Seigneurs et seigneurie/La seigneurie foncière

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La terre est au Moyen Âge source de revenus et de prestige pour le seigneur qui la possède. Le bénéfice puis le fief sont souvent des terres concédées par un seigneur à un vassal en échange de fidélité et de services. La seigneurie foncière se fonde sur la possession du sol et sur les droits qu'elle implique.

La seigneurie foncière
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Chapitre no 2
Leçon : Seigneurs et seigneurie
Chap. préc. :De quand date la notion ?
Chap. suiv. :La seigneurie personnelle
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Sources

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  • Polyptyques
    • Polyptyque de Saint-Germain-des-Prés (IXe siècle)
    • Polyptyque de l'abbaye de Marchiennes
  • Censiers : documents qui donnent les noms des tenanciers et les sommes dues à titre de loyer.
  • Terriers : documents qui décrivent les biens utilisés par les tenanciers.
  • Cadastre : document qui donne la localisation précise des tenures.
  • Cartulaires : recueil de copies de chartres (acte écrit émanent d'une autorité) destiné à une personne, un seigneur par exemple ou à une collectivité (monastère ...). Document de gestion à usage interne, ils sont nombreux aux XIIIe siècle et XIVe siècle.
    • Cartulaire de l'abbaye de Saint-Vaast d'Arras, édité par E. Van Drival, 1875
    • Cartulaire de Sorde, en Gascogne
  • Chartriers
  • contrats agraires : libellum ou livello dans le domaine méditerranéen

Le système domanial carolingien

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Les historiens discutent des origines antiques du domaine carolingien. Celui-ci (villa au singulier, villae au pluriel) est divisé en deux parties : la réserve (mansum dominicatum, dominium, pars indominicata) et les tenures (ou manses). La réserve est mise en valeur par des esclaves, des domestiques ou par les corvées dues par les paysans dépendants. Les manses sont louées contre des redevances le plus souvent en nature (produits agricoles, objets), étant donné la rareté de la monnaie. Le cens constituait le loyer des tenures ou des maisons. Certaines tenures sont qualifiées de "serviles". Les tenanciers doivent des corvées, travaux et services de natures diverses dues sur la réserve domaniale. Les corvées consistent par exemple à transporter le vin. Dès le IXe siècle, dans le contexte d'affaiblissement du pouvoir central et des attaques extérieures, le seigneur prend sous sa protection et son pouvoir les hommes qui ne sont pas armées (juniores).

L'évolution de la seigneurie (Xe siècle / XVe siècle)

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Comme à l'époque carolingienne, la seigneurie foncière conserve sa structure bipartite et se divise en deux : réserve et tenures. La réserve est cultivée en faire-valoir direct. Le reste de la seigneurie est voué au faire-valoir indirect. Cependant, les parcelles d'un même terroir rural dépendent rarement d'un seul seigneur foncier. Ainsi, pour calculer la superficie totale d'une seigneurie foncière, il faut ajouter des tenures très dispersés dans l'espace. Par ailleurs, cette surface est fortement variable : au XIIIe siècle, la seigneurie foncière de Notre-Dame de Barbézieux (Charente) couvre plusieurs centaines d'hectares. L'émiettement s'explique par les donations, les partages successoraux, les inféodations ou les ventes.

Tenures et tenanciers

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  • L'habitation et le jardin (appelés "casaux" dans le sud-ouest) sont peu taxés par le seigneur"[1].
  • Le mot "manse" et ses dérivés ("mas", "masure", "masade" ...) survit[2], de même que celui de "manants" (du verbe latin manere, rester)[3]. Mais le manse carolingien tend à disparaître sous l'action du morcellement induit par la pression démographique dans les campagnes. Il finit par désigner uniquement les bâtiments d'exploitation, le jardin et la maison du paysan"[4]. La taille des tenures se réduit donc, dès le Xe siècle en Normandie, au XIIIe siècle en Roussillon et en Lorraine"[5]
  • Au Moyen Âge classique, les redevances dues au possesseur de la terre sont de plus en plus versées en argent. La tenure est en principe inaliénable. Les corvées sont devenues rares[6] ou sont rachetées par la communauté paysanne. L'argent ainsi prélevé servait à payer des salariés agricoles pour cultiver la réserve. Cette évolution peut s'expliquer par la mise en valeur de nouvelles parcelles, couplée au développement de l'hostise. Les tenanciers ne travaillaient pas aussi bien sur la réserve que sur leurs tenures. La réduction de la réserve seigneuriale rend également inutiles les corvées.

