Analyse des Logiques Subjectives/La notion de Point-de-vue (suite)

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La notion de Point-de-vue (suite)
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Chapitre no 6
Leçon : Analyse des Logiques Subjectives
Chap. préc. :La notion de Point-de-vue
Chap. suiv. :La notion de "Parler"
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Rappel de la définition au sens de l'A.L.S.

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Point-de-vue : mot composé, avec tirets et majuscule, pour bien indiquer que pour l'A.L.S. il n'a pas le sens habituel.

Les deux Points-de-vue s’obtiennent en combinant pour chaque mot pertinent d’un texte sa Série et sa Valeur.

  • Point-de-vue "Extraverti" : valorise la Série 'A' et dévalorise la Série 'B'

A+ = B− = E ("Extraverti")

[, pour faciliter le repérage de la Valeur, et permettre le "diagnostic" du Point-de-vue, les mots valorisés (+) seront soulignés et les mots dévalorisés (−) seront barrés..]

  • Point-de-vue "Introverti" : valorise la Série B et dévalorise la Série A

B + = A− = I ("Introverti")

Puisque le diagnostic des Points-de-vue repose nécessairement sur le rattachement d'un mot à UNE Série, les Molécules "mixtes" ou "indécidables" ne font pas l'objet de Points-de-vue, même si on les a soulignées ou barrées pour noter leur Valeur.

Au niveau de ces combinaisons de Points-de-vue que sont les Parlers on atteindra le chiffre de dix, éventail donc nettement plus conséquent que les oppositions binaires que nous avons rencontrées jusqu'ici... Voici un début d'explication :

Comme on l'a vu, la langue, dans son fonctionnement subjectif, réduit les éventails du fonctionnement cognitif, par exemple les états de la matière (solide / visqueux / liquide / pulvérulent / gazeux) à deux séries seulement de traits opposés (ici : fluide/non fluide). C'est la nécessité d'argumenter, de défendre son "camp subjectif", qui place le locuteur d'un côté ou de l'autre ("ou" exclusif), même s’il peut changer de camp au cours de son argumentation. Lakoff et Johnson font remarquer dans Les métaphores dans la vie quotidienne, au sujet des "mythes" opposés de l’ objectivisme et du subjectivisme dans la culture, que « l’objectivisme et le subjectivisme ont besoin l’un de l’autre pour exister. Chacun se définit par opposition à l’autre et voit en lui un ennemi … » (souligné par nous).

Si un trait est valorisé dans une série, il est sauf rare exception dévalorisé dans l’autre. Abordons à ce propos les Dialogues-de-sourds, -au sens de l'A.L.S. toujours :

Les Dialogues-de-sourds

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  • Tantôt le français fournit deux mots différents pour une même réalité, deux "doublets"[1] dont l'un est valorisé, l'autre péjoratif, ce qui permet de comprendre (étape d'analyse) puis de simuler (étape de synthèse) les « Dialogues-de-sourds » suivants :

Extraverti : — Vous êtes rigide, soyez donc plus souple !

Introverti : — C'est vous qui êtes laxiste, soyez donc plus rigoureux !

Extraverti : — Vous êtes avare, soyez donc plus généreux !

Introverti : — C'est vous qui êtes dépensier, soyez donc économe !

Extraverti : — Vous êtes timoré, soyez plus courageux !

Introverti : — C'est vous qui êtes téméraire, soyez plus prudent !

  • Tantôt il n’existe qu’un mot pour une réalité donnée, et c’est le contexte qui nous indique si ce mot est valorisé ou péjoratif :

Extraverti : — Je me sens le cœur léger… (A+)

Introverti : — Justement, vous prenez tout à la légère ! (A-)

REMARQUES

1 - Comme pour la notion de Point-de-vue, la notion de Dialogues-de-sourds est à entendre ici au sens spécifique de l'A.L.S. :

  • Il peut en effet exister des dialogues de sourds cognitifs, à mettre sur le compte d'oppositions "macro-sémantiques" (contenus thématiques) d'ordre politique, religieux, professionnel, voire conjugal.
  • L'A.L.S. s'intéresse quant à elle à des Dialogues-de-sourds subjectifs oû se relèvent des oppositions "micro-sémantiques" (Atomiques),complètement indépendantes de tout contenu thématique mais bien plutôt révélatrices de Points-de-vue opposés et de profils de personnalité différents.
  • La preuve que ce niveau existe est donnée par le fait (un exemple suivra bientôt) que deux interlocuteurs peuvent être parfois tout à fait d'accord sur le contenu thématique, mais comme chacun d'eux perçoit de façon subliminale, à travers les Atomes sémantiques, le Point-de-vue et le profil de son interlocuteur, le conflit peut surgir et s'entretenir entre eux.

