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Psychanalyse et Messianicité

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Psychanalyse & Messianicité est une recherche théologique sur les liens entre la psychanalyse et le messianisme, tirée d’une série d’entretiens publiés dans le Times of Israël[1],[2].

Problématique

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Massimo Recalcati, psychanalyste italien dit : Je lis la Bible. Je lis Freud. Je lis Levinas. Il y a des racines juives profondes dans la psychanalyse. Je travaille sur cela depuis des années. Il ne s’agit pas de lire la Bible à travers la psychanalyse, mais la psychanalyse à travers la Bible[3].

Nous étudierons comment l’archive, enregistrement du passé (de l'ordre de la pulsion de mort comme l'explique Freud), questionne l'avenir, promesse d’une messianicité spectrale, pour Jacques Derrida[4] la question du mal d’archive chez Jean-Clet Martin, ses conséquences sur les abréactions du sionisme avec Eran Rolnik et la conversion de la force en puissance, avec Coralie Camilli.

Jean-Clet Martin, un mal d'archive

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« Adorno parle d’irreprésentable. Claude Lanzmann prudent sur ce sujet salue le film de Lazslo Nemes, Le Fils de Saul et condamne ouvertement la main mise d’Elie Wiesel sur la question. Pouvez vous expliquer ce que Derrida nommait le mal d’archive ?

Il faut dire d’abord que Derrida s’installe dans cette banalité du mal pour se demander si on peut pardonner. Que veut dire le pardon s’il ne s’adresse pas à l’impardonnable. C’est une belle question pour montrer que le pardon est absolu, qu’il vise peut être la banalité mais qu’il s’en sort comme une forme d’existence exceptionnelle.

Pardonner au criminel, c’est nous placer sur un autre plan que sa vision instrumentale de l’autre. C’est déconstruire sa normalité. Il n’y a de véritable pardon que celui qui a lieu devant des actes irrémissibles. Alors votre question évidemment porte sur l’archive qui est elle-même quelque chose qui ne se remet pas en main propre, irrémissible en un autre sens.

Ce qu’on peut dire c’est que Foucault s’intéressait également à cette question pour montrer qu’elle constitue le lieu du pouvoir, d’un ensemble de rapports de force qui se banalise qui entre dans le « correct », dans la normalisation, dans un travail qui efface, exclut des strates au nom de ce que veut dire « bien penser ». « Mal d’archive » montre alors qu’il y a des enjeux qui ont trait au mal. Mais aussi à la douleur de revenir au passé, à la douleur de ce qui ne s’efface pas sans se modifier, de ce qui entre dans le refoulement et qui, au nom du refoulement, s’approprie des textes, des documents, des strates de l’histoire, des constructions que Derrida va déconstruire. Une question de mémoire et de son fonctionnement.

Il y a comme dit Adorno un irreprésentable mais qui dans son vide, dans le trou qu’il creuse va convoquer des représentations, d’autres représentations pour le recouvrir ou en changer les orientations.

Ce n’est évidement pas le cas du beau film de Lanzmann où, au contraire, la mémoire des pierres, des murs, des murmures, des enfermements ne saurait être réduite au silence. Film douloureux en raison même de son caractère brut, ineffaçable disons par opposition à l’irreprésentable. C’est là un autre niveau de l’archive. Celui des objets, des choses parfois simples, inaperçues.

Pour le reste, il y a comme dit Foucault dans toute archive des stratégies. C’est aux historiens –mais existent-ils ?- qu’il appartiendrait de montrer comment ces stratégies s’ordonnent, entrent en conflit pour l’établissement même d’une archive. On ne peut donc répondre frontalement à votre question en raison d’un horizon même de notre pouvoir de connaître, de laisser émerger l’irreprésentable ou ce que Foucault nommait l’exclusion. Parler à la place des autres, n’est ce pas déjà prendre le pouvoir ? Ne faut-il pas que l’écriture porte en elle un autre droit ?

Vous avez découvert les longs plagiats du grand rabbin Gilles Bernheim sur le philosophe Jean Francois Lyotard que vous avez bien connu. Un talmudiste qui copie sur un psychanalyste, n’est ce pas le signe justement de ce mal d’archive ?

