Sémantique/Champ sémantique
Champ sémantique
modifierJe comprends que si comme les animaux je peux penser hors du langage, et comme Monsieur Jourdain je pense beaucoup hors du langage, la plupart du temps sans même m'en apercevoir, les mots constituent pour moi une sorte d'aide-mémoire, ils m'aident à me concentrer et à voyager dans mon champ sémantique, comme Proust avec son église, ils me sont donc d'une aide précieuse et peuvent aussi contribuer à en enrichir le sens en initiant des réflexions. En lisant Proust j'ai rencontré quelques mots que je ne connaissais pas, en particulier « vétiver ». J'ai donc pris le dictionnaire et j'ai trouvé : « plante indienne utilisée en pharmacie, parfum de la racine de cette plante ». Cela ne m'a pas beaucoup avancé mais cela a suffi pour le positionner tant bien que mal dans mon champ sémantique. J'ai ensuite regardé ce qu’il y avait, et j’ai trouvé : là il y a rien, et puis : terme employé par Proust dans « La Recherche », et puis : magnifique exemple d'ensemble vide, et puis : en parfumerie je suis nul, j'y connais rien, et puis : la parfumerie est pour moi un trésor d'ensembles vides, trésor à préserver, et puis : mon champ sémantique contient donc un ensemble d'ensembles vides, et puis : paradoxe, mon ensemble d'ensembles vides n'est pas tout à fait vide puisqu'il contient quelque chose, une qualité, qui le distingue des autres ensembles de sens, en fait dès qu'il est identifié comme tel un ensemble vide cesse d'être tout à fait vide, parallèlement à ce sujet, « neige » et « mer » font partie d'ensembles d'ensembles que je crois pleins, mais qui sont en fait presque vides, ma fonction analytique est en train de construire une échelle de vacuité. Bien longtemps après, à la télé, j'ai entendu quelqu'un employer le mot « vétiver ». Immédiatement cela a fait tilt : deuxième impact, l'ensemble est toujours vide ou à peu près, déduction immédiate : il y a une forte probabilité pour que cette personne qui n'est pas un parfumeur ait lu Proust, puisque moi-même j'ai rencontré ce terme nulle part ailleurs, mais c'est un lecteur discret, il n'a pas mentionné la madeleine, il y a peut-être une société secrète de lecteurs de Proust qui s'interdisent de citer la madeleine, comme les marins s'interdisent d'utiliser le mot lapin, cette société a un problème de statuts, comment interdire un mot sans l'employer. A ce sujet Proust me souffle très fort : ma grand-mère n'employait jamais la célèbre citation de Madame de Sévigné (qu'il est bon de faner) parce que justement elle est trop célèbre et elle trouvait cela vulgaire, les gens qui citent la madeleine qui se trouve tout au début de la Recherche ne l'ont pour la plupart jamais lu. Génial ce Proust ! Il suffit donc à cette société secrète d'écrire : « ne jamais employer le mot que la grand-mère de Proust n'aurait jamais cité à propos de son petit-fils ». Tout cela me montre que mon sens personnel ne se construit pas d'une façon volontaire, toutes mes fonctions mentales l'alimentent et pas seulement ma fonction analytique, et ceci presque à mon insu, et qu'elles créent des liens bizarres comme entre « vétiver », « madeleines » et « faner ». Par contre la structure du langage, sa linéarité, sa syntaxe, ses règles linguistiques et grammaticales, ne sont pas adaptées à ma structure sémantique et donc à ma pensée, les deux ne s'emboîtent pas. Il y a donc obligatoirement des frictions entre ma pensée et le langage et il peut en résulter un stress sémantique.