Éducation physique française au XXe siècle/L’évolution des idées
Si l'évolution du cadre matériel a joué un rôle déterminant, force est de reconnaître qu'elle fut accompagnée – voire légitimée - par celle des idées. Avant 1960 on observe déjà l'introduction mesurée d'une gestualité sportive dans les diverses familles d'éducation physique répond à l'éclectisme large induit par les I.O. de 1945 : la méthode française d'avant-guerre cède le pas à la méthode sportive. Deux raisons au moins justifient cette évolution.
Les méthodes d'E.P. ont des relents de fascisme. La gymnastique renvoie au turnen qui a participé à la montée du nazisme. La méthode naturelle de Georges Hébert, instituée méthode nationale par Vichy, continue à sentir le collaborateur bien après la Libération. Seule la néo-suédoise reste neutre et propre : les efforts de Pierre Seurin et de la ligue française d'E.P. pour l'imposer face à la montée du sport se matérialisent éphémèrement par les I.O. de 1959 qui lui font place dans chaque leçon d'E.P. Le sport par contre c'est la liberté, le flair-play, le self gouvernment ; il renvoie à l'éducation anglo-saxonne dont on loue l'aspect libéral et la fiabilité. Il est le produit culturel des nations qui ont délivré la France et assuré l'échec d'Hitler. Au moment de faire de nouveaux choix éducatifs, il n'est pas anormal de regarder dans cette direction.
Cependant les diverses méthodes sportives, bien qu'empruntant aux sports leurs gestes pour rénover le contenu des familles d'exercices, demeurent encore des méthodes d'éducation physique au sens strict. Ce n'est qu'à la fin des années 1960 qu'elles vont laisser place à l'initiation et à l'animation polyvalente, sous la pression de deux composantes confortées par l'évolution du cadre matériel. Après les J.O. de Rome (1960) le pouvoir fait du relèvement sportif de la nation une priorité. En fait l'événement ne joue qu'un rôle de rappel, car la volonté de sportivisation est une constante de l'idéologie gaullienne comme l'attestent les nombreux textes pris en faveur de l'organisation du sport dès 1943 puis 1945. Cette volonté se manifeste rapidement par les I.O. de 1962 qui introduisent le sport dans l'ancienne demi-journée de plein air puis par les I.O. de 67 qui en font un des supports importants de l'E.P. sans toutefois lui accorder encore la place essentielle.
L'opposition politique, majoritaire dans le corps professoral, suit une voie parallèle et favorise la doctrine d'un sport éducatif dont on peut situer l'origine aux essais de Jacques de Rette en 1962, relayés dès l'année suivante par le conseil pédagogique et scientifique (C.P.S.) de la Fédération sportive et gymnique du travail (F.S.G.T.). Cette réflexion à usage interne de cette fédération affinitaire qui développe une remarquable politique d'écoles de sport rejaillit sur l'E.P. du fait de l'engagement de nombreux enseignants dans ses diverses structures. Cette ouverture est consacrée par les stages Maurice Baquet qui regroupent parfois à Sète plus d'enseignants que de militants fédéraux.
L'instauration d'un consensus historique entre le pouvoir, son opposition et l'intérêt corporatif des enseignants remplace l'E.P. par le sport sous la période gaullienne. Et en dépit de l'action militante de Jean Le Boulch pour une éducation motrice véritable, l'ère du sport-roi commence à l'école avec Jacques de Rette puis Robert Mérand. Cette révolution est soutenue après 1968, par la commission pédagogique du S.N.E.P., organe corporatif majoritaire qui s'assure un rôle capital dans la formation permanente des enseignants d'E.P.S.
La période est abondamment marquée par une importante réflexion pédagogique où les exigences de rigueur expérimentale s'accroissent : le clinicien Henri Wallon, que ses travaux et ses convictions imposaient comme homme de la situation, y perd paradoxalement le statut de leader Maximo au profit de Jean Piaget alors que la profession s'engage résolument sur le chemin de la sportivisation de l'E. P. S. Cette hégémonie n'est cependant pas totale et quelques minorités d'origines très diverses s'opposent de façon souvent très virulente sur cet état de fait, soulignant que le sport actuel possède peu de vertus éducatives en soi. Le talent polémique de Jean-Marie Brohm s'y exerce avec brio et de nombreux enseignants de bonne volonté ressentent la nécessité de construire quelque chose de nouveau. Paradoxalement, un sentiment très proche se développe au sein même du mouvement sportif sans influencer l'E. P. S.