisent la santé en initiant ou en améliorant les relations avec les autres, ce qui permet à l’individu de développer ses ressources sociales. Par ailleurs, les expériences de compassion ont été associées à une plus grande activation du système parasympathique ce qui encourage les comportements de soutien et de soin (Stellar, Cohen, Oveis et Keltner, 2015)[5]. Dans une étude longitudinale, les expériences fréquentes d’émotions mixtes (répertoire varié et alternance d’émotions positives et négatives) étaient fortement associées à une bonne santé physique autodéclarée via le Cornell Medical Index Health Questionnaire (Adler et Hershfield, 2012)[6]. De plus, l’augmentation des émotions mixtes au fil du temps était négativement associée au déclin de la santé avec le temps.
De même, les études sur l’émodiversité (la variété et l’abondance des expériences émotionnelles d’une personne) ont été étudiées en relation avec les résultats sur la santé physique (Quoidbach, Gruber, Mikolajcazk, Kogan, Kotsou, et Norton, 2014)[7]. Ces chercheurs ont constaté qu’une plus grande émodiversité globale était associée à de meilleurs résultats en matière de santé mentale et physique (baisse du nombre moyen de visites chez le médecin de famille par an).
La recherche suggère également que la corrélation positive entre les émotions positives et les résultats physiques est bidirectionnelle et s’auto-entretient. Par exemple, un tonus vagal cardiaque/contrôle vagal cardiaque élevé (en référence au rôle du nerf vague dans la régulation cardiaque (Laborde et al., 2018)[8] a été associé à une émotivité positive (Oveis et al., 2009)[9] et de meilleures capacités de régulation des émotions (Thayer, Hansen, Saus-Rose et Johnsen, 2009)[10]. Les gains en termes de bien-être physique conduisent à un bien-être psychosocial accru qui se traduit à son tour par des résultats physiques plus positifs, un processus qui reflète une dynamique réciproque en spirale ascendante (Kok et Fredrickson, 2010; Garland et al., 2010; Kok et al., 2013 dans Yen Tal et al., 2021))[11].
Ainsi, lorsque l’affect positif est ressenti parallèlement à de nouveaux comportements favorables à la santé (par exemple, l’exercice physique), la théorie de la spirale ascendante suggère que les associations positives créent alors des motivations non conscientes et automatiques poussant à répéter ou persister dans ce comportement. Par conséquent, l’affect positif initie un cycle auto-entretenu de processus non conscients qui incite les individus à répéter les comportements qu’ils ont précédemment appréciés (Fredrickson et Joiner, 2018)[12].
Bien que les recherches suggèrent qu’il existe une corrélation entre l’affect positif et de meilleurs résultats en termes de santé, et que le trait d’affect positif réduit le risque de développer des maladies, les mécanismes par lesquels l’affect positif influence la santé physique doivent être encore étudiés plus précisément. Il apparaît en autre nécessaire de mener d’autres études rigoureuses sur les liens de causalité proposés par la théorie de la spirale ascendante pour guider et mettre au point des interventions de développement du bien-être.
L’activité physique favorise le bien-être
modifierCaspersen et al (1985) définissent l’activité physique (AP) comme «Tout mouvement corporel produit par les muscles squelettiques qui résulte en la dépense d’énergie». Cette définition de l’AP est également reprise par l’OMS. Ainsi, l’AP inclut à la fois les activités sportives structurées comme le football ou le tennis par exemple, les activités de loisir sportives ou non (marche, footing, jardinage) et les déplacements actifs comme aller au travail à pied ou à vélo.
Les effets bénéfiques de l’AP sur la santé dans la population générale sont désormais bien documentés (Tessier et al., 2021)[13]. La pratique régulière d’une AP permet de réduire la mortalité précoce, le risque de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2, d’obésité, ainsi que la survenue de plusieurs cancers (notamment sein et côlon). Elle constitue également un facteur de prévention de certains troubles mentaux (dépression, anxiété), des chutes pour les personnes âgées, et de promotion du bien-être (améliore le sommeil, la santé mentale et la santé cognitive). Pour une synthèse des effets bénéfiques: voir ANSES, 2016; INSERM, 2008 et préconisations OMS, 2018).