C’est un épisode en effet douloureux. Parce qu’il était question d’un philosophe que je connaissais et qu’il m’appartenait de le défendre comme je le fais régulièrement de Deleuze ou de Derrida lorsqu’ils se trouvent posés dans une archive qui ne leur ressemble pas. C’est le problème des études qui faussent le sens de l’oeuvre de Derrida, et maintenant d’Arendt, un sens qui n’a rien à voir avec les bricolages très scolastiques qui les recouvrent et les réduisent au silence.

Je crois que l’histoire de Bernheim est beaucoup plus simple, finalement plus innocente. Il se contente de recopier de beaux textes sans même les déformer d’un iota. C’est très rare, très surprenant dans le cas d’un plagiat qui normalement cherche toujours à se maquiller. De ce point de vue Bernheim rendait plutôt hommage à ceux qu’il plagiait comme on recopie une poésie, intégrale, mais en se l’appropriant.

Je regrette un peu la médiatisation de ce fait divers et je pense qu’une autre sortie aurait été possible si Bernheim avait discuté avec moi de façon moins officielle, moins institutionnelle, avant que d’autres s’en emparent. Disons que dans le cas du plagiat il est plutôt question de l’auteur, du droit d’auteur pour une idée partagée en raison de la certitude du vrai, de la reconnaissance du talent de l’original. Il n’y a donc pas sous ce rapport un mal d’archive qui s’inscrirait dans l’irreprésentable.

Je dirais aujourd’hui qu’il faut pardonner à Bernheim, parce que de toute évidence Lyotard l’aurait fait et aurait pensé que la reprise est un bon signe pour son œuvre[5]. »

Eran Rolnik, une abréaction du sionisme

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Eran Rolnik published "Freud in Jerusalem" (Éditions de l'Antilope), about the reception of psychoanalysis in the early years of Zionism.

« Max Eitingon, assistant of Carl Jung and founder of Israeli psychoanalysis is said to be a soviet spy. Is that a proved fact?Max Eitingon was not a Russian spy. There is no evidence to prove that allegation. But if he turns out to have been a spy…I wouldn’t be too surprised[6]. »

Coralie Camilli, convertir la force en puissance

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« Pour Joseph Cohen, notre époque cherche un « Messie méta-politique ». Pouvez vous nous expliquer le concept de « plasticité » du messianisme ?

En effet pour Joseph Cohen, et pour avoir abordé la question directement avec lui lors des ses passages à Strasbourg, notre époque cherche un sauveur qui se situerai hors-politique. Le politique est toujours lié à la violence, et c’est au fond cela, cette incessante conversion –de la violence en droit selon moi, que Derrida thématise comme la dé-construction du droit et l’indéconstructibilité de la justice. Nous le disons en des termes que nous avons empruntés au droit hébraïque, c’est-à-dire à la ressource talmudique elle-même.

Mais si l’on tient clairement, et c’est notre hypothèse, que le droit ne s’entend que depuis l’incessante production et reproduction de son « au-delà » même, alors le travail de conversion qui est le sien se présente comme la tâche messianique du passage, en cette zone spectrale et incertaine, de la violence au droit mais aussi de ce droit à un autre droit, et encore de cet autre droit à son au-delà, et ceci jusqu’à ce qu’advienne ou en attendant qu’advienne la justice, le messie.

Cette conversion désigne une question proprement politique, la seule question politique peut-être puisqu’en elle se condensent les façons dont telle situation concrète noue l’urgence de la justice et la nécessité que prenne fin la violence, le droit et la détresse, la forme instituée et la vie – dont l’étymologie est la même que celle de la violence.

Cette première partie de la question, sur la position de Joseph Cohen, nécessiterait évidemment davantage de développements, de même que la seconde partie sur la plasticité du messianisme; mais en un mot, je dirais que le messianisme est une notion plastique car il accueille plusieurs conceptions, parfois opposées, souvent contraires, en son sein. Comment cela se fait-il? Il faut remonter à sa structure première. Ce que je ferai ici rapidement et de manière partielle.