2 - Les "doublets" lexicaux auxquels s'intéresse l'A.L.S. ne sont pas (comme dans la 1ère note en bas de page) des doublets étymologiques. ce sont des doublets quant à la Valeur : alors qu'ils ont des sens voisins et qu'ils figurent dans la même Série, l'un des deux mots a une Valeur positive ("généreux") et l'autre une Valeur négative ("dépensier").

  • Deux paires de doublets, prises l'une dans la série 'A' et l'autre dans la série 'B', constituent ce que l'A.L.S. appelle un quaterne, un "quadrupède" fait de quatre adjectifs (ou noms, verbes ou adverbes). Autrement dit on a quatre termes A+, A-, B+ et B- qui s'agencent d'une manière bien précise : le Point-de-vue Extraverti plaide pour le A+ contre le A-, et le Point-de-vue Introverti plaide pour le B+ contre le B-
  • Lorsqu'on a compris, à l'étape d'analyse, comment fonctionnent ces quaternes, on peut, à l'étape de synthèse cette fois, construire des simulations de ces Dialogues-de-sourds "subjectifs", dont l'expérience montre qu'on les retrouve dans les échanges réels observés entre locuteurs de profils de personnalité opposés. Il suffit d'aller chercher, dans un dictionnaire, des groupes de quatre termes répondant au caractéristiques ci-dessus, puis de les agencer d'une manière bien précise sous forme de dialogues.

Exemples de Dialogues-de-sourds "synthétiques"

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..  et pourtant retrouvés pratiquement mot pour mot dans des conversations bien réelles !

Extraverti : — Vous êtes coincé, soyez donc plus libéré ! ......... Introverti : — C'est vous qui êtes dévergondé, soyez donc plus retenu !

Extraverti : — Vous êtes borné, soyez donc plus ouvert ! ......... Introverti : — C'est vous qui êtes excessif, soyez donc plus mesuré !

Extraverti : — Vous êtes pudibond, soyez donc plus audacieux ! ......... Introverti : — C'est vous qui êtes indécent, soyez donc plus convenable !

Extraverti : — Vous êtes hypocrite, soyez donc plus franc ! ......... Introverti : — C'est vous qui êtes menteur, soyez donc plus véridique !

Extraverti : — Vous êtes hermétique, soyez donc plus clair ! ......... Introverti : — C'est vous qui êtes incompréhensible, soyez donc plus cohérent !

Extraverti : — Vous êtes guindé, soyez donc plus décontracté ! ......... Introverti : — C'est vous qui êtes malpoli, soyez donc plus correct !

Extraverti : — Vous êtes cérémonieux, soyez donc plus désinvolte ! ......... Introverti : — C'est vous qui êtes fantasque, soyez donc plus posé !

Annexe plus "linguistique" sur le point précédent

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Extrait du livre Éléments d'Analyse du Discours de Georges-Élia Sarfati[2]

« 4.5 Topoï, mots pleins et mots vides

Pour la théorie standard des topoï[3]fondée sur l'hypothèse scalaire (gradualité des prédicats), des couples lexicaux, tels que courageux/poltron, prudent/ téméraire, articulent des termes antonymes dont la différence sémantique repose sur des mécanismes d'emploi distincts d'un même topos. Par exemple :

a) Pierre a été courageux.

b) Pierre a été poltron.

c) Pierre a été prudent.

d) Pierre a été téméraire.

Dans les cas a) et b) l'antonymie convoque avec un effet axiologique[4] divergent le principe topique selon lequel : « C'est un signe de valeur que d'affronter le danger ».

Dans les cas c) et d), c'est un autre topos (du type : « C'est un signe de valeur de savoir éviter le danger ») qui fonde l'antonymie.

