Recherche:Sur l’extension des genres grammaticaux en français/sociologique

De toutes les catégories présentement exposées, le genre sociologique est possiblement le plus polymorphe. En un sens très large, tout genre relève de conventions qui émergent d’une société. Vu les distinguos faits dans la section sur le genre psychologique, la suite logique serait d’expliciter, dans une perspective grammaticale, femme et homme comme des sous-catégorie du genre sociologique. En contraste donc des catégorisation en femelles et mâles des cellules reproductrices dans le registre biologique. Évidemment, comme déjà évoqué, ce genre sociologique n’a lui nul raison intrinsèque de limitation à une typologie binaire. Le cadre social, dont la grammaire est partie prenante, érige des catégories arbitraires dont elle propage le modèle ontologique dans les représentations mentales de ses membres. Il peut bien sûr s’appuyer sur des phénomènes extra-sociaux, mais il opère toujours des choix dans ce qu’il en retient : la biologie contemporaine admet aussi bien un binarisme histologique qu’une variation indéfiniment vaste mêlant entre autres des considérations génétiques, hormonales et anatomiques[1]. Sans compter que la recherche, en biologie comme ailleurs, est elle-même tributaire de choix et mouvements sociétaux.

Comme la représentation sociale affecte aussi bien la représentation intime du soi que les rapports interpersonnels, elle fournie un point de tension extrême. Dans Les mots et les réalités Colette Chiland indique :

Les personnes qui souffrent d’une discordance entre leur sexe biologique et leur genre psychologique veulent, outre le changement d’état civil, bénéficier d’une transformation hormono-chirurgicale, soins à fois coûteux et de longue durée ; pour ce faire, les soins doivent être inscrits dans les nomenclatures des sécurités sociales nationales ou des assurances privées ; ces nomenclatures s’appuient sur les classifications[2].

Il est remarquable que ces propos font l’économie d’un chiffrage financier même très approximatif, et de plus font l’impasse sur le coup induit par les autres approches : que ce soit par exemple un suivi psychologique perpétuel visant à recadrer l’individu dans une norme où il ne trouvera potentiellement jamais l’épanouissement, ou un abandon complet de la personne à ses souffrances et leurs lots de conséquences sociologiques. Des informations sur ces sujets sont pourtant assez facilement trouvables[3][4][5]. C’est que les considérations financières ne viennent que bien en aval des contraintes fixées par les représentations psychosociales, où la puissance performative du langage joue à plein régime bien avant que toute quantification consciente puisse être envisagé : nul ne s’évertue à quantifier ce qui lui paraît dénué d’intérêt.

Dans un autre registre, le Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation des Conditions de vie (CRÉDOC) avec sa publication intitulée Tous autonomes et vulnérables à la fois se voulait vraisemblablement en appeler à la bienveillance interpersonnelle, il peut aussi paraître dans le même temps faire écho à l’injonction sociétale d’embrasser le mythe du self-made-man, incarnation de la suprématie du plus fort[6]. Comme si le mal-être était intrinsèque à l’individu qui aurait donc en poussant la logique incriminante à son terme, le devoir de le prendre à sa seule charge. Comme si, dans la société du malaise[7] succédant au malaise dans la civilisation[8], la notion de genre n’était pas source sociale de mal-être inégalitaire. Elle se quantifie pourtant aisément même dans la stricte opposition du carcan femme contre homme : les femmes ont de bien plus importantes probabilités de connaître violences et homicides conjugaux[9][10], les hommes ont des probabilités significativement plus importantes de se suicider[11]. Aussi, pour les personnes qui sortent du cadre dominant la violence n’est pas moins prégnante[12], elle se manifeste à chaque énoncé analysé via le prisme d’une grammaire confuse sur des catégories de genre qu’elle entend imposer avec d’autant plus de véhémence qu’elle se doit de cacher la fragilité de ses postulats.

Le genre social, lui, est plus souvent l’objet de débats qui se cristallisent autour de clivages structurels dont sont par exemple les discriminants centrés sur l’économie, la hiérarchie, l’ordre et le le sexe. De fait quand la sociologie discours sur le genre, c’est généralement pour parler de sexe[13][14][15][16]. En cela le potentiel protéiforme du genre social demeure largement inexploré.

Enfin il reste à noter que cette section n’a pas exploré l'ensemble des termes connexes qui peuvent potentiellement associer société et genre : socialisant, socialisé, sociétal, socio-affectif, socio-économique, socio-historique, sociolectal, sociolinguistique, sociopète, socio-politique, socio-professionnel, pour n’en nommer que quelques uns.

Pour aller plus loin sur les réflexions qui dépassent de trop le cadre cette recherche, il sera intéressant de consulter des références afférentes[17][18][19][20][21][22][23][24][25][26][27][28][29][30][31][32][33][34].