Pour que ces effets bénéfiques se produisent, un certain niveau d’AP est requis. On parle d’une relation «dose-effet». En conséquence, l’Organisation mondiale de la santé a formulé des recommandations sur l’AP (2018) en tenant compte de l’âge, de l’existence d’une maladie chronique ou d’un handicap. La relation «dose-effet» signifie que de faibles niveaux d’AP, mêmes inférieurs aux seuils recommandés, sont quand même associés à des bénéfices pour la santé, et que la pratique au-delà de ces seuils entraîne des bénéfices supplémentaires. Toutefois, il convient de souligner qu’au-delà d’une certaine «dose», des niveaux d’AP trop élevés pourraient avoir des effets délétères sur la santé (Kern et al., 2020)[14].
Malgré la diffusion importante des recommandations et des nombreuses preuves scientifiques soulignant les effets bénéfiques de l’AP sur la santé et le bien-être, force est de constater que le niveau d’adhésion à l’AP reste faible en France et dans les pays industrialisés.
Mécanismes biologiques
La pratique d’une AP engendre l’élévation de la température corporelle, la réduction de la tension musculaire et de l’excitabilité du système nerveux central, l’augmentation de la sécrétion d’endorphine et des neurotransmetteurs chimiques cérébraux, l’amélioration de la circulation sanguine cérébrale, etc. Ces effets physiologiques, neurologiques et biochimiques de l’AP sont reconnus pour leurs effets antidépresseurs et analgésiques, ainsi que pour leur fonction de régulation de l’humeur. Ils contribuent en cela à la réduction des troubles anxieux et dépressifs.
Mécanismes psychologiques
Trois mécanismes psychologiques sont régulièrement mis en avant dans la littérature scientifique : la distraction psychologique, l’amélioration du sentiment d’efficacité personnelle, et l’augmentation du sentiment de maîtrise et de contrôle personnel.
L’AP peut tout d’abord agir comme une «distraction psychologique», en nous mettant psychologiquement à distance du stress et des émotions négatives quotidiennes. Cette diversion produite par la pratique d’une AP créerait une «pause», un temps mort dans les vicissitudes de notre existence, et contribuerait ainsi au maintien d’un certain bien-être.
Le renforcement du sentiment d’efficacité personnelle permet également d’expliquer les bénéfices psychologiques associés à une AP. Il désigne les croyances d’un individu quant à ses capacités à réaliser des tâches particulières (Bandura, 2003). Un sentiment d’efficacité personnelle élevé est un facteur de protection contre le stress et l’anxiété. La pratique d’une AP peut être l’occasion de vivre des expériences d’accomplissement, de progrès et de réussite susceptibles de générer une amélioration du sentiment d’efficacité personnelle, notamment sur le plan physique et moteur. Par exemple, un changement morphologique engendré par une perte de poids ou un gain de force musculaire dus à une pratique régulière d’AP peut conduire à une amélioration de l’image de soi et de la satisfaction corporelle. De plus, lorsque l’AP fait vivre des expériences de progrès et d’accomplissement personnel, elle peut également développer chez l’individu un sentiment de maîtrise de son corps et de contrôle sur soi-même. Dans cette perspective, l’AP peut donc être perçue comme un moyen de prendre le contrôle de son corps, notamment par le développement de nouvelles capacités motrices, et ainsi d’accroître l’autonomie ressentie et la capacité à faire face aux situations quotidiennes.
Mécanismes sociaux
Les relations sociales inhérentes à la pratique d’une AP, de même que le soutien social susceptible de se produire lors de ces moments de pratique, joueraient un rôle important dans l’apparition de bénéfices psychologiques, notamment en contribuant à la réduction du risque de développer des troubles mentaux (McNeill, Kreuter, & Subramanian, 2006)[16].
Certains auteurs ( Mutrie & Faulkner, 2004)[17], suggèrent que ce ne serait pas seulement l’AP en tant que telle qui jouerait un rôle prépondérant sur le bien-être, mais plutôt le processus de faire (s’engager dans) une AP, et les conditions de cette pratique.
Notes et références
modifier- ↑ Yen Tan, T., Wachsmuth, L. & Tugade, M. (2021). Chapitre 16. Voir le bon côté des choses : comment les émotions positives améliorent la santé et le bien-être. Dans : Charles Martin-Krumm éd., Grand manuel de psychologie positive: Fondements, théories et champs d’intervention (pp. 313-323). Paris: Dunod. https://doi-org.docelec.u-bordeaux.fr/10.3917/dunod.marti.2021.02.0311
- ↑ Chida, Y., & Steptoe, A. (2008). Positive psychological well-being and mortality: a quantitative review of prospective observational studies. Psychosomatic medicine, 70(7), 741-756.