La diffusion de la monnaie s'accélère à partir du VIe siècle : les redevances sont de plus en plus prélevées en argent, car les paysans parviennent à vendre leurs surplus sur les marchés.

  • Les redevances tendent à s'affaiblir aux {{s|9} et XIIe siècle à cause de la pénurie de main d'œuvre. La situation s'inverse au XIIIe siècle et jusqu'au début du XIVe siècle. Avec l'inflation et l'amélioration des rendements agricoles, le prélèvement fixe en argent devient problématique pour le seigneur, qui perd du pouvoir d'achat. Le cens est devenu une sorte de taxe recognitive de la situation juridique du paysan, une somme symbolique. Les contrats de métayage et de fermage, à durée limitée, constituent une parade utilisée par les seigneurs pour limiter l'érosion des prélèvements. Le fermier verse un loyer au seigneur pour les terres de la réserve qu’il cultive. Le seigneur peut réévaluer le loyer, alors qu’il ne peut toucher au cens sur les tenures. Le métayage est un contrat par lequel le seigneur procure les moyens de production et le métayer lui redistribue une partie de la récolte.
  • À partir du Xe siècle, les défrichements permettent d'accroître la surface arable : le seigneur prélève alors le champart, redevance proportionnelle à la récolte, qui est bien adapté aux terres défrichées : pendant un certain temps, la nouvelle terre ne produit rien ; le prélèvement est nul. Dès que les récoltes arrivent, le seigneur bénéficie d'un revenu sûr. L'hostise est souvent soumise à de faibles redevances.
  • Le loyer est payé à l'automne ou en plusieurs fois au cours de l'année. Si l'usage de la monnaie se répand, il peut être aussi acquitté en nature. Le seigneur pourra vendre ensuite ces produits au marché. Son montant varie selon plusieurs facteurs. Le tenancier doit apporter ce loyer au seigneur. Dans les autres cas, un agent seigneurial (sergent ou un censier) vient le collecter.
  • Champart (au Nord : terrage, gerbage, frumentage ... ; au sud : agrier, tasque, tâche ...) est une redevance proportionnelle à la récolte ; métayage. Le taux du champart est inégal : lourd dans le sud et l'ouest (1/4 ou 1/5e) ; dans le nord : 1/8 à 1/16, en particulier sur les mauvaises terres. La tenure à champart se développe surtout au XIIe siècle"[7] sur les nouvelles terres mises à disposition des tenanciers (mais pas uniquement). La redevance est fournie au champarteur, un agent seigneurial. Le produit du champart était commercialisé par le seigneur ou ses agents.
  • Le bail : aprisio en Languedoc
  • La tenure se transmet de façon héréditaire, contre un droit de mutation (lods et ventes) versé au seigneur.
  • La censive : le cens est désormais fixé par la coutume orale au nord, et les actes écrits au sud. Ce loyer est fixe, annuel et souvent mixte (nature/argent). La dévaluation du cens. Le cens ne peut être révisé avant la mort du paysan et de ses héritiers[8].
  • Les droits de mutation :
    • à l'entrée : "entrage", "abergement", "acapte"
    • Lods et ventes (1/12e ou 1/13e de la valeur de la vente), foriscape, lauzime, vende, laudes
    • Droits de succession : relief, rachat

La réserve seigneuriale

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  • Il s'agit de parcelles nommée "condamines" ou "coutures", le plus souvent sises à côté de l'habitat seigneurial, et exploitées en faire-valoir direct. La réserve est 5 à 6 fois plus étendue qu'une tenure[9]. Elle n'est plus cultivée par des esclaves domestiques. Elle comprend les forêts, sur lesquelles pèsent des droits d'usage.
  • Pourtant, la réserve seigneuriale laïque disparaît progressivement entre le Xe et le XIIIe siècle, à la faveur de plusieurs facteurs :
    • partages successoraux
    • donations aux établissements religieux
    • ventes
    • transformation en censives (accensement) sur lesquelles le seigneur prélève de nouvelles redevances

Le problème de l'alleu

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Reprenons la définition de Robert Fossier : l'alleu est "un bien en toute propriété, en principe sans autres charges et services que publiques" c'est-à-dire les impôts dues au comte ou à son représentant. La question de l'alleu fait l’objet de nombreux débats dans la communauté des médiévistes. L'alleu domine dans le sud de la France jusqu'au XIe siècle[10].

