Recherche:Sur l’extension des genres grammaticaux en français/personnel
Sur le plan étymologique, ces termes dérive de personne, du latin persona
: masque de théâtre, rôle, personnage. La personne, c’est donc le masque que revêt un individu dans le grand théâtre du monde.
La notion de personne vaut également en droit, où elle s’étend aussi à des abstractions organisationnelles : les personnes morales permettent de faire porter le chapeau de toutes les transgressions éthiques à une fiction juridique.
Pour des sujets constituant des pans d’écosystèmes conceptuellement isolables, la reconnaissance légale d’une personne attachée se montre par contre nettement plus sporadique et récente, tout en suscitant de vifs débats[1][2]. Non pas qu’une telle convention soit radicalement inédite dans l’histoire de l’humanité : toute forme d’animisme est résolument assimilable à un tel statut socio-ontologique. Certains linguistes n’hésitent d’ailleurs pas à réduire le genre personnel au genre animé, ce qui illustre bien la connivence des deux notions et de leurs contraires respectifs d’inanimé et d’impersonnel[3].
Du côté de la grammaire, les descriptions que fournissent les dictionnaires courants sont souvent plus loquaces que pour féminin, masculin et neutre :
Catégorie grammaticale marquant le rapport à celui qui parle, à celui à qui on parle, à celui (ce) dont on parle et qui se note morphologiquement dans le verbe, le pronom personnel, le pronom et l'adjectif possessifs. La première personne (je, moi, me, mon) renvoie au locuteur, qui parle de lui-même, la deuxième personne (tu, toi, te, ton) renvoie à l'interlocuteur, la troisième personne à ce qui n'est ni le locuteur, ni l'interlocuteur. La personne où le locuteur est impliqué avec d'autres est dite première personne du pluriel (nous, notre, vôtre). La troisième personne du pluriel est homogène en ce sens qu'elle vient de la réunion de deux ou plusieurs «troisièmes personnes». La troisième personne du singulier comme au pluriel, est celle de la personne dont il est parlé sans plus. C'est la personne passive, absente du système de l'interlocution. Ce n'en est pas moins une personne, et il est inexact de parler d'elle comme d'une «non personne»; c'est la personne de tout ce que la pensée a appris à désigner, la personne inhérente à toute sémantèse, à tout ce dont le langage est capable de parler[4].
Catégorie grammaticale classant les pronoms, les noms et les verbes, en fonction des rapports qui lient le locuteur, l'interlocuteur et le reste du monde. […] PERSONNE, se dit aussi en Grammaire des verbes & des pronoms qui se conjuguent, ou s'appliquent à trois differentes personnes[5].
Catégorie grammaticale qui se marque par des désinences verbales et/ou par la juxtaposition au verbe de pronoms personnels et qui sert à distinguer les participants à la communication ou à référer à l'énoncé produit[6].
Rôle que tient la personne ou la chose en cause dans l’acte d’énonciation[7].
La notion dont il est question dans ces définitions est cependant plus spécifique que celle abordée dans cette section, puisqu’elle en limite la portée au lien métonymique entre un discours et indices métacontextuels des personnes qui y sont désignés. Cette polysémie n’a d’ailleurs pas échappé aux linguistes, voici par exemple ce que Georges-Henri Luquet[8] en résume dans sa note de bibliographie analytique qui décrit l’œuvre de Viggo Brøndal – figure à la croisée du linguiste, du philosophe et du sémioticien[9] – Le concept de personne en grammaire et la nature du pronom de :
En grammaire, les mots personne et personnel sont appliqués à trois catégories de faits : les personnes des pronoms et de certaines formes verbales, le genre personnel et les pronoms personnels. La langue est arrivée à exprimer par trois moyens différents les trois aspects qui constituent le fait complexe de la personnalité : l'individu, la faculté créatrice ou animale, la conscience. C'est en isolant tour à tour ces trois aspects que la grammaire a pu désigner des faits si radicalement divers par un seul et même terme[10].
Alexandru Mardale et ses Éléments d’analyse du marquage différentiel de l’objet dans les langues romanes peuvent également être cités de manière éclairante sur l’histoire et la porté de ce genre :
Les analyses que nous avons regroupées dans cette classe attribuent à pe et a le statut de marques dudit « genre personnel ». Cette expression vient de la grammaire traditionnelle – elle a été proposée par Spitzer (1928) pour l’espagnol et développée par la suite par Racoviţă (1940) – et désigne les expressions nominales ayant le trait [+ humain][11].
Le genre personnel est surtout étudié dans les langues où il exerce une influence morphosyntaxique, dans des langues slaves[12][13][14] comme le haut sorabe, le polonais et slovaque[15][16][17][18][19][20] ou plus marginalement dans le bulgare[21][22], le roumain[23][24] et le russe[25] ainsi que dans des langues issues d’autres famille comme le hittite[26], le canara et le tamoul[27]. Il est par ailleurs mentionné dans l’analyse de l’anglais, qui par son statut de lingua franca contemporaine bénéficie d’une fréquence d’interaction plus importante avec le français :
Le genre personnel et le genre impersonnel se distinguent dans les substantifs anglais par l'effectif casuel : les substantifs de genre personnel admettent le génitif en -s, les autres le remplacent par l'expression avec of ou par des périphrases diverses[28].