- ↑ Cohen, S., Alper, C. M., Doyle, W. J., Treanor, J. J., & Turner, R. B. (2006). Positive emotional style predicts resistance to illness after experimental exposure to rhinovirus or influenza A virus. Psychosomatic medicine, 68(6), 809-815.
- ↑ Fredrickson, B. L., & Cohn, M. A. (2008). Positive emotions.
- ↑ Stellar, J. E., Cohen, A., Oveis, C., & Keltner, D. (2015). Affective and physiological responses to the suffering of others: compassion and vagal activity. Journal of personality and social psychology, 108(4), 572.
- ↑ Adler, J. M., & Hershfield, H. E. (2012). Mixed emotional experience is associated with and precedes improvements in psychological well-being. PloS one, 7(4), e35633.
- ↑ Quoidbach, J., Gruber, J., Mikolajczak, M., Kogan, A., Kotsou, I., & Norton, M. I. (2014). Emodiversity and the emotional ecosystem. Journal of experimental psychology: General, 143(6), 2057.
- ↑ Laborde, S., Mosley, E., & Mertgen, A. (2018). Vagal tank theory: the three rs of cardiac vagal control functioning–resting, reactivity, and recovery. Frontiers in neuroscience, 12, 458.
- ↑ Oveis, C., Cohen, A. B., Gruber, J., Shiota, M. N., Haidt, J., & Keltner, D. (2009). Resting respiratory sinus arrhythmia is associated with tonic positive emotionality. Emotion, 9(2), 265.
- ↑ Thayer, J. F., Hansen, A. L., Saus-Rose, E., & Johnsen, B. H. (2009). Heart rate variability, prefrontal neural function, and cognitive performance: the neurovisceral integration perspective on self-regulation, adaptation, and health. Annals of behavioral medicine, 37(2),
- ↑ Yen Tan, T., Wachsmuth, L. & Tugade, M. (2021). Chapitre 16. Voir le bon côté des choses : comment les émotions positives améliorent la santé et le bien-être. Dans : Charles Martin-Krumm éd., Grand manuel de psychologie positive: Fondements, théories et champs d’intervention (pp. 313-323). Paris: Dunod. https://doi-org.docelec.u-bordeaux.fr/10.3917/dunod.marti.2021.02.0311
- ↑ Fredrickson, B. L., & Joiner, T. (2018). Reflections on positive emotions and upward spirals. Perspectives on Psychological Science, 13(2), 194-199.
- ↑ Tessier, D., Trouilloud, D. & Chalabaev, A. (2021). Chapitre 15. L’activité physique, une pratique de psychologie positive à promouvoir pour favoriser le bien-être des jeunes et des personnes âgées. Dans : Charles Martin-Krumm éd., Grand manuel de psychologie positive: Fondements, théories et champs d’intervention (pp. 292-309). Paris: Dunod. https://doi-org.docelec.u-bordeaux.fr/10.3917/dunod.marti.2021.02.0289
- ↑ Kern, L., Carrer, M., Marsollier, E., Gully-Lhonoré, C., & Bernier, M. (2020). Activité physique, quand trop c’est trop: état des connaissances sur l’activité physique problématique. La Presse Médicale Formation, 1(5), 511-514.
- ↑ Tessier, D., Trouilloud, D. & Chalabaev, A. (2021). Chapitre 15. L’activité physique, une pratique de psychologie positive à promouvoir pour favoriser le bien-être des jeunes et des personnes âgées. Dans : Charles Martin-Krumm éd., Grand manuel de psychologie positive: Fondements, théories et champs d’intervention (pp. 292-309). Paris: Dunod. https://doi-org.docelec.u-bordeaux.fr/10.3917/dunod.marti.2021.02.0289
- ↑ McNeill, L. H., Kreuter, M. W., & Subramanian, S. V. (2006). Social environment and physical activity: a review of concepts and evidence. Social science & medicine, 63(4), 1011-1022.
- ↑ Mutrie, N., & Faulkner, G. (2004). Physical activity: Positive psychology in motion. Positive psychology in practice, 146-164.