  • L'alleu paysan
  • L'alleu noble
  • À partir du XIe siècle, l'alleu tend à disparaître sous l'effet de l'encellulement seigneurial et des institutions féodo-vassaliques. Les alleux nobles deviennent des fiefs, alors que les alleux paysans sont transformés en tenures. Il ne faut pas pour autant perdre de vue que les grands défrichements permettent à l'alleu de subsister dans certaines régions[11]. Enfin, si les alleutiers échappent au contrôle des seigneurs fonciers, ils sont souvent sous la dépendance d'un seigneur banal. La justice seigneuriale concerne en effet tous les individus.

Les seigneuries ecclésiastiques

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Les historiens sont assez bien renseignés sur les seigneuries ecclésiastiques au bénéfice d'une documentation relativement abondante. Les monastères reçoivent des terres en don des l'époque mérovingienne. En contre-partie, les moines prient pour le salut du donateur. Ces domaines fonciers peuvent être concédées à titre de bénéfice à l'époque carolingienne, puis de fief aux siècles suivants. Le patrimoine des institutions religieuses : dons contre prières, véritable politique foncière (constitution de grandes réserves cultivées en faire-valoir direct au XIIe siècle = granges cisterciennes). Mais cet idéal ne resiste pas au XIIIe siècle, et les seigneuries ecclésiastiques se morcellent comme les seigneuries laïques.

Des "propriétaires" laïcs

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Depuis le Haut Moyen Âge, de nombreuses abbayes sont sous la coupe de laïcs : le roi capétien contrôle l'abbaye de Saint-Denis aux Xe siècle et XIe siècle. Sous les Carolingiens, les princes, les évêques et les seigneurs ont mis la main sur les établissements religieux. Ils exigent le droit de gîte ou des redevances. Ils considèrent parfois le patrimoine de l'Église comme d'une réserve dans laquelle puiser pour distribuer des bénéfices et des fiefs. Les moines prient pour le salut de leur âme et de leur famille. Ils demandent à Dieu de préserver la paix et la stabilité du royaume. À partir du {{s|, les moines tendent à se libérer de ces contraintes. Les laïcs continuent de concéder des terres aux établissements religieux mais renoncent aux abattiats laïcs. Ils souhaitent être enterrés près des reliques conservées dans les abbayes. Au XIIIe siècle, les ordres mendiants et militaires concurrencent d'ailleurs les autres réguliers. L'Église perçoit en plus des dîmes, redevances sur les récoltes et les produits haleutiers ou miniers, en échange des services spirituels qu'elle rend (sacrements, prières). Les revenus des abbayes servaient à fournir la table des moines : son approvisionnement était pris en charge par le cellerier. Les sommes d’argent permettait au chambrier (ou camérier) d'acheter les vêtements et les couvertures des moines. Le prévôt était chargé de gérer le domaine monastique. Cet officier pouvait déléguer son pouvoir à un maire local.

Saint-Denis

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L'abbaye de Saint-Denis contrôle la foire du Lendit qui rapporte en 1122 182 livres[12]. : elle prélève des droits (sur les comptoirs), des péages et des tonlieux très lucratifs. Elle exige que les transactions s'effectuent en livres parisis et ajoute à ses revenus les produits du change[13].

Les abbayes, des puissances temporelles

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Les abbés prestigieux tels que Suger, essaient de récupérer les terres usurpées par les seigneurs laïcs. Ils gèrent un domaine qui tend à s'agrandir, car ils ne sont pas divisés par les partages successoraux (les clercs sont en principe célibataires et ne fondent pas de lignages comme les seigneurs laïcs). Les laïcs offrent des terres qui deviennent des sauvetés dans le sud, dont les revenus sont partagés entre seigneur laïc et ecclésiastique. Les moines cultivent les parcelles les plus proches du monastère. Les autres tenures sont accensées. Certains monastères reçoivent la dîme.


Références

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  1. D. Barthélémy, L'ordre seigneurial ..., p.99
  2. Gauvard, La France au Moyen Âge, p.184
  3. Gauvard, La France au Moyen Âge, p.154
  4. Leturcq Samuel, La vie rurale ..., p. 121
  5. Leturcq Samuel, La vie rurale ..., p. 121-122
  6. Gauvard, Dictionnaire du Moyen Âge, p.236
  7. Leturcq Samuel, La vie rurale ..., p. 126
  8. *D. A. Davril, E. Palazzo, La vie des moines ..., p. 264
  9. Gauvard, La France au Moyen Âge, p.154
  10. Gauvard, Dictionnaire du Moyen Âge, p.1372
  11. Gauvard, La France au Moyen Âge, p.151
  12. D. A. Davril, E. Palazzo, La vie des moines ..., p. 267
  13. D. A. Davril, E. Palazzo, La vie des moines ..., p. 267