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Chapitre no 1
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Problématique :

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"Le peintre réaliste. La nature, fidèle et complète ! Comment peut-il s'y prendre ? Quand a t-on jamais pu liquider la nature en une image ? La moindre parcelle du monde est une chose infinie ! Il peint ce qui lui en plaît. Et que lui en plaît-il ? Ce qu'il sait peindre !"[1]

Les psychothérapies éclectiques s'inspirent d'une école de pensée philosophique antique, l'éclectisme, une méthode intellectuelle consistant à emprunter des éléments à différents systèmes, comme l'Épicurisme et le stoïcisme, sans se prononcer catégoriquement pour une tendance ou une opinion déterminée, et à les fondre en un nouveau système cohérent[4]. Cette école méthodologique était diffusée par le néoplatonicien Potamon d'Alexandrie, au iiie siècle av. J.-C., et sera reprise par le philosophe français des lumières Denis Diderot (1713-1784). L'éclectique manifeste la capacité, la complaisance ou le goût de choisir parmi diverses catégories rassemblant une grande variété de tendances.

Le terme d'éclectisme est en français l'antonyme du syncrétisme, qui se caractérise par la fusion ou la combinaison d'éléments hétérogènes provenant de doctrines religieuses ou de visions du monde philosophiques. Au risque de la confusion, le syncrétisme culturel vise une harmonie d'ensemble, une union, tandis que les systèmes idéologiques recherchent une synthèse au moyen de l'analyse. En psychothérapie, la démarche syncrétique est représentée par le courant intégratif, qui tente de synthétiser différentes théories et d'appliquer cliniquement un protocole ou une technique spécifique à un ensemble de situations psychopathologiques. La démarche éclectique s'oriente dans le sens contraire : en proposant une pluralité de techniques à partir de leur articulation méthodologique, l'éclectisme en psychothérapie se renouvelle et se régénère à chaque rencontre clinique, selon les cas individuels et les ressources disponibles. C'est donc une approche pragmatique, puisqu'elle consiste à adapter les cadres théoriques et méthodologiques au discours, à la demande et à la conduite des consultants.

Ainsi, là où le philosophe éclectique[5] aime à choisir ce qui lui plaît dans des catégories de choses ou de personnes qu'il apprécie pour leur diversité, en refusant tout choix exclusif, le psychothérapeute éclectique réintroduit le primat de l'écoute de la demande et de la plainte du patient, de ses attentes et de ses choix concernant la technique utilisée.

L’étymologie grecque εκλεκτικος « qui exerce un choix, sélectif », est elle-même dérivée de εκλεγειν (Eklegein), « choisir ». Cette sélection non exclusive a pour effet en psychothérapie éclectique de donner lieu à une proposition de soin avec une pluralité d'outils thérapeutiques et de dispositifs cliniques, éclectiquement[6]. Le patient est considéré comme disposant de la capacité d'être acteur de son propre soin, de son rétablissement ou de son agentivité (empowerment) et d'y exprimer ses goûts et sa personnalité.

Par analogie avec l'univers des réseaux numériques, l'éclectisme introduit en psychothérapie un changement comparable à celui du web 2.0 et des systèmes dynamiques de gestion de contenu par rapport aux logiciels statiques de diffusion. D'une part, les psychothérapies éclectiques se fondent sur la complémentarité clinique des dispositifs individuels et groupaux, dans lesquels les patients peuvent s'entraider et s'enrichir mutuellement via le partage de leur expérience ou de leurs points de vue les uns sur les autres. Le web 2.0 repose sur un fonctionnement participatif, où les internautes peuvent publier leurs contributions et les partager, mais également choisir de consulter un matériel et de le commenter ou de le recommander. D'autre part, Le service proposé s'adapte aux informations sur l'usager recueillies ou préalablement enregistrées dans la base de données du site Internet, comme sa langue ou ses préférences individuelles, mais aussi aux contingences techniques ou à des générations aléatoires. Le psychothérapeute, malgré sa neutralité déontologique, diffuse lui aussi une information, transférentielle, ne serait-ce qu'une attitude d'écoute ou de soutien induite par sa posture professionnelle. La modulation de cette position à partir du choix donné à la personne quant aux modalités de sa cure permet d'actionner des leviers thérapeutiques mettant en jeu l'engagement du sujet dans son propre soin comme la disponibilité contre-transférentielle du thérapeute. Celui-ci, en assurant une continuité relationnelle dans le cadre des séances, ouvre un espace de conflictualité psychique, où le savoir partagé se contredit, ou fait symptôme, dans un accordage, un processus participatif de co-construction du cadre méthodologique de la thérapie. Une psychothérapie 2.0, éclectique, se donne pour objectif une souplesse suffisante afin de prendre une forme technique personnalisable, malléable et sur-mesure, tout en maintenant une rythmicité méthodologique intersubjective.

