Recherche:Sur l’extension des genres grammaticaux en français/contexte

Image de synthèse d’une fractale pseudoflorale
Cette fractale pseudoflorale générée à l’aide du logiciel Context Free, évoquant les vrilles des plantes grimpantes, n’est pas sans lien avec la notion de grammaire hors-contexte.

Le français contemporain, tel que pratiqué dans la francophonie de ce début du troisième millénaire de l’ère commune, connaît essentiellement deux genres grammaticaux, couramment libellés féminin et masculin. Historiquement, comme pour beaucoup de langue romanes, cette situation résulte de la disparition d’un neutre qui était pleinement assumé parmi ses langues ascendantes il y a quelques siècles. Et bien en amont encore à rebours de quelques millénaires, les théories linguistiques contemporaines admettent généralement une famille linguistique indo-européenne en tant qu’ancêtres communs, et qui auraient entre autres caractéristiques les genres animé et inanimé comme mécanisme de première articulation, complété par d’autres catégories dont le féminin, le neutre et le masculin, en seconde articulation. Même en français contemporain se trouve d’ailleurs encore des composants vestigiaux de cette articulation complémentaire originelle comme dans ceci, cela, ça, en et y qui ne servent qu'aux inanimés.

Les théories dominantes finissent donc par acter l’abrogation du neutre et du couple animé/inanimé. Dans la foulé, les catégories de féminin et de masculin se sont vues réaffecter des connotations préalablement imputées à celles évanouis. Ces changements opérés dans un contexte fortement patriarcal aboutissent dans de nombreuses langues romanes à une réassignation qui globalement dissipe l’animé dans le masculin et l’inanimé dans le féminin, à travers le prisme convenu d’une idéologie dominante faisant de la femme un objet tout au plus participant à la vie comme utilitaire procréatif et libidinal. Dans le même temps du côté des prépositions, le masculin se voit attribuer un primat pour désigner les groupes de référés[N 1] au genre hétérogène, d’où sera tiré l’adage le masculin l’emporte toujours sur le féminin.Depuis un peu moins d’un siècle, les femmes ont dans de nombreux pays francophones conquit un statut social bien moins avilissant[N 2]. Encore plus proche de nous se trouve des personnes qui, s’étant vu administrativement attribuer un genre femme à la naissance, veulent socialement se sexuer homme et inversement, et d’autres personnes qui naviguent dans un flou entre ou en dehors de ces catégories, et qui s’épanouissent ainsi là où tous les « traitements à leurs déviances » ne saurait que les noyer dans le désespoir.

Voilà qui dresse une cinématique en avance rapide, ne s’encombrant pas trop de détails ou nuances, des enjeux socio-linguistiques qui alimentent les débats sur le genre grammatical en francophonie.

La suite de cette recherche pourra être guidée par la thèse suivante, qu’il s’agira de confronter à des faits empiriques et statistiques :

Historiquement, les grammaires officielles ont pris le parti d’amalgamer, dans leurs propositions d’analyse de la langue française, des notions qui restent tacitement actives sur le plan connotatif et donc sémantique. Généralement[N 3], le féminin est chargé entre autres des genres connotatifs du délicat/raffiné, du fragile, de l’inactif, de l’inanimé, de l’injurieux et du passif, tandis que le masculin se voit attribué entre autres des genres connotatifs du brutal, du puissant, de l’actif, de l’animé, du neutre et du prestigieux.

Cette thèse peut notamment s’appuyer sur les conclusions de Michel Roché en 1992, qui au terme de son analyse statistique de la répartition du nom par genre en fonction de son mode de production conclue[1] :

Le masculin est donc non seulement plus productif que le féminin, mais le lexique qu'il constitue est plus varié, plus valorisé que le lexique féminin. Celui-ci apparaît comme plus archaïque, ou plus marginal : langue savante d'un côté, registre familier de l'autre. Alors que la sexuisemblance se trouve rarement à l'origine de l'attribution du genre, une sexuisemblance a posteriori entretient un cercle vicieux entre la répartition des genres dans la langue d'une part, les stéréotypes et les préjugés sexistes d'autre part. Moins visibles que ceux qui concernent les noms de personnes, les déséquilibres qui caractérisent le genre des noms /-humain/ ont peut-être un impact aussi important.

Références modifier

  1. Michel Roché, « Le masculin est-il plus productif que le féminin ? », Langue française, vol. 96, no  1, 1992, p. 113–124 [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-07-01)]

Notes modifier

  1. Dans cette recherche le terme référé est sans lien avec son acceptation juridique. Il renvoie, tout comme dénoté et connoté, à la substantivation du verbe homophone en sa forme infinitive, et signifie donc ce à quoi l’on se réfère, et notamment du statut ontologique de la topique. Pour des exemples d’antécédents d’une telle pratique, voir par exemple Analyse critique de quelques modèles sémiotiques de l’idéologie (première partie) de Robert Tremblay et Quelques aspects de la philosophie du langage (Frege, Husserl, Wittgenstein) et leur incidence en linguistique (1990) d’André Rousseau, ce dernier pointant lui-même à Linguistique générale (1972) de John Lyons.
  2. C’est évidement l’ampleur générale du phénomène au niveau social qui est pointé ici. Même dans les systèmes patriarcaux les plus extrêmes, des femmes peuvent occuper des positions sociales remarquables ou prestigieuses en marge de la sujétion générale.
  3. Évidemment, les exceptions ne manquent pas, comme dans la majorité des heuristiques grammaticales.