Recherche:Sur l’extension des genres grammaticaux en français/indifférencié


Diagramme montrant les étapes de l'évolution des plumes telles que décrites par Xu & Gou 2009.
L'évolution d'une plume en huit étapes clés qui se conclut par une vanne indifférenciée avec rachis central, indicé 8 sur ce schéma.

Sous la plume tétrachirale[N 1] d'André Goosse et Maurice Grevisse, Le bon usage indique[1][2] : Peut-être y a-t-il parfois des raisons sociales, mais d’une manière générale le genre masculin est le genre indifférencié, asexué. Mais avant de conclure trop hâtivement sur cette seule sentence, un rapide tour d'horizon des propos accessibles dans humanités numériques permettra d'en appréhender une vision plus large.

En 1946 Jodogne Omer pour l’utilise dans le propos suivant[3] :

Le pronom soi est senti comme appartenant au genre indifférencié, lui, disposant d'une forme particulière pour le féminin et pour le pluriel, est considéré comme marqué plus nettement par le genre et dès lors plus apte à représenter des personnes déterminées.

En 1989 Christiane Marchello-Nizia, à la suite de Jacqueline Pinchon et Robert-Léon Wagner l'évoque en ces termes[4] :

H.L. Wagner et J. Pinchon, on l'a vu, sont les plus cohérents dans le refus (non explicité cependant) de la catégorie du neutre ; ils réutilisent en revanche la catégorie du "genre indifférencié", ou du "genre non marqué" (à propos du pronom personne par exemple) ; mais l'on peut se demander quel est le statut de cette catégorie par rapport au masculin et au féminin (ceux- ci appartiennent-ils à une catégorie "genre marqué" qui les dominerait ?).

En 1996 André Winther fait usage du terme dans Un point de morpho-syntaxe : la formation des adjectifs substantivés en français[5] :

Nous avons parlé, jusqu'à présent, indistinctement « d'adjectifs » substantives, mais il est patent que cette construction concerne tout autant les participes passés (les élus, le passé, le fait...), les formes en -ant (les votants, une passante, l'étant -vs l'être- ...) et les formes en -eur, fondamentalement adjectivales (indifférenciées en genre), même si elles sont fréquemment lexicalisées comme noms, c'est à dire comme adjectifs substantives (un aspirateur, mais aussi un dispositif aspirateur de copeaux). Un nom est nécessairement masculin ou féminin. Ce genre fixe et nécessaire le construit et le détermine comme nom. On analysera donc: table: «tabl-» (lexeme) + « GeF » (morphème de genre féminin); homme: « om- » (lexeme) + « GeM » (morphème de genre masculin) ; etc. – Au contraire, un adjectif est nécessairement indifférencié en genre[…]

En 2005 Pierrette Vachon-L’Heureux dans sa synthèse Quinze ans de féminisation au Québec : de 1976 à 1991 explique[6] :

Le recours au pluriel pour les appellations d'emploi épicènes, ou au genre indifférencié (masculin) appliqué qu poste plutôt qu'à la personne.

Également en 2005 Olivette Genest prend appui sur cette notion pour énoncer[7] :

Le français n'a pas non plus un éventail de mots neutres, sauf peut-être quelques rarissimes exceptions au genre indifférencié comme personne et victime.

En 2009 Montserrat Planelles Iváñez y recourt comme suit pour décrire le cas du mot auteur, seul retenu parmi ses 23 exemples selon ses propres critères[8] :

En raison de sa forme, quand auteur est accompagné du déterminant défini, son genre reste indifférencié, car la voyelle s'élide. On a encore repéré 13 exemples où auteur a le genre indifférencié rapporté à une femme.

En 2018 Isabelle LeBlanc dans Sans distinction d’identité de genre? emploi le terme par exemple dans les passages suivants[9] :

La neutralisation linguistique en anglais se présente comme une indifférenciation sémantique.

L’idée que le masculin serait un genre indifférencié en français est démentie par Anne Abeillé, linguiste française, qui considère que « le masculin n’est pas un genre neutre, mais un genre par défaut »

Le débat a bel et bien eu lieu et divise un certain nombre de Canadiennes et de Canadiens sur la question suivante : faut-il neutraliser/indifférencier la langue afin d’intégrer tous les genres?