Le terme de messie, désignant quiconque a bénéficié d’une onction (machouah) est de faible fréquence dans la Bible, moins d’une quarantaine d’occurrences en tout et pour tout. Il y désigne de manière cérémonielle les rois et les prêtres qui étaient oints. Le Talmud regroupe l’ensemble des discussions entre les sages sur la question messianique, et c’est finalement à partir de ces discussions qu’une « pensée messianique » plus rigoureusement problématisée pourra se développer.

La pensée d’une temporalité messianique s’élabore à la faveur d’une langue à structure ouverte, proprement herméneutique, où le temps comme la parole procèdent d’un inachèvement constitutif. Le Talmud présente ainsi une infrastructure très souple où les sens se multiplient. Interpréter, en faisant usage de règles précises, est un mouvement qui présuppose et met en œuvre une visée intentionnelle, un vouloir-dire, et une structure qui se reflète et s’exprime dans les multiples techniques herméneutiques.

Pour revenir aux fondamentaux, la Loi écrite, tora ché bikhtav, est ce que nous appelons communément la Bible. La Bible juive est divisée en trois grandes parties : le Pentateuque, c’est-à-dire les cinq livres de Moïse, (le Houmach), qui comprend la Genèse (Berechit), l’Exode (Chemot), le Lévitique (Vayiqra), les Nombres (Bamidbar), le Deutéronome (Devarim), les Prophètes (Nevis), et enfin les Hagiographes, les Écrits, (Kétouvim).

Ces trois parties forment ensemble ce qu’on appelle le Tanakh, composé à partir des initiales des mots Tora, Néviim, Kétouvim, soit la Bible, la Tora écrite. Celle-ci est l’objet d’interprétations, lesquelles constituent précisément ce que le Sifra qu’on vient de citer nomme la Tora orale, Tora chébéal pé. Pour comprendre la multiplicité infinie des interprétations, il faut partir du fait que l’hébreu est une langue consonantique : les voyelles ne sont pas nécessairement inscrites dans le texte, ce qui permettrait une lecture assurée et univoque.

Un mot peut porter plusieurs vocalisations et donc se lire de plusieurs manières possibles. Les mots sont d’emblée polysémiques. Le premier niveau du commentaire se situe donc dans l’acte élémentaire de la lecture elle-même : comment prononcer les mots, comment faut-il les entendre, comment les comprendre, quels sens ont-ils ? De plus, le texte hébraïque n’est pas ponctué, il n’y a ni virgule ni point, on ne sait où commence et où s’arrête une phrase, il faut donc statuer sur le découpage du texte lui-même.

Aussi, les sages ont-ils développé et systématisé des clefs de lectures, des principes interprétatifs, depuis Hillel l’Ancien qui en avait dégagé sept, jusqu’à Rabbi Ichmaël, qui en compte treize. Une fois la lecture du texte transmis oralement, il faut encore en déployer les détails, en explorer les sous-entendus, car tout n’est pas contenu dans le texte originel. Ainsi, l’interprétation des textes va produire par démultiplication sémantique de nouvelles lois.

La compilation de ces commentaires se trouve en très grande partie dans ce que l’on appelle le Talmud. Celui-ci (talmoud signifie « étude ») est le principal des textes fondamentaux du judaïsme rabbinique, ne cédant en importance qu’à la Tora dont il représente le versant oral mis par écrit. Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette origine plastique de la notion de messianisme, qui, naissant, dans ce milieu langagier, a en quelque sorte conservé dans ses applications sa liberté de mouvement originel.

Pour Philippe Nassif, la fondation de la Pop-philosophie était animée d’un « messianisme » furieux. Pourquoi est-il selon vous un évènement « éphémère » ?

Eh bien, l’ordre du politique n’est-il pas régi, comme on l’a déjà suggéré, par ces scansions du fermé et de l’ouvert, de la loi et de son arrêt ? La Loi d’origine et la règle quotidienne, si elles sont circonstanciellement suspendues, ne peuvent l’être qu’à titre suspens provisoire : c’est au fond ce que dit l’exception, sauf à en faire, par un retournement dialectique assez pauvre, la règle et la norme.