La psychothérapie éclectique correspond ainsi à une vision pluridisciplinaire et dynamique de la thérapie psychologique.

Cette approche clinique incarne une spécificité de la psychologie française, originale et polyvalente, à l'image de la formation interdisciplinaire de l'initiatrice du courant de la psychologie sociale clinique et fondatrice de la maîtrise de psychologie clinique en France en 1967, Juliette Favez-Boutonier.

Depuis la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique qui réglemente l’usage du titre de psychothérapeute et par arrêté du 8 juin 2010,

"L’inscription sur le registre des psychothérapeutes est subordonnée à la validation d’une formation en psychopathologie clinique", laquelle formation est réservée notamment "aux titulaires d’un diplôme de niveau master dont la spécialité ou la mention est la psychologie ou la psychanalyse".

L’éclectisme français en psychologie est ainsi porté depuis ses fondements par des psychothérapeutes, des chercheurs, des cliniciens exerçant des fonctions professionnelles de soin psychique se référant à différentes méthodes et revendiquant le droit légitime de choisir leurs outils :"La mise en œuvre de ces fonctions [cliniques] fait appel aux méthodes, moyens et techniques correspondant à la qualification issue de la formation du psychologue qui les choisit en toute autonomie."

Cette étude vise ainsi à interroger l'autonomie du choix décrétée par le statut des psychologues hospitaliers et des autres psychothérapeutes. La première personne concernée par les moyens employés au cours d'une psychothérapie n'est elle-pas le patient lui-même ? Le recueil du consentement de ce dernier, lorsque la reconnaissance de son état est troublée par la maladie psychique, ou qu'il n'est pas en mesure de l'exprimer, lui permet-il de réaliser un choix éclairé ? Les injonctions de soin et les soins sous contrainte sont-ils compatibles avec l'expression singulière du choix des moyens psychothérapeutiques ?

Les protocoles de soin, les procédures psychiatriques et les programmes d'éducation thérapeutique laissent-ils suffisamment de place au choix subjectif de la personne ?

Les interventions du pouvoir étatique dans la définition des politiques de santé psychique, les recommandations cliniques, ainsi que l'autorité hiérarchique du personnel administratif dans les institutions de soin psychique sont-elles légitimes et justifiées ?

Hypothèses :

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- Si la continuité relationnelle et le rythme des séances représentent des constantes fondamentales du suivi psychothérapique éclectique, ces dernières impliquent, par effets accidentels de crise, des ajustements asymptotiques aux bouleversements des états psychiques des consultants, qui affectent transférentiellement la cure dans le sens de la discontinuité, du mouvement, et peut-être du côté du changement, du rétablissement ou de la résilience.

- Différentes techniques peuvent être métissées, associées au sein d'une psychothérapie éclectique, mais seulement si elles sont compatibles méthodologiquement, ce qui n'est pas le cas des TCC et de la psychanalyse, qui relèvent chacune de conceptions opposées de la personne humaine, du symptôme et de la causalité psychique. Ces modalités méthodologiques doivent en conséquence être nettement différenciées et identifiées cliniquement, car elles n'ont pas les mêmes objectifs.

- La contradiction entre méthode expérimentale et méthode clinique exige l'intervention de plusieurs psychothérapeutes, leur dialogue et leur confrontation, qui donne à la demande du patient un sens relationnel auquel les pratiques éducatives ne peuvent pas échapper. Les thérapies cognitivo-comportementales pourraient être indiquées en complément d'une cure relationnelle subjective dans un cadre éclectique, mais seulement sur le fondement d'une demande spécifique et de son analyse, réfléchie en termes relationnels et transférentiels ; en aucun cas ces techniques ne sauraient être préconisées de manière systématique dans un tel cadre[16]. De même, les pratiques de relaxation, d'induction ou de toucher thérapeutique peuvent, selon les structurations psychiques et les personnalités, prendre un sens transférentiel différent pour chaque personne.

