Fondements et application du socio-cognitivisme/La programmation d’une activité

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La programmation d’une activité
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Chapitre no 3
Leçon : Fondements et application du socio-cognitivisme
Chap. préc. :Le développement selon Vygotski
Chap. suiv. :L'algorithmique
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Formation de l’action mentale

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Selon Galpérine, la psychologie instrumentale identifie cinq étapes dans l’apprentissage d’une nouvelle action mentale. Il est possible de tutorer chacune d’elles par un bon usage de l'instrument-langage qui assure d’abord le contrôle externe puis l'intériorisation du développement envisagé.

  • l'orientation constitue l'ensemble des hypothèses que le sujet émet face à un problème concret. C'est aussi l'ensemble de recettes que l'expert peut lui fournir pour lui faciliter le travail. Pour éviter les ambiguïtés nous parlons de base d'orientation dans le premier cas et de carte d'étude dans le second. Il s'agit en général d'une représentation ramifiée de l'objet de départ, du but poursuivi, des rapports qu'ils entretiennent et des transformations nécessaires pour passer de l’un à l’autre ;
  • la matérialisation met cette orientation en forme à travers des représentations matérielles (maquettes, schémas, plans, algorithme ...). La qualité de cette étape est déterminante, particulièrement lorsque l'activité concernée est véritablement nouvelle : selon Henri Wallon toute activité humaine supérieure s'enracine dans le concret avant de se développer dans le domaine mental ;
  • la communication sur l'étape précédente doit être prétexte à de nombreux échanges verbaux entre les apprenants eux-mêmes et avec l'expert. Ces échanges permettent, à travers les exigences de l'expression orale, la clarification des concepts et des processus à utiliser : ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et vice versa ;
  • l'intériorisation marque le passage du plan externe relationnel au plan interne réflexif à travers l'indispensable étape du langage égocentrique : se raconter l'action à soi-même est un élément important de la constitution de cette action. Ici, l'utilisation du langage écrit est souvent pertinente et permet de maintenir un contrôle externe sur des processus internes en voie de formation. Dans le domaine moteur l’observation des expressions motrices égocentriques qui accompagnent souvent les apprentissages permet également un certain contrôle ;
  • la réflexion caractérise la constitution du plan interne géré par le langage intérieur et enrichi du reflet de l'action matérielle concernée dans le psychisme-sujet. Ce reflet ne s'élabore pas sans réduction de la base d'orientation rationnelle élaborée par l'expertise : le psychisme ne retient que les opérations nécessaires au sujet pour reproduire l'action, les autres opérations relevant alors d'un statut automatique d'opérations déjà réalisées. C’est cette nature partielle et subjective de la base d'orientation réduite qui explique les problèmes de communication entre experts dès lors qu'ils se réfèrent à leur seul vécu.

La nature du langage intérieur exige que cette étape se déroule dans le silence car le langage classique fait souvent obstacle aux opérations mentales et à l'intégration des diverses composantes de la personnalité dans l'action. Seuls la décision d'agir et l'accès au but recherché permettent de contrôler de l'extérieur la fiabilité des processus ultimes qui fournissent à l'activité et au psychisme un développement nouveau : les facultés supérieures de l'être humain s'élaborent dans l'action et chez l'homme sain s'y réinvestissent.

Type d'apprentissage et type de développement

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L’orientation est l'élément central de tout acte éducatif qui ne passe qu’ensuite par une phase d'exécution puis d'évaluation : l'échec pédagogique n'est jamais imputable aux capacités des élèves mais à l'insuffisance des informations sur les tâches sélectionnées. C’est pourquoi on distingue trois types de développement, liés chacun à la qualité de l'orientation :

  • dans l'apprentissage du premier type, les informations sont incomplètes. L'accès au résultat par "essais et erreurs" définit la réussite mais ne fournit pas de garantie sur l'activité induite ;
  • dans l'apprentissage du second type, les informations contiennent tous les repères empiriques utiles intégrés dans un algorithme pertinent. L'accès au résultat est en général satisfaisant et le sujet réutilise aisément le procédé chaque fois que la situation le permet ;
  • enfin, l'apprentissage du troisième type contient les repères théoriques nécessaires, correctement présentés dans un algorithme pertinent. L'accès au résultat est obtenu comme ci-dessus mais la démarche peut, de surcroît, se transférer à tout un secteur d’actions proches : autour de l’action elle-même, une véritable activité semble s’être développée.

Le contenu de l'orientation induit donc la forme même du développement. Il peut entraîner une pensée empirique et reproductive s'il ne repose que sur la description formelle des phénomènes ou de leurs résultats, une pensée théorique et productive (transférable ou créative) s'il est orienté par la nature profonde de ces phénomènes, cad leur cause. Mais la maîtrise par l’expert de la nature ou de la cause des actions à apprendre n’est que la condition nécessaire et non suffisante au transfert de connaissances. Pour assurer celui-ci, il doit aussi rendre ces propriétés évidemment généralisables pour lui évidentes aussi aux apprenants par une intégration adéquate dans les cartes d’étude.