La notion d’éphémère peut nous aider à cerner ces paradoxes. Elle est entendue couramment de manière négative, désignant ce qui ne dure pas, ce qui ne s’inscrit pas dans une longueur de temps, ce qui n’est pas souhaitable, le versatile, le frivole, l’occasionnel, l’immédiat, l’inconstant, le fragmentaire, le périssable et l’inutile.

« Depuis Platon, on sait que les jeux d’ombres et de lumières dans la caverne de l’existence barrent la marche du vrai, la séduction et l’éphémère enchaînent l’esprit, ils sont les signes mêmes de la captivité des hommes », prévient Lipovetsky dans l’Empire de l’éphémère. Bref l’éphémère n’est pas nécessaire, tel serait son défaut philosophique majeur. Or nous pensons que l’on peut faire de l’éphémère un usage positif, loin de la dévalorisation du temps foncièrement attachée à la tradition métaphysique depuis Platon, pour dire les choses de façon très sommaire.

Les théories du messianisme concentraient leur réflexion sur l’attente du messie et sur son arrivée, fussent-elles hautement improbables. Or, ce que semble permettre la notion d’éphémère, c’est de penser également son départ. Les pensées du messianisme que nous avons rencontrées jusqu’ici sont en quelque sorte des philosophies de l’arrivée. Le messianisme dans toutes ses thématisations se concentrait en entier sur l’attente de l’instant et l’instant de l’attente, la patience et l’impatience.

Ne court-on pas ainsi le risque, à penser ainsi le messianisme comme futurition, avenir toujours à venir, de reconduire la représentation d’une linéarité temporelle ? On peut tenter, pour parer à ce risque et pour être plus fidèle au messianisme dans son essence, de penser sa réalisation comme éphémère. Ceci veut dire deux choses tenues ensemble : a. la venue du messie peut devenir effective à chaque instant ; b. même si cet instant arrive et si le messie vient, on ne sera pas dans l’éternité.

L’éphémère, pourrait-on dire, ajoute du messianique au messianique. La rédemption n’est peut-être pas pour cette fois, la partie n’est pas encore gagnée. Le messie peut repartir aussi soudainement qu’il est venu. Sa venue s’inscrit bien dans l’instantané, mais il s’agit « en plus », si l’on peut dire, d’un instantané éphémère.

Le messie peut toujours venir, il peut encore ne pas rester.

L’éphémère messianique fait jouer l’irruption dans l’interruption et l’interruption dans l’irruption. Seront ainsi envisagés l’arrivée, la venue, l’instant –mais aussi bien le départ, le retournement, la disparition[7]. »

Mark Alizart, eschatologie canine

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Tout ne commence-t-il pas avec le chien que Dieu offre à Caïn après le meurtre de son frère Abel ? Peut-on dire que le chien est maudit dans la plupart des cultures ? Mark Alizart : La Bible ne dit pas que Dieu a offert un chien à Caïn, c’est un Midrash qui interprète ainsi la « marque » que Dieu imprime sur Caïn, dans sa miséricorde, pour le protéger de la mort que les hommes veulent lui donner en réparation de son acte. Cette marque très mystérieuse a fait l’objet de plusieurs interprétations : pour certains, il s’agirait d’une marque infamante, comme la lèpre, qui rend effectivement « intouchable », pour d’autres, il pourrait s’agir d’une marque plus charitable, comme une corne au milieu du front de Caïn. L’idée de lui donner un chien est astucieuse parce qu’elle conjoint ces deux dimensions d’infamie et de charité : dans la Bible, le chien est « impur », mais il a néanmoins le mérite de défendre son maître avec fidélité. Cependant, dans les Midrash, où la langue est couramment codée, le chien désigne souvent autre chose qu’un animal : il sert à désigner les païens, les « incirconcis », parce qu’il exhibe son sexe avec impudeur. Aussi, j’aurais tendance à penser que le sens de ce Midrash est qu’en donnant un chien à Caïn, Dieu l’a en réalité pourvu d’un sexe monstrueux (la « corne »). Il en a fait une bête de foire, de désir et de répulsion, à l’image de son crime même, qui conjoint la jalousie (le désir) et l’horreur (le meurtre). Je vois une première confirmation à cette hypothèse dans le fait que, longtemps, un petit sexe était le signe par excellence de la distinction aristocratique (voir les statues grecques). La seconde tient au caractère profondément sexuel de tous les mythes antiques canins. En Égypte ancienne, le chien est un grand civilisateur parce qu’il est un grand castrateur. Et c’est en ce sens que le chien est « maudit », comme vous dites. Le chien est l’autre nom du refoulé, de l’innommable, il désigne la castration du phallus que nul ne peut voir sans devenir aveugle, comme Œdipe, ou mourir.