Références

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  1. « Combien y a-t-il de sexes? », sur CNRS Le journal (consulté le 15 février 2022)
  2. Colette Chiland, « Les mots et les réalités », L'information psychiatrique, vol. 87, no  4, 2011, p. 261 (ISSN 0020-0204 et ISSN 1952-4056) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-22)]
  3. « Transgenre : La sécu rembourse-t-elle le changement de sexe? », sur News Assurances (consulté le 22 décembre 2021)
  4. « Information Transgenre | vaginoplastie | », sur infotransgenre.be (consulté le 22 décembre 2021)
  5. « Opérations », sur TPE: Le transgenre (consulté le 22 décembre 2021)
  6. « "Tous autonomes et vulnérables à la fois" - Etat des lieux des publics fragiles », sur www.credoc.fr, (consulté le 22 décembre 2021)
  7. Alain Ehrenberg, La société du malaise, Odile Jacob, 2010 (ISBN 978-2-7381-2238-4 et 2-7381-2238-8) (OCLC 664333214) [lire en ligne] 
  8. Aline Weill, Laurie Laufer et Normandie roto impr.), Malaise dans la civilisation, Payot & Rivages, impr. 2010 (ISBN 978-2-228-90570-1 et 2-228-90570-4) (OCLC 708362337) [lire en ligne] 
  9. « Femmes et hommes face à la violence - Insee Première - 1473 », sur www.insee.fr (consulté le 22 décembre 2021)
  10. Ministère de l'Intérieur, « Info rapide n°19 : Les violences conjugales enregistrées par les services de sécurité en 2020 », sur http://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Info-rapide-n-19-Les-violences-conjugales-enregistrees-par-les-services-de-securite-en-2020 (consulté le 22 décembre 2021)
  11. Anne-Sophie Cousteaux et Jean-Louis Pan Ké Shon, « Le mal-être a-t-il un genre ?: Suicide, risque suicidaire, dépression et dépendance alcoolique », Revue française de sociologie, vol. 49, no  1, 2008, p. 53 (ISSN 0035-2969 et ISSN 1958-5691) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-22)]
  12. Mathieu Trachman et Tania Lejbowicz, « Des LGBT, des non-binaires et des cases: Catégorisation statistique et critique des assignations de genre et de sexualité dans une enquête sur les violences », Revue française de sociologie, vol. 59, no  4, 2018, p. 677 (ISSN 0035-2969 et ISSN 1958-5691) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-22)]
  13. Auréline Cardoso, « La superwoman est-elle antiféministe? Analyse des discours de la presse féminine sur l’articulation entre vie professionnelle et vie familiale », Recherches féministes, vol. 27, no  1, 2014, p. 219–236 (ISSN 0838-4479 et ISSN 1705-9240) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2022-02-15)]
  14. Claude Vautier, « Conférence inaugurale du colloque de Sudbury : la revue Nouvelles perspectives en sciences sociales et la sociologie contemporaine. Un programme de refondation », Nouvelles perspectives en sciences sociales, vol. 11, no  2, 2016, p. 23–41 (ISSN 1712-8307 et ISSN 1918-7475) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2022-02-15)]
  15. Françoise Lucbert, « Marie Buscatto, Mary Leontsini et Delphine Naudier (dir.), Du genre dans la critique d’art/Gender in Art Criticism, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2017, 185 p. », Recherches féministes, vol. 33, no  2, 2020, p. 221–226 (ISSN 0838-4479 et ISSN 1705-9240) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2022-02-15)]
  16. Maryse Jaspard, Armelle Andro, Michel Bozon et Elizabeth Brown, « Laufer J., Marry C., Maruani M. — Le travail du genre. Les sciences sociales du travail à l'épreuve des différences de sexe », Population, vol. 59, no  1, 2004, p. 167–170 [texte intégral (page consultée le 2022-02-15)]
  17. Annie Jacob, « Salvador Juan, La société inhumaine. Mal-vivre dans le bien être », Sociologie du travail, vol. 45, no  3, 2003-07-01, p. 442–443 (ISSN 0038-0296) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-22)]
  18. Juliet Mitchell, « Utiliser Winnicott pour comprendre le genre (sexe social) », Figures de la psychanalyse, vol. 14, no  2, 2006, p. 119 (ISSN 1623-3883 et ISSN 1776-2847) [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2021-12-22)]
  19. Irène Théry, « Le genre : identité des personnes ou modalité des relations sociales ? », dans Féminin, masculin, bébé, Érès, (DOI 10.3917/eres.dugna.2011.01.0105, lire en ligne), p. 105–136
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  27. Modèle:Fr-FR « L'Homme et la société, N. 18, 1970. Sociologie économie et impérialisme. », {{{périodique}}}, vol. 18, no  1, 1970 [texte intégral (page consultée le 2022-02-15)]
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  29. Jean-Noël Retière, « Autour de l'autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix. Revue des sciences sociales du politique, vol. 16, no  63, 2003, p. 121–143 [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2022-02-15)]
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  34. François Héran, « L'institution démotivée. De Fustel de Coulanges à Durkheim et au-delà », Revue française de sociologie, vol. 28, no  1, 1987, p. 67–97 [texte intégral lien DOI (pages consultées le 2022-02-15)]