De ces multiples échantillons d'usage, peut se dégager une définition comme la suivante pour le genre indifférencié :

👉 forme de genre grammatical qui dénote une suspension de jugement sur des traits sémantiques, comme le sexe, auquel tout ou partie des genres de la langue peut par ailleurs renvoyer.

Cette définition n'exclue pas qu'un genre donnée puisse, sans qu'aucune variation morphologique n'intervienne, agir selon le contexte d'emploi parfois comme indifférencié, parfois comme différencié. Elle n'exige pas non plus d'un tel genre qu'il soit strictement rattaché à une unique classe morphologique de genre. Rien n'empêche donc de concevoir un genre indifférencié qui prenne les traits tantôt d'un féminin, tantôt d'un masculin, ou encore d'un neutre. Aussi une telle définition fait d'autant mieux resortir que ce qui est usuellement présenté comme genre indifférencié en français propose surtout un genre affecté d’une valeur indifférenciante. C'est à dire inhibant un trait sémantique sexualisant, qui n'opère pas dans le cas général, sans en abroger la possibilité virtuelle d'activation ubiquitaire. Et ce mécanisme d'inhibition est de fait utilisable et utilisé tant au féminin qu'au masculin :

L'humanité est ainsi faite qu'elle nous donne à contempler les plus affables personnes et les plus sordides individus, probablement dans d'égales distributions entre tous les sexes que compte le genre humain, entre toutes les âmes qui peuplent notre espèce.  Celles-ci sont les modèles des vertus à suivre, ceux-là sont les spécimens des déviances à fuir. Qui parmi nous autres, mortelles créatures, seront de celles à ne pas capituler face aux attraits des vices les plus abjects ?

Dans cet exemple construit pour l'occasion, dans tous les mots mis en emphase, la sémantique implique une indifférence au sexe des référés, bien que s'y trouve une alternance de féminin et masculin. Et évidemment si dans la phrase précédentes il est stipulé référés, utiliser référées serait tout aussi grammaticalement justifiable en tant qu'ellipses respectives de individus référés et personnes référées.

Enfin il convient d'expliciter que le genre indifférencié ne peut en aucun cas prétendre qualifier le pronom il dans il pleut, il faut. Ces cas relève du genre impersonnel.

Références

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  1. Noémie Marignier, « Le genre du genre », sur Corps et Mots (consulté le 15 décembre 2021)
  2. André. Goosse, Le bon usage : Grevisse langue française, 2016 (ISBN 978-2-8073-0069-9 et 2-8073-0069-3) (OCLC 958080523) [lire en ligne] 
  3. Omer Jodogne, « Brandt (G.). La concurrence entre soi et lui, eux, elle(s). Étude de syntaxe historique française », Revue belge de Philologie et d'Histoire, vol. 25, no  3, 1946, p. 668–671 [texte intégral (page consultée le 2021-12-15)]
  4. Christiane Marchello-Nizia, « Le neutre et l'impersonnel », LINX, vol. 21, no  1, 1989, p. 173–179 [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-15)]
  5. André Winther, « Un point de morpho-syntaxe : la formation des adjectifs substantivés en français », L'information grammaticale, vol. 68, no  1, 1996, p. 42–46 [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-15)]
  6. Pierrette Vachon-L’Heureux, « Quinze ans de féminisation au Québec : de 1976 à 1991 », Recherches féministes, vol. 5, no  1, 1992, p. 139–142 (ISSN 0838-4479 et ISSN 1705-9240) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-15)]
  7. Olivette Genest, « Langage religieux chrétien et différenciation sexuelle. De quelques évidences », Recherches féministes, vol. 3, no  2, 1990, p. 11–30 (ISSN 0838-4479 et ISSN 1705-9240) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-15)]
  8. Montserrat Iváñez, « L’influence de la planification linguistique dans la féminisation des titres en France et au Québec : deux résultats différents en ce qui a trait à l’usage », Revue québécoise de linguistique, vol. 24, no  2, 1996, p. 71–106 (ISSN 0710-0167 et ISSN 1705-4591) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-15)]
  9. Isabelle LeBlanc, « Sans distinction d’identité de genre? Les enjeux d’un langage neutre/indifférencié au Nouveau-Brunswick », Recherches féministes, vol. 31, no  2, 2018, p. 159–175 (ISSN 0838-4479 et ISSN 1705-9240) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-15)]
  1. Autrement dit l'écriture à quatre mains soit deux personnes à l'anatomie médiane.