Grâce aux rouleaux de Qumran, on sait que le premier chien positif est celui qui accompagna Tobie, fils de Tobit de la tribu de Nephtali, déporté à Ninive et devenu aveugle après avoir reçu de la fiente d’oiseau dans les yeux. N’y a-t-il pas une forme de contrat très ancien entre le chien et l’homme, inexplicable ? M.A. : Le chien de Tobie est en effet le seul chien de la Bible dont il n’est pas dit qu’il s’agit d’une bête impure. Mais le Livre de Tobie n’en dit guère plus ! Il est juste écrit : « Tobie partit avec l’ange et le chien les suivit ». Ceci étant dit, je pense que ce n’est pas tellement le lien entre l’homme et le chien qui est ici important, que le lien entre le chien et l’ange. Mon hypothèse à ce sujet est que chiens et anges désignent deux aspects d’une même réalité. Angelia, dans la mythologie grecque, est une femme qui sert Hécate (la déesse canine des enfers), et qui a tous les attributs du chien antique ; elle protège notamment les femmes enceintes (qui se dit kuo en grec, chien se disant kuon). De même, la Sphinge est une chienne « ailée » comme un ange. Enfin, on prisait à Rome des statuettes de « phallus ailés » qui portaient un grelot sur le gland et une laisse, et qui ressemblent d’autant plus à des anges que les anges n’ont pas de sexe (autrement dit, qu’ils n’en ont pas parce qu’ils en sont un). C’est pourquoi, je pense, le Coran dit qu’un ange n’entre pas dans une maison où il y a un chien, – ce n’est pas aussi péjoratif qu’on veut le faire croire. En réalité, cela veut dire qu’un ange n’a pas à entrer dans une maison où il y a déjà un ange.

Les chiens se sont tus lors de la fuite d’Égypte du peuple hébreu guidé par Moïse dans le désert du Sinaï. Comment comprendre que le Talmud demande que l’on « tolère » les chiens ? M.A. : Eh bien justement pour cette raison ! Le chien est considéré comme impur, mais parce qu’il a en même temps d’indéniable qualités presque humaines, il ne doit pas être rejeté. Ce passage de L’Exode nous en dit cependant plus long, car ce qui se joue dans la sortie d’Égypte est aussi la sortie de la religion égyptienne, où le chien avait un rôle clé, en la figure d’Anubis, le Dieu cynocéphale et psychopompe, mais plus encore d’Isis, la grande mère, qui se trouve aussi être la grande chienne, Canis Major. Dans le fait que les chiens n’aboient pas, il faut comprendre que les chiens passent le relais à Moïse comme guide et père du nouveau peuple de Dieu. Il me semble que c’est en substance ce qu’Emmanuel Levinas reconnaît quand il commente ce passage. Mais c’est surtout Samuel Joseph Agnon qui a bien dit cela en faisant d’un chien, Balak, à la fois rejeté de tous et chéri de Dieu, le symbole d’Israël, Balak, qui veut dire « celui qui lèche le sang d’Israël ». Agnon avait même proposé à cet égard qu’Israël prenne le chien pour emblème national, comme l’ours peut l’être de la Russie ou l’aigle des États-Unis. Il n’a pas été entendu, c’est dommage. Aucun pays n’a un chien pour emblème. Cela eût été une première et une singularité de choix[8].

Références

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