Personne ici s’oppose à chose[29], donc personnel à chosatif[30], à ce qui chosifie en entité inanimé ou plus précisément en entité dont est contesté toute dignité personnelle. Le lien entre personne et animéité est explorer par Louis Hjelmslev en 1956 dans Animé et inanimé, personnel et non-personnel. Cependant c’est plus généralement les termes non-personnel[31][32][33] ou impersonnel[34][35] que retient la littérature. Le sujet y est d’ailleurs, tout au moins pour le français, nettement plus couvert pour ces cas antonymiques que celui de genre personnel. David Gaatone suggère que cette différence de traitement serait inversement proportionnelle à la faible fréquence d’emploi de ce type de formulation — 1 à 6,7% selon ses estimations — conjugué à la difficulté d’en rendre compte sous le prisme de ce qui paraît suffisament évident dans le cas général pour être traité succinctement[36].
Barbara De Cock en 2020 dans Intersubjective Impersonals in Context: A Multivariate Analysis of Spanish “Uno” and “Se” in Spoken Language soutient que le genre impersonnel joue un rôle notable dans l’appel à l’empathie dans les relations intersubjectives par le biais d’une perspective théorique pouvant faire tomber les barrières identitaires[37]. Cela concorde avec les analyses de Yatziv‑Malibert et Zohar Livnat pour l’hébreu, qui nuance cependant leur constat en indiquant qu’une forme impersonnelle peut générer un effet d’éloignement d’une part et proximité et solidarité d’autre part[38]. Un important renseignement que fourni ces études est que le genre impersonnel n’est, dans ces cas là, aucunement détaché du trait sémantique humain, bien au contraire, et ne fait que détacher les propos d’une personne bien déterminé.
Cette approche de formulation impersonnelle visant à susciter la complicité ou la distance est résolument active en français, par exemple dans :
Comme tout le monde le sais, quelqu’un devait faire le sale boulot.
Dans cet énoncé la personne qui s’exprime engage ses interlocuteurs à se projeter dans tout le monde. Ce tout le monde ne désigne personne en particulier, mais tant celui qui plaidoie que ceux à qui il s’adresse y sont tacitement mis en connivence. Il invite aussi implicitement à excuser un spéculatif quelqu’un que chacun aurait pu incarner si quelques hasardeuses circonstances n’avaient désigné l’orateur à sa place. Enfin elle invite à conférer une figure sacrificiel quasi-héroïque à ce prédicateur qui, assurément, a agi avec répugnance lorsqu’il a commis son forfait salvateur, dont tout à chacun est virtuellement tenu et dont les conséquences positives bénéficient assurément à l’ensemble de l’auditoire, voire jette un soupçon d’opprobre culpabilisateur sur les allocutaires qui se figuraient avoir les mains propres quand leur irresponsable attitude tire-au-flanc n’aura que mis d’avantage de pression sur le dos du brave scélérat.
Par ailleurs, la tournure archi-courante du il impersonnel va plus loin puisque ce sujet ne peut généralement pas être éludé bien qu’il ne réfère à rien. L’usage en français de cet impersonnel adéictique[39][40][41][42] prédate l’obligation générale d’y adjoindre ostentatoirement un sujet, tout pronom fictionnel fut-il, mais a laissé des tournures où cet omission se maintient sous forme vestigiale : advienne que pourra, reste à savoir, n’importe ou encore peu s’en faut font figures d’exceptions sans choquer pour autant les francophones[43]. Certains comme Michel Maillard vont jusqu’à dénier la qualité de pronom à ce il, lui préférant la terminologie d’indice pronominal à un prédicat asubjectival[44] considérant comme méprise la qualification en constituant nominal sujet ce qu’il identifie pour sa part à un clitique. Autrement dit dans cette approche, il n’y a pas plus de sujet dans l’énoncé il-vient, qu’il n’y en a dans voilà coagulant l’impératif vois-là. Cela étant, comme Michel Maillard le souligne lui-même dans le même article où il présente cette théorie en 1994, cette perspective est loin de faire l’unanimité.
Il convient de faire remarquer que si l’emploi de genre impersonnel est sans conteste utilisé dans la littérature, c’est uniquement comme trait grammatical complétaire d’autres catégories de genre. Christianne Marchello-Nizia ne s’y trompe par dans son article intitulé Le neutre et l'impersonnel[45] : loin d’y trouver un trait autonome qui se suffit à lui-même, c’est généralement comme appendice tangent au neutre ou masculin qu’il est relégué dans la plupart des analyses existantes du français si ce n’est la totalité d’entre elles.
Pour aller plus loin sur le concept de personne, il sera possible de consulter quelques références qui dépassent le cade de cette recherche[46][47][48][49][50].
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