La plupart des termes lexicaux révèlent non seulement "l'idéologie du locuteur" mais "aussi de l'objet". Dans de tels emplois, le jugement de valeur s'incorpore à la valeur désignative des termes. »

Notre commentaire :

  • On reconnaît sans peine, à la substitution près de "poltron" à "timoré", un des dialogues de sourds donnés comme exemple dans la définition du terme "Dialogue-de-sourds" :

« Tantôt le français fournit deux mots différents pour une même réalité, deux "doublets" dont l'un est valorisé, l'autre péjoratif, ce qui permet de comprendre (étape d'analyse) puis de simuler (étape de synthèse) les "Dialogues-de-sourds" suivants : ... ».

  • Puisque l'axiologie est l'étude des jugements de valeur, "l'effet axiologique divergent" invoqué par cet auteur n'est autre que la divergence des Points-de-vue résultant de la différence des Valeurs attribuées à des synonymes.
    • « C'est un signe de valeur que d'affronter le danger » :comme "danger" est un mot de la série 'A', et puisqu'il est valorisé (A+), c'est qu'on est dans le Point-de-vue Extraverti.
    • « C'est un signe de valeur de savoir éviter le danger » : puisque le mot "danger", qui est de la série A, est ici dévalorisé (A-), c'est qu'on est dans le Point-de-vue Introverti.
  • Difference dans la présentation : Georges-Élia Sarfati présente ses "couples lexicaux" sous l'angle de l'antonymie alors que nous présentons nos "doublets" sous l'angle de la Valeur.
  • Différence dans l'interprétation : il évoque "l'idéologie du locuteur", alors que les thèmes idéologiques se situent d'après nous à un niveau macro-sémantique qui est pleinement conscient. Nous insistons au contraire sur le fait que les Points-de-vue opposés se situent à un niveau micro-sémantique qui est subliminal et en rapport avec le profil de personnalité.

Argumentation "subjective" vs argumentation "cognitive"

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... que l'on peut superposer à Persuasion vs Conviction.

Les auteurs classiques opposent

  • convaincre” (par le raisonnement)
  • à “persuader” (par les sentiments, depuis la séduction jusqu'à l'intimidation).

L’A.L.S. précise que

  • le raisonnement (valide ou non) visant à obtenir la conviction relève plutôt de la syntaxe[5]
  • alors que le type de persuasion [et d'autpersuasion) que nous analysons par cette méthode relève plutôt du lexique (cf le concept d'"argumentation dans la langue" d'Oswald Ducrot[6]), ce lexique pertinent (Atomes et Molécules) étant porteur de Valeurs.

Développons l'opposition :

  • Alors que le raisonnement le plus simple, le syllogisme - decrit par Aristote[7]
    • requiert l’articulation de trois propositions (deux prémisses et la conclusion), donc de ce minimum que constituent trois phrases construites,
    • et qu'il reste valide syntaxiquement indépendamment du lexique sur lequel il porte, puisque ce lexique peut être remplacé par des variables dépourvues de sens (si tous les X sont Y et tous les Y sont Z, alors tous les X sont Z)...
  • ... la persuasion à l'inverse recourt, sans le moindre raisonnement articulé syntaxiquement (trois phrases entrant dans la séquence des prémisses et de la conclusion) à la profération pure et simple d’éléments lexicaux lestés d’une Valeur positive ou négative, soit que l’auditeur partage déjà, soit qu’il est en quelque sorte sommé de partager pour ne pas encourir la réprobation du locuteur.

Ainsi, cette forme de persuasion que décrit l'A.L S. (il en est d'autres, mais moins "cruciales" car n'impliquant pas l'ensemble de la personnalité) peut se contenter de schémas syntaxiques très simples, comme on l'a vu avec "je suis ceci et pas cela" ou "vous êtes ceci, soyez plutôt cela". Même simplisme et réduction à une seule phrase (au lieu des trois minimales d'un raisonnement) - quand ce n'est pas à un seul mot ! - dans les slogans publicitaires ou politiques. Même chose enfin dans l'insulte et l'injure, souvent condensées en un seul mot.

Corrigé des exercices du chapitre précédent

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1er exercice

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" [X] fréquenta cette famille et il subit, plusieurs fois, dans son hôtel de la rue de la chaise, d'écrasantes soirées où des parents, antiques comme le monde, s'entretenaient de quartiers_de_noblesse, de lunes_héraldiques, de cérémoniaux surannés. Plus que ces douairières, les hommes rassemblés autour d'un whist, se révélaient ainsi que des êtres immuables et nuls ; là, les descendants des anciens preux, les dernières branches des races féodales, apparurent à [X] sous les traits de vieillards catarrheux (écoulement muqueux) et maniaques, rabâchant d'insipides discours, de centenaires phrases. De même que dans la tige coupée d'une fougère, une fleur de lis semblait seule empreinte dans la pulpe ramollie de ces vieux crânes. Une indicible pitié vint au jeune homme pour ces momies ensevelies dans leurs hypogées pompadour à boiseries et à rocailles, pour ces maussades lendores (= endormis) qui vivaient, l'œil constamment fixé sur un vague Chanaan, sur une imaginaire Palestine. "

  • ce texte étant une critique d'une famille noble par le personnage [X], tout le lexique pertinent est dévalorisé, négatif, barré.
  • les Atomes et les Molécules sont pratiquement tous rattachables à la Série B, donc en gras, à l'exception de catarrheux, vague et imaginaire (Série A, donc en italique) et des mots laissés tels quels, ou ceux mis en gras+italique (neutres/mixtes) comme "discours", "phrase" etc.
  • en combinent Série et Valeur, on voit que le Point-de-vue dominant dans cet extrait est Extraverti, puisqu'à trois exceptions près (série A) [et les mots de valeur neutre], les mots dévalorisés sont de la série B (rappel : A+ = B- = Point-de-vue E..).
  • si l'on met les Points-de-vue en couleurs (en rouge pour Extraverti), ou en bleu (pour Introverti) :

" [X] fréquenta cette famille et il subit, plusieurs fois, dans son hôtel de la rue de la chaise, d' écrasantes soirées où des parents, antiques comme le monde, s'entretenaient de quartiers_de_noblesse, de lunes_héraldiques, de cérémoniaux surannés. Plus que ces douairières, les hommes rassemblés autour d'un whist, se révélaient ainsi que des êtres immuables et nuls ; là, les descendants des anciens preux, les dernières branches des races féodales, apparurent à [X] sous les traits de vieillards catarrheux (écoulement muqueux) et maniaques, rabâchant d' insipides discours, de centenaires phrases. De même que dans la tige coupée d'une fougère, une fleur de lis semblait seule empreinte dans la pulpe ramollie de ces vieux crânes. Une indicible pitié vint au jeune homme pour ces momies ensevelies dans leurs hypogées pompadour à boiseries et à rocailles, pour ces maussades lendores (= à l'air endormi) qui vivaient, l'œil constamment fixé sur un vague Chanaan, sur une imaginaire Palestine. "

L'adjectif "ramolli", variante de "mou", est intéressant : il est dans la série B comme "dur", dont le contraire dans la série A n'est pas "dur" mais "tendre" ! "ramolli" et "mou" ont en fait comme opposé l'adjectif "tonique" dans la Série A ! Comme d'autre part la Série A oppose "souple" à "rigide", on a la distribution suivante, qui comme déjà signalé contredit en partie le "mode cognitif" :

  • tonique / mou, ramolli
  • tendre / dur
  • souple / rigide


Nous n'avions pas donné la référence de l'extrait littéraire, pour éviter que les noms de l'auteur et du livre influencent le lecteur dans son analyse. La voici :

Premières pages du roman À rebours, de Joris-Karl Huysmans[8]

2ème exercice [À RÉDIGER]

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[ À RÉDIGER ]

Notes et références

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  1. « Doublet lexical », dans Wikipédia, (lire en ligne)
  2. « Eléments d’analyse du discours | Georges-Élia Sarfati », sur www.georgeseliasarfati.net (consulté le 10 mai 2023)
  3. « Topos (littérature) », dans Wikipédia, (lire en ligne)
  4. « Axiologie », dans Wikipédia, (lire en ligne)
  5. « Syntaxe », dans Wikipédia, (lire en ligne)
  6. « Oswald Ducrot », dans Wikipédia, (lire en ligne)
  7. « Syllogisme », dans Wikipédia, (lire en ligne)
  8. « À rebours », dans Wikipédia, (lire en ligne)