- Toutes les psychothérapies éclectiques n'ont pas le même déroulement temporel, pratique et subjectif ; leur contenu varie avec la singularité individuelle, leur technique avec les dynamiques relationnelles et leur rythme avec la plasticité des processus de résistance ou de résilience.

- La répétition dans la cure[20], lorsqu'elle produit des variations, est une ressource positive de l'individu, mais elle peut aussi tomber dans la duplication morbide du fait des routines, des protocoles, des compulsions, des usages, de la politesse ambivalente ou de l'hypocrisie sociale, provoquant et déclenchant les échecs thérapeutiques et les réactions négatives.

- Les psychothérapies éclectiques, par l'élaboration plurielle et les mises en question qu'elles suscitent en continu[22], impliquent un cadre théorico-pratique en mouvement potentiellement perpétuel, collaboratif et pluridisciplinaire, sans rapport direct avec les procédures rigides et figées issues des techniques de conditionnement comportemental ou des tentatives intégratives qui en sont dérivées.

- Toute approche clinique est nécessairement insuffisante, intrinsèquement, tant qu'elle se contente d'elle-même, sans se confronter à une diversité de points de vue, sans prendre en compte la particularité du cas unique que présente chaque consultant.

- Les protocoles systématisés issus des sciences expérimentales s'appliquent difficilement aux sciences humaines et cliniques, parce qu'ils relèvent d'une approche cognitive séquentielle des interactions humaines, incompatible pour l'éclectisme avec la complexité des systèmes humains environnementaux et institutionnels, qui ne sont pas prévisibles et exigent une appréhension globale plus intuitive en processus cognitifs simultanés, ou au contraire des arrêts sur image, des approfondissements de l'étude du cas particulier, du singulier, de l'unique et de l'éphémère.

- La temporalité séquentielle n'est pas absente des techniques utilisées en psychothérapie éclectique, cependant elle s'articule et se relie cliniquement aux phénomènes circulaires synchrones et diachrones[25], de manière à prêter aux processus interpersonnels en jeu un sens subjectif, sans lequel les pratiques de soin se transforment en mécanismes défensifs contre l'angoisse du soignant, de l'ordre de la maîtrise et de l'emprise.

- À chaque fois que le clinicien perd de vue la notion du questionnement de ses actes, de ses interprétations ou de son discours, qu'il cesse de se remettre lui-même en question, de s'interroger subjectivement pour établir des jugements et des évaluations sur des traits ciblés de la personne ; de se montrer créatif dans ses propositions cliniques, il n'est plus dans une position de soutien ou d'autonomisation, mais dans une tentative d'influence et de d'uniformisation d'un individu à ses propres repères identitaires et valeurs personnelles. À chaque fois qu'une hypothèse du psychothérapeute prend l'aspect d'une violence symbolique[27], d'une étiquette, d'un préjugé ou d'une évidence protocolaire, sa pratique n'est plus celle d'un clinicien ou d'un scientifique éclectique, mais celle d'un moraliste paranoïaque auto-référencé, dont les bonnes intentions serviles et zélées deviennent parfois concrètement dangereuses pour l'intérêt du patient.

- Une technique TCC, un test de personnalité ou un bilan neuro-cognitif, pourraient être utilisés en psychothérapie dynamique éclectique, mais seulement s'ils sont justifiés par une utilité relationnelle. Ce sens relationnel est exprimé par la demande du patient concerné, comme un besoin d'étayage, un transfert relationnel fonctionnant de manière éducative, un trouble cognitif qui va permettre si on le soigne d'obtenir de nouvelles ressources relationnelles, de mieux vivre et comprendre les interactions sociales, ou encore une situation de rupture, d'échec thérapeutique ou de réaction thérapeutique négative. L'évaluation clinique et psychopathologique permettra alors de cibler un état diagnostic et de le mettre en lien avec de nouvelles possibilités thérapeutiques (changement de thérapeute, de technique, participation à un groupe, intervention psycho-corporelle ou psychoéducative).


Notes & références

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  1. Nietzsche, Le Gai savoir