Recherche:Sur l’extension des genres grammaticaux en français/animéité


Les théories linguistiques contemporaines présentent l’animéité comme le critère originel de discrimination par genre grammatical, tout au moins pour les langues indo-européennes[1]. Toujours selon cette vue consensuelle, cette structuration du genre distingue donc l’animé et l’inanimé. L’animé comprenant lui-même les sous genre féminin et masculin, et l’inanimé portant le sous-genre neutre.

Nébuleuse du cœur et nébuleuse de l'âme
Le cosmos est-il une entité animée douée d'une raison consciente et soucieuse d’esthétique ?

Étymologiquement, animé dérive du latin ănĭma : souffle, vent, exhalaison, provenant lui-même de l’indo-européen commun *anə- : respirer[2]. Ce dernier donne aussi en latin animus : esprit, âme, et halo : exhaler une odeur ; le grec ancien anemos/ἄνεμος : vent, agitation de l’âme ; le protoslave *vonja ; le tchèque vůně : odeur ; le russe vonʹ/вонь : odeur forte. Par ailleurs le français animal vient du latin homographe animal : être vivant, être animé, créature, animal, qui dérive lui aussi de anima.

ℹ️ Toute spéculation sur une manière exogène de concevoir le monde, et de l’impact d’une telle représentation sur le langage et sa grammaire sera de toute évidence au mieux à accueillir avec un scepticisme bienveillant. Même pour une personne, tel Ahmadou Kourouma, qui s’est vue bercée dans une culture animiste et francophone contemporaine, le lexique francophone ne peut retranscrire qu’improprement les représentations mentales correspondantes[3]. Le lectorat est donc invité à user de son esprit critique et à évaluer avec circonspection les idées présentées ci-après : indépendamment du sérieux de leurs expressions, elles ne saurait établir une correspondance certaine aux croyances et pratiques effectives, et de surcroît à la conscience représentationelle qui s’y rapporte, de peuples depuis longtemps disparus et n’ayant laissé aucune trace écrite.

Bien sûr en synchronie le terme animé peut évoquer l’aptitude autonome pour un objet d’impulser des mouvements, dont son notamment les êtres vivants. En termes de catégorie de genre grammatical il découle cependant assurément d’un terme qui renvoie à l’âme de cet objet plus que d’une manifeste motilité. Sous une perspective animiste, paradigme métaphysique qui à eu court dans les cultures qui ont forgé les langues indo-européennes, le fait de distinguer ce qui à une âme de ce qui n’en a pas, n’offre pas une correspondance forte entre genre énonciatif et genre référentiel. Si, pour l’anisme, tout objet désignable porte une âme[4], alors une correspondance grammaticale dans un paradigme de l’animéité devrait classer tout référant à des objets concrets comme animé. Poussée dans leurs degrés les plus totaux, une perspective moniste — l’un de l’âme du monde est partout diffuse — ou omniste — chaque objet appréhendable est doué de son âme propre — les catégories dualistes sont infondables.

Photo prise depuis le désert de Judée, en contre-plongé, au pied d’une falaise rocheuse, avec un ciel de jour dégagé laissant apparaître la lune
Dans une représentation pananimiste, même la roche, les nuages, le ciel et la lune relèvent de l’ánemos sacralisé.

La littérature utilise aussi bien le terme inanimé que non-animé comme nom s’opposant à l’animé. Si cette diversité de nom peut paraître anodine, la synonymie est en fait bien loin de se recouper dans des correspondances sémantiques équivoques. Le premier, inanimé, lexicalise de manière intégré, plus propre à conféré une autonomie sémantique. Le second, non-animé, construit par composition, renforce morphologiquement l’explicitation sémantique d’un lien d’interdépendance et de subordination à l’animé. Ces remarque sont évidemment tout aussi valables pour les autres noms de catégorie construits via ces différents moyens d’opposition morphologique.

Si l’animisme, ou tout moins la notion d’âme, ne fournie pas le critère discriminant de l’animéité, il reste à chercher dans une analyse comparative comment en contre partie de fournir à l’animé ses bornes fondatrices, l’inanimé se voit pourvut d’une existence propre pourvu de son évolution autonome bien qu’inextricablement liée.

De là il n’est pas étonnant de constater une répartition du genre qui ne suive pas de logique unique claire. Ainsi en algonquin, le genre animé concerne toutes les vies animales, ce qui suit directement la logique déjà explicitée se calquant sur l’aspect biologique. Les Algonquins emploi ce même genre pour ce qui a de l'importance dans leur système de valeur culturel. Cela comprends par exemple arbres, arcs, astres, avirons, certains fruits, la glace, la neige, peaux, pipes et tonnerre. Les hommes entrent également dans cette catégorie. Quant au genre inanimé, il concerne tout ce qui considéré sans vie ou de peu d'importance pour le peuple autochtone algonquien comme un avion, un canon, un château[5].

Il y a donc via l’animéité de l’algonquin infusion d’un prestige qui dépasse le cadre — supposé originel — de la dignité accordé initialement aux animaux. Ce glissement sémantique, ou en mettant de côté l’idée d’originelité, cette flexibilité conceptuelle, est également pleinement opérante en français contemporain. Par exemple dans une métaphore telle transformer une œuvre au point de la vider de son âme, ce qui est signifié c’est que l’œuvre est vidé de la cohérence constitutive de l’affection qui lui est porté et d’un potentiel prestige social qui lui correspond.


Références

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  1. Modèle:Fr-FR Antoine Meillet, « Les formes nominales en slave », Revue des études slaves, vol. 3, no  3, 1923, p. 193–204 (ISSN 0080-2557) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-07-09)]
  2. Julius Pokorny, « Indo-European Etymological Dictionary - Indogermanisches Etymologisches Woerterbuch », sur academiaprisca.org (consulté le 9 juillet 2021)
  3. Ahmadou Kourouma, « Écrire en français, penser dans sa langue maternelle », Études françaises, vol. 33, no  1, 1997, p. 115 (ISSN 0014-2085 et ISSN 1492-1405) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-07-09)]
  4. Modèle:Fr-FR Iwao, Seiichi, Sakamato, Tarō, Hōgetsu, Keigo et Yoshikawa, Itsuji, « 149. Animisme », Dictionnaire historique du Japon, vol. 1, no  1, 1963 [texte intégral (page consultée le 2021-07-09)]
  5. G. Lemoine, Prêtre O.M.I., Dictionnaire français-algonquin, Chicoutimi, Imprimeur G. Delisle, Bureau de journal « Le travailleur », 1909 (Conférence au Congrès des Américanistes à Québec le 10 septembre 1906). Le père oblat Georges Lemoine (1860-1912) est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment le Dictionnaire français-montagnais (1901), une Histoire sainte en montagnais, et un Dictionnaire français-algonquin (1909).