Mais quand ces repères théoriques nécessaires font défaut, il vaudrait mieux laisser faire le développement naturel en l’optimisant plutôt que d’induire des mécanismes empiriques. L’analyse théorique de la nature des instruments permet alors d’orienter cette optimisation. Pour transformer la matière initiale en objet nouveau à travers une série d'opérations, tout outil doit posséder des propriétés communes à cette matière et à l’objet projeté. L’analyse de la matière brute et de ce projet permet d’identifier ces propriétés et d’élaborer l’outil spécifique de l'orientation en cause à travers une construction intermédiaire. Cette démarche fournit une réponse au problème crucial de l'enseignement : apprendre à apprendre.

La programmation par arborescences

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A travers ce qui précède, il devient possible d'envisager des programmations qui dépassent l’apprentissage de simples actions. Mais avant de présenter cette démarche, il est utile d'en préciser les concepts-clefs :

Le terme activité, que l'on peut rapprocher du concept des conduites de Pierre Janet, est chargé de sens multiples dont on peut dégager deux grands axes sémantiques. D'abord un axe vertical où activité est synonyme de disciplines comme lorsqu’on parle d’activités mathématique, scientifique ou physique ; certaines disciplines procèdent d’ailleurs parfois de plusieurs activités au sens strict. On rencontre aussi avec des expressions comme l'activité de l'enfant, du troisième âge ... ou de l’adolescence un axe horizontal ; le terme caractérise alors les particularismes d'une population et les stratégies d’apprentissage qui y répondent le mieux.

L'activité d’un sujet à un moment donné se situe au croisement de ces deux axes : elle relève d’un phénomène objectif situé dans le cadre d’une construction culturelle tout en restant un phénomène subjectif vécu uniquement par un individu au cours de sa propre histoire. Il n’y a pas d’activité mathématique abstraite mais l’activité mathématique de Jean, peut-être différente de l’activité mathématique de Pierre, son voisin de table. C'est la gestion rigoureuse de l’ajustement entre le niveau de l'activité culturelle (ou verticale) et celui de l'activité personnelle (ou horizontale) qui est garant d'un enseignement fructueux. Cet ajustement s’opère au niveau de la zone de développement proximal à travers des comportements observables qui matérialisent l'activité : les actions.

Les concepts d'action et d'activité sont liés par des rapports ambigus : l’action de courir est l’expression de deux activités aussi diverses que la fuite et la poursuite. Et certains rient aux larmes de joie alors que d’autres sont pris de rire nerveux lors de contrariétés. L'obtention d'une réponse comportementale ne garantit donc pas la formation d'un type d'activité ; mais l'action, le seul produit observable de l'activité, reste bien son seul moyen d'investigation. L’utilisation d’actions dans la perspective pédagogique de développer une activité exige donc deux précautions fondamentales : l'instrumentation des actions destinées à induire une activité doit être à la fois contrôlée à travers cinq étapes déjà décrites et assurer la cohérence de l'activité.

Pour ce faire, on regroupe les actions concernant un même champ d'activité en arborescences hiérarchiques (ou diagrammes fonctionnels) pour mettre en évidence les rapports qui lient entre eux leurs divers algorithmes et organiser leurs apprentissages. Le processus pédagogique qui en découle a pour finalité, à travers des frayages nerveux, de susciter des structures neurologiques capables de faciliter la généralisation et/ou la mise en relation des connaissances acquises à travers les apprentissages ponctuels résultant de l'usage de ces algorithmes. La pertinence de cette utilisation didactique est liée à trois précautions :

  • l’orientation qui y préside doit assurer de façon permanente la cohérence de l'activité,
  • les éléments généralisables contenus dans chaque algorithme doivent être présentés pour les rendre évidemment généralisables aux destinataires,
  • l'instrumentation qui guide l'accès aux actions sélectionnées pour induire une activité doit être contrôlée à travers les cinq étapes décrites.

Une fois ces précautions prises et la constitution des actions sélectionnées correctement menées, le processus de l’activité se poursuit de façon autonome et créative. Comme déjà signalé les processus de tutorage élaborés ne concernent que les phases initiales d’entrée dans l’activité ; lorsque l’analyse initiale qui sous-tend l’orientation et la démarche de guidage sont correctes, l’activité se développe ensuite seule dans le psychisme des apprenants qui finissent par en savoir plus qu’ils n’en ont appris, découvrant par eux-mêmes une partie des connaissances du champ. On parle alors d’enseignement productif.

Et certains, par mise en relation inconsciente de ce fonctionnement et de connaissances personnelles acquises dans un autre champ, auront l’intuition de solutions véritablement nouvelles et entreront dans le domaine de la découverte. On peut parler alors d’enseignement créatif : comme l’a exprimé Talyzina, une grande représentante de ce courant de pensée, la psychologie culturelle (ou socio-cognitive) permet de passer de l’enseignement programmé à la programmation